dimanche 15 juillet 2018

Révision N° 1 Février 1938





Luc Daurat

Organe de la jeunesse révolutionnaire qui se veut impartial et sans parti. Ces jeunes se veulent critique par rapport aux partis et aux syndicats afin d'analyser le passé pour changer les comportements et les actions.

« L 'anticipation hardie de 1906 – où le syndicalisme avait la main longue et la dent dure -est devenue en 1937 , une réalité banale. Les fédérations bien centralisées existent, et leurs membres sont disciplinés. Nul n’oserait plus se prononcer sur le caractère d'une grève à partir de ces deux conceptions envisageant l'une le prolétariat comme une armée consciente formée à la lutte en vertu d'un fatalisme économique et d'une préparation tenace , et l'autre comme une bombe d'essai ou un pion de l'échiquier parlementaire. L'intellectualité superficielle d'un socialisme « scientifique » fabriqué à peu de frais écarte à priori les solutions catastrophiques de la révolution. Nous traînons tous plus ou moins ce bagage de fausse science qui nous fait penser non plus en soldats de la guerre sociale, mais en techniciens de la révolution. »

« D'autre part, le syndicalisme après la faillite de 1914 est rentré dans la vie publique par la petite porte des cabinets ministériels. Sa honte de paraître impropre à toutes les besognes assumées par les maitres, lui a fait négliger l'amour de la lutte pour l'intelligence gratuite et la jonglerie des des systèmes. Il se ravale ainsi au niveau des partis qui prétendent lutter d'égal à égal avec les bourgeois à la tribune parlementaire. »

« Le syndicalisme de la réunification est marqué du signe de l'incroyance dans les solutions héroïques de la révolution. Par conséquent, il redoute les grèves sans retenue politique , ces pas vers la révolution qui faussent le jeu et qui bouleversent la technique. Il écarte la grève générale prolétarienne par des escarmouches syndicales d'allures revendicatives. Il substitue à l'armée en marche du prolétariat les bataillons bien alignés, les fédérations bien centralisées, auxquels le parti psychologue commandera de ces marches et de ces arrêts brusqués dont la grève des services publics nous a donné un exemple réussi. »

« Les syndicats réformistes ne sont pas toujours ceux où la conscience de classe soit la moins claire. Ce sont ceux qui, par la fonction de leurs membres , ont une place de première importance dans le système nerveux de la production capitaliste. »

« Le responsable de parti vise aux mêmes buts, mais sa hiérarchie de valeurs peut- être inversée. Il ne fait pas de doute que les ouvriers furent en juin 1936 , à l'échelle de la révolution , et les partis à l'échelle de la revendication limitée. Le P.C. Prônait le chambardement général à l'époque où la revendication substantielle semblait même une hypothèse lointaine. Le parti peut être un contretemps du prolétariat et s'introduire comme un corps étranger dans les rouages de la révolution. »

« Nier l'intérêt d'une grève au moment où les ouvriers la font, c'est prendre à contre-courant la psychologie du prolétariat qui voit l'action en elle-même et non les combines qui la déterminent. »

« Cette grève ne pouvait être ni arrêtée ni freinée. Elle devait être orientée dans le sens d'une transformation de grève politique en grève prolétarienne. Elle ne devait pas seulement déterminer une réaction platonique des beaux joueurs de l'opposition syndicale. Il fallait savoir ne pas accepter le jeu te retourner l'échiquier. »

« Mais il faudrait avoir le courage dans les milieux syndicaux de ne plus prendre les créatures staliniennes pour des adversaires loyaux. Avant de contrecarrer les plans, il faut démasquer les hommes. Il faudrait n'être soi-même la créature de personne. Il faudrait savoir qu'on ne peut pas faire à la fois la pantomime bourgeoise et la révolution constructive. Il faudrait savoir passer droit devant les têtes pensantes de la diplomatie confédérale. Il faudrait n'avoir jamais razzié soi-même des majorités malpropres pour parler des colonisateurs. Il faudrait être lucide et honnête, et c'est beaucoup.
Encore une fois, le syndicalisme d'action directe n'est ni un critère ni un modèle. Il ne s'agit pas d'annoner à tous propos l'évangile d'action directe qui portait en soi la tare principale des solutions absolues. Mais il fut le grand fabriquant d'énergies morales et d'hommes qui disaient ce qu'ils pensaient et qui faisaient ce qu'ils disaient. Il est le créateur de la morale de classe et du héros moyen , à l'opposé du politicien, héros de foire et modèles pour statues. Voilà ce qui reste pour nous du syndicalisme d'action directe. Il n'ignorait pas que tout est morale dans le monde ouvrier. »

« il faudrait absolument n'avoir aucune illusion sur une politique de techniciens de parti qui privent l'homme de la nécessité morale d'être un révolutionnaire conscient. Mais qu'a-t-on à faire de la morale quand on consacre soi-même ses efforts à démoraliser , à mutiler le socialisme ? »

« On a bientôt fait d'accuser les staliniens de toutes les déchéances du syndicalisme. La vieille maison n'a pourtant pas attendu les staliniens pour s'écrouler par morceaux. Le stalinisme n'est que n'est que la forme effrontée de la lâcheté congénitale du réformisme et les gens qui ont maintenu Jouhaux trente années dans leur maison ne convaincront personne qu'ils sont injustement licenciés par les fonctionnaires de Moscou. Une des choses les plus risibles du monde est la fureur de ces gens qui se prétendent dépossédés de leurs unions, et de leurs fédérations, qui crient à la violation de la démocratie parce qu'ils sont éliminés précisément par les moyens de démocratie formelle et contre-révolutionnaire qu'ils ont introduits eux-mêmes dans l'organisation syndicale. »

« Dans la plupart des organisations ouvrières , il est inutile de vouloir faire plus longtemps de l'opposition sur le plan des idées. Le mal qui ronge le socialisme passe par le plan des personnes. Les neuf dixièmes des chefs ouvriers , dans leur période de sincérité révolutionnaire, visent des destinées napoléoniennes, machiavéliques et léninistes., et non le service du prolétariat. Tous sont un peu les rédempteurs du peuple , les généraux de la révolution ou les architectes d'un monde nouveau. On transige d'ordinaire ces grandes ambitions pour un fauteuil de conseiller général ou un siège dans un conseil d'administration. »

« Mais toute réglementation serait inefficace s'adressant à des producteurs inconscients de leur valeur sociale et de leur dignité humaine. Et la première dignité est le sens de la responsabilité qui implique le courage de la vérité et la désapprobation du mensonge. Le plus pénible reste à dire. J'en prends pour moi seul la responsabilité. Je dis que les faits démontrent lumineusement l'incompatibilité entre ceux qui font l'histoire et et ceux dont l'histoire est fait. Je pense qu'un socialisme de parade où des escrocs exhibent des héros et s'en couvrent est un vol à la pensée prolétarienne. Je crois que devant un socialisme de voleurs le fonctionnement animal d'un corps vivant est une réalité supérieure. Je crois que tout notre socialisme ne vaut pas la vie d'un homme. En toute conscience, je dis que pour la majorité d'entre nous , mieux vaut faire un fasciste qu'un mort.
Ceci n'est pas une parole défaitiste, mais la reconnaissance d'un fait , et malgré tout, l'estime des hommes. L'ouvrier qui sous le règne du socialisme «  malin » ne peut plus agir en vertu de sa conscience de producteur doit normalement verser dans cette philosophie tantôt échevelée, tantôt pratique qui est la forme des mystiques d'autorité. Ainsi se diluent les masses qui ont perdu leur âme ou leur ombre, projection de leur réalité sur l'écran de la révolution. Où sont donc les effectifs impressionnants du socialisme allemand ? Avec ceux qui ont su élever l'apparence de leur doctrine au niveau de la dignité prolétarienne . Absorbés tout simplement par la vie qui reste belle sous Hitler, ou ralliés au fascisme militant.
Pour avoir le goût du risque et l'amour du jeu, il ne faut pas être un pion mais un joueur. Un homme ne peut pas prendre à la légère la détermination de mourir. Le jour où nous pourrons mourir pour le socialisme ne viendra peut-être plus. Ce jour-là Monsieur Jouhaux sera pendu à la grande porte de la bourse du travail.
Il faut reprendre la croix et la bannière et repartir lentement à la rechercher des hommes dans les foules escroquées du socialisme, dans la masse des producteurs. Il faut implacablement dénoncés les autres. Tout travail d'idées est inutile contre des hommes qui trafiquent de l'idée avec l'amour d'un débardeur et la bonne foi d'un négrier.
La première tâche est de soumettre toute la tactique syndicale à la justification prolétarienne, de redonner à la lutte l'échelle des valeurs fixée par la production et non par les impérialistes français, anglais ou russes qui soudoient les forbans du syndicalisme français. »

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