Luc
Daurat
Organe de la jeunesse
révolutionnaire qui se veut impartial et sans parti. Ces jeunes se
veulent critique par rapport aux partis et aux syndicats afin
d'analyser le passé pour changer les comportements et les actions.
« L 'anticipation
hardie de 1906 – où le syndicalisme avait la main longue et la
dent dure -est devenue en 1937 , une réalité banale. Les
fédérations bien centralisées existent, et leurs membres sont
disciplinés. Nul n’oserait plus se prononcer sur le caractère
d'une grève à partir de ces deux conceptions envisageant l'une le
prolétariat comme une armée consciente formée à la lutte en vertu
d'un fatalisme économique et d'une préparation tenace , et l'autre
comme une bombe d'essai ou un pion de l'échiquier parlementaire.
L'intellectualité superficielle d'un socialisme « scientifique »
fabriqué à peu de frais écarte à priori les solutions
catastrophiques de la révolution. Nous traînons tous plus ou moins
ce bagage de fausse science qui nous fait penser non plus en soldats
de la guerre sociale, mais en techniciens de la révolution. »
« D'autre part, le
syndicalisme après la faillite de 1914 est rentré dans la vie
publique par la petite porte des cabinets ministériels. Sa honte de
paraître impropre à toutes les besognes assumées par les maitres,
lui a fait négliger l'amour de la lutte pour l'intelligence gratuite
et la jonglerie des des systèmes. Il se ravale ainsi au niveau des
partis qui prétendent lutter d'égal à égal avec les bourgeois à
la tribune parlementaire. »
« Le syndicalisme de la
réunification est marqué du signe de l'incroyance dans les
solutions héroïques de la révolution. Par conséquent, il redoute
les grèves sans retenue politique , ces pas vers la révolution qui
faussent le jeu et qui bouleversent la technique. Il écarte la
grève générale prolétarienne par des escarmouches syndicales
d'allures revendicatives. Il substitue à l'armée en marche du
prolétariat les bataillons bien alignés, les fédérations bien
centralisées, auxquels le parti psychologue commandera de ces
marches et de ces arrêts brusqués dont la grève des services
publics nous a donné un exemple réussi. »
« Les syndicats
réformistes ne sont pas toujours ceux où la conscience de classe
soit la moins claire. Ce sont ceux qui, par la fonction de leurs
membres , ont une place de première importance dans le système
nerveux de la production capitaliste. »
« Le responsable de parti
vise aux mêmes buts, mais sa hiérarchie de valeurs peut- être
inversée. Il ne fait pas de doute que les ouvriers furent en juin
1936 , à l'échelle de la révolution , et les partis à l'échelle
de la revendication limitée. Le P.C. Prônait le chambardement
général à l'époque où la revendication substantielle semblait
même une hypothèse lointaine. Le parti peut être un contretemps du
prolétariat et s'introduire comme un corps étranger dans les
rouages de la révolution. »
« Nier l'intérêt d'une
grève au moment où les ouvriers la font, c'est prendre à
contre-courant la psychologie du prolétariat qui voit l'action en
elle-même et non les combines qui la déterminent. »
« Cette grève ne pouvait
être ni arrêtée ni freinée. Elle devait être orientée dans le
sens d'une transformation de grève politique en grève
prolétarienne. Elle ne devait pas seulement déterminer une réaction
platonique des beaux joueurs de l'opposition syndicale. Il fallait
savoir ne pas accepter le jeu te retourner l'échiquier. »
« Mais il faudrait avoir
le courage dans les milieux syndicaux de ne plus prendre les
créatures staliniennes pour des adversaires loyaux. Avant de
contrecarrer les plans, il faut démasquer les hommes. Il faudrait
n'être soi-même la créature de personne. Il faudrait savoir qu'on
ne peut pas faire à la fois la pantomime bourgeoise et la révolution
constructive. Il faudrait savoir passer droit devant les têtes
pensantes de la diplomatie confédérale. Il faudrait n'avoir jamais
razzié soi-même des majorités malpropres pour parler des
colonisateurs. Il faudrait être lucide et honnête, et c'est
beaucoup.
Encore une fois, le syndicalisme
d'action directe n'est ni un critère ni un modèle. Il ne s'agit pas
d'annoner à tous propos l'évangile d'action directe qui portait en
soi la tare principale des solutions absolues. Mais il fut le grand
fabriquant d'énergies morales et d'hommes qui disaient ce qu'ils
pensaient et qui faisaient ce qu'ils disaient. Il est le créateur de
la morale de classe et du héros moyen , à l'opposé du politicien,
héros de foire et modèles pour statues. Voilà ce qui reste pour
nous du syndicalisme d'action directe. Il n'ignorait pas que tout est
morale dans le monde ouvrier. »
« il faudrait absolument
n'avoir aucune illusion sur une politique de techniciens de parti qui
privent l'homme de la nécessité morale d'être un révolutionnaire
conscient. Mais qu'a-t-on à faire de la morale quand on consacre
soi-même ses efforts à démoraliser , à mutiler le socialisme ? »
« On a bientôt fait
d'accuser les staliniens de toutes les déchéances du syndicalisme.
La vieille maison n'a pourtant pas attendu les staliniens pour
s'écrouler par morceaux. Le stalinisme n'est que n'est que la forme
effrontée de la lâcheté congénitale du réformisme et les gens
qui ont maintenu Jouhaux trente années dans leur maison ne
convaincront personne qu'ils sont injustement licenciés par les
fonctionnaires de Moscou. Une des choses les plus risibles du monde
est la fureur de ces gens qui se prétendent dépossédés de leurs
unions, et de leurs fédérations, qui crient à la
violation de la démocratie parce qu'ils sont éliminés précisément
par les moyens de démocratie formelle et contre-révolutionnaire
qu'ils ont introduits eux-mêmes dans l'organisation syndicale. »
« Dans la plupart des
organisations ouvrières , il est inutile de vouloir faire plus
longtemps de l'opposition sur le plan des idées. Le mal qui ronge le
socialisme passe par le plan des personnes. Les neuf dixièmes des
chefs ouvriers , dans leur période de sincérité révolutionnaire,
visent des destinées napoléoniennes, machiavéliques et
léninistes., et non le service du prolétariat. Tous sont un peu les
rédempteurs du peuple , les généraux de la révolution ou les
architectes d'un monde nouveau. On transige d'ordinaire ces grandes
ambitions pour un fauteuil de conseiller général ou un siège dans
un conseil d'administration. »
« Mais toute
réglementation serait inefficace s'adressant à des producteurs
inconscients de leur valeur sociale et de leur dignité humaine. Et
la première dignité est le sens de la responsabilité qui implique
le courage de la vérité et la désapprobation du mensonge. Le plus
pénible reste à dire. J'en prends pour moi seul la responsabilité.
Je dis que les faits démontrent lumineusement l'incompatibilité
entre ceux qui font l'histoire et et ceux dont l'histoire est fait.
Je pense qu'un socialisme de parade où des escrocs exhibent des
héros et s'en couvrent est un vol à la pensée prolétarienne. Je
crois que devant un socialisme de voleurs le fonctionnement animal
d'un corps vivant est une réalité supérieure. Je crois que tout
notre socialisme ne vaut pas la vie d'un homme. En toute conscience,
je dis que pour la majorité d'entre nous , mieux vaut faire un
fasciste qu'un mort.
Ceci n'est pas une parole
défaitiste, mais la reconnaissance d'un fait , et malgré tout,
l'estime des hommes. L'ouvrier qui sous le règne du socialisme «
malin » ne peut plus agir en vertu de sa conscience de
producteur doit normalement verser dans cette philosophie tantôt
échevelée, tantôt pratique qui est la forme des mystiques
d'autorité. Ainsi se diluent les masses qui ont perdu leur âme ou
leur ombre, projection de leur réalité sur l'écran de la
révolution. Où sont donc les effectifs impressionnants du
socialisme allemand ? Avec ceux qui ont su élever l'apparence
de leur doctrine au niveau de la dignité prolétarienne . Absorbés
tout simplement par la vie qui reste belle sous Hitler, ou ralliés
au fascisme militant.
Pour avoir le goût du risque et
l'amour du jeu, il ne faut pas être un pion mais un joueur. Un homme
ne peut pas prendre à la légère la détermination de mourir. Le
jour où nous pourrons mourir pour le socialisme ne viendra peut-être
plus. Ce jour-là Monsieur Jouhaux sera pendu à la grande porte de
la bourse du travail.
Il faut reprendre la croix et la
bannière et repartir lentement à la rechercher des hommes dans les
foules escroquées du socialisme, dans la masse des producteurs. Il
faut implacablement dénoncés les autres. Tout travail d'idées est
inutile contre des hommes qui trafiquent de l'idée avec l'amour d'un
débardeur et la bonne foi d'un négrier.
La première tâche est de
soumettre toute la tactique syndicale à la justification
prolétarienne, de redonner à la lutte l'échelle des valeurs fixée
par la production et non par les impérialistes français, anglais ou
russes qui soudoient les forbans du syndicalisme français. »
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