vendredi 28 août 2020

Max Stirner par quelques citations


« Aux mains de l'État, la force s'appelle "droit", aux mains de l'individu, elle se nomme "crime". »

« Un homme n'est "appelé" à rien ; il n'a pas plus de "devoir" et de "vocation" que n'en ont une plante ou un animal. »

« J'accepte qu'un homme me traite en ennemi, mais non qu'il se serve de moi comme de sa créature, et qu'il fasse de sa raison et de sa déraison ma règle de conduite. »

« Ce n'est pas le savoir qu'il s'agit d'inculquer, c'est la personne qui doit arriver à son propre épanouissement. Le point de départ de la pédagogie ne doit pas être de civiliser, mais de former des personnes libres, des caractères souverains. »

« Je n'exige aucun droit, c'est pourquoi je ne suis obligé d'en reconnaitre aucun. »

« Dieu et l'Humanité n'ont basé leur cause sur rien, sur rien qu'eux-mêmes. Je baserai donc ma cause sur Moi : aussi bien que Dieu, je suis la négation de tout le reste, je suis pour moi tout je suis l'Unique. »

« Si Dieu et l'Humanité sont, comme vous l'assurez, riches de ce qu'ils renferment au point d'être pour eux-mêmes tout dans tout, je m'aperçois qu'il me manque à moi beaucoup moins encore et que je n'ai pas à me plaindre de ma « vanité ». Je ne suis pas rien dans le sens de « rien que vanité », mais je suis le Rien créateur, le Rien dont je tire tout. » 

« Foin donc de toute cause qui n'est pas entièrement, exclusivement la Mienne ! Ma cause, dites-vous, devrait au moins être la « bonne cause»? Qu'est-ce qui est bon, qu'est-ce qui est mauvais ? Je suis moi-même ma cause, et je ne suis ni bon ni mauvais, ce ne sont là pour moi que des mots. »



« Le divin regarde Dieu, l'humain regarde l'Homme. Ma cause n'est ni divine ni humaine, ce n'est ni le vrai, ni le bon, ni le juste, ni le libre, c'est — le Mien ; elle n'est pas générale, mais — unique, comme je suis unique. Rien n'est, pour Moi, au-dessus de Moi ! »

« La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'Eglise : l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité. »

« Ce qui nous inspirait crainte et respect, loin de nous intimider, nous encourage : derrière le rude commandement des supérieurs et des parents, plus obstinée se redresse notre volonté, plus artificieuse notre ruse. Plus, nous apprenons à nous connaître, plus nous nous rions de ce que nous avions cru insurmontable. »

« Les pauvres sont coupables de l'existence des riches. »

« S'ils vous donnent cependant la liberté, ce ne sont que des fripons qui donnent plus qu'ils n'ont. Ils ne vous donnent rien de ce qui leur appartient, mais bien une marchandise volée ; ils vous donnent votre propre liberté, la liberté que vous auriez pu prendre vous-mêmes, et s'ils vous la donnent, ce n'est que pour que vous ne la preniez pas et pour que vous ne demandiez pas, par-dessus le marché, des comptes aux voleurs. Rusés comme ils le sont, ils savent bien qu'une liberté qui se donne (ou qui s'octroie) n'est pas la liberté et que seule la liberté qu'on prend, celle des égoïstes, vogue à pleines voiles. Une liberté reçue en cadeau cargue ses voiles dès que la tempête s'élève — ou que le vent tombe ; elle doit toujours être poussée par une brise douce et modérée. »

« La République n'est qu'une monarchie absolue, car peu importe que le souverain s'appelle Prince ou peuple : l'un et l'autre sont une "Majesté". »

« As-tu déjà vu un Esprit ? Moi ? non, mais ma grand-mère en a vu. C'est comme moi : je n'en ai jamais vu, mais ma grand-mère en avait qui lui couraient sans cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous croyons à l'existence des esprits. 
Mais n'avions-nous pas aussi des grands-pères, et ne haussaient-ils pas les épaules chaque fois que nos grands-mères entamaient leurs histoires de revenants ? Hélas ! oui, c'étaient des incrédules et ils ont fait grand tort à notre bonne religion, tous ces philosophes. ! Nous le verrons bien par la suite ! »

« Si le communiste voit en toi un homme et un frère, ce n'est là que sa manière de voir des dimanches... Si tu étais un fainéant, il ne reconnaîtrait pas en toi l'Homme, il y verrait un homme paresseux à corriger de sa paresse et à catéchiser pour le convertir à la croyance que le travail est la destination et la vocation de l'Homme. »

« La révolution veut changer les institutions. La révolte consiste à refuser de se laisser gouverner par des institutions. »

« Je dis adieu à la maison déserte des morts et je retourne parmi les vivants. »

« Sois colossalement riche ou misérablement pauvre, l'Etat bourgeois t'en laisse la faculté ; sois seulement bien-pensant, c'est tout ce qu'il te demande, et il considère comme sa tâche première de donner à tous "de bons principes". »

« On a un Dieu auquel on doit une victime vivante. Avec le temps, le sacrifice humain a perdu toute sa cruauté, mais il est demeuré lui-même intact, et, à toute heure, des criminels sont égorgés en expiation à la justice et nous "pauvres pécheurs", nous nous sacrifions nous-mêmes à "l’être humain", à l’idée de l’humanité, "l’humanité", quels que soient les noms donnes aux idoles ou aux dieux. »

« On pousse les jeunes en troupeau à l’école afin qu'ils apprennent les vieilles ritournelles et quand ils savent par cœur le verbiage des vieux, on les déclare "majeurs". »

« Vaincre ou être vaincu — pas d'autre alternative. Le vainqueur sera le maître, le vaincu sera l’esclave : l'un jouira de la souveraineté et des « droits du seigneur », l'autre remplira, plein de respect et de crainte, ses « devoirs de sujet ». »

« Amis, votre époque n'est pas malade, elle a vécu ; aussi ne la torturez pas en essayant de la guérir mais allégez son heure dernière en l'abrégeant et laissez-la, puisqu'elle ne peut guérir, laissez-la mourir.[...] Notre époque n'est pas malade et ne demande pas à être guérie, elle est vieille et son heure a sonné. »

« Il existe des possédés du genre contraire, possédés par le bien, par la morale et qui tendent à rependre leurs principes. »

« Tu n'es pour Moi que mon aliment, même si Je suis, Moi aussi, utilisé et consommé par Toi. Nous n'avons entre Nous qu'un rapport, celui de l'utilité, de la mise en valeur et de l'avantage. Nous ne nous devons rien l'un à l'autre, car ce que Je semble Te devoir, c'est tout au plus à Moi-même que je le dois. Si Je Te montre un visage serein, afin que Tu sois gai Toi aussi, c'est que J'ai intérêt à Ta gaieté et ma mine sert donc Mon désir. »

« Je préfère, quant à Moi, avoir à compter sur l'intérêt personnel des hommes que sur leurs "services charitables", leur pitié, leur compassion, etc... Le premier exige la réciprocité ("Je Te traiterai comme Tu Me traiteras"), ne fait rien "pour rien" et se laisse gagner et acheter. Mais avec qui, en revanche, obtiendrai-Je un service charitable ? Il dépend du hasard que Je tombe précisément sur un individu charitable, mais ses services ne s'obtiennent qu'en mendiant, soit par son apparence pitoyable, soit par indigence, sa misère ou sa... souffrance. »

« Cela ne veut pas dire autre chose que ceci : tu as droit d’être ce que tu as la force d’être. »

« La piété et la morale se distinguent en ceci que l'une prend Dieu et l'autre l'homme comme législateur. »

« La piété et la morale se distinguent en ceci que l'une prend Dieu et l'autre l'homme comme législateur. »

« Avec Socrate commence l'examen du cœur, et tout son contenu va être passé au crible. Les derniers, les suprêmes efforts des Anciens aboutirent à rejeter du cœur tout son contenu, et à le laisser battre à vide : ce fut l'œuvre des SCEPTIQUES. Ainsi fut atteinte cette pureté du cœur qui était parvenue, au temps des Sophistes, à s'opposer à l'intelligence. Le résultat de la culture sophistique fut que l'intelligence ne se laisse plus arrêter par rien, celui de l'éducation sceptique, que le cœur ne se laisse plus émouvoir par rien. »

« Nous voyons donc que ce que les Anciens tinrent pour la vérité était le contraire même de ce qui passa pour la vérité aux yeux des modernes ; les uns crurent au naturel, les autres au spirituel; les uns aux choses et aux lois de la terre, les autres à celles du ciel (la patrie céleste, « la Jérusalem de là-haut », etc.). Étant donné que la pensée moderne ne fut que l'aboutissement et le produit de la pensée antique, reste à examiner comment était possible une telle métamorphose. »

« Ce n'est pas le savoir qu'il s'agit d'inculquer, c'est la personne qui doit arriver à son propre épanouissement. Le point de départ de la pédagogie ne doit pas être de civiliser, mais de former des personnes libres, des caractères souverains. »









INVENTAIRE n. m. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


En Droit, l'inventaire est un acte conservatoire que la loi prescrit formellement en matière de succession chaque fois qu'il y a lieu de sauvegarder les intérêts d'héritiers mineurs, interdits ou absents et, dans tous les cas également, où la dévolution de la succession se heurte à certaines difficultés. Il comprend la désignation et l'estimation de tous les objets : meubles, espèces, titres, papiers, etc., ayant appartenu aux défunts. Commercialement parlant, l'inventaire consiste à faire le relevé de l'encaisse de l'entreprise, de ses créances, de son portefeuille-titres et de ses dettes, ainsi que le relevé de ses biens immobiliers et mobiliers. Aux termes de l'article 9 du Code de Commerce tout commerçant est tenu de dresser, chaque année, sur un registre ad hoc, son inventaire, faute de quoi il s'expose, en cas de faillite, aux peines de la banqueroute frauduleuse. Il serait sans doute fastidieux et de peu d'utilité pour les lecteurs de l'Encyclopédie, que nous nous attardions à signaler les escamotages et les tours de passe-passe auxquels recourent la majeure partie des assujettis à la loi régissant l'inventaire commercial, dans le but de truquer leur Actif et leur Passif et de présenter, en conséquence, sous la forme d'un tableau synoptique, couramment appelé Bilan, une situation intentionnellement fausse. Bornons-nous à déclarer que si tous les inventaires des firmes industrielles et des maisons de commerce étaient dressés avec une scrupuleuse exactitude, il apparaîtrait, avec évidence, aux plus profanes, que le Travail est, pour ceux qui l'exploitent, une source considérable et inépuisable de profits. On verrait, pour ne citer qu'un exemple, que telle Compagnie houillère de la région du Nord dont l'extraction, durant l'année 1926, ne fut pas inférieure à 3.000.000 de tonnes laissant chacune un bénéfice moyen de 50 francs, parvient à réaliser un gain dépassant de cinq à six fois celui que l'on accusa officiellement et auquel l'on est arrivé grâce à des déperditions, des dépréciations, des amortissements et des prix de revient falsifiés et manifestement exagérés. Sachant que notre société repose tout entière sur l'antagonisme des intérêts et que le Mensonge et le Vol en forment les piliers essentiels, nous ne nous étonnerons point outre mesure d'un tel état de choses, qui tient à l'essence même du Capitalisme. Mais n'avons-nous pas, nous aussi, à procéder, chaque année « en fin d'exercice », à l'inventaire de tous nos actes, et serions-nous encore autorisés à reprocher à nos maîtres détestés - les capitalistes qui nous spolient et nous asservissent - la fraude et la déloyauté dont ils usent comme monnaie courante si, de notre côté, nous ne parvenions à nous dépouiller de cette regrettable et illusion que nous nous faisons si volontiers sur la valeur et l'utilité sociale de nos actions? Combien parmi nous, s'ils étaient sincères, pourraient-ils présenter autre chose, en fait d'Actif, qu'un misérable récolement de faits et gestes que ne désavouerait point toujours le plus mesquin des bourgeois! Combien qui semblent n'avoir sur les lèvres que des paroles d'amour et de solidarité et dont les actes de chaque jour sont un cinglant démenti à leurs hypocrites déclamations! Comme Gœthe, qui pouvait se flatter d'être un homme parce qu'il avait été un lutteur, faisons du bon et continuel combat, en faveur de notre Idéal, le sens et la dignité de notre vie ! Fi des sectaires, des haineux, des appauvris dont toute la propagande consiste à baver sur ceux - l'ambition n'excède pas le besoin de répandre en autrui, pour, autrui, leur trop-plein de vie et de faire émerger des misérables contingences sociales desquelles, si péniblement, nous nous affranchissons, la grande Doctrine à laquelle ils ont, simplement mais résolument, voué leur existence! Puisque « la vie est un drame où l'homme combat pour son rêve contre la réalité », efforçons-nous de mettre, un peu plus chaque jour, de beauté et de bonté dans ce pauvre monde. Un Newton découvrant les lois de l'Univers ; le savant qui pense solitairement mais dont le génial enfantement préservera désormais du mal funeste des millions d'hommes ; l'apôtre de la Rédemption humaine dont le zèle ne saurait être attiédi ni par les persécutions, ni par les séductions de la gloire : voilà les vrais lutteurs qui affranchissent le monde, voilà ceux qui doivent nous servir d'exemples pour tous les actes de notre vie ! –
A. BUCQ

IRREGULIER (l') (et l'Anarchiste) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 Comment peut-on supposer un instant qu'entre le régulier et l'irrégulier, la sympathie de l'anarchiste hésite? Le régulier implique conservation, cristallisation, statisme - l'irrégulier signifie désagrégation, décentralisation, dynamisme. Les puissances répressives, elles, ne s'y trompent pas. Elles mettent toutes les forces dont elles disposent au service de la régularité : régularité dans les mœurs, dans les usages, dans les coutumes, dans l'allure, dans le port du vêtement, dans les moyens de gagner sa vie. L'Etat et l'Eglise n'ignorent pas la valeur anti émancipatrice, antirévolutionnaire de la régularité. Tout gouvernement, fût-ce celui de la dictature du prolétariat, tout enseignement officiel fût-ce celui des bolchevistes, traque ou dénonce l'irrégularité dans le geste ou l'écrit. Ils savent que l'irrégulier accomplit une action corrosive, anti stabilisatrice, démantelante. Les légendes qui nous restent des temps antéhistoriques montrent que l'Age d'Or connut des irréguliers et que toute l'ambroisie de l'Olympe ne suffit pas à endormir un Prométhée. Et, dans tous les temps, il se trouva quelqu'un pour réagir contre la médiocrité ou la tyrannie des réguliers. Jamais le règne de la régularité ne s'étendra sur la terre, étouffant, monotone, mortel. C'est la plus consolante des pensées qui nous demeure, alors qu'ont fait défaut toutes les ressources sur lesquelles nous étions plus ou moins en droit de compter, alors que se sont évanouis nos illusions ou nos enthousiasmes, alors que nous restons seuls ou à peu près sur la route. Il y aura toujours des hors-société, des « outlaws », des récalcitrants, des critiques, des non-conformistes, des perturbateurs, des protestataires. L'Individu réagira toujours contre le Dictateur. L'Unique n'acceptera jamais la domination de la Multitude. Et l'Homme Seul ne se laissera pas dominer par l'Ensemble. L'Artiste ne prostituera jamais sa vision individuelle aux goûts de la foule, aux traditions de l'école ; le Poète ne sacrifiera pas son inspiration à la mentalité du Milieu ; le Savant ne se laissera pas imposer silence par les préjugés scientifiques. Ceux qui placent la liberté avant le bien-être ne feront jamais route avec ceux qui sont toujours disposés à aliéner un peu ou beaucoup de leur indépendance pour un plat de lentilles ou une écuelle de soupe. Il y aura toujours des irréguliers. Il y aura toujours des antiautoritaires. Et les bohêmes, les hétérodoxes, les en-dehors, les irréguliers de tout poil et de tout acabit sont susceptibles - bien mieux que les réguliers, très souvent - de s'associer et, au sein de l'association, d'agir selon une règle de conduite adoptée volontairement hors de toute intervention étatiste, gouvernementale, de tout contrôle extérieur. Pour les individualistes anarchistes, il n'y a pas incompatibilité entre les mots « irrégulier » et « associationnisme ». Si ta porte est ouverte et ton sourire accueillant, ô camarade, l'Irrégulier qui passe s'arrêtera et entrera chez toi. Il prendra place sur le siège que tu lui offriras, à moins qu'il ne préfère prendre place sur le sol, devant la cheminée. Il te parlera de choses autres, il t'apportera des nouvelles d'ailleurs ; sa voix pourra couler sur un ton plaisant ou déplaisant, mais elle ne sera pas semblable à celle des autres hommes, les réguliers. Et ta maison - ta maison intérieure - ton cerveau et tes sens - se trouvera tout illuminée à l'ouïe de cette parole. Des horizons insoupçonnés se lèveront sur le terne écran de ta vie quotidienne. Mais qu'elles soient douces comme l'accent du ruisseau qui murmure au fond de la vallée ou âpres comme le sifflement de la bise sur les étangs glacés, ses paroles te troubleront, t'enivreront, te transporteront dans un monde différent de celui où tu vis, car l'Irrégulier ne tient pas compte des situations acquises ou des liens sociaux. Il t'appelle à vivre une vie neuve, une vie de hardiesse qui tranche avec la vie de traîne et de routine qui est la tienne, une ample vie d'aujourd'hui qui rompe avec la misère de ton existence d'hier, de tous les hiers passés. Mais voici que l'appel se fait si pressant que tu te refuses à en entendre davantage, que tu recules devant l'expérience à tenter. Tu congédies l'Irrégulier et tu verrouilles ton huis. Pauvre de toi! Resplendissante tout à l'heure, ta Demeure intérieure n'est plus éclairée qu'à la lueur fumeuse de l'inoriginalité et de la monotonie. Tu n'es qu'un régulier qui t'ignores. –

E. ARMAND.

IRREGULIER adj. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


et nom m. Qui ne répond pas aux traits fixés par certaines règles, qui s'écarte de la symétrie, du type convenu, brise la ligne uniformiste : mouvements, marche, physionomie, attitude, conduite, existence, etc., peuvent être ainsi irréguliers. Au point de vue esthétique, l'irrégularité n'est qu'accidentellement (et parfois conventionnellement) un facteur d'inharmonie ; l'accoutumance aux modes disgracieuses et ridicules nous montre combien certaines « lignes » sont dépendantes de l'adaptation... Irrégulier souligne, autant que des écarts de structure et des incompatibités de mœurs ou de moralité, l'indépendance qui dit l'originalité créatrice, la forte personnalité : esprit irrégulier, génie irrégulier. Etre dans la norme, se rapporter aux règles implique à quelque titre un assujettissement, et il y a, la plupart du temps, plus de beauté et de promesses dans l'irrégularité. Les anarchistes, audacieux, chercheurs, expérimentateurs et, par essence, en réaction permanente contre les formes établies, les milieux hostiles, les modes de pensée moutonniers, se situent, face aux acceptants de l'ambiance et de la foule, en irréguliers. Ils ne composent avec les régularités qui les dominent ou les écrasent qu'à leur corps, à leur esprit défendant et avec toutes les réserves qu'implique la contrainte qu'ils subissent. Les voies individuelles et sociales, aujourd'hui irrégulières, et traquées souvent comme attentatoires à l'ordre, risquent en général, quelques décades passées, d'être élevées à la dignité régulière et de devenir le chemin glorifié des multitudes... En grammaire, les verbes irréguliers sont ceux dont la conjugaison s'écarte de celle du verbe modèle auquel ils s'apparentent. En musique, on appelle tons irréguliers, dans le plain-chant, un morceau dont le chant participe de plusieurs tons à la fois. En botanique, se dit de toute partie dont les divisions sont inégales et dissemblables (fleurs, corolles, calices irréguliers). La pathologie désigne comme irrégulier le pouls dont les pulsations ne sont ni égales entre elles, ni régulières dans leurs inégalités. Dans le droit canon, l'irrégulier est celui qui, ayant encouru (pour folie, surdité, divorce, etc.) l'irrégularité, est devenu incapable de recevoir 1es ordres - ou, s'il les a reçus, d'en exercer les fonctions - ou d'exercer un bénéfice... Les partisans non encadrés dans les formations normales et qui agissent en marge des corps réguliers sont dits irréguliers (tels les francs-tireurs, en 1870). Irréguliers aussi les soldats soumis à des règlements spéciaux (certains volontaires de groupes d'attaque, catégories indigènes dans les colonies). Les armées modernes, aux cadres disciplinés et aux campagnes plus méthodiques, répudient en général les irréguliers que ne protègent d'ailleurs « les lois de la guerre », et qui échappent au contrôle du commandement... L'astronomie note des saisons irrégulières, l'irrégularité du mouvement de certains astres ou planètes, telle la lune sollicitée par l'attraction solaire, etc. –

L.

IRREDUCTIBLE adj. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 Qui a été ramené à la forme, à l'expression la plus simple que nous pouvons concevoir : l'atome est irréductible. Pour Giraud, « la conscience est un fait primordial, insaisissable, irréductible ». En chimie, un oxyde métallique qu'on ne peut faire revenir à l'état de métal est irréductible : « les corps simples ne sont peut-être que des composés irréductibles ». La physique se préoccupe de phénomènes irréductibles. En arithmétique, des fractions sont dites irréductibles dont les deux termes sont premiers entre eux, c'est-à-dire sans commun diviseur. En algèbre, les équations à coefficients entiers ou rationnels sont appelées irréductibles quand le premier nombre n'en peut être décomposé en facteurs algébriques à coefficients de même nature que les équations initiales. En chirurgie, fractures, luxations, hernies irréductibles quand persiste la déformation de l'os, des tissus, des organes, et que l'art est impuissant à rétablir la normale, à moins de faire appel à des procédés opératoires spéciaux, etc. Au figuré, le terme d'irréductible désigne souvent l'état intellectuel de celui dont les opinions se refusent à la compression ou à la désagrégation et qui se tient résolument sur le terrain de ses convictions. Une telle irréductibilité n'est jamais absolue ni définitive, à moins d'épouser l'esprit du dogme et de se dérober arbitrairement à l'examen. Il convient d'éviter cet absurde et dangereux cantonnement, mais une irréductibilité relative, lorsqu'elle est consciente et réfléchie, est la marque d'un caractère volontaire. Il y a d'ailleurs des vérités que nous pouvons regarder - provisoirement - comme irréductibles.

IRONIE n. f. (du grec eirôneia, qui signifie interrogation) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 Par extension : raillerie, sorte de sarcasme qui consiste à dire le contraire de ce que l'on veut faire entendre : « Une amère ironie ». « Une fine ironie » . « Une cruelle ironie ». Ex. : « Plus d'un grand procès a été gagné par l'ironie qui eùt été perdu par la colère » (Horace). « Je doute fort qu'on puisse allier un excellent cœur à la mauvaise habitude de lancer l'ironie » (Descuret). Au figuré : Opposition, contraste pénible, réunion de circonstances qui ressemble à une moquerie insultante. « Le secours arrive quand le malheur est complet et irréparable ; telle est l'ironie du sort. Quelle ironie sanglante qu'un palais en face d'une cabans » (Th. Gauthier). En philos. « Ironie socratique », méthode de Socrate qui, feignant l'ignorance, questionnait ses disciples, et, par ses questions mêmes, les amenait à reconnaitre leur erreur. L'ironie, justement maniée, à bon escient, est une arme puissante dont usent auteurs graves et badins, orateurs sacrés ou non, et dont les uns et les autres peuvent tirer des effets terribles ou magnifiques. Elle se montre dans le poème épique et dans la tragédie comme dans la comédie ; mais elle prend, dans le pamphlet, une place de tout premier ordre, entre les mains des premiers parmi nos meilleurs auteurs. Par sa souplesse elle échappe aux contraintes sociales : mœurs ou politique. Par sa vigueur elle renverse les sophismes créateurs de fausses richesses morales ou matérielles. Quand, dans les sociétés, le libre-examen est impossible, quand l'inquisition religieuse ou politique peut empêcher toute manifestation écrite ou verbale, susceptible de porter atteinte à l'ordre social, l'ironie est la seule arme du penseur, de l'écrivain, de l'orateur. « Dans les écrits où l'ironie vient se mêler à des pensées graves, elle garde un ton qui s'harmonise avec le reste de l'œuvre et ne lui enlève rien de sa gravité. Dans les écrits plus légers, elle peut être simplement enjouée et badine, ou devenir aigre et mordante. Quand Sedaine fait la satire de la société sous la forme d'une épître à son habit, il reste dans le ton de l'ironie badine. Voltaire, qui a manié l'ironie avec tant de finesse, lui a donné surtout une tournure satirique et mordante » (Larousse). Socrate, subversif, pauvre, laid, sut admirablement manier cette arme si subtile et terrible contre les sophistes d'Athènes ; contre Prodicus, ce sophiste à l'éloquence pompeuse, renommé pour la distinction et la science de son verbe ; contre Protagoras, que sa réputation et son âge respectable plaçaient au-dessus de tous les autres sophistes ; contre Hippias, que la République envoyait à l'étranger comme ambassadeur aux moments difficiles : contre Gorgias, même, qui avait sa statue au temple de Delphes. Au Lycée, à l'Académie, chez Gallias, chez Eudicus, partout où le peuple assemblé venait entendre ses idoles, Socrate s'introduisait. Il avait une apparence lourde, voire même stupide, aussi, jamais, le sophiste n'était-il en garde contre ses questions insidieuses. Car c'est par la méthode interrogative que Sucrate déboulonnait ces idoles. mais pour parvenir à se faire entendre, « pour mettre en œuvre son procédé familier, il avait recours à des préliminaires captieux, à des louanges exagérées qui faisaient tomber dans le piège son interlocuteur sans défiance. De là l'extension toute naturelle du sens du mot ironie. Les préambules des discussions de Socrate avec les sophistes sont des modèles d'ironie, dans le sens actuel du mot ». Après qu’il avait placé sa petitesse, sa laideur, son ignorance, auprès de leur grandeur, leur noblesse, leur science, s'excusant de son audace, Socrate pesait une simple question, très claire, très nette, et le sophiste, sans voir le piège, de se lancer dans un long discours... Mais Socrate, interrompait, et toujours humble : « Un bon coureur, un homme léger et vigoureux, disait-il, peut, par complaisance, marcher lentement et proportionner la vitesse de sa marche à la faiblesse de celui qui ne saurait aller vite ; mais un homme faible n'égalera jamais la vitesse d'un excellent coureur. Il en est de même ici. Vous êtes sans doute capable de faire des discours longs et magnifiques, mais je ne suis pas capable, moi, de vous suivre. Mon esprit ébloui ne sait à quoi s'arrêter, et ma mémoire ne suffit pas pour retenir tant de belles choses. Vous pouvez bien accommoder vos paroles à mon intelligence ; vous pouvez d'un seul mot satisfaire à mes questions, ou procéder par interrogations comme on fait avec les enfants ; car de mon côté, tout ce que je puis, se réduit à interroger ou à répondre ». Le peuple, riait de la leçon, et des jeunes gens venaient grossir les rangs des disciples de Socrate. Notre littérature est riche en morceaux d'ironie. On ne peut passer sous silence ce monument des lettres que constitue l'œuvre de Rabelais et que L. Barré présente ainsi dans une édition de Garnier : « Toute reconstruction présuppose démolition. De hardis pionniers, précédant 1e gros des travailleurs, ont pour mission de déblayer le terrain et de frayer les voies. Rabelais remplit ce rôle à la tête de l'armée intellectuelle de son époque. Il osa le premier attaquer tout ce que les temps antérieurs avaient légué au sien de germes avortés et corrompus. Vieilles idées, vieilles coutumes, antiques préjugés, croyances absurdes, respects usurpés, il sapa hardiment tout ce qui s'opposait à l'établissement d'un ordre nouveau fondé sur le développement autonomique de la raison et de la science. Mais dans l'accomplissement de cette mission, il lui fallut souvent, comme les soldats d'avant-garde auxquels nous l'avons comparé, recourir au stratagème pour cacher sa marche et ses desseins. La classe de ses contemporains sur laquelle il voulait agir, celle dont l'appui matériel lui était nécessaire, c'était la France officielle de cette époque. Or cette classe, bien qu'ayant le sentiment assez vif d'un certain raffinement artistique et l'instinct plus confus de la science, était grossière, obscène dans ses mœurs et son langage, et se montrait préoccupée avant tout de l'étalage du luxe et des jouissances sensuelles. Rabelais ne pouvait, sous peine d'insuccès, se poser en frondeur universel et tirer sur les siens ; car c'est là ce qui fait la perte et le discrédit de tout moraliste intraitable. Il affecta donc le côté frivole de la vie sociale, et s'en fit un voile pour le sérieux de sa pensée. En face de la profusion des cours, il peignit un luxe colossal de festins et de parures ; aux passions belliqueuses de son temps, il fournit, non sans une ironie bien sensible, mainte description de batailles entre géants ; le libertinage grossier trouva chez lui tout son vocabulaire effronté et ses railleuses anecdotes. Enfin un autre genre de prodigalité fut également redressé par l'excès qu'il en étala, à savoir le luxe de l'érudition grecque, latine, hébraïque, historique, médicale et juridique : brillant défaut qu'il est donné à peu d'esprits de pousser aussi loin. Mais tout cela n'était que la forme ou l'enveloppe, la coque de l'amande, l'os qui recèle la moelle. L'exagération même révélait aux esprits qui commençaient à s'exercer, le sens caché de ces paraboles. Les lieues carrées de velours et de satin, levées pour l'habillement d'un enfant, laissaient percer les haillons des misérables écrasés par l'impôt ; les océans de vin, les montagnes de victuailles, criaient la soif et la faim du peuple ; la vigueur indomptable du colosse réduisait à néant la gloire des Picrocholes ; et l'étalage scientifique prouvait aux sorbonistes qu'il était facile de les dépasser dans ce qu'ils avaient de moins contestable, leurs efforts de mémoire et leur science rétrospective. L'obscénité triviale, outrée, jusqu'à provoquer aujourd'hui un dégoût légitime, cette obscénité qui était alors dans les mœurs, les habitudes, le langage, non point des tavernes et des antichambres, mais des boudoirs, des salons, des palais et de la salle du trône, cette obscénité même, il serait facile de prouver que chez Rabelais elle n'est la plupart du temps que factice. En l'étalant comme à plaisir, l'auteur jouait le rôle de l'esclave ivre de Lacédémone ». Rabelais lutta avec la seule arme possible : l'ironie. « L'estrapade et le bûcher, ou tout au moins la misère dans l'exil, ne savent point avoir tort, Parmi les contemporains de Rabelais, voyez Dolet, brûlé à Paris en 1546 ; les Etienne, morts dans l'exil et à l'hôpital ; Clément Marot, fugitif et vagabond ; Morus, décapité ; Erasme, inquiété malgré son extrême réserve ; Ramus, victime de haines mesquines dont la Saint-Barthélemy fut le couvert ; Servet, jeté au feu par son ami Calvin ; Zwingle, tué dans la guerre de Cappel ; Vésale, mort de faim à Zante ; Jean Hus, livré au bûcher clérical en violation de l'impérial sauf-conduit ; Bonaventure des Périers, poussé à se donner la mort ; Camoëns, expiant de misère et de désespoir, etc. » Cependant que Rabelais réussissait à publier la dernière partie de son œuvre, naissait à Alcala de Henares (Espagne), un autre écrivain de grand talent dont l'œuvre maîtresse était pétrie d'ironie, Miguel Cervantès. Son Don Quichotte n'est pas sans rapport avec l'œuvre de Rabelais. Obligé de tenir compte du clergé tout-puissant, Cervantès, comme Rabelais, voile sa pensée, ses critiques, sous un grand air de foi et de naïveté. L'ironie, seule arme possible quand l'examen est si férocement comprimé, passe de mains en mains, sensible seulement aux esprits exercés. Mais, en même temps que la pensée se dégage du vieux carcan religieux, l'ironie s'affine, porte de plus rudes coups et sape toute autorité, tant dans les hautes que les basses classes. L'esprit se complaît en ces luttes, où la victoire ne va jamais ni au prêtre, ni au juge, ni au soldat, mais à l'écrivain. Racine avec ses Plaideurs ; tout Molière, dans toute son œuvre ; Voltaire, le maître incontesté du genre ; Beaumarchais, avec ses Mémoires ; Pigault-Lebrun, avec son inoubliable Le Citateur ; Paul Louis-Courier, dans ses vigoureux Pamphlets, relient Rabelais aux pamphlétaires du siècle dernier, tous armés d'ironie, dressés vaillamment contre l'oppression. Peut-on s'étonner de trouver au premier rang les anarchistes, dont l'ironie amère parfois, sarcastique, féroce aussi, a su fouailler la tourbe impayable de ridicule, de laideur, de ladrerie, des bourgeois des XIXème et XXème siècle ? Qui jamais atteignit à la somptuosité corrosive des « discours civiques » d'un Laurent Tailhade ? A la mordante et aristocratique verve d'un Zo d'Axa? A celle plus ample d'un Octave Mirbeau? D'ailleurs, qui peut, mieux que les anarchistes, user de cette arme à double tranchant, forts qu'ils sont de l'irréfutable logique de leur philosophie, riche de tous les enseignements du passé, de tous les vouloirs du présent et de tous les espoirs de l'avenir? L'ironie du bourgeois est macabre et n'atteint que lui ; l'ironie de l'anarchiste porte à tout coup et prétend réapprendre le rire à l'humanité. –

A. LAPEYRE.

INVIOLABILITE n. f. (de inviolabilis, inviolable) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 Qualité des personnes et des choses auxquelles on ne doit pas attenter. L'inviolabilité de la couronne - notamment dans la conception de la royauté de droit divin - mettait les monarques à l'abri de toute recherche pour les actes de leur gouvernement. Certaines personnalités (et parfois leurs correspondances et leurs archives) sont inviolables en raison de leur fonction : les ambassadeurs par exemple, les diplomates, les députés jusqu'à la levée de l'immunité parlementaire. L'inviolabilité met en principe les bénéficiaires au-dessus des poursuites et des responsabilités. Des souverains, tels Charles 1er d'Angleterre et en France Louis XVI n'ont pas cependant évité le dernier supplice, à l'heure où les événements, plus forts que les édits, rejettent les rois eux-mêmes dans le droit commun. Le droit des gens est un de ces principes d'inviolabilité, reconnu et continuellement méprisé par la force. Et les « règles » même de la guerre, qui comportent des réserves de ce genre et un minimum d'inviolabilité sont, les nations aux prises, caduques à l'heure critique et brutalement violées... L'inviolabilité de certains asiles ne les a pas toujours sauvés non plus des incursions de violence... Aux termes du droit civil, l'inviolabilité du domicile est, depuis 1791, une des garanties de la liberté individuelle, et le Code pénal (art. 184) en punit sévèrement la méconnaissance. Mais, pour atteindre leurs ennemis politiques, les gouvernements ont depuis longtemps repris l'habitude de fouler aux pieds, avec tant d'autres garanties de « l'homme et du citoyen », les protections légales édictées par les Assemblées de la Révolution française. Et la police force la demeure des militants et des suspects, rudoie et maltraite les occupants, emporte les documents (auxquels elle substitue sans scrupule, pour ses desseins de répression, ceux qu'ont préparés ses services), garde par devers elle le fruit des rapts opérés au préjudice des adversaires du régime. Comme on le verra plus loin, au chapitre de la liberté individuelle, la loi n'est plus qu'une charte dérisoire quand les tenants d'un règne sentent leurs privilèges menacés. Hypocritement dans les périodes de calme cyniquement aux heures de crise, l'inviolabilité de la retraite et des personnes est d'une singulière fragilité... C'est cependant vers cette inviolabilité de l'être humain d'abord, vers l'inviolabilité même de la personnalité que devront s'orienter, et notre effort y porte, les institutions et les mœurs. Il faudra vaincre pour cela la tyrannie des régimes et des Etats, en même temps qu'élever la conscience et la volonté des hommes. –
L.

INVINCIBLE (du latin invincibilis, qu'on ne peut vaincre) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 On peut réduire, transformer, annihiler, dompter et venir à bout de toutes choses : métaux, végétaux, animaux. On perce des tunnels sous les plus hautes montagnes ; on détourne les courants des fleuves ; on fait communiquer des mers et des océans ; on plane dans les airs, on apprivoise des animaux féroces ; des grands peuples sont réduits par des conquérants avides ; des César envahissent et s'implantent sur une grande partie de la terre ; par la force, des financiers se font les maîtres des peuples et de leur production ; des prêtres et des gouvernants des différentes religions et des différents Etats imposent les croyances aux mystères et aux règles légiférées et codifiées auxquelles doivent obéir les peuples. Ce que ne peut vaincre aucune loi, aucune tyrannie, aucune dictature, prohibition, condamnation à mort, c'est la vérité croissante dans tous les domaines scientifiques ou philosophiques, elle peut s'amplifier mais jamais se diminuer ; c'est la loi naturelle du progrès dans l'évolution. Dans le champ philosophique, la vérité anarchiste évolutive, destructrice du mensonge et du mal, constructrice du bien-être pour tous, résiste aux critiques des doctrines de toutes les sectes qui ont pour base l'autorité et l'Etat. Jusqu'ici, aucun officiel des corps législatifs, savants professeurs des grands collèges, n'ont infirmé irrévocablement le communisme-anarchiste. On a condamné, persécuté, torturé, pendu, guillotiné, mais on n'a pas donné un argument irréfutable contre l'Anarchie. Aussi, malgré les condamnations que prononcent partout les castes au pouvoir, au service des religions, des banquiers, à la solde des Etats dont les piliers sont le mensonge, l'égoïsme, l'argent, on n'arrive jamais à lasser, ni à soumettre les véritables apôtres, pionniers de l'Anarchie. Parce que ces derniers savent qu'ils sont sur le chemin de la vérité, comme l'a écrit Zola : rien ne l'arrêtera. Elle luira demain et sera une réalité. L'Idée Anarchiste traversera - nous en avons l'espoir - les obstacles et, soutenue par nos volontés, demeurera invincible. –

 L. G.

INVESTITURE n. f. (lat. investire, revêtir, de in, sur et vestis, vêtement) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 C'est l'action de revêtir, de mettre en possession, d'investir quelque personnage d'un fief, d'un immeuble, d'un bénéfice, d'une dignité ecclésiastique. L'investiture s'accompagnait d'ordinaire d'un cérémonial réglé par la tradition, et comportait une célébration de caractère rituel. Aux termes du droit féodal, le seigneur donnait à son vassal l'investiture, marquée par quelque remise symbolique (lance, couronne, rameau, etc.), signe de la propriété ou du pouvoir. La crosse et l'anneau, remis aux évêques par les princes - autorités profanes - étaient, pour ces dignitaires, le signe de l'investiture. Les papes donnaient, en échange, l'investiture des royaumes... Le pouvoir régnant, passant outre aux élections, en vint à détenir la disposition même des évêchés, des abbayes. Des scandales - en Allemagne surtout - marquèrent les répartitions des charges, octroyées à des courtisans, conférées avec « simonie ». La querelle des Investitures mit aux prises, pendant un demi-siècle, en conflits sanglants, les papes et les empereurs d'Allemagne. En dépit d'un long usage et du blanc-seing d'un concile, Grégoire VII et ses successeurs sur le trône de saint Pierre firent tout pour dessaisir les princes séculiers des prérogatives d'une investiture qui s'étendait jusqu'aux papes. Fixée « par le sceptre » par le concordat de 1122, l'investiture fut faite bientôt de vive voix ou par écrit... La lutte aboutit au principe de la séparation des pouvoirs et accentua la démarcation du temporel et du spirituel (Voir Histoire des Papes). Empruntons au Lachâtre cet exposé des investitures en matière de biens : « La translation de la propriété fut, chez tous les peuples, entourée de pratiques symboliques, de formalités solennelles. Pour valider une aliénation, on avait recours à des signes extérieurs destinés à annoncer, de la part de celui qui aliénait, l'intention de se démettre de son droit de propriétaire, et, chez celui auquel la cession était faite, la volonté de devenir propriétaire. Ces signes furent primitivement déterminés par les lois et par les coutumes ; en général, on choisit les symboles qui eurent le plus de rapports avec la chose transmise ; la translation d'un champ, par exemple, fut indiquée par la remise d'une motte de terre, par celle d'une touffe de gazon, prise dans ce champ, aux mains de l'acquéreur : et, pour exprimer que ce n'était pas le sol tout nu qui était ainsi aliéné, on ajoutait aux premiers symboles une branche d'arbre pour exprimer les produits de la terre, un bâton pour marquer l’autorité du maître. On ajouta quelquefois la remise d'un couteau, afin d'indiquer le pouvoir de couper, de disjoindre, etc. (jus utendi et abutendi). Il y avait une foule d'autres formes d'investiture. Ducange et Carpentier donnent des exemples de cent deux manières différentes, suivant la nature de la chose transférée, du droit cédé. (Disons, en passant, que la propriété a subi, depuis 1789, des modifications qui ont rendu absolument inutiles ou impossibles ces vieilles formes). L'investiture s'effectuait par le glaive, par l'anneau, par la bannière, par la crosse, par les cordes des cloches, etc. Les symboles de transmission étaient soigneusement conservés par les parties mises en possession. On les annexait parfois aux actes et contrats afin de rendre les conventions plus sacrées, plus difficiles à rompre. Par contre, on brisait aussi parfois les symboles pour indiquer la ferme résolution de ne jamais revenir sur ce qui avait été fait ». Dans le droit public, au moyen âge, les investitures, tant laïques que religieuses, occupent une place considérable.

INVERSION SEXUELLE (Homosexualité, Uranisme) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 La fin du XIXème siècle et le début du XXème ont vu se lever une revendication nouvelle : celle de la liberté de pratique et d'expression des « anomalies sexuelles » parmi lesquelles il faut ranger l'homosexualité ou uranisme, autrement dit l'inversion sexuelle. Le mot homosexuel a été employé pour la première fois par un médecin allemand qui ne nous est connu que sous son pseudonyme de Kertbeny. Le mot grec Homo, qui lui donne sa signification, répond à même, semblable. Il désigne les relations intimes que peuvent avoir entre eux des individus du même sexe, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes. Le mot pédérastie comme sodomie, étant plus spécialement réservé aux relations sexuelles entre hommes. L'un des plus éminents collaborateurs à l'Humanité Nouvelle, le penseur Edward Carpentier, trouvait le terme homosexualité impropre, il aurait voulu le voir remplacer par homogénie. On écrit aussi unisexualité, unisexuel. Quant au mot uraniste, qui vient d'Uranus, et traduit l'allemand urnung, il a été créé par l'assesseur hanovrien Carl Heinrich Ulrich qui, dès 1825, se consacra à la défense de l'amour homosexuel ; il l'avait emprunté à Platon. Ulrich voyait dans l'Urnung une espèce spéciale d'humains, par opposition au Dionung (de Dioné, mère d'Aphrodite), l'amoureux normal, hétérosexuel (du grec heteros, autre). En se plaçant au point de vue de la liberté toute pure, il est évident qu'on ne peut refuser à un individu le droit de disposer de son corps comme il l'entend. Sinon, et cela s'entend aussi bien de l'homosexualisme que de la masturbation ou de la prostitution, le chemin n'est pas long qui conduit à l'arbitraire et à l'inconséquence. Pourquoi tolérer la prostitution féminine et non la prostitution masculine? Il y a là un illogisme flagrant qui ne se conçoit que si on se rappelle que nos mœurs et notre législation sont régies par la conception judéo-chrétienne de la vie. Le feu du ciel n'a-t-il pas consumé les villes maudites de Sodome et de Gomorrhe? Ou la pratique de l'anomalie sexuelle relève de la nature, de la conscience individuelle, ou c'est un délit. Si c'est un délit, il est nécessaire d'en expliquer la raison. En effet, l'homme qui a réfléchi ne se contente pas de mots comme « contraire aux bonnes mœurs », « ignoble », « infâme », il veut savoir ce qu'il y a de délictueux dans l'accomplissement d'un acte qui n'est accompagné ni de dol ni de violence, quel que soit cet acte. L'affirmation « c'est parce que c'est mal » ne répond à rien de scientifique ni de logique pour un esprit épris de libre examen et dépouillé de préjugés. Si l'anomalie sexuelle relève de la nature, de la conscience individuelle, qu'on lui concède toute liberté de pratique et d'expression. Si c'est une maladie, qu'on la soigne, après nous avoir démontré qu'on peut la guérir. Trop d'hommes et de femmes homosexuels, par exemple, ont montré une santé égale à la normale ou une intelligence dépassant la moyenne (philosophes, stratèges, hommes d'Etat, artistes, poètes, littérateurs, Epaminondas, Virgile, Alexandre, Jules César, Auguste, Michel Ange, le peintre Le Sodoma, le sculpteur belge Jérôme Duquesnoy, Jules II, le grand Condé, le prince Eugène, Platen, Winckelmann, Kirkegaard, Hans Andersen, Walt Whitman, Renée Vivien, Paul Verlaine, Oscar Wilde, etc.) pour qu'on puisse parler à leur égard d'une déchéance de la production cérébrale. Le fait qu'il y a des animaux unisexuels, même à l'état de liberté (parmi les cervidés, canidés, ovidés, gallinacés, palmipèdes, colombins, certains hyménoptères et coléoptères), devrait faire réfléchir à deux fois ceux qui parlent de maladie. L'observation montre, en effet, que les fonctions de relation et de nutrition, etc., s'accomplissent régulièrement chez eux. Sur 49 cas d'homosexualité humaine étudiés très soigneusement par le sexologue Havelock Ellis, 31 jouissaient d'une santé bonne, sinon excellente ; 4 ou 5 cas montraient des signes de mauvaise santé évidente, ce qui ne dépasse pas la normale. C'est tenant compte de toutes ces considérations et de maintes autres que Havelock Ellis a pu dire que l'anormal sexuel n'est pas un malade (ni l'anomalie sexuelle une maladie), que c'était tout simplement un individu sorti de l'espèce et que le mot dégénérescence, qui appartient au parler journalistique, ne possédait aucune valeur scientifique. De même, dans ses derniers ouvrages, le fameux psychiatre Von Krafft Ebbing, qui a observé des centaines et des centaines de cas, a reconnu que l'anomalie sexuelle n'est ni une maladie ni une dégénérescence physique. Ch. Féré a comparé l'inversion congénitale à la cécité des couleurs (l'insensibilité aux rayons vert-rouge, par exemple). Kurella considère l'inverti comme une forme de transition entre l'homme complet ou femme complète et l'hermaphrodite vrai. Albert Moll, autre sexologue célèbre, reconnut qu'il n'était pas possible de prouver que les individus invertis sont des névrosés. Se plaçant à un tout autre point de vue que le point de vue scientifique, Gœthe avait déjà écrit, concernant l'homosexualité : « Elle est dans la nature, bien qu'elle soit contre nature ». De tout cela, il appert que les anormaux sexuels sont surtout victimes de l'hostilité sociale, la majorité normale étant encore trop ignorante pour comprendre que l'anomalie semelle est un phénomène congénital (et non acquis) dans la plupart des cas d'inversion vraie. Il ressort des observations historiques que l'inversion sexuelle a été connue de tout temps. Les Egyptiens attribuaient l'homosexualité à leurs dieux Horus et Têt. Selon le docte Aristote, elle avait dû être officiellement encouragée pour parer à la surpopulation, dans l'antique Crète, par exemple. D'ailleurs, l'opinion publique semble avoir passé par trois stades. Dans le premier stade, l'homosexualité est permise ou défendue, c'est une question qui dépend de la population. Dans le second stade, la question se transporte sur le terrain religieux, c'est un sacrilège (christianisme). Dans le troisième stade, ce n'est plus qu'affaire de goût, d'esthétique : elle déplait à la grande majorité et plait à une petite minorité. « Je ne vois pas - écrit Havelock Ellis - qu'on puisse critiquer cette attitude esthétique. Mais elle ne saurait tomber sous le coup de la loi, car la loi ne peut se fonder sur le dégoût qu'on peut éprouver pour un acte... Les opinions esthétiques sont autant en dehors de la loi que les opinions politiques. Un acte n'est pas criminel parce qu'il est dégoûtant... C'est cette confusion qui sert de base à la législation dans l'homosexualité ; ceci montre, en outre, que l'opinion sociale doit, elle aussi, dissocier ces questions ». Si « modifier l'instinct d'un inverti, c'est le jeter dans la perversion » (Ch. Féré), l'intervention légale est une monstruosité. Ne parlons que pour mémoire des suggestions de Schrank-Notzing qui voulait confier à la prostitution féminine des maisons closes la guérison des invertis! Il y a relativement peu de temps, l'homosexualité « était un vice honteux et dégoûtant, auquel on ne pouvait toucher qu'avec des pincettes en prenant toutes sortes de précautions, aujourd'hui c'est un phénomène psychologique et médicolégal d'une telle importance sociale que nous devons l'examiner franchement et ouvertement » (Havelock Ellis). « Chez les dirigeants éthiques ou religieux et en général chez les individus doués d'un puissant instinct moral, il existe une tendance vers les formes supérieures du sentiment « homosexuel » (Id). Le philosophe du Pragmatisme, William James, a même émis l'opinion que la plupart des hommes possédaient le germe potentiel de l'inversion sexuelle. Cependant la loi intervient et de deux façons selon les pays. Dans les pays dits « de civilisation latine » on se conforme en général au Code Napoléon qui n'intervient pas dans les cas d'inversion sexuelle, sauf s'ils se compliquent d'outrages publics à la pudeur ou de violence ou non consentement, à quelque degré que l'acte ait été consommé - ou si l'une des parties est mineure ou incapable de donner son consentement. C'est le droit commun. Ce point de vue du Code Napoléon, du à l'ancien Directeur Cambacérès, est celui adopté en Belgique, Espagne, France, Hollande, Italie, Portugal, en Amérique et dans les colonies hispano-portugaises. En Allemagne, dans les pays anglo-saxons, en Russie (avant la Révolution), l'inversion est considérée comme un crime en soi. En Angleterre, tout coït anal avec une femme ou un homme ou un animal est passible des travaux forcés à perpétuité, de deux ans de « hard labour » au minimum. Le Criminal Law Amendment Act de 1885 punit de même tout acte d'indécence grossière entre hommes, même commis en privé, d'une peine ne dépassant pas deux ans, avec ou sans travaux forcés. Il s'est trouvé un juge anglais, paraît-il, pour regretter que cet Act ne comportât pas la peine de mort! Les EtatsUnis suivent l'Angleterre et la pénalité peut atteindre jusqu'à 20 ans d'emprisonnement. En Allemagne existe le fameux § 175 du Code Pénal qui ne s'appliquait jadis qu'à « l'acte » semblable au coït anal ; on l'a aggravé en y joignant l'addition des « mouvements » semblables, addition très arbitraire, cela va sans dire. En Russie, la loi tsariste, adoucie ensuite, infligeait à l'homosexuel la privation des droits politiques et l'exil en Sibérie. Aujourd'hui, le droit criminel de la Russie soviétique n'inflige aucune pénalité, ni pour sodomie ni pour homosexualité masculine ou féminine. (Correspondance Internationale, 11 août 1928, n° 80). Examinons quel a été l'effet de la répression légale. Elle n'a eu aucune influence sur la « prospérité » de l'inversion sexuelle, même en pays anglo-saxons ; elle a simplement ruiné à jamais des malheureux incapables de réagir contre le séjour en prison et l'ambiance des établissements pénitentiaires (un exemple frappant est celui d'Oscar Wilde). En Allemagne, les partisans de « l'amitié masculine » ont réagi avec vigueur ; ils ont leurs journaux, leurs associations, leurs clubs ; quant au § 175, il a naturellement servi de prétexte a maints chantages ; sous prétexte de servir la morale, il a favorisé l'escroquerie. Son abolition a été réclamée par des personnalités éminentes (parmi lesquelles le grand socialiste Bebel, mort aujourd'hui) et l'est encore. Il s'est publié quelque temps à Paris une revue d'amitié masculine, Inversions, supprimée à la suite d'une intervention parlementaire et d'une poursuite judiciaire, dont la suppression aurait pu soulever davantage de protestations. Il nous a paru que les fondateurs de cette revue, que son prix mettait hors de l'atteinte du grand public, n'ont pas réagi avec l'énergie de leurs camarades d'outre-Rhin. Il convient de dire aussi que certains invertis sexuels - et il y en a trop de ceux-là - dépassent la mesure en affirmant sur un mode dithyrambique que l'amour homosexuel est supérieur a l'amour normal, hétérosexuel. Cela indispose même les mieux prévenus en leur faveur. On peut citer, parmi les hommages littéraires à l'inversion, un poème d'Edward Carpenter, philosophe doublé d'un sociologue anarchisant, disciple de Walt Whitman, et qui n'a jamais été soupçonné d'être un inverti lui-même. Ce poème, intitulé O ENFANT D’URANUS, est extrait de Vers l'Affranchissement (traduction M. Senard), Paris, 1914 ; c'est une véritable glorification du « troisième sexe » : « 0 enfant d'Uranus, qui erres et passes à travers les temps… Mystérieux deux fois né, deux mondes te sont ouverts… Etc.…, etc.… ». Ce n'est que depuis 1870 que l'inversion sexuelle a été étudiée de façon scientique et rationnelle. On peut attribuer à quatre causes l'existence de l'homosexualité. 1°) L'hérédité ou congénitalité (les invertis-nés). Médical du 10 janvier 1925, le docteur Saint-Paul, le plus éminent des savants qui se sont occupés, en France, de la question, a défini l'inversion (vraie) comme le fait d'une structure ou de conditions antérieures à la naissance. Selon la statistique dressée par Hirschfeld (pour l'Allemagne), il y aurait 1,5 % d'homosexuels purs, 3,9 % de bisexuels, le reste des humains se composant d'individus normaux. Selon Havelock Ellis, il y aurait en Angleterre 5 % d'invertis, la plupart répandus parmi les classes libérales et instruites. Nous ne croyons pas ces statistiques (et d'autres) concluantes. La race. - Dans ses Arabian Nights, Richard Burton avait établi sa fameuse « Zone Sotadique » qui comprenait le midi de la France, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, les côtes méditerranéennes de l'Afrique, l'Asie Antérieure jusqu'au Cachemire, au Turkestan, au Gange, puis le Japon, la Chine, l'Océanie et le Nouveau Monde, où, avant l'arrivée des Européens, la pédérastie était de pratique courante. Richard Burton voulait qu'au dedans de cette zone l'inversion sexuelle fût considérée comme une peccadille, au dehors comme un délit. Cela répond à peu près à l'état de la législation en matière d'homosexualité, mais ne repose sur aucune base scientifique d'observations, les Anglo-Saxons et les Slaves fournissant un contingent important à l'homosexualité. 3°) La suggestion. - On n'est pas très bien renseigné sur le rôle de la suggestion dans l'homosexualité. Sur les 49 cas étudiés par Havelock Ellis, 13 indiqueraient qu'un événement ou milieu spécial a détourné, pendant l'enfance, l'instinct sexuel vers l'homosexualité ; et encore, dans 1 ou 2 cas au moins, il y avait une prédisposition déjà bien marquée. 4°) La privation normale de la satisfaction des besoins sexuels. - Bouchard, dans ses Confessions (1861) ; Sainte-Claire Deville, dans sa communication sur « L'Internat et son influence sur l'éducation de la jeunesse » ; Balzac, dans la Dernière incarnation de Vautrin ; Dostoïevski, dans ses Souvenirs de la Maison des Morts, A. Hamon, dans La Psychologie du Militaire professionnel ; Lucien Descaves, dans Sous-Offs ; G. Darien, dans Biribi, Mirbeau, dans Sébastien Roch, etc., etc., nous ont magistralement dépeint la façon dont la promiscuité masculine, jointe à l'impossibilité des échanges habituels avec le sexe féminin, dans les établissements d'éducation, les casernes, les lieux d'emprisonnement et de déportation, etc., favorisaient, développaient, accentuaient la tendance homosexuelle. Dans ses Prison Memoirs of an Anarchist, le révolutionnaire Alexander Berkman raconte la naissance, dans ce milieu spécial, d'un amour unisexuel. Alors que l'élément masculin normal montre le plus souvent une hostilité farouche à l'égard de l'homosexualité masculine, il se montre bien plus indulgent à l'égard des homosexuels du genre féminin (lesbiennes, saphistes, tribades), que l'hindoustani désigne par cinq mots différents. Dès lors qu'il s’agit du beau sexe, il est porté à considérer cette anomalie comme un péché mignon. Il convient de faire remarquer que l'homosexualité féminine n'a pas été étudiée avec autant de soins et de détails que l'homosexualité masculine, la documentation est loin d'être aussi importante, et les spécialistes obtiennent moins facilement une confession de la femme que de l'homme. Il existe probablement beaucoup plus de femmes vivant « en ménage » que d'hommes ; les mœurs le supportent plus facilement. Citons, parmi les ouvrages que l'homosexualité féminine a inspirés : La Religieuse de Diderot ; Mademoiselle de Maupin, de Théophile Gautier ; Parallèlement, de Paul Verlaine ; Les Chansons de Bilitis, de Pierre Louys, un chefd'œuvre. L'attitude des individualistes anarchistes à l'égard de l'homosexualité est dénuée de préjugés, de parti pris ; elle concilie le point de vue scientifique avec le respect le plus absolu de la liberté individuelle. Dans le N° 15 de L'En Dehors (nouvelle série), le philosophe-romancier individualiste Han Ryner a déclaré que les causes des perversions sexuelles lui apparaissaient « multiples, complexes, enchevêtrées. Les obstacles à la satisfaction normale sont du nombre - ajoute-t-il - mais la pleine liberté diminuera ces fantaisies moins qu'on ne le croit. Je ne trouve d'ailleurs rien de coupable dans ces recherches, si tous les participants ont l'âge de raison et si aucun ne subit de contrainte ». Un autre philosophe individualiste, l'esthéticien Gérard de Lacaze-Duthiers, au cours d'une réponse à une Enquête sur le Sexualisme, a écrit (N° 136 du même journal) : « Je suis contre tous les tabous sexuels. Je suis pour toutes les libérations. Je ne m'effraye d'aucune combinaison d'ordre sentimental ou érotique, estimant que chaque individu a le droit de disposer de son corps comme il lui plaît et de se livrer à certaines expériences ». Somme toute, logiques et conséquents, les individualistes anarchistes nient qu'il appartienne à la loi, à l'autorité d'intervenir. Les cas d'inversion de l'ordre congénital regardent les homosexuels eux-mêmes ; ceux qui sont vraiment des maladies relèvent, si la preuve en est faite, de la pathologie et non point de sanctions disciplinaires... Ils reconnaissent aux homosexuels le droit de s'associer ; de publier des journaux, des revues, des livres, pour exposer, défendre leur cas, réunir à leurs groupements les uranistes qui s'ignorent. Les individualistes anarchistes ne font pas d'exception pour les invertis de l'un ou l'autre sexe. –

E. ARMAND.

INVENTION Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 Des inventions les plus merveilleuses - en raison même des difficultés qu'elles avaient à surmonter et de l'étonnement qu'elles suscitaient dans les esprits - on a dit, avant leur réussite : « C'est impossible. Ce serait trop extraordinaire. Ça n'arrivera jamais! ». Ces propos ont été tenus par des hommes remarquables. La veille et même le lendemain des premières expériences faites avec succès, en ce qui concerne certaines inventions, notamment les chemins de fer, le télégraphe et les avions, des personnages qui, pourtant, ne manquaient ni de savoir ni d'intelligence, se sont écriés : « Ça ne marchera jamais! » Nombreux furent ceux qui traitèrent de fous les inventeurs les plus géniaux et de rêves chimériques les plus prestigieuses découvertes. Et, cependant, depuis!... Eh bien! Il en va de même de la découverte qu'ont faite les Anarchistes. Quand ils affirment la nécessité de substituer le principe de la Liberté à celui de l'Autorité, on les traite de déments. Quand ils exposent quel milieu social ils veulent édifier à la place du milieu actuel, des hommes d'un vaste savoir, d'une érudition profonde et d'une rare intelligence, haussent dédaigneusement les épaules et prennent en pitié leurs conceptions d'avenir, qu'ils ne craignent pas de mettre au rang des « élucubrations que seuls peuvent enfanter des cerveaux chimériques et des imaginations maladives ». Et ils ajoutent, quand ils désirent paraître des hommes de progrès social et d'idées avancées qui ne se refusent à l'examen d'aucun système social : « Utopie admirable! Rêve d'une sublime générosité! Ce serait trop beau. Mais c'est impossible. Ça n'arrivera jamais ». Cent fois, mille fois, dans des entretiens particuliers et dans des débats publics, ces prétendues impossibilités m'ont été opposées, à défaut d'objections essentielles et de réfutations sérieuses. Utopie? - Aujourd'hui, je ne dis pris non. Mais, demain, j'en ai l'assurance, cette utopie se transformera en réalité. Rêve chimérique? - Aujourd'hui, je ne le conteste point. Mais, j'ai l'inébranlable certitude que ce rêve, un jour, se réalisera. A quelle époque? - Je l'ignore et nul ne saurait le dire. Mais l'humanité se meut dans le sens de la Liberté et les événements évoluent vers une architecture sociale se rapprochant sans cesse des plans et édifications libertaires. Le patriotisme se meurt, empoisonné par les miasmes putrides que dégagent les cadavres de ses innombrables victimes. Les religions agonisent sous les coups mortels que ne cessent de leur porter le « savoir » en lutte contre le « croire ». Le capitalisme et l'Etat succombent sous le poids de leurs abus, de leur nocivité et de leurs crimes. Aveugles, ceux que n'émeuvent ni n'éclairent de telles constatations. Le vieux monde autoritaire est encore solide ; il faudra, pour l'abattre, que ses adversaires, de plus en plus nombreux, se décident à un rude coup d'épaule. Il est fatal que tôt ou tard ils en arrivent à cette décision. Alors, l'Utopie anarchiste d'aujourd'hui deviendra la réalité féconde de demain. –

Sébastien FAURE

INVENTION n. f. (du latin invenire, trouver ; de in, dans et venire, venir) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


 A l'origine de tout progrès, il y a une invention. C'est grâce au pouvoir d'inventer que l'espèce humaine a pu sortir, lentement, à travers des difficultés sans nombre, de l'état d'ignorance et de misère dans lequel elle se trouvait à l'origine. C'est en multipliant les inventions, en les appliquant à ses conditions de vie, en les développant et en les perfectionnant, que l'homme a peu à peu lutté contre la nature, qu'il est parvenu à vaincre les éléments, à utiliser les propriétés de la matière, à établir des relations à distance, à améliorer ses conditions d'existence. L'histoire n'a pas enregistré la date de toutes les inventions ni le nom de tous les inventeurs. Il n'y a pas cinq mille ans que les hommes ont commencé à employer le premier métal qui fut le bronze. L'invention du fer, qui vint après, fut une des découvertes les plus précieuses. Parmi les déjà anciennes inventions les plus utiles, on peut citer celles qui ont permis à l'homme de cultiver la terre et de domestiquer, en vue de ses besoins, certaines races animales ; celles qui l'ont conduit à l'art de la navigation, celle des instruments de chasse et de pêche, celle de l'écriture et de l'imprimerie. Ces deux dernières ont cela d'important qu'elles servent à conserver les connaissances, à les vulgariser et à les transmettre de génération en génération, à la façon d'un patrimoine commun légué par les ascendants à leurs descendants. Les progrès incessants en astronomie, en physique, en chimie, en mécanique, résultant de l'effort opiniâtre et combiné des plus illustres inventeurs de tous les pays, ont favorisé l'éclosion et l'essor des civilisations les plus remarquables par le développement industriel et commercial, par l'ascension des sciences et des arts. Certaines inventions remontent à des âges fort reculés. Exemples : la boussole, 2602 avant l'ère chrétienne ; la soie, 2400 ; le verre, 1640 ; le niveau et l'équerre, 718 ; le soufflet, 600 ; le cadran solaire, 520 ; la distinction entre les veines et les artères, 325 ; les fonctions des nerfs, 320 ; les vaisseaux chylifères et les mouvements du cœur, 310 ; les horloges à eau, 250 ; la vis sans fin, l'aréomètre, la poulie mobile, 220 ; le papier de soie, 201 ; la mosaïque, 200 ; la précession des équinoxes, 142 ; le siphon, 120, etc., etc. Depuis l'ère chrétienne, on note, entre autres inventions précieuses : le système astronomique de Ptolémée, 140 ; les cloches, 400 ; les moulins à vent, 650 ; le papier de coton, 750 ; l'alcool, 824 ; l'horloge mécanique, 990. Au XIIIème siècle, mentionnons (en dépit de l'usage qui en a été fait) la poudre à canon, les lunettes à lire ; au XIVème siècle, l'arquebuse, le fil d'archal, les canons, l'étamage des glaces. Les siècles suivants se distinguent par l'antimoine, les montres, la gravure en creux, ensuite ; l'imprimerie typographique, le premier journal imprimé Strasbourg, la gravure sur acier, la pompe à air, le bateau sous-marin, le système astronomique de Copernic, le rouet à filer, la mesure de l'arc du méridien, l'émail, le pendule, le microscope, la projection des cartes marines. Au XVIIème siècle, les inventions et les découvertes se multiplient : la balance hydrostatique, la constatation scientifique du mouvement diurne de la terre, les logarithmes, la circulation du sang, le télescope, le système de Kepler, les lunettes à deux verres convexes, le thermomètre, les lois de la réfraction, le baromètre, la machine à calculer, la presse hydraulique, la machine pneumatique, la machine électrique, la théorie de l'attraction universelle et le télescope de Newton, la vitesse de la lumière, le petit ressort spiral des montres, le calcul différentiel, le calcul intégral, la vapeur et la soupape de sûreté, l'application de l'hélice à la navigation. Merveilleuse est la fécondité du XVIIIème siècle : le clichage, 1705 ; le bleu de Prusse, 1710 ; l'aberration des étoiles fixes, 1728 ; la montre marine, 1734 ; le moulage en plâtre, 1749 ; les ponts suspendus en fer, 1741 ; l'héliomètre, 1743 ; le sucre de betterave, 1745 ; le paratonnerre 1757 ; la machine à filer, 1767 ; la machine à vapeur à basse pression, 1769 ; la lampe à cylindre, 1780 ; la batterie flottante insubmersible, 1782 ; l'aérostat, 1783 ; le magnétisme animal, 1783 ; l'éclairage au gaz, 1786 ; le tissage mécanique, 1787 ; la soude artificielle, 1790 ; le bateau de sauvetage, 1790 ; la première application du caoutchouc à l'industrie, 1700 ; le télégraphe aérien, 1791 ; l'ambulance volante, 1792 ; la lithographie, 1796 ; le galvanisme, 1798 ; le papier sans fin, 1799 ; les amorces fulminantes, 1800 ; la lampe Carcel, 1800 ; la vaccine, 1800. Le XIXème siècle fourmille d'inventions et de découvertes : la lumière électrique, 1801 ; l'alun artificiel, 1801 ; le bateau à vapeur, 1803 ; la locomotive à vapeur, 1804 ; la machine à coudre, 1804 ; la machine à tisser, 1804 ; la peigneuse mécanique, 1805 ; le fusil à percussion, 1809 ; la filature mécanique du lin, 1810 ; la lampe hydrostatique, 1811 ; l'iode, 1811 ; l'acide stéarique, 1811 ; la lithotritie, 1812 ; la lampe de sûreté, 1815 ; l'auscultation médicale, 1816 ; la chromolithographie, 1819 ; l'électromagnétisme, 1819 ; la télégraphie électrique, 1820 ; les phares lenticulaires, 1822 ; l'alcoomètre, 1824 ; l'héliographie, 1824 ; l'aluminium, 1827 ; la téléphonie, 1827 ; l'hydrothérapie, 1827 ; la chaudière tubulaire, 1828 ; la locomotive de Stephenson qui permit l'établissement des chemins de fer publics, 1830 ; les allumettes phosphoriques, 1833 ; la photographie, 1834 ; le pistolet-revolver, 1836 ; la galvanoplastie, 1837 ; le fulmicoton, 1838 ; le stéréoscope, 1838 ; l'harmonium, 1841 ; la gutta-percha, 1844 ; l'éthérisation, 1845 ; les propriétés anesthésiques du chloroforme, 1847 ; les ponts tubulaires, 1848 ; le collodion, 1848 ; les allumettes au phosphore amorphe, 1848 ; l'appareil à induction, 1850 ; le pantélégraphe, 1851; le moteur à gaz, 1861 ; l'analyse spectrale, 1861. Je m'arrête ici. J'ai voulu simplement rappeler, par une énumération rapide, sans commentaires et forcément incomplète, les principales inventions que leur ancienneté aurait pu faire oublier. Plus l'humanité élargit le champ de ses connaissances et plus se multiplient les inventions et découvertes. De la date à laquelle nous nous sommes arrêtés jusqu'à nos jours, elles sont trop nombreuses pour que leur rappel trouve sa place dans cet ouvrage. Le lecteur que la question intéresse voudra bien consulter les ouvrages spéciaux ; il y trouvera sans peine la documentation désirable. Les générations actuelles voient se dérouler, sous leurs yeux éblouis, les innombrables applications, toujours perfectionnées, de ces inventions relativement récentes. Il n'y a qu'à regarder, contempler, admirer... et réfléchir. L'agriculture a été transformée progressivement par l'emploi des machines agricoles. Les champs sont devenus comme une gigantesque usine ; le cultivateur n'est plus ce paysan condamné par une routine millénaire à creuser laborieusement le sillon auquel il confiait la semence, à remuer péniblement un sol ingrat, dur et caillouteux, à manier la faux pour couper la récolte, à battre le fléau pour détacher le grain. La terre est éventrée sans effort par de puissantes machines ; par ces machines, elle est amollie, nettoyée, préparée, mise au point, labourée, hersée, butée ; fourrages, céréales, légumes, tout est fauché, glané, ramassé, mis en tas, battu, engrangé. Plus étonnante encore est la révolution opérée par l'outillage mécanique dans les fabriques, usines, ateliers et chantiers d'où, entrée brute, la matière première sort manufacturée et prête à l'usage auquel elle est destinée. Les inventions de toutes sortes ont donné naissance à une multitude d'appareils qui, les uns avec une délicatesse inouïe, les autres avec une puissance incalculable, s'emparent de la matière la plus docile, plastique et malléable, ou la plus résistante et réfractaire, et la transforment. Les tâches les plus pénibles, les besognes les plus répugnantes et les travaux les plus durs sont de plus en plus exécutés par l'ouvrier métallique remplaçant le travailleur en chair et en os. Par la rapidité avec laquelle voyageurs et marchandises sont transportés à notre époque - chemins de fer, paquebots, avions - la Terre s'est peu à peu convertie en un immense espace habité par des peuples qui diffèrent de couleur, de langage, de mœurs, qui sont séparés géographiquement par des frontières artificielles et changeantes, mais qui constituent en réalité un ensemble de nations et de races entre lesquelles n'existe aucune cloison étanche les isolant les unes des autres. On dit volontiers : « les distances sont supprimées ». Si l'on applique cette idée aux objets transportables et aux personnes appelées à voyager, cette locution n'est pas exacte. Ce qui est vrai, c'est que, grâce aux découvertes et inventions dont notre temps bénéficie, l'homme circule aujourd'hui à travers la planète sur terre sur mer et dans l'air, avec une facilité étonnante et' une prodigieuse rapidité. Si on applique cette idée de la suppression des distances aux moyens de communication dont disposent les hommes au commencement de ce XXème siècle, on ne peut pas prétendre que les distances soient positivement abolies ; elles existent toujours et rigoureusement les mêmes (la distance qui sépare actuellement Paris de Pékin est la même qu'il y a cinq cents ans) ; mais le temps nécessaire à les franchir a incalculablement diminué. La télégraphie et la téléphonie sans fil mettent en contact toutes les parties du globe terrestre ; tel événement qui a pour théâtre un point déterminé de ce globe est connu presque immédiatement aux quatre points cardinaux. De ce fait, il y a, entre tous les habitants de la Terre une interpénétration si constante et si prompte que tous les faits importants, quel que soit le lieu où ils se produisent, ont, mondialement, un retentissement et une répercussion presque immédiate. Enfin, si on applique aux idées et connaissances cette théorie de la suppression des distances, on peut dire qu'elle est strictement exacte. La pensée plane au-dessus des mers et des continents : en face des mêmes faits, tous ceux qui étudient, comparent, réfléchissent ont des idées qui leur sont communes. La Pensée - fort heureusement du reste - n'est pas unifiée ; ce serait un désastre si, en dépit de la diversité des tempéraments, de la variété des races, du développement des peuples dans le temps et l'espace, de la différence des croyances et des cultures, les faits déterminaient, au nord et au sud, à l'orient et à l'occident, une action identique sur les cogitations qui agitent l'esprit et préoccupent la raison. Mais, à la même heure, au même instant, par millions, sur tous les points de notre planète, il y a des hommes qui emplissent leur pensée de celle des autres hommes, dont le cerveau s'éclaire à la lumière des autres cerveaux, dont le jugement formule les mêmes appréciations, dont la faculté de compréhension s'adonne aux mêmes travaux. Quant à la science, elle est cosmopolite ; elle ne connaît ni patrie, ni limites autres que celles qui lui sont assignées par l'insuffisance de nos observations et l'infirmité de notre propre nature. Pour les connaissances, les distances n'existent pas ; à la même minute, les savants de tous les pays se penchent sur les mêmes problèmes, creusent, fouillent, approfondissent les mêmes questions, tous bénéficiant des certitudes dues au labeur persévérant de leurs prédécesseurs et des recherches et expériences faites par leurs contemporains. Aussi, peut-on dire que, de nos jours, une invention n'est jamais une création complète. Le plus grand génie ne fait qu'imiter, dans une certaine mesure, des œuvres antérieures, que combiner d'une manière qui lui est propre des éléments déjà employés. L'invention la plus remarquable n'est que la suite et l'aboutissant d'expériences et d'investigations poursuivies par d'autres, soit antérieurement, soit à la même époque. Les revues de toutes langues, les bulletins de toutes spécialités portent à la connaissance de tous les chercheurs les résultats obtenus, au jour le jour, par les inventeurs du monde entier. Les découvertes et inventions d'hier ont amené celles d'aujourd'hui et celles d'aujourd'hui conduiront, par une pente toute naturelle, à celles de demain. Aussi est-il souvent difficile de distinguer la part qui revient à chacun dans le résultat auquel un si grand nombre de personnes ont plus ou moins concouru. Quantité d'inventeurs, et non des moindres, ont vécu ou vivent, sont morts ou mourront dans la pauvreté. Ce qui, si l'on n'y réfléchissait point, paraîtrait singulier, c'est que les plus pauvres ont été ou sont ceux dont l'invention a été le point de départ des bénéfices les plus considérables et des plus grosses fortunes. Et cela s'explique, une invention qui n'est pas appelée à donner de gros bénéfices ne suscite pas les convoitises des grands rapaces capitalistes ; tandis qu'une invention susceptible d'apporter des millions et des millions à ceux qui s'en emparent et l'exploitent met en appétit la goinfrerie des dévorants de tous pays. C'est, autour d'elle, la ruée de tous les grands capitaines de l'industrie et de la finance cosmopolites. Ceux-là mettent la main sur l'invention et en dépouillent cyniquement l'inventeur. La plupart des inventions se retournent contre le but que, logiquement, elles devraient poursuivre : la paix et le bien-être universels. Il est fait de presque toutes les inventions un détestable usage. S'agit-il d'un nouvel outillage mécanique appliqué à l'industrie ou à l'agriculture? Les firmes puissantes - et généralement internationales - s'appuyant sur les forces bancaires, en organisent, à l'aide de capitaux énormes, la mise en exploitation. Alors que le nombre des travailleurs employés dans la production à obtenir diminue, la production augmente. Ce rendement exceptionnel engendre des périodes de surproduction et d'engorgement du marché qui amènent fatalement les mortes-saisons et le chômage périodiques, source incalculable de privations et de misères. S'agit-il d'une invention qui peut être utilisée en cas de guerre ou de révolution? Les gouvernements s'empressent d'en tirer parti pour multiplier et accroître les instruments de massacre, les engins de destruction ; en sorte que, au lieu d'aller à leur destination naturelle et désirable, le bien-être et la paix, ces découvertes et inventions, recevant une application criminelle, tournent le dos à leurs fins, aggravent le malaise général des populations laborieuses et rendent plus meurtriers et plus sauvages les conflits armés. Ces résultats désastreux sont inhérents à l'organisation de toute société autoritaire et capitaliste. Il est fatal que les Gouvernements détournent les inventions de leur but logique et s'en servent pour affermir leur autorité menacée par la Révolution qu'ils redoutent et pour étendre par la conquête le champ de leur domination. Il est fatal que la bourgeoisie capitaliste et la gent financière, industrielle et commerciale, n'ayant d'autre passion que celle de l'argent, se soucient peu de la détresse des producteurs de l'usine et des champs. Insensible aux lamentations qui partent d'en bas, cette bande de spéculateurs et de trafiquants n'a qu'un désir, qu'une volonté, qu'un idéal : s'enrichir à tous prix, encore, encore et toujours. Il est arrivé que des ouvriers ont brisé les machines qui, disaient-ils, leur coupaient les bras ; ce fut le cas, entre autres, des premières machines à coudre. Il y a même une doctrine qui enseigne le retour à la nature par l'abandon de l'outillage mécanique. On conçoit, certes, que, dans un sursaut de colère irréfléchie, des travailleurs aient démoli une machine qui aggravait leur situation déjà douloureuse ; on s'explique que, bercés par certains récits et légendes, des hommes s'imaginent naïvement que l'âge d'or est derrière nous et non devant, et veulent revenir aux temps primitifs. Mais le remède n'est pas là. Le mal vient du principe de Propriété qui, sous régime capitaliste, assure à une minorité constituée en classe, la possession du sol, du sous-sol, des moyens de production, de transport et d'échange et lui permet d'en disposer à son gré, c'est-à de là. Le remède se discerne aisément. Il consiste à exproprier cette minorité de profiteurs, à lui faire rendre gorge, à restituer à la multitude la propriété sous toutes ses formes et à briser l'Etat, protecteur, complice et défenseur. Tel est l'unique moyen de fonder l'égalité économique, base de l'égalité sociale, source elle-même de la Paix universelle, de la Liberté et du Bien-Etre pour tous sans exception d'aucune sorte. Alors, toute invention marquera un pas en avant sur la route qui conduira l'humanité vers la joie de vivre. En sociologie, les Anarchistes sont de véritables inventeurs. Ils ont découvert que la cause de tous les maux qui accablent les hommes, celle d'hier comme celle d'aujourd'hui, c'est l'Autorité. Ils opposent au principe d'Autorité celui de Liberté. Ils déclarent que si la machine sociale produit la souffrance, c'est qu'elle a pour moteur l'Autorité ; ils ont l'indéracinable conviction que lorsqu'elle aura pour moteur la Liberté, elle produira du bonheur et que chacun en aura sa part. L'avenir prouvera qu'ils ne se trompent point. –

Sébastien FAURE

INVASION n. f. (lat. invasio, de invadere : in, dans et vadere, aller) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


Pénétration militaire dans un pays, irruption guerrière à laquelle font cortège les abus de la soldatesque, le sac des biens et parfois le massacre des personnes. L'invasion se chiffre, pour le vaincu, en brimades, rançons, contrainte, assujettissement, violences et privations de toute nature. Elle apporte au vainqueur le bénéfice de cyniques exactions jointes aux satisfactions grossières de l'amour propre et de la domination : il puise ses avantages et ses jouissances dans l'exercice des droits souverains de la force. L'invasion a son épilogue dans l'indemnité - souvent écrasante - , l'occupation ou l'annexion... La terreur de l'invasion a toujours servi les habiletés des professionnels - mégalomanes ou affairistes- du patriotisme. Elle a, devant les peuples inéclairés, justifié, par le paradoxe, les charges d'une paix armée ruineuse souvent plus que la guerre, et entretenu la méfiance et l'atmosphère d'hostilité propices aux rencontres sanglantes. C'est sur les invasions de 1870 et de 1914 que les militaristes de France assoient les « raisons » de leurs armements formidables. La menace ainsi change de camp, et les inquiétudes. Et la paix demeure précaire et sans fondement. Les intérêts, les appétits, les circonstances demeurent l'arbitre d'un équilibre singulièrement provisoire. Plus ardue est aussi, dans la course folle aux préparatifs dits « de défense », la tâche lente du rapprochement des peuples. Citons, parmi les invasions les plus tristement célèbres dans le passé : « celle des Hyksos en Egypte (vers 2310 av. J.-C.) ; celle des Gaulois en Italie et dans le bassin du Danube, sous la République romaine (521 à 389) ; la Grande invasion des Barbares dans l'empire romain au IVème siècle ; celle des Normands, au IXème siècle, dans l'ouest de l'Europe ; celle des Arabes, dans l'Espagne et la France méridionale, du VIIème au Xème siècle ; celle des Mongols et des Tartares, du XIIIème au XIVème siècle » ; et enfin, sous l'empire français, en 1813 et 1814, après les pénétrations du conquérant corse en Espagne, en Italie et, à travers l'Allemagne, jusqu'au cœur de la Russie, le choc en retour de l'invasion des coalisés de toute l'Europe soulevée contre la tyrannie napoléonienne. Plus près de nous : la grande invasion de 1914-18 sur toute la Belgique et le nord de la France. Au figuré, invasion se dit de toute irruption soudaine : invasion de rats, des eaux, de quelque bande en liesse, du sommeil même ; aussi des maladies, en particulier épidémiques (choléra, typhus, etc.). Désigne encore les choses morales qui soumettent à leur emprise les esprits : invasion des préjugés, du mauvais goût, des doctrines pernicieuses. A ce titre, les timorés et les conservateurs parlent, comme d'un fléau ou d'une horde, de l'invasion du communisme, de l'anarchie, etc.

Le livre noir des violences sexuelles 2004 du docteur Salmona partie 5


« Pour analyser le monde, comme nous l’avons vu, un enfant possède une boîte à outils beaucoup plus restreinte que celle des adultes (il a beaucoup moins de connaissances et d’expérience), et il est très dépendant des adultes qui l’entourent, de leur protection, de leur expertise. Son autonomie et sa liberté sont considérablement limitées pour organiser le monde qui l’entoure en fonction des dangers qu’il court et pour se protéger efficacement. Les adultes qui ne sont pas en position d’agresseur et qui pourraient le protéger, dans l’ensemble, ne comprennent rien à ce qui lui arrive. Non seulement ils ne vont pas pouvoir donner à l’enfant traumatisé des explications justes, mais ils vont lutter pied à pied avec lui pour l’empêcher de mettre en place les conduites d’évitement, de contrôle, et de sécurisation (présence rassurante d’un adulte protecteur) dont il aurait besoin. Ces adultes vont vouloir, souvent en toute bonne foi, que l’enfant s’autonomise coûte que coûte – alors qu’il se sent en grand danger –, qu’il se développe comme les autres enfants (comme ceux qui ne sont pas traumatisés ni encombrés d’une mémoire traumatique). Et ils vont le mettre en grand danger psychique en le forçant à aller de l’avant et à renoncer à ses conduites d’évitement, à ses conduites dites régressives (dormir avec l’adulte, sucer à nouveau son pouce, etc.). Encore plus que l’adulte, l’enfant peut être acculé à avoir recours à des conduites à risque dissociantes très délétères (que nous allons étudier de plus près) pour survivre. Encore plus que l’adulte, il va se sentir douloureusement différent des autres sans comprendre pourquoi, et se percevoir progressivement comme un handicapé de la vie. »
« Comme l’écrit Sandor Férenczi dans son texte Réflexion sur le traumatisme : « Il faut parfaitement connaître l’adversaire dangereux, on se met tout le temps à sa place, et on est garant de sa tranquillité. Il faut suivre chacun de ses mouvements pour s’en protéger, il faut tenter d’apaiser et d’amener à la raison le terrible tyran. » Ces obligations de se mettre continuellement à la place de l’agresseur, de devoir le comprendre, de le protéger à tout prix, font que les intérêts de l’agresseur deviennent artificiellement ceux de l’enfant et entraînent une loyauté à toute épreuve et un « pseudo-attachement ». Pour que l’enfant se sente en sécurité, il est essentiel que le parent agresseur se sente bien, ne soit pas contrarié. Cette tâche – de survie – devient la plus importante et passe bien avant ce qui devrait être les besoins primordiaux, les désirs et les intérêts de l’enfant. »
« De plus les phrases sans cesse répétées de l’agresseur avec des injonctions à lui obéir, à l’aimer, à être « loyale » avec lui quoi qu’il arrive, et les mises en scène où la victime est censée n’avoir aucun droit, aucune valeur, colonisent la victime par l’intermédiaire de la mémoire traumatique et la transforment petit à petit en esclave « dévouée ». Les mots perdent leur sens, du côté de la victime la terreur devient amour, le stress extrême devient excitation et désir, et du côté de l’agresseur la haine, la violence et la destruction deviennent amour, la cruauté devient désir, le dressage devient de l’éducation, etc., dans un retournement pervers continuel. »
« Le formatage imposé par un tyran sur un enfant entraîne chez cet enfant devenu adulte une hyperadaptation aux moindres désirs d’autrui et une anesthésie émotionnelle dissociative. Adulte, il reste essentiel de ne jamais contrarier quiconque au risque de se sentir en grand danger, par allumage d’une mémoire traumatique des violences exercées par le tyran de son enfance à chaque « contrariété ». Et pour cet adulte, il devient ensuite extrêmement difficile de dire non, d’exprimer sa volonté ou ses désirs propres, d’autant plus qu’il est dissocié et dans l’incapacité de ressentir ses émotions. Ce formatage représente un danger car il piège l’enfant victime devenu adulte dans la position d’être toujours au service et à l’écoute d’autrui, esclave potentiel parfait corvéable à merci, victime pseudo-consentante face à de nombreux abus, tellement gentille, tellement compréhensive, tellement tolérante, avec une intelligence relationnelle tellement développée... »
« Devant la nécessité impérative d’arriver à disjoncter, une compulsion à se faire mal vient « tout naturellement » : se taper la tête contre les murs, se frapper, se mordre, se pincer, s’arracher les cheveux, se griffer, se couper, se brûler. La victime, comme dans un état de manque, va rechercher activement la mise en danger ou la violence qui pourrait la soulager efficacement, et elle a beau essayer de se raisonner, le plus souvent rien n’y fait, elle sait qu’elle va sombrer. Ces conduites dissociantes dangereuses et violentes mises en œuvre pour arriver à disjoncter, même quand elles sont uniquement auto-agressives et qu’elles ne portent pas atteinte à autrui, sont reprochées aux victimes. Spontanément, la plupart des personnes, professionnelles ou non, qui sont confrontées à une victime en plein accès d’explosion de sa mémoire traumatique et qui est dans l’impossibilité de se calmer ou de disjoncter, auront tendance à utiliser elles aussi en premier recours des conduites dissociantes violentes au lieu d’une parole apaisante. Elles se mettront à hurler, à donner une claque, voire des coups, à lancer un verre d’eau à la figure, à mettre la victime sous une douche froide, à la secouer de violemment, à la menacer d’abandon (« si tu n’arrêtes pas de hurler je te laisse là, ou je pars... »), à l’enfermer, ou à utiliser des moyens de contentions violents (liens, camisole de force), ou une contention chimique (des traitements psychotropes puissamment dissociants). Ces violences utilisées pour « calmer » la victime traumatisée « qui pète les plombs » sont malheureusement « efficaces », et vont la faire disjoncter, ce qui aura pour effet de l’anesthésier au prix d’une aggravation de la mémoire traumatique. »
« Il est très facile d’avoir sous la main de l’alcool : la première prise d’alcool en France est très précoce, en moyenne vers 8 ans, la première ivresse avant 13 ans. Les études montrent que lorsque l’on présente des troubles psychotraumatiques, le risque de développer un alcoolisme ou une toxicomanie est important : 58 % des hommes et 28 % des femmes vont consommer de l’alcool, 35 % des hommes et 27 % des femmes vont consommer des substances psychoactives. Inversement, chez près de 90 % des grands alcooliques et des toxicomanes, on retrouve des antécédents de traumatismes et de maltraitance dans l’enfance. À l’évidence on ne devient pas alcoolique ou toxicomane sans raison ! »
« Une autre façon de s’anesthésier par le stress extrême est de se faire peur sans se mettre en danger direct et sans instrumentaliser autrui, se faire peur avec des polars ou des films d’horreur, mais aussi avec des scénarios imaginaires où l’on est exposé à des dangers terribles, des tentatives de meurtre, des tortures, des tentatives de viols, des maladies graves. Ces scénarios peuvent devenir envahissants et se structurer en un délire de persécution, surtout chez les femmes âgées qui ont vécu dans leur enfance des violences sexuelles incestueuses et qui n’ont jamais pu en parler. »
« La seule liberté qu’il reste aux victimes est celle du choix de la conduite dissociante, et c’est là ce qui fera la différence entre celles qui resteront dans leur position de victime en choisissant des conduites dangereuses pour elles-mêmes, et comme nous allons le voir celles qui choisiront de devenir des agresseurs et qui instrumentaliseront des personnes ou des animaux pour disjoncter par procuration (les animaux paient aussi un lourd tribut à la mémoire traumatique de certains de leurs « maîtres » enfants ou adultes). »
« L’être humain est normalement dans l’incapacité d’exercer des violences « inhumaines », une sonnette d’alarme (la réponse émotionnelle) intolérable se déclenche aussitôt pour les rendre impossibles, mais quand cette sonnette d’alarme est recherchée pour elle-même parce que des violences inhumaines ont déjà été subies, qu’une expérience de disjonction a eu lieu et qu’une mémoire traumatique s’est mise en place, tout se met alors à dérailler. L’agresseur peut franchir les barrières les plus impossibles à dépasser, le risque d’y laisser sa peau et son âme ne l’arrêtera pas, il est déjà mort au monde et donc « immortel », comme Don Juan convoquant la statue du Commandeur, les feux de l’Enfer ne l’effraient pas, il en est déjà revenu. »