La
constitution de la Fédération des Bourses du Travail n’avait fait
qu’ébaucher l’organisation nationale du syndicalisme français.
C’était certes, un commencement important, mais il était évident
qu’une tâche considérable restait à accomplir. Les Bourses du
Travail réalisaient bien le lien social - le plus important - entre
les Syndicats d’une même localité, la Fédération réalisait
bien aussi ce lien au point de vue national, mais il était évident
qu’il fallait aussi réaliser la liaison nationale entre les
Syndicats d’un même métier.
Les
Guesdistes avaient tenté de le faire avec leur Fédération des
Syndicats, tandis, que par contre, ils n’avaient pas, par
méconnaissance ou dogmatisme étroit, cherché à réaliser le lien
social.
Il
est fort probable que l’absence de ce lien qui favorisait l’action
du Parti ou des Partis socialistes fut volontaire parce que les
Guesdistes sentaient déjà que le syndicalisme, ainsi organisé
socialement, ne tarderait pas à s’émanciper de leur tutelle. Il
ne faut pas chercher d’autre raison à l’hostilité sans cesse
accrue que les Guesdistes manifestèrent toujours à l’égard de la
Fédération des Bourses du Travail, cellules de la Société de
l’avenir.
Avortée
dès sa constitution, la Fédération des Syndicats n’eut ni le
programme sérieux, ni l’action vigoureuse capables d’attirer les
travailleurs. Ceux-ci, la sentant d’ailleurs placée sous les
directives politiques, la boudèrent. Les querelles, les scissions
dont le Parti socialiste fut l’objet les en détachèrent
définitivement. Instinctivement, ils se rapprochèrent de la
Fédération des Bourses et, y adhérant en grand nombre, lui
donnèrent tout de suite une importance considérable, pendant que,
sous l’influence et par le labeur acharné de Pelloutier, elles
jouaient un rôle de plus en plus grand.
Ce
ne fut, certes, pas l’oeuvre d’un jour. Ce n’est qu’après
bien des tâtonnements, des erreurs souvent graves, des incohérences
forcées que, dans ces temps troublés, la Fédération des Bourses
parvint à faire comprendre la neutralité politique que le Congrès
d’Amiens devait proclamer comme la première condition d’Unité ;
et que le mouvement ouvrier réussit à donner son organisation
propre, de classe, indépendante de tous les partis.
Ce
sont autant de difficultés que les militants durent vaincre,
difficultés que ne comprennent pas toujours les hommes de notre
époque qui ignorent, en immense majorité, comment s’est
constituée la C. G. T.
Le
syndicalisme actuel, dans ses organes comme dans ses idées - trop
souvent inexprimées - n’est pas le résultat de l’application
d’un plan, d’un système préconçu. Il est la conséquence d’une
longue étude des faits sociaux, de leurs enseignements. Il résulte
d’une longue et pénible évolution qui continue. Son aspect, ses
caractéristiques particulières se modifient selon les nécessités
du moment. Il en sera toujours ainsi parce qu’il est
l’interprétation aussi exacte que possible de la vie en
perpétuelle évolution. Le syndicalisme de l’an 2000 ne
ressemblera pas plus à celui 1925 que celui-ci ne ressemble au
mouvement de 1873. Il peut évoluer à l’infini, donner à toutes
les périodes de l’histoire, satisfaction à tous les individus,
quelle que soit leur philosophie. Il peut réaliser aussi bien le
communisme organisé que le communisme libre associatif et momentané
pour atteindre, un jour, au stade supérieur de l’Anarchie. Ceci
est suffisant pour que tous les travailleurs y trouvent place et
tentent dans son sein d’acquérir le maximum de bien-être et de
liberté correspondant à chaque époque de l’histoire, à chaque
stade de l’évolution. Le syndicalisme est un perpétuel devenir.
C’est
ce que comprit Pelloutier lorsqu’il entreprit l’oeuvre grandiose
qui devait trouver son achèvement dans la constitution des Bourses
du Travail et la constitution de la C. G. T. C’est ce qu’il
précisa dans sa fameuse lettre aux anarchistes.
C’est
sous l’empire de ces idées générales, mal assises, confuses
peut-être, que délibéra le Congrès de Nantes en 1894. Pelloutier
proposait que le lien commun fût le Comité de grève générale ;
d’autres comme Bourderon, qui représentait la Bourse du Travail de
Paris, voulaient créer un lien national plus solide.
Il
en sortit un Comité Syndical ouvrier mal venu, qui resta incompris,
n’eut qu’une influence restreinte et, en réalité, ne fonctionna
que peu ou même pas du tout. Il n’en formait pas moins l’embryon
de la future C. G. T.
Le
Congrès de Nîmes, en 1895, indiqua le développement de la
Fédération des Bourses et la place de première importance qu’elle
prenait dans le mouvement ouvrier. C’est ce Congrès qui appela
Pelloutier au Secrétariat national de la Fédération des Bourses :
Il le conserva jusque sa mort, en 1900. Les militants, disait ce
Congrès, sont à nouveau préoccupés de donner un organisme sérieux
et durable au prolétariat français, ils sont préoccupés aussi de
rechercher les moyens, les plus propres à unifier les organisations
ouvrières, à coordonner les forces syndicales et à dresser, en
face du capital, l’armée du prolétariat. C’est à cette tâche
que se consacra le Congrès de Limoges qui s’ouvrit le 23 septembre
1895.
À
ce Congrès étaient représentées : 28 Fédérations, 18 Bourses et
18 Chambres Syndicales. La première question à l’ordre du jour
était la suivante : Plan général d’organisation corporative, de
l’action et des attributions des différentes organisations
existantes.
Cette
seconde partie de l’ordre du jour avait pour but de faire
disparaître le chevauchement d’attributions dangereuses et qu’il
fallait, autant que possible, délimiter. On n’y parvint d’ailleurs
qu’assez mal.
Ce
Congrès marqua la prépondérance incontestée de la Fédération
des Bourses. Il marqua la nécessité de tenir l’action syndicale
hors de l’action politique, il reconnut l’indispensabilité de
séparer les deux mouvements : économique et politique. Après une
longue discussion, la Commission d’organisation corporative proposa
les dispositions suivantes qui indiquaient les statuts primitifs de
l’organisation Confédérale :
1°
Entre les divers Syndicats des groupements professionnels, de
Syndicats d’ouvriers et d’employés des deux sexes existant en
France et aux Colonies, il est créé une organisation unitaire et
collective qui prend pour titre : Confédération Générale du
Travail. Les éléments constituant la Confédération Générale du
Travail devront se tenir en dehors de toutes écoles politiques ;
2°
La Confédération Générale du Travail a exclusivement pour objet
d’unir, sur le terrain économique et dans des liens d’étroite
solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation
intégrale ;
3°
La Confédération Générale du Travail admet dans ses rangs a) Les
Syndicats ; b) Les Bourses du Travail ; e) Les Unions ou Fédérations
locales de Syndicats de diverses professions ou de métiers
similaires ; d) Les Fédérations départementales ou régionales de
Syndicats ; e) Les Fédérations nationales de Syndicats de diverses
professions ; f) Les Unions ou Fédérations nationales de métiers
et les Syndicats nationaux ; g) Les Fédérations d’industrie
unissant diverses branches de métiers similaires ;
Les
articles suivants fixaient la constitution intérieure de la C. G.
T., à la tête de laquelle se trouvait placé un Conseil National
formé de délégués des Unions ou Fédérations, les attributions
de celui-ci et des Commissions qu’il pourrait constituer,
l’institution d’un Congrès annuel. À la vérité, tout cela
était assez confus, mais correspondait à la complexité, à la
diversité des organismes ouvriers de cette époque. C’était
plutôt un « entassement » - le mot est de Jouhaux – qu’une
organisation rationnelle.
Si
imparfaite qu’elle soit, l’oeuvre accomplie à Limoges est loin
d’être négligeable. Elle marque un sérieux progrès sur ce qui
existait auparavant. La nouvelle organisation, pour primitive et
imparfaite qu’elle fût, rencontra d’ardents défenseurs qui,
avec raison d’ailleurs, ne se masquèrent pas leurs critiques.
Le
3ème Congrès National corporatif se tint à Tours, du 14 au 19
septembre 1896. Il constata que la fusion des éléments participant
à l’action confédérale (Fédérations d’Industrie et Bourses
du Travail), était loin d’être accomplie, que l’unification
n’était guère que théorique.
La
Fédération des Bourses, en particulier, avait une assez grande
méfiance à l’égard de la nouvelle organisation dont l’activité
était restreinte. Elle tint un Congrès à Tours avant le Congrès
Confédéral. Il s’ouvrit le 9 septembre.
Pelloutier
voulait qu’on définît le rôle général des groupements locaux
et par contrecoup la valeur de transformation du syndicalisme. Il fut
décidé de donner aux Bourses un programme de recherches méthodiques
sur ces conditions économiques du travail, de la production, de
l’échange, de façon qu’en étudiant les régions qu’elles
embrassent en apprenant, avec les besoins, les ressources
industrielles, les zones de culture, la densité de la population, en
devenant des écoles de propagande, d’administration, d’études,
en se rendant pour tout dire en un mot, capables de supprimer et de
remplacer l’organisation présente, elles s’affirment comme une
institution pouvant s’adapter à une organisation sociale nouvelle.
N’est-ce pas là, concrètement définie, la pensée des
syndicalistes d’aujourd’hui ? N’est-ce pas cette idée qui les
a guidés lorsqu’ils voulaient substituer les Unions régionales
économiques, au Congrès constitutif de la C. G. T. et, en juillet
1922, aux Unions départementales, délimitations politiques sans
valeur pour le mouvement syndical ?
Le
Congrès des Bourses définit ainsi son attitude en regard de la C.
G. T. Le Congrès des Bourses du Travail accepte la constitution
d’une Confédération exclusivement composée des Comités fédéraux
des Bourses du Travail et des Unions locales de métiers, cette
Confédération n’ayant pour objet que d’arrêter, sur les faits
d’intérêt général qui intéressent le mouvement ouvrier, une
tactique commune, et la réalisation de cette tactique restant aux
soins et à la charge de celles des Fédérations adhérentes qu’elle
conserve. Ce n’était, évidemment, qu’une adhésion
conditionnelle, réservée, mais telle qu’elle, elle marquait un
grand pas en avant vers l’Unité réelle. Le Congrès des Bourses
régla ainsi qu’il suit les rapports des deux organisations
(Bourses et Syndicats). Pour arriver à diminuer la durée des
Congrès, le 5e Congrès des Bourses est d’avis que :
1°
Chaque Fédération Nationale doit supprimer de son ordre du jour
particulier, toutes les questions d’intérêt général, l’étude
de ces questions devant être laissée au Congrès général des
Syndicats ; et 2° Que tous les Congrès administratifs doivent se
tenir à la même époque et dans la même ville. Pour sanctionner ce
voeu, il décide que les futurs Congrès des Bourses du Travail
n’inscriront à leur ordre du jour que les questions intéressant
les Bourses du Travail. Cette résolution fut acceptée par 25 voix
contre 5. Ainsi fut défini le régime sous lequel devaient se tenir
pendant 8 années les assises nationales du mouvement syndicaliste
français.
Le
Congrès de la C. G. T. s’ouvrit aussitôt après, avec 71 délégués
représentant 203 organisations corporatives. Il discuta surtout
l’attitude des syndicats vis-à-vis de la politique.
Les
questions politiques disait Keufer, les rivalités d’école qu’on
ne compte plus, ont dispersé les effets, augmenté les divisions et
l’impuissance. Ne se croirait-on pas en 1925 ? Les délégués
furent unanimes à écarter des Syndicats « ce brandon de discorde
», en même temps qu’ils précisèrent, comme suit, la mentalité,
syndicale.
Le
Congrès corporatif de Tours invite les organisations corporatives à
se tenir à l’écart de toute action politique. On aurait
aujourd’hui grandement besoin de revenir à cette saine conception
du syndicalisme.
Le
principe de la grève générale fut aussi accepté à la presque
unanimité avec une précision importante dont la valeur reste totale
aujourd’hui. La grève générale comme la grève partielle, sont
des conflits d’ordre économique, et si, après les Syndicats,
l’idée en a été propagée par des groupements politiques
révolutionnaires, qui acceptent les décisions des Congrès ouvriers
au lieu de les combattre, ils n’en conservent pas moins un
caractère de lutte purement syndicale. Le Congrès ne faisait pas,
toutefois, de l’acception de ce principe, une condition formelle et
absolue à l’admission à la C. G. T. Tours marquait un très gros
progrès sur les Congrès antérieurs. Il restait beaucoup à faire
pour faire passer son oeuvre théorique dans le domaine des faits. Ce
fut l’oeuvre du Congrès de Montpellier en 1902. Entre temps, les
deux organisations (Bourses et Syndicats) vécurent côte à côte
sans cesser d’avoir leur vie propre, se querellant souvent,
méfiante l’une vis-à-vis de l’autre. La Fédération des
Bourses dominait manifestement, sous l’admirable impulsion de
Pelloutier. Elle traduisait fréquemment ses craintes d’être
absorbée par la C. G. T. À son Congrès de Toulouse, en 1897, elle
se montra renforcée et agissante, désireuse d’étendre son action
aux milieux ruraux et maritimes, dont Pelloutier avait pressenti le
grand rôle dans la révolution économique. Le Congrès des
Syndicats, moins important, tenta, lui aussi, de définir les
attributions et représentations des deux organismes au sein de la C.
G. T. Toulouse fut un essai d’unification qui aurait dû
logiquement se continuer à Rennes en 1898. Ce fut le contraire. Ce
Congrès de Rennes aboutit en fait à la séparation des deux
sections Confédérales. Aucun doute n’est permis lorsqu’on lit
dans la résolution adoptée, ce passage significatif : Les deux
organismes constituant la Confédération (Comité National et
Fédérations des Bourses) ne se réunissent qu’en cas d’événements
imprévus et nécessitant manifestement une entente. Si l’idée
d’Unité subsistait, elle n’était pas moins en recul quant à la
réalisation. En somme, la C. G. T. ne constituait qu’une sorte de
lien moral entre les deux Organisations qui la composaient. Des
militants virent immédiatement le danger d’une telle situation. On
sera obligé de les réunir à nouveau disait Braun (Fédération de
la Métallurgie). « Le Congrès de Rennes n’a pas fait de bonne
besogne ». La question de votation fut aussi posée au 10ème
Congrès Corporatif National. Il s’arrêta au système du vote
unitaire par Syndicat, quelle que soit l’importance numérique de
celui-ci. Cette question reviendra d’ailleurs par la suite devant
les Congrès suivants. Elle n’a pas cessé de se poser et
continuera à l’être pendant longtemps encore.
À
cette époque, nous étions en plein dreyfusisme, et le Syndicalisme
ressentait fortement les secousses de l’agitation provoquée par
cette affaire Dreyfus ainsi que par les crises industrielles qui se
produisirent alors. Aussitôt le Congrès de Rennes terminé, la
grève des Terrassiers de la Seine, auxquels s’étaient joints un
grand nombre de travailleurs du Bâtiment, battait son plein. 50.000
ouvriers au moins étaient en grève. Le moment parut propice pour
engager la lutte et déclencher la grève générale.
Les
Fédérations des Métallurgistes et des Cheminots se montrèrent
très enthousiastes pour ce mouvement. C’est surtout de la
Fédération des Cheminots que le signal était attendu pour ce
mouvement, dont on escomptait beaucoup en raison de l’effet
politique et économique qu’il ne devait pas manquer de produire, à
la veille de l’Exposition Universelle de Paris (1900).
Le
Gouvernement ayant intercepté les ordres de grève des Cheminots,
l’échec fut complet dans cette corporation et, par répercussion,
dans toutes les autres. Lagailse, secrétaire de la C. G. T. et
secrétaire adjoint des Cheminots, démissionna. Par contre, les
organisations du Bâtiment, mais elles seules, obtinrent de sensibles
améliorations qui devaient, par la suite, largement contribuer au
développement du syndicalisme dans cette importante industrie.
L’agitation
au sujet de l’affaire Dreyfus sépara en deux groupes les forces
ouvrières. Pendant que les unes étaient pour la révision, avec
ceux qui suivaient Jaurès et Allemane dans le Parti socialiste, les
autres se tenaient dans la neutralité. Les anarchistes
participèrent, eux, activement à l’agitation « Dreyfusarde »
avec Sébastien Faure, au premier rang de la bataille.
L’aboutissant
de cette campagne fut le triomphe de la coalition des gauches et
l’entrée de Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau, aux
côtés de Galiffet le massacreur des Communards. Drôle de symbole
qui prendra par la suite toute sa signification, lorsque Millerand
arrivera au pinacle.
Et
c’est à ce moment que s’ouvrit ce qu’on a appelé la période
du Millerandisme, dont le but consistait à enrégimenter les forces
ouvrières pour soutenir un pouvoir d’État chancelant. Le
programme du Millerandisme fut exposé à Saint-Mandé en 1901, par
son auteur.
Quoique
habile, ce calcul n’eut pas les résultats attendus par les
libéraux flanqués de Millerand-le-Renégat.
Toutes
les prévisions de Millerand furent détruites et ses espoirs furent
mis à terre par la grande grève du Creusot qui devait forcer 3.000
ouvriers à s’exiler et aboutit à la négation du droit syndical
dans la contrée soumise au bon plaisir de Schneider. L’incident
sanglant survenu au cours d’une grève à la Martinique détourna
définitivement les ouvriers du Millerandisme.
Entre
temps, eut lieu, à Paris, le Congrès des Bourses, en 1900, ou 34
organisations étaient représentées. La question des rapports avec
les partis politiques fut encore posée, mais sans succès pour ceux
qui discutaient la fusion avec les groupes socialistes.
Après
une belle démonstration de Pelloutier condamnant l’effet
désastreux qui résulterait de cette fusion le Congrès adopta, à
l’unanimité, la motion suivante de la Bourse de Constantine
Considérant que toute immixtion des Bourses du Travail dans le
domaine politique serait un sujet de division et détournerait les
organisations syndicales du seul but qu’elles doivent poursuivre :
l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux mêmes.
Décide : Qu’en aucun cas, la Fédération des Bourses du Travail
ne devra adhérer à un groupement politique. Mais d’autre part,
par un sentiment qu’on ne s’explique guère autrement, par une
crainte de déviation qui aurait annihilé toute l’action et la
propagande de la Fédération des Bourses, il fit repousser
l’adhésion plus complète à la C. G. T.
«
Ces deux organisations, dit le délégué de Lyon, doivent marcher de
pair et faire chacune son travail, mais sans se confondre ».
L’oeuvre incomplète de Rennes n’était pas achevée. Le Congrès
de la C. G. T. se tint également à Paris, du 10 au 14 septembre
1900. 236 organisations y étaient représentées par 171 délégués.
La
question des Fédérations d’industrie y fut agitée sans trouver
de solution. Elle n’est pas encore solutionnée en ce moment.
La
plus importante décision qui fut prise par le Congrès, fut la
publication d’un journal syndicaliste La Voix du Peuple.
L’abonnement de ce journal fut obligatoire. Il fit partie de ce
qu’on a appelé : la triple obligation confédérale. Lagailse fut
remplacé au Secrétariat Confédéral par Renaudin (des Cuirs et
Peaux), qui ne resta que quelques mois en fonctions et fut lui-même
remplacé par Guérard (des Cheminots). Les deux Congrès Corporatifs
(Bourses et Fédérations) se tinrent l’un après l’autre mais
non dans la même ville.
Celui
des Bourses se tint à Nice, le 17 septembre 1901. Pelloutier, mort
en 1900, avait été remplacé par Yvetot. Niel qui devait, un peu
plus tard, être appelé au Secrétariat de la C. G. T. et qui
représentait à ce Congrès la Bourse du Travail de Montpellier,
concluait, dans son rapport sur la question de l’Unité, à l’union
immédiate des deux grandes organisations nationales. Cela est
incompatible avec l’unité ouvrière, disait-il ; cela crée un
antagonisme d’idées et de personnes. Il faut donc que l’une des
deux disparaisse en tant qu’organisation centrale et qu’elle se
fonde dans l’autre. Et à son avis, ce qui peut surprendre ceux qui
ignorent les idées de Niel, c’était la Fédération des Bourses
qui devait disparaître ou tout au moins renoncer à son côté
dirigeant.
Le
Congrès n’entendit pas ce langage et ne suivit pas Niel. Yvetot
s’opposa à la fusion ainsi conçue et sur son intervention, le
Congrès se prononça en faveur « d’une étude plus approfondie »
du projet Niel. Toutefois, les désirs et les besoins d’unité
étaient réellement considérables. Ils allaient devenir bientôt
décisifs. Le Congrès confédéral, le 6°, se tint à Lyon, du 23
au 27 septembre 1901. Le projet Niel revint en discussion. Le plan du
délégué de Montpellier fut ainsi esquissé : à la base, le
Syndicat ; au-dessus, la Bourse du Travail ; après les Bourses, les
Fédérations ; enfin pour couronner l’édifice syndical, la C. G.
T., synthèse de l’action ouvrière. Les superpositions de
groupements subsistaient encore, mais elles étaient considérablement
réduites.
Le
projet fut remis et renvoyé à l’examen du Congrès de 1902 qui se
tint à Montpellier du 22 au 27 septembre Une nouvelle explosion de
grèves, le vote de la loi des 10 heures (Colliard-Millerand), les
incidents qui en résultèrent incitèrent les militants à en finir.
Le
Congrès des Bourses réunies à Alger, la semaine précédente,
avait reconnu la nécessité de l’union. Un projet fut adopté dans
ce sens et on confia à Niel le soin de le présenter au Congrès
Confédéral.
Montpellier
fut le véritable Congrès de l’Unité. Il fui dominé par cette
question essentielle et la préoccupation de lui donner un statut.
Un
seul Syndicat, celui des Maçons de Reims, formula quelques réserves.
L’accord fut scellé à la quasi-unanimité. La coordination des
forces confédérales était réalisée. La C. G. T. prit à
Montpellier sa véritable figure.
Maxime
Leroy dans la Coutume Ouvrière définit ainsi la C. G. T. issue du
Congrès de Montpellier :
La
Confédération Générale du Travail ne constitue pas un groupement
fonctionnant indépendamment des Syndicats, Bourses et Fédérations,
à la manière d’un pouvoir exécutif se superposant et s’ajoutant,
en les complétant, aux divers rouages politiques ou administratifs
de la République. Elle n’est pas, non plus comparable à une sorte
de « Syndicat supérieur », le « Syndicat des Syndicats », comme
disait M. Allou, au Sénat, pendant la discussion de la loi de 1884.
Elle n’est pas davantage une association de personnes ; elle n’a
pas une vie autonome ; elle n’a ni assemblée générale, ni
adhérents individuels.
Cette
démonstration est exacte. Elle montre l’impossibilité pour le
régime actuel d’incorporer la C. G. T. dans son cadre juridique.
Si elle ne montre pas son rôle, ni son but, elle l’exprime
pourtant par l’application de la théorie des contraires. Nous le
verrons en examinant d’abord la résolution de Montpellier et aussi
la Charte d’Amiens. Désormais, la C. G. T. va représenter le
groupement commun aux deux sections : Bourses et Fédérations,
fusionnées dans son sein. C’est une organisation au troisième
degré ; le groupement de base étant le Syndicat de métier ou
d’industrie, le groupement secondaire ayant forme double de
Fédération nationale ou Bourse du Travail et la C. G. T. le
groupement réalisent entre celles-ci la liaison qu’elles forment
elles-mêmes entre les Syndicats.
On
pourrait croire que cette organisation double de la base au faite
n’est pas souple, qu’il existe encore des chevauchements, que
l’unité est incomplète. Il n’en est rien. Àu contraire, une
telle organisation assure l’autonomie des groupements et la
coordination des efforts, à condition que l’une des deux
organisations secondaires ne tente pas d’empiéter sur les
attributions de l’autre.
L’article
3 des statuts de Montpellier qui sera d’ailleurs modifié à
plusieurs reprises, notamment en 1918 après le Congrès de Paris,
donne la raison décisive de cette constitution et fixe les
attributions et obligations des organismes. Ci-dessous le texte de
cet article essentiel : Nul Syndicat ne pourra faire partie de la C.
G. T. s’il n’est fédéré nationalement et adhérent à une
Bourse du Travail ou à une Union de Syndicats locale ou
départementale ou régionale de corporations diverses. Toutefois, la
Confédération Générale du Travail examinera le cas des Syndicats
qui, trop éloignés du siège social d’une Union locale, ou
départementale, ou régionale, demanderaient à n’adhérer qu’à
l’un des deux groupements cités à l’article 2. Elle devra, en
outre, dans le délai d’un an, engager et ensuite mettre en demeure
les Syndicats, les Bourses du Travail, Unions locales, ou
départementales, ou régionales, les Fédérations diverses, de
suivre les clauses stipulées au paragraphe premier du prisent
article.
Nulle
organisation ne pourra être confédérée si elle n’a au moins un
abonnement d’un an à la Voix du Peuple.
C’est
le texte qui expose ce qu’on a appelé la triple obligation
Confédérale qui est toujours en vigueur. Ainsi, par ce double jeu
des organismes secondaires, chaque Syndicat est adhérent à la C. G.
T. par le canal des Bourses et celui des Fédérations. En premier
lieu, elle est décentraliste, dans le domaine social et elle est,
dans la seconde partie, centralisatrice sur leterrain corporatif et
professionnel.
L’organisation
centralisée se comprend d’elle-même. Elle résulte de la
nécessité de resserrer, autant que possible, le lien qui unit, par
la Fédération, les Syndicats d’une même industrie, dont les
intérêts professionnels sont identiques.
L’organisation
décentraliste ne soulève non plus aucune objection. La C. G. T. ne
peut ni ne doit vivre par en haut, par la tête. Son activité, sa
propagande, son action sociale, sont l’oeuvre de toutes ses
cellules. Les Syndicats et surtout les Bourses du Travail en sont les
facteurs d’exécution et d’action. Ils propulsent la C. G. T. en
même temps qu’ils agissent par eux-mêmes. Aux idées de « Craft
unionism », c’est-à-dire de corporatisme, elle oppose le principe
d’une organisation plus solide, plus agissante, le système de
l’Industrial unionism, ou action industrielle base de l’action
sociale.
La
représentation de la section des Fédérations est assurée par un
bureau et un Comité composé d’un représentant par Fédération.
Le secrétaire de cette section était en même temps secrétaire de
la C. G. T.
Quant
à celle des Bourses elle était assurée par un Comité fédéral
des Bourses ayant à sa tête un secrétaire.
En
fait, la C. G. T. n’ordonne pas, elle ne décide rien. Elle est
sous le contrôle permanent des deux Comités fédéraux (Bourses et
Fédérations) qui ont charge, eux, d’appliquer les décisions des
Congrès.
Le
Bureau Confédéral enregistre, sert à l’échange des
correspondances, prépare des statistiques.
Il
en sera du moins ainsi jusqu’en 1912, au Congrès du Havre, qui
modifiera considérablement la structure Confédérale. Quoi qu’en
disent les militants confédéraux (C. G. T. ou C. G. T. U.), les
deux C. G. T. sont aujourd’hui centralisées et la décentralisation
n’est plus réelle, ne joue plus. C’est ce qui explique un peu la
succession de crises qui se dérouleront de 1914 à 1925 sans qu’on
en aperçoive d’ailleurs la fin. La mainmise des Fédérations sur
l’organisme Confédéral, celle plus forte encore du Bureau
Confédéral sur toute la C. G. T. (Syndicats, Unions, Fédérations),
ont placé, en réalité, la C. G. T. entre les mains de quelques
hommes qui ordonnent, exécutent, décident, sans qu’un contrôle
suffisant s’exerce. Sans doute tout cela n’est possible que parce
que les militants, les Syndicats, les Fédérations, les Unions, ne
contrôlent pas assez fréquemment leurs Bureaux, leurs Conseils,
leurs Comités et parce que la plupart du temps, ils enregistrent au
lieu de discuter et de dicter leurs volontés. Et ils subissent ainsi
tactiques et méthodes qu’ils devraient condamner. Les déviations
successives du syndicalisme viennent toutes de cette carence totale,
de cette absence de contrôle. Approuvés, parce qu’ils surent
faire adopter leurs points de vue, avaliser leur conduite, ratifier
leurs attitudes, les militants fédéraux et confédéraux, ceux-ci
inspirant ceux-là, ont de proche en proche, abandonné lentement
mais sûrement, sans s’en apercevoir toujours, les principes
essentiels du syndicalisme. Il n’y a pas d’autres raisons
syndicales à la crise. Les autres sont d’ordre politique et on les
retrouve à toutes les périodes de l’histoire ouvrière.
Depuis
le Congrès de Montpellier en 1902, la C. G. T. tint jusqu’à la
guerre cinq Congrès : Bourges (1904), Amiens (1906), Marseille
(1908), Toulouse (1910), Le Havre (1912). Un sixième était en
préparation à Grenoble, lorsque la guerre éclata en 1914.
Le
Congrès de Bourges, en 1904, eut, tout de suite, une très grosse
importance. Il s’agissait de déterminer l’action Confédérale.
Serait-elle réformiste et conciliatrice, ou révolutionnaire et
directe ? Telles étaient les deux questions posées au Congrès.
Pendant que le Livre, les Tabacs, les Chemins de fer étaient
partisans des premières, les autres, notamment le Bâtiment, les
Métaux, etc., étaient partisans de la seconde. Le premier point de
vue fut soutenu par Keufer du Livre, qui s’exprima ainsi : « Nous
n’admettons pas, disait-il, que la transformation sociale se fera
par une révolution brusque ; il faut d’autres moyens pour nous
conduire vers l’idéal auquel chacun de nous aspire ; il faut une
longue préparation mentale, il faut une modification morale des
individus.
La
violence n’est pas le meilleur moyen pour obtenir satisfaction et
la méthode révolutionnaire est dangereuse en ce sens, qu’elle
amènera inévitablement des représailles dont les travailleurs
seront victimes.
C’est
pourquoi nous maintenons notre opinion, nos préférences pour la
méthode réformiste, sans enlever la liberté des autres
organisations qui préconisent L’action révolutionnaire ; elles la
feront à leurs risques et périls. » On remarquera quelle
différence il y a entre le réformisme et la collaboration de
classes qui triomphe de nos jours. Pendant que Keufer recommandait la
prudence, Jouhaux, aujourd’hui, entre dans les organismes du
Gouvernement, délibère avec les capitalistes qu’il devrait
combattre en application des principes du syndicalisme. Les
majoritaires - à l’époque les révolutionnaires - tenaient un
langage différent. Que disaient-ils ? Ils proclamaient que le
syndicalisme est l’expression d’une lutte entre deux classes très
distinctes et irréconciliables : « d’un côté, ceux qui
détiennent le capital, de l’autre les producteurs qui sont les
créateurs de toutes les richesses, puisque le capital ne se
constitue que par un prélèvement effectué au détriment du travail
». Après cette constatation d’un antagonisme permanent, ils
déclaraient que « c’est une illusion pour les travailleurs de
compter sur les gouvernants pour réaliser leur émancipation »
attendu, disaient les termes de la déclaration préalable inscrite
en tête des statuts types de la C. G. T., que l’amélioration de
notre sort est en raison inverse de la puissance gouvernementale. »
Et
Jouhaux de conclure dans son ouvrage Le Syndicalisme et la C. G. T.,
pages 134-135
«
Donc, double affirmation d’anti-capitalisme et d’antiétatisme,
dont les auteurs tiraient la conséquence formelle, que les salariés,
impuissants s’ils demeuraient isolés, doivent s’unir d’abord
dans le Syndicat et par lui dans la C. G. T. pour mener eux-mêmes la
lutte contre les oppresseurs.
Ainsi,
le syndicalisme révolutionnaire s’affirmait comme l’organisation
du prolétariat en vue de la lutte à mener contre le capital pour la
suppression du salariat. Il se déclarait hostile à toute entente
permanente entre le capital et le travail, et il proclamait le
principe de l’action continue contre le patronat, la méfiance de
l’État et la nécessité de l’action directe, de la pression
immédiate des producteurs : Il ne répugnait pas aux améliorations
des conditions de travail ni aux réformes sociales, mais il ne
reconnaissait à celles-ci de valeur vraie qu’autant qu’elles
diminuaient la puissance du capitalisme et tendaient à accroître la
force émancipatrice du prolétariat. Il ne croyait enfin possible de
s’appliquer utilement à les obtenir que par l’activité propre
des salariés. »
Il
y a gros à parier qu’aujourd’hui Jouhaux et ses amis ne
soutiendraient pas pareille thèse. Et pourtant, il fut des 825 qui
se prononcèrent contre les 369 qui soutenaient, en 1904, la thèse
de Keufer. La Représentation proportionnelle, soutenue par Keufer et
ses amis ne fut pas, non plus, acceptée. Là encore, le syndicalisme
rompait avec la démocratie. C’est en 1904, à Bourges que fut
envisagée l’action pour les 8 heures, qui devait trouver en 1906
les travailleurs prêts à imposer cette revendication par la grève
générale. Après les manifestations de 1889, les fusillades de
Fourmies et de la Ricamarie, la journée de 8 heures cessa d’être
une affirmation théorique pour devenir le but des efforts ouvriers.
Voici,
à ce sujet, l’ordre du jour qui fut adopté par le Congrès de
Bourges : Le Congrès, considérant que les travailleurs ne peuvent
compter que sur leur action propre pour améliorer leurs conditions
de travail ; Considérant qu’une agitation pour la journée de 8
heures est un acheminement vers l’oeuvre d’émancipation
intégrale ; Le Congrès donne mandat à la Confédération
d’organiser une agitation intense et grandissante à l’effet que
le Ier Mai 1906, les travailleurs cessent d’eux-mêmes de
travailler plus de 8 heures.
C’est
à Bourges que remonte la véritable action pour les 8 heures en
France. Cette décision ne fut d’ailleurs pas suivie par toutes les
Fédérations. Le Livre en particulier soutint les 9 heures et cela
ne nuisit pas peu à la propagande et à l’action de la C. G. T.
Le
Congrès de Bourges eut une importance énorme que Griffuelhes, alors
Secrétaire de la C. G. T., - qui devait comme Pelloutier, marquer
toute cette époque de son inlassable activité, de son énergie
éclairée, - soulignait ainsi :
«
Ce qui se dégage du Congrès, c’est le sentiment très net des
militants français de mener un mouvement entièrement libre,
subordonnant son action à ses propres besoins, créant la lutte en
dehors de toute force extérieure et ne se préoccupant jamais que
des intérêts ouvriers. » Et c’est le Congrès d’Amiens, en
1906, qui devait confirmer de façon éclatante les décisions de
Bourges. C’est en effet à Amiens que fut mise debout la véritable
Charte du syndicalisme autour de laquelle, en 1925, tourne tout le
débat doctrinal et les discussions sur la reconstitution de l’Unité.
Battus
dans les Congrès antérieurs, les politiciens guesdistes, les
marxistes d’alors, tentèrent une offensive suprême. Elle fut
habilement menée par Renard du Textile qu
i
devait la renouveler, toujours sans succès en 1908 à Marseille, à
Toulouse en 1910 et au Havre en 1912. Il y avait des syndicalistes
alors, hélas ! aujourd’hui, il y en a beaucoup moins.
Voyons
comment les guesdistes tentèrent à Amiens de faire triompher leur
point de vue. Reproduisons le texte, trop oublié, de leur résolution
: Considérant qu’il y a lieu de ne pas se désintéresser des lois
ayant pour but d’établir une législation protectrice du travail
qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et
perfectionnerait ainsi les moyens de lutte contre la classe
capitaliste ; Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens
qui sont à leur disposition – (le bulletin de vote) c’est moi
qui ajoute et souligne - afin d’empêcher d’arriver au pouvoir
législatif les adversaires d’une législation sociale protectrice
des travailleurs.
Considérant
que les élus du parti socialiste ont toujours proposé et voté les
lois ayant pour objectif l’amélioration de la condition de la
classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ; Que tout
en poursuivant l’amélioration et l’affranchissement du
prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que
dés relations s’établissent entre le Comité confédéral et le
Conseil national du Parti socialiste, par exemple pour la lutte à
mener en faveur de la journée de 8 heures, de l’extension du droit
syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres
fonctionnaires de l’État ; pour provoquer l’entente entre les
Nations et leurs gouvernements, pour la réduction des heures de
travail, l’interdiction du travail de nuit des travailleurs de tout
sexe et de tout âge ; pour établir le minimum des salaires etc.,
etc... Le Congrès décide ; Le Comité confédéral est amené à
s’entendre, toutes les fois que les circonstances l’exigent, par
des délégations intermittentes ou permanentes, avec le Conseil
national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher les
principalesréformes sociales.
Renard
ne proposait rien d’autre que les fameux Comités d’action dont
on nous casse les oreilles aujourd’hui et qui doivent permettre au
Parti communiste de prendre le pouvoir. C’est autour de ce texte
que s’engage avant le Congrès une campagne très vigoureuse dans
tout le pays. Le parti socialiste voulait à tout prix triompher à
Amiens. Nous connûmes la même offensive avant le Congrès
constitutif de la C. G.T. à St Etienne en 1922. Mais avec cette
différence qu’à Amiens les politiciens furent battus à plate
couture, alors qu’ils vainquirent à St Etienne 16 ans plus tard.
C’est Merrheim, des unitaires de Roubaix, appelé à cette époque
au secrétariat de la Fédération des unitaires, qui lui donna la
réplique et quelle réplique ! « Vous avez voulu, disait Merrheim,
faire du syndicat un groupement inférieur, incapable de sortir de la
légalité. Nous affirmons le contraire. Il est un groupement de
lutte intégrale révolutionnaire et il a pour fonction de briser la
légalité qui nous étouffe, pour enfanter le droit nouveau que nous
voulons voir sortir de nos luttes. » Naturellement, comme
aujourd’hui, les orateurs de la tendance Renard dénoncèrent comme
une action anarchiste celle que menaient les syndicalistes
révolutionnaires. Ce qui faisait dire à ces derniers : « On a trop
parlé, déclara l’un d’eux, comme s’il n’y avait que des
socialistes et des anarchistes. On a oublié qu’il y a surtout des
syndicalistes. » Le syndicalisme est une théorie sociale nouvelle,
une doctrine particulière. Il faut, avec les Congressistes, se
prononcer sur elle. Il faut qu’ils disent que cette doctrine est
indépendante du socialisme et de l’anarchie. Le Secrétaire
général de la C. G. T. Victor Griffuelhes, prenant la parole le
dernier, déclara « En réalité, d’un côté, il y a ceux qui
regardent vers le pouvoir et de l’autre ceux qui veulent
l’autonomie complète contre le patronat et contre le pouvoir.
Comment s’établirait cet accord fait de concessions mutuelles
entre un Parti qui compte avec le Pouvoir, car il en subit la
pénétration et nous qui vivons en dehors de ce pouvoir ? Nos
considérations ne seraient pas toujours celles du Parti, d’où
impossibilité d’établir les rapports demandés. » Il n’y a
rien de changé. Aujourd’hui les mêmes obstacles se présentent.
En
produisant semblables affirmations, Griffuelhes annonçait le divorce
total du syndicalisme avec la Bourgeoisie et le Pouvoir. Keufer, du
Livre, présentait une thèse mixte qui, par un paradoxe assez
singulier, est devenue celle de ses adversaires d’alors, les
dirigeants actuels de la C. G. T. Àu nom des réformistes, Keufer se
prononçait pour l’autonomie syndicale vis-à-vis de tous les
Partis politiques et concevait l’organisation ou l’action
syndicale selon la méthode trade-unioniste anglaise, la méthode
corporative qui vouait le syndicat à ne poursuivre que des
améliorations corporatives. II affirmait d’ailleurs que l’action
parlementaire devait s’exercer parallèlement à l’action
syndicale. Ni la thèse de Renard, ni celle de Keufer n’obtinrent
de succès. La Résolution présentée par Griffuelhes, devenue la
charte d’Amiens, obtint 824 voix contre 3 à la motion Renard.
Ci-dessous
cette charte fameuse :
Le
Congrès confédéral d’Amiens confirme L’article 2 des statuts
constitutifs de la C. G. T., disant : La C. G. T. groupe en dehors de
toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à
mener pour la disparition du salariat et du patronat. Le Congrès
considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte
de classe qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en
révolte contre tous toutes les formes d’exploitation et
d’oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la
classe capitaliste contre la classe ouvrière ; Le Congrès précise,
par les points suivants cette affirmation théorique : Dans l’oeuvre
revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination
des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des
travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates,
telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des
salaires, etc... Mais cette besogne n’est qu’un des côtés de
l’oeuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale
des travailleurs avec, comme moyen d’action, la grève générale,
et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de
résistance, sera dans l’avenir, le groupe de production et de
répartition, base de la réorganisation sociale.
Le
Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir,
découle de la situation de salariés qui pèse sur la classe
ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient
leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un
devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat ;
Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès
affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en
dehors du groupement. corporatif, à telle forme de lutte
correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant
à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le
syndicat les opinions qu’il professe au dehors.
En
ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que
le syndicalisme atteigne son maximum d’effets, l’action
économique doit s’exercer directement contre le patronat, les
organisations confédérales n’ayant pas, en tant que groupements
syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors
et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la
transformation sociale.
C’est
autour de cette charte dont les politiciens proclament aujourd’hui
la caducité que se livrent, depuis 5 ans, les batailles les plus
terribles entre réformistes collaborationnistes, syndicalistes
révolutionnaires et communistes. La portée de cette résolution,
qui marque l’avènement du syndicalisme comme unique force
révolutionnaire des travailleurs, fut considérable. Elle domina et
domine encore de très haut tous les conflits entre ouvriers et
politiciens. Griffuelhes avait vu clair, juste et loin. Non
seulement, la charte d’Amiens proclame la neutralité du
syndicalisme vis-à-vis des partis, mais encore elle l’exige du
syndiqué dans le syndicat. Elle déclare très nettement que la
qualité de membre d’un Parti ou d’un groupement philosophique ne
peut être ni une cause d’admission privilégiée, ni une cause de
radiation spéciale de la part du syndicat. Elle place ainsi le
producteur en première ligne, au-dessus du citoyen. Et c’est
juste, parce que le travailleur est une réalité de tous les jours,
invariable dans son état comme dans ses désirs, tandis que le
citoyen est une entité fugace. Le citoyen peut changer d’opinions,
devenir par le jeu de l’évolution ou de l’involution
l’adversaire de ce qu’il soutenait âprement hier, soit par
conscience, soit par intérêt ; le travailleur, lui, reste semblable
à lui-même ; il subit en tant que salarié la double exploitation
et la double oppression du capitalisme et de l’État. Ce n’est
qu’après avoir assuré économiquement sa défense de classe
contre les
capitalistes
de toutes écoles politiques et philosophiques réunis, eux, en
faisceau de classe compact, que le travailleur a le droit et la
possibilité de faire de la politique et de philosopher à son aise.
Il déclare d’ailleurs nettement que si philosopher ne saurait
nuire et au contraire à son éducation et à son activité sociale,
il serait infiniment préférable que le travailleur s’abstînt de
participer aux luttes politiques où il est souvent appelé à agir,
sur ce plan particulier, aux côtés et en accord de certains de ses
adversaires de classe : patrons dits libéraux, mais patrons avant
tout. Si le travailleur s’abstenait de fréquenter les groupements
politiques prometteurs ou endormeurs, il n’est pas douteux que le
syndicalisme serait depuis longtemps le seul groupement de classe de
tous les ouvriers et qu’il les rassemblerait tous sous sa bannière.
Le triomphe du syndicalisme qui, depuis Amiens, a rompu avec le
Pouvoir, qu’il soit démocratique ou non, avec la Bourgeoisie et
toutes ses institutions politiques et économiques, pour affirmer son
rôle et sa mission d’avenir, serait depuis longtemps un fait
accompli.
Le
syndicat, de par la charte d’Amiens, n’est pas seulement un
instrument de combat dam la société actuelle, il devient, dans sa
conception, l’organe même de la transformation sociale, la cellule
de base de la société à venir, celle-ci étant organisée par lui
dans les domaines de la production et de la répartition. L’attitude
de neutralité du syndicalisme à l’égard des partis politiques
est davantage qu’une méfiance des luttes électorales et
parlementaires. S’il en était autrement, ce ne serait qu’une
position temporaire et par conséquent révisable. Ce n’est pas le
cas.
De
cette neutralité découle, dans la réalité, l’idée que le
syndicalisme s’étend et oeuvre sur un plan très différent des
partis politiques et que l’action politique et syndicaliste
s’exerce sur deux terrains très distincts. Telle fut l’oeuvre
magistrale réalisée à Amiens. Nous aurons l’occasion de revenir
sur la valeur de cette charte, lorsque nous examinerons les luttes
qui dressent les unes en face des autres les fractions - aujourd’hui
dispersées - du mouvement syndicaliste français.
Quelle
que soit l’évidente clarté de la charte d’Amiens, elle ne
parvint pas à dissiper toutes les équivoques, à éviter les
querelles. Et aujourd’hui, plus que jamais, c’est autour d’elle
qu’on se dispute.
Peu
après Amiens, le mouvement confédéral devait connaître encore un
autre péril. Ce fut l’époque de l’« hervéisme » et Gustave
Hervé - qui, depuis... - s’imagina un instant qu’il avait rallié
le syndicalisme à ses théories. Les Congrès de Marseille en
1908
et de Toulouse en 1910, se chargèrent de détruire ses illusions. Ce
n’est pas en vain que le syndicalisme avait défini sa doctrine et
son activité propres.
La
charte d’Amiens fut encore confirmée en 1912 au Congrès du Havre,
le dernier Congrès d’avant-guerre. Après une longue discussion,
souvent très âpre, sur l’orientation syndicale, le Congrès vota
la résolution ci-dessous : Le Congrès, à la veille de reprendre,
pour l’intensifier, l’agitation confédérale en vue de réduire
le temps de travail, tient à nouveau à rappeler les caractères de
l’action syndicale, de même qu’à fixer la position du
syndicalisme ; Le syndicalisme, mouvement offensif de la classe
ouvrière, par la voie de ses représentants, réunis en Congrès,
seuls autorisés, s’affirme encore une fois décidé à conserver
son autonomie et son indépendance qui ont fait sa force dans le
passé et qui sont le gage de son progrès et de son développement ;
Le Congrès déclare que, comme hier, il est résolu à s’écarter
des problèmes étrangers à son action prolétarienne, susceptibles
d’affaiblir son unité si durement conquise et d’amoindrir la
puissance de l’idéal poursuivi par le prolétariat groupé dans
les syndicats, Bourses du Travail, les Fédérations corporatives et
dont la C. G. T. est le représentant naturel ; De plus, le Congrès
évoquant les batailles affrontées et les combats soutenus, y puise
la sûreté de son action, la confiance en son avenir, en même temps
qu’il y trouve la raison d’être de son organisation toujours
améliorable ; C’est pourquoi, dans les circonstances présentes,
il confirme la constitution morale de la classe ouvrière organisée,
contenue dans la déclaration confédérale d’Amiens (Congrès de
1906).
L’action
confédérale fut aussi dirigée contre le militarisme, le
patriotisme et la guerre. Le Congrès de Marseille (1908) en
particulier vota une motion qui eut quelque retentissement. Le
Congrès Confédéral de Marseille rappelant et précisant la motion
d’Amiens : Considérant que l’armée tend de plus à remplacer à
l’usine, aux champs, à l’atelier, les travailleurs en grève,
quand elle n’a pour rôle de les fusiller comme à Narbonne, à
Raon-l’Étape et à Villeneuve Saint-Georges ;
Considérant
que l’exercice du droit de grève ne sera qu’une duperie tant que
les soldats accepteront de se substituer à la main d’oeuvre civile
et consentiront à massacrer les travailleurs ; Le Congrès, se
tenant sur le terrain purement économique, préconise l’instruction
des jeunes pour que, du jour où ils auront revêtu la livrée
militaire, ils soient bien convaincus qu’ils n’en restent pas
moins membres de la famille ouvrière et que, dans les conflits entre
le travail et le capital, ils ont pour devoir de ne pas faire usage
de leurs armes contre leurs frères travailleurs ; Considérant que
les frontières géographiques sont modifiables au gré des
possédants, les travailleurs ne reconnaissent que les frontières
économiques, séparant les deux classes ennemies, la classe ouvrière
et la classe capitaliste Le Congrès rappelle la formule de
l’Internationale :
Les
travailleurs n’ont pas de patrie ; qu’en conséquence, toute
guerre n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière, qu’elle
est un moyen sanglant et terrible de diversion à ses revendications
; Le Congrès déclare qu’il faut, au point de vue international,
faire l’instruction des travailleurs afin qu’en cas de guerre
entre puissances, les travailleurs répondent à la déclaration de
guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire.
Cette thèse, déjà soumise aux autres Centrales Nationales au cours
des conférences internationales, ne fut jamais acceptée par les
Allemands qui refusèrent de connaître l’antipatriotisme et
l’antimilitarisme comme des questions intéressant le syndicalisme.
Ceci prouve toute la différence qui existe entre le mouvement
ouvrier français et tous les autres mouvements qui tous, à
l’exception d’une partie des mouvements espagnol et italien,
reposent sur la conception social-démocrate. C’est de cette
incompréhension que découlera l’impuissance du mouvement
syndicaliste de tous les pays belligérants en face de la guerre.
L’entrevue que Jouhaux et Legien eurent à Bruxelles fin juillet
1914 consacra cette impuissance. C’était la répétition plus
brutale encore de l’entrevue Griffuelhes Legien, à Berlin, en
1906, su sujet du premier conflit marocain qui en ce moment rebondit
pour la troisième fois et risque d’ensanglanter le monde. Lorsque
j’étudierai ici l’action internationale du mouvement ouvrier
français ; j’exposerai en détail ce que furent les Conférences
et Congrès internationaux. Nous voici maintenant à la veille de la
guerre. La grève générale n’est point déclarée et la guerre
éclate. Jaurès est tué par Villain le 31 juillet 1914 et la
mobilisation est décrétée le 2 août. Que va faire la C. G. T. ?
Impuissante à déclencher la grève générale va-t-elle rester
neutre, en attendant l’heure de son intervention possible contre le
fléau ou au contraire, emboîter le pas aux gouvernants ? C’est là
que se placent de dramatiques incidents. Le Bureau Confédéral a
décidé de fuir, de gagner l’Espagne. Il a pour cela frété un
bateau qui doit le conduire de la Rochelle à St Sébastien.
Mais
le gouvernement, a eu vent de ce qui se prépare. Il sait que si le
Bureau de la C. G. T. quitte la France, c’est pour mener une action
vigoureuse contre la guerre, de l’étranger. Le Ministre de la
guerre, Messimy veut appliquer immédiatement le carnet des suspects
dit « carnet B ». Malvy, ministre de l’Intérieur, temporise
pendant que Viviani, Président du Conseil, craignant une émeute par
suite de l’assassinat de Jaurès, émeute qui rendrait la
mobilisation impossible, lance une proclamation au Peuple, l’invite
au calme et promet la punition du coupable. Tous ces événements se
déroutent à une vitesse vertigineuse. Là C. G. T. reste pour le
gouvernement l’X mystérieux. C’est alors que Malvy a une idée
géniale autant que malfaisante. Il délègue auprès du Bureau
confédéral un avocat jusqu’alors considéré comme socialiste
révolutionnaire d’extrême gauche, très au courant des choses
ouvrières, qu’on nous assure - sans que nous puissions l’affirmer
- être M. Pierre Laval, ministre des Travaux publics, au moment où
j’écris ces lignes (ce qui est de nature à renforcer
notre
conviction). Cet avocat annonce au Bureau Confédéral que le
gouvernement connaît ses projets d’embarquement et qu’il est
décidé, par l’arrestation immédiate, à en empêcher
l’exécution.
Le
Comité Confédéral est réuni immédiatement. Il ne prend aucune
décision. - Le Bureau est livré à lui-même et perd la tête. II
va chez Malvy et se rend aux raisons de celui-ci. Désormais, il sera
derrière le Gouvernement. Il participera, avec toute la C. G. T., à
l’union sacrée... Jaurès est enterré le 2 août. Jouhaux se rend
aux funérailles. Àu nom de la C. G. T., il parle et c’est pour
dire : « Comment trouver des mots ? Notre cerveau est obscurci par
le chagrin et notre coeur est étreint par la douleur. C’est encore
dans son souvenir que nous puiserons les forces qui nous seront
nécessaires.
Àu
nom des organisations syndicales, au nom de tous les travailleurs qui
ont déjà rejoint leur régiment et de ceux - dont je suis - qui
partiront demain, je déclare que nous allons sur les champs de
bataille avec la volonté de repousser l’agresseur : c’est la
haine de l’impérialisme qui nous entraîne. » Jouhaux ne partit
pas. Je ne le lui reproche pas. Ce que je lui reproche, par contre,
ce sont les paroles prononcées sans mandat, au nom des travailleurs
non consultés. - La C. G. T. souscrivait à la guerre. C’en est
fait. C’est la capitulation. Le Carnet B n’est pas appliqué.
Malvy a gagné la partie. Il convient cependant d’être juste,
surtout lorsqu’on est sévère. Si le Bureau Confédéral faillit à
ses devoirs, il ne fut soutenu par personne. Partout, ce n’était
qu’abdication, enthousiasme pour cette guerre du droit ( ?) Àu
lieu des cris de À bas la guerre qu’on aurait dû entendre,
c’était ceux de À Berlin qui retentissaient. Une immense vague de
chauvinisme balayait le pays. Et comme il est difficile de se
reprendre, l’abdication s’aggrava bientôt. Ce fut après
Charleroi et la ruée sur Paris, la fuite du Bureau Confédéral à
Bordeaux, avec le Gouvernement ; ce furent les Terrassiers de Paris,
les sans-travail embauchés par Gallieni pour défendre Paris. Quels
tristes événements ! Il faudra près d’un an avant que
n’apparaissent les premiers et timides symptômes de l’effort
anti-guerrier. C’est sous les auspices du Comité pour la reprise
des relations internationales auquel adhèrent : Merrheim, Bourderon,
Chaverot, Sirolle, Souvarine, etc...- et, où, Trotsky, encore à
Paris, joue un rôle prépondérant, que s’organise l’action
contre la guerre. Merrheim est l’inlassable apôtre de la paix.
Accompagné de Bourderon, il se rend à Zimmerwald, en 1915, pour y
rencontrer les autres pacifistes européens. Ledebour, y représente
l’Allemagne où Karl Liebknecht mène une action pacifiste
vigoureuse, en compagnie de Rosa Luxembourg. Grimm représente la
Suisse. Lénine représente la Russie. Cette entrevue est dramatique
au possible. Pendant 6 heures sans discontinuer, Merrheim et Lénine
discutent pied à pied. Lénine voudrait qu’en rentrant en France,
Merrheim déclenchât l’insurrection contre la guerre. Celui-ci lui
déclare que c’est impossible, qu’il ne serait pas suivi. Il
ajoute qu’il n’est d’ailleurs pas certain de rentrer. Par
contre Merrheim croit qu’il est possible d’intensifier l’action
pour la paix ; d’amener, sans brusquerie, le prolétariat français
à se dresser contre la guerre. La Conférence de Zimmerwald, si elle
ne prit en fait aucune décision, n’en marque pas moins le
commencement du redressement du mouvement syndical français. Ce fut
aussi la reprise des relations internationales rompues par la guerre.
C’est sous le couvert de cette action pacifiste, qui va
s’intensifier rapidement, que le syndicalisme se ressaisira.
Bientôt, il prendra figure d’opposition organisée et solidement
groupée dans le Comité de Défense Syndicaliste avec Merrheim, Rey,
Péricat, Andrieux, J.-B. Vallet et tant d’autres. La province
suit. De graves événements encore mal connus ont lieu à Toulouse
où un bataillon se révolte.
Des
centres permanents d’agitation se créent à Saint-Étienne,
Bourges et Decazeville, sous l’impulsion de Merrheim. L’action
pacifiste s’organise partout et à Decazeville, Verdier applique
une formule nouvelle : l’occupation des usines et le fonctionnement
de ces usines par les ouvriers.
C’était
la bonne. C’est celle-là qu’il faudra appliquer demain, si on
veut priver le capitalisme de ses moyens de faire la guerre. C’est
cette précision qui manquait à la motion votée à Marseille en
1901, c’est celle que l’Union Fédérative des Syndicats
autonomes de France a exposée récemment.
Si
cette action n’atteint pas le but indiqué par Lénine - et elle
eût pu l’atteindre si l’action révolutionnaire de Decazeville
avait été amplifiée et suivie - elle a au moins pour conséquence
de fortifier considérablement la minorité syndicaliste
révolutionnaire qui combat violemment la majorité.
Des
séances tumultueuses ont lieu au Comité Confédéral ou Merrheim et
Jouhaux se dressent face à face.
Dumoulin,
mobilisé et Monatte également mobilisé, luttent aux côtés de la
minorité. Et c’est l’arrivée de Clémenceau au pouvoir avec sa
formule « Je fais la guerre ». Immédiatement c’est le régime de
la brutalité qui s’instaure. C’est aussi celui du mouchardage
ignoble avec Ignace et Mandel. Merrheim est appelé plusieurs fois
par Clemenceau qui veut le forcer à abandonner son action pacifique.
Il ne s’y rend pas et continue sa courageuse besogne.
Enfin,
il cessera un jour, sans qu’on sache exactement pour quelles
raisons. Et c’est le démantèlement des forteresses de Bourges, de
Saint-Étienne, de Decazeville, c’est l’emprisonnement de Péricat
et des militants de la Loire et la Conférence de Clermont-Ferrand en
1917, où il semble possible de ressouder les forces confédérales.
Hélas !, ce n’est qu’un espoir vite déçu. Mal conseillé, mal
entouré, Jouhaux continue son erreur, alors qu’il lui était
possible encore de revenir dans la bonne voie. La minorité
syndicaliste atteindra son apogée au Congrès de Saint Étienne que
préside Dumoulin, alors détaché à Roche-la-Molière. Puis c’est
le retour de Merrheim au bercail confédéral, retour qui sera suivi
de celui de Dumoulin, convaincu à son tour dans la nuit qui marque
la fin du Congrès Confédéral de Paris en 1918. La minorité a
désormais ses chefs de guerre, ceux qui lui montrèrent la route à
suivre.
Elle
est démantelée, débandée, elle périclite, cependant que la
guerre prend fin. C’est singulièrement affaiblie qu’elle se
présentera au Congrès de Lyon en 1919 où sera liquidée l’action
confédérale pendant la guerre.
Entre
temps, pourtant, il y eut quelques tentatives de redressement
général. Une grève générale a été décidée pour le 21 juillet
1919 pour faire triompher le programme minimum exposé aux
travailleurs parisiens par Jouhaux et Merrheim au Cirque d’Hiver,
le 24 novembre 1918. Qu’était-il, au juste, ce programme minimum
de la C. G. T. ? Faisant siens les 14 points qui constituaient le
programme du Président Wilson, que la C. G. T. et le Parti
socialiste étaient allés recevoir à son débarquement à Brest, la
Confédération Générale du Travail en faisait la base de son
action immédiate sur laquelle elle greffait son programme de
réalisations essentielles et minimum.
1°
La C. G. T. demandait des conditions de paix qu’elle définissait
en 5 points : a) La Société des Nations pour la libre coopération
des Peuples, en vue de faire disparaître la guerre et
l’établissement de la justice internationale ; b) La coopération
de toutes les nations, sous l’égide de la S. D. N. contre tout
pays qui, passant outre aux décisions d’arbitrage, déclarerait
néanmoins la guerre ; c) La création d’un Office International
des Transports et de répartition des matières premières pour la
satisfaction rationnelle des besoins des Peuples ; d) Pas d’annexion
territoriale, pas de représailles inspirées par la vengeance, mais
réparations des dommages causés. Droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes ; e) Constitution juridique mondiale par la Société
des Nations. Désarmement général et lutte contre les militarismes.
Triomphe de la démocratie internationale.
2°
La C. G. T. demandait que les organisations centrales des pays
belligérants participent à la discussion et à l’élaboration du
Traité de paix. Elle déclarait aussi nécessaire la tenue d’un
Congrès International.
3°
Le rétablissement de toues les garanties constitutionnelles de
toutes les libertés : droits de parole et de réunion, la
suppression de la censure, l’amnistie pleine et entière, la
libération des prisonniers étrangers des camps de concentration.
4°
La reconnaissance du droit ouvrier par la reconnaissance du droit
syndical à tous les fonctionnaires de l’État, la révision du
Code d’inscription maritime. La reconnaissance du droit
d’intervention des Syndicats dans toutes les questions intéressant
le travail. L’utilisation des bordereaux de salaire et leur
généralisation par l’établissement de contrats collectifs sous
le contrôle des organisations syndicales.
5°
L’institution de la journée de 8 heures dans le commerce et
l’industrie, la suppression du travail de nuit dans les
boulangeries ainsi que dans les industries à feu continu,
l’interdiction des métiers insalubres aux femmes et aux
adolescents âgés de moins de 18 ans, la prolongation de la
scolarité à 14 ans.
6°
Le contrôle ouvrier pour le réajustement des productions de guerre
aux productions de paix, l’institution d’un Conseil économique
national et de Conseils régionaux au sein desquels serait
représentée la classe ouvrière par des délégués désignés par
elle. La fixation des règles de la démobilisation et de la reprise
de l’activité économique.
La
reconstitution des fonds de chômage et leur répartition sous, le
contrôle des organisations ouvrières.
7°
La reconstruction des régions libérées sous le contrôle
d’organismes collectifs ayant personnalités civile et
administrative et composés de producteurs et de consommateurs.
L’obligation du remploi et la reconstitution opérée suivant les
lois de l’hygiène et du progrès.
8°
La réorganisation économique. La C. G. T. réclame, pour l’avenir,
la part de direction et de gestion de la production nationale qui
doit revenir aux travailleurs organisés, la sauvegarde des droits
collectifs par la classe ouvrière, le contrôle des entreprises qui
se développent avec le concours de l’État, la surveillance des
concessions faites par l’État à des Entreprises industrielles.
9°
Le retour à la nation des richesses nationales. C’est-à-dire des,
mines, chemins de fer, ports, houille blanche et verte, etc. La C. G.
T. présentait d’ailleurs cette partie de son programme sous la
forme d’un contrôle collectif sur ces richesses. Ce n’est que
par la suite qu’elle posera le principe des nationalisations
industrielles, au cours des grandes grèves de 1920.
10°
La lutte contre les fléaux sociaux : l’alcoolisme, le taudis, le
chômage, l’invalidité, la maladie, la vieillesse.
11°
Le recrutement, l’exercice des droits, l’organisation rationnelle
de l’immigration, la fixation du contrat de travail pour les
ouvriers étrangers, sous le contrôle des organisations syndicales
du pays intéressés.
12°
L’extension de l’assurance sociale à tous les travailleurs,
étrangers compris.
13°
La lutte contre la vie chère. La création d’Offices municipaux
corporatifs, nationaux, publics d’alimentation populaire, supposant
la réquisition des produits. La suppression des droits de douane,
régie et octroi. Les Offices devront être gérés par des délégués
directs du travail organisé, et des consommateurs.
14°
La répartition des charges budgétaires par l’application de la
loi sur les bénéfices de guerre, l’impôt sur lé revenu et les
successions.
C’est
ce programme minimum qui fut accepté à l’unanimité par le
premier Comité Confédéral d’après-guerre, les 15 et 16 décembre
1918. Ce même Comité avait modifié aussi la structure confédérale.
Les Bourses disparaissaient pour faire place aux Unions
départementales, fédérations départementales des Unions locales
ou Bourses du travail. Ce projet fut dressé par Lapierre. De même
la Fédération d’industrie remplaçait celle des métiers. À
partir de ce moment, la C.G.T. est composée des Fédérations
nationales d’industrie et des Unions départementales. Ce système
serait parfait si, en fait, les Fédérations, organes
centralisateurs, ayant leur siège à Paris, ne jouaient pas un rôle
par trop dominant, si les Unions locales n’étaient pas réduites à
un rôle social subalterne et si les Unions départementales, organes
de décentralisation sociale, correspondaient à un besoin économique
réel au lieu d’être des délimitations politiques sans valeur,
déterminée dans le domaine économique. Le programme minimum, avant
de recevoir la sanction du Congrès Confédéral de Lyon en 1919,
subit le feu de la critique de la minorité, qui commençait à
regrouper ses forces une seconde fois. Dès qu’il fut exposé su
Cirque d’Hiver, il fut violemment attaqué et il fallut toute
l’habileté de Merrheim pour le faire accepter - si on peut dire -
aux travailleurs parisiens.
Ceux-ci
sentaient que ce programme, mi-politique, mi-économique n’était
pas un programme spécifiquement syndical. Ils comprenaient que pour
le réaliser, il fallait compter sur le pouvoir, composer avec lui,
collaborer avec l’État dans toutes sortes de Commissions,
d’organismes et s’asseoir en face des patrons dans des organismes
mixtes, travailler à la constitution des monopoles d’État et
faire de l’État un patron privilégié, bien qu’il soit
doublement tyrannique, politiquement et économiquement, et
incompétent par-dessus le marché.
Les
travailleurs sentaient que tout ce programme qui ne pouvait, à part
quelques questions réellement d’ordre ouvrier et placées là tout
exprès pour faire accepter l’ensemble, devenir une réalité
qu’avec le concours des Pouvoirs publics, dont la C. G. T., serait
un rouage économique autant que politique. C’était l’abandon de
toute la doctrine, de toute l’action confédérale confirmées sans
cesse par les Congrès de Limoges, de Bourges, d’Amiens, de
Marseille, de Toulouse et du Havre. C’était, après le divorce
retentissant, le mariage avec la démocratie. C’était aussi
l’abandon de l’action directe pour la pratique forcée de
l’action parlementaire et de l’action compromettante avec les
Pouvoirs publics. C’était la rectification générale du tir
confédéral qui jetait la C. G. T. dans les bras de la démocratie.
Depuis 1919, cette politique n’a fait que s’accentuer et la C. G.
T. est devenue un appendice du Gouvernement.
Les
syndicalistes révolutionnaires eurent un tort, celui-ci : s’en
prendre aux hommes, à leurs trahisons, à leurs reniements, au lieu
de dresser immédiatement en face du programme minimum leur propre
programme. Cette besogne ne fut accomplie qu’en 1921 pour le
Congrès de Lille, par le Comité Central des Syndicats
révolutionnaires. C’était trop tard. La scission était
inévitable. C’est donc, comme je le disais plus haut, pour
défendre ce programme que, disciplinées dans l’action, toutes les
fractions de la C. G. T. décidèrent de suivre le mot d’ordre de
grève générale qui devait être lancé le 21 juillet 1919. Comme
il fallait s’y attendre et malgré une intense et générale
propagande, ce programme ne rencontra pas l’adhésion unanime des
travailleurs. Sentant le fiasco, s’exagérant peut-être aussi le
péril, la C. G. T. capitula sans combattre, ce qui est bien pis que
à être vaincu en se battant. L’histoire de ces événements est
mal connue. Elle ne le sera sans doute jamais.
Ce
fut peut-être une satisfaction mesurée donnée aux désirs de lutte
des travailleurs et un moyen de pression sur le pouvoir ; ce ne fut
peut-être aussi, hélas !, qu’une capitulation de plus entre les
mains de la bourgeoisie. Le saurons-nous jamais ? Une chose au moins
est certaine : c’est que devant la déroute du colosse confédéral,
qui représentait plus de 2 millions de travailleurs, la Bourgeoisie,
un instant apeurée, reprit confiance en elle-même. Le hasard des
consultations électorales ayant amené au Pouvoir la partie la plus
réactionnaire de la Bourgeoisie, celle-ci prépara la destruction de
la C. G. T., sans considération de la politique suivie par celle-ci
pendant la guerre et jusqu’alors. Ce fut la lutte de classe,
reprise par le capitalisme réactionnaire contre une C. G. T. qui
voulait collaborer à tout prix et, malgré les humiliations
renouvelées, n’y parvenait pas.
La
résolution votée par le Congrès Confédéral de Lyon marquait
adroitement tout cela. Elle était rédigée si habilement que, si ce
n’était l’esprit connu de ses auteurs, pas un minoritaire
syndicaliste n’eût pu ne pas la voter. Celle de la minorité
recueillit cependant 312 voix, qui grossirent rapidement. Quelle que
soit la longueur de cette résolution de la C. G. T., il faut, pour
la clarté de ce qui va suivre, pour la compréhension des événements
présents, la reproduire en entier. La voici :
Émanation
directe des forces ouvrières organisées, le Congrès Confédéral
proclame à nouveau, avec une conviction renforcée par toute
l’expérience passée comme par l’effroyable catastrophe qui a
désolé le monde, que l’idéal syndicaliste s’accomplira
seulement par la transformation totale de la société.
Issue
de la lutte de classe, expression complète de la situation faite au
Prolétariat, s’inspirant pour son action et dans son objet de la
défense des intérêts professionnels et du développement complet
des droits du travail, l’organisation ouvrière répète que son
but essentiel est la disparition du patronat et du salariat. La lutte
de classe, elle la constate comme un fait dont elle entend tirer
toutes les conséquences.
Cette
lutte ne pouvant prendre fin qu’avec la suppression de toutes les
classes, de tous les privilèges économiques et sociaux, elle doit
aboutir à une organisation nouvelle de la collectivité.
Participation égale de tous aux charges et aux droits que les
rapports des hommes font naître, tel est le principe initial sur
lequel le mouvement ouvrier entend instaurer un régime nouveau ; il
réalisera celui-ci, suivant ses conceptions propres avec les
organismes qu’il aura lui-même créés et dont le caractère
essentiel doit être de donner aux forces de la production la
direction et le contrôle de l’économie collective : créateur de
toutes les richesses, élément qui commande l’activité sociale,
le travail entend être tout parce que les autres facteurs de la
Société ne sont que ses subordonnés ou ses parasites. Ainsi, sans
qu’aucune équivoque puisse être possible, le syndicalisme déclare
qu’il est dans son origine, son caractère présent, son idéal
permanent, une force révolutionnaire.
Imprégné
de ces principes et de ce but, le Congrès Confédéral de Lyon
rappelle et reprend les termes de la résolution d’Amiens qui
déclare (Ici texte complet de la motion d’Amiens déjà
transcrit.) Le Congrès estime en outre nécessaire de dire que cette
déclaration ne se borne pas à affirmer, pour un moment donné, de
façon provisoire et révisable, la neutralité des organisations
professionnelles à l’égard des Partis ou des Ecoles, des
doctrines ou des philosophies, mais qu’elle proclame de façon
permanente cette conception fondamentale de l’action syndicale qui
est l’action directe.
Il
ne peut laisser croire par contre que cette action trouve son
expression exacte et exclusive dans des actes de violence ou de
surprise, ni qu’on la puisse considérer comme une arme pouvant
être utilisée par des groupements extérieurs au syndicalisme.
C’est
parce qu’ils sont producteurs que le Syndicat appelle à lui tous
les travailleurs
et
c’est l’utilisation de la force qu’ils tiennent de leur
fonction productive qui est la
puissance
de l’organisation ouvrière.
Plus
que toute autre force sociale présente, il produit ce fait essentiel
qui est la Confédération Générale du Travail conséquence fatale
de l’activité collective moderne : le recul de la politique devant
l’économie.
Continuer
la production pour satisfaire les besoins des hommes, l’accroître
pour mettre à la disposition de tous une plus grande somme de
richesses consommables, ainsi se traduisent ses préoccupations
auxquelles la situation mondiale résultant de la guerre donne une
gravité formidable.
Le
mouvement ouvrier affirme qu’il doit et qu’il peut y répondre,
mais il déclare aussi que tout effort dans ce sens n’est plus
conciliable avec le maintien de l’état actuel ; l’appel au
travail, auquel, les travailleurs sont prêts à répondre, ne peut
se comprendre désormais qu’avec la reconnaissance totale des
droits du travail, Le mouvement syndical ne peut être que
révolutionnaire ; puisque que son action doit avoir pour effet de
libérer le travail de toutes les servitudes, de soustraire tous les
produits à tous les privilèges, de mettre toutes les richesses
entre les mains de ceux qui concourent à les créer. Cette
conception, réalisée par l’effort des travailleurs, se fera
suivant les modalités du Travail lui-même constituant l’ordre
nouveau, basé non sur l’autorité ; mais sur les échanges, non
sur la domination, mai sur la réciprocité, non sur la souveraineté,
mais sur le contrat social.
L’action
quotidienne du Syndicat est une préparation à ce renversement des
valeurs. Toute manifestation de la force ouvrière, tend, en effet, à
l’heure présente, à la conclusion des contrats CE SERÀIT UNE
ERREUR PROFONDE D’Y VOIR UNE COLLABORATION ; les conventions
collectives, qu’elles s’étendent d’un atelier, ou à toute une
région, ou à une corporation sur toute l’étendue du territoire,
possèdent une valeur de transformation, parce qu’elles limitent
l’autorité patronale, parce qu’elles ramènent les relations
entre employeurs et employés à un marché qui encourage l’effort,
sans apaiser l’énergie, puisque le travail n’y trouve pas la
reconnaissance à tous ses droits, mais la satisfaction d’amoindrir
l’absolutisme patronal en introduisant, dans l’atelier ou
l’usine, le contrôle d’un puissance non assujettie à
l’exploitation du patronat, d’une force d’émancipation : Le
Syndicat. S’inspirant du même esprit qui l’a déjà amené à
réclamer des mesures efficaces contre la vie chère, démonstration
même du gâchis économique dans lequel se débat la Société, le
Syndicalisme déclare qu’il entend faire un effort pour aboutir aux
solutions nécessaires, non dans un intérêt égoïste, mais dans le
ferme désir de trouver une solution satisfaisante pour la
collectivité.
CETTE
REORGANISATION INDUSTRIELLE, CE RETOUR À L’ÉQUILIBRE NE PEUVENT
PAS ÊTRE OBTENUS PÀR LES PALLIATIFS QUE PROPOSE CE POUVOIR. LE
RÉGIME ÀCTUEL REPOSE TROP SUR LÀ DÉFENSE DES PROFITS PARTICULIERS
POUR QU’ON PUISSE ATTENDRE DE LUI LES SOLUTIONS QUI S’IMPOSENT.
L’impuissance
de la classe dirigeante et des organisations politiques s’affirme
de jour en jour plus forte, plus forte aussi apparaît constamment la
nécessité pour la classe ouvrière de prendre ses responsabilités
dans la gestion de la Société. Le mouvement syndical a dû ainsi
envisager les solutions qui s’imposent sans délai. Il n’en
saurait trouver de plus urgentes, de plus nécessaires, que la
nationalisation industrialisée sous le contrôle des producteurs et
des consommateurs, des grands services de l’Economie moderne : les
transports terrestres et maritimes, les mines, la houille blanche,
les grandes organisations de crédit. L’exploitation directe par la
collectivité des richesses collectives, la mise sous son contrôle
des fonctions et des organismes qui commandent les opérations
industrielles de transformation de ces richesses et de leur
répartition, sont une condition essentielle de la réorganisation
que nous voulons poursuivre. Mais constatant L’impuissance
politique et le caractère même du Pouvoir, NOUS NE SONGERONS PÀS À
AUGMENTER LES ATTRIBUTIONS DE L’État, à les renforcer, ni surtout
à recourir au système qui soumettrait les industries essentielles
au fonctionnarisme avec son irresponsabilité et ses tares
constitutives, et réduirait les forces productives au sort d’un
MONOPOLE FISCÀL. Les résultats déplorables que l’on a pu
constater dans le passé et qui se manifestent tous les jours, sont
une condamnation suffisante de ce système. Par la nationalisation,
nous entendons confier la propriété nationale aux intéressés eux
mêmes : producteurs et consommateurs associés.
Faisant
confiance à la C. G. T., les Syndicats Confédérés déclarent :
que l’action ouvrière se doit de se développer sur ce plan, pour
réaliser le plus rapidement possible ces buts immédiats.
Le
Congrès de Lyon proclame à nouveau le droit inaliénable des
peuples de se déterminer eux-mêmes exprimant sa profonde sympathie
à la Révolution russe, il proteste contre toute tentative
d’interventions armées en Russie et contre le blocus réduisant un
peuple à la famine, parce que coupable de s’être révolté contre
ses oppresseurs.
Le
Congrès, soucieux d’affirmer sa solidarité effective à l’égard
du Peuple russe, charge le Bureau Confédéral de demander aux
organisations syndicales des transports, de faire que leurs membres
se refusent de transporter armes et munitions destinées aux armées
de Koltchack et de Denikine. Le bureau Confédéral est chargé
égaiement de transmettre cette même proposition au Bureau Syndical
International pour que ce dernier internationalise, cette action.
Le
Congrès réclame que soit mise en application le plus rapidement
possible, la résolution votée à Amsterdam qui concluait et l’envoi
d’une délégation ouvrière en Russie.
Enfin,
le Congrès exprimant la volonté unanime de la classe ouvrière,
condamnant la politique réactionnaire des pays de l’Entente, exige
que la paix soit conclue avec la Révolution russe.
Comme
on peut s’en rendre compte, cette résolution est parfaite. Toutes
les affirmations de lutte de classe des Congrès antérieurs s’y
retrouvent, renforcées ; l’affirmation de la valeur constructive
du syndicalisme, sa capacité de gestionnaire y sont exposées avec
un rare choix d’expressions ; les monopoles et le rôle de l’État
y sont sévèrement condamnés, de même que la collaboration des
classes. Quelle contradiction avec le Programme minimum du Cirque
d’Hiver, que cette résolution condamne en fait ! C’est ce que
comprirent les syndicalistes révolutionnaires, c’est pourquoi, ils
votèrent contre cette résolution, au nombre de 312.
Néanmoins,
ils attendirent le Bureau Confédéral et la C. E. à l’oeuvre,
après que la majorité eût refusé à la minorité la
représentation à laquelle elle avait droit à la C. E.
Le
glissement Confédéral continue ; la lutte de classe fait de plus en
plus place à la collaboration. Seul le Conseil Economique du Travail
est institué. Le Bureau Confédéral et une délégation de la C. G.
T. assistent à la Conférence de Washington, bien que Jouhaux ait
donné sa démission de délégué suppléant à la Conférence de la
Paix, après le meurtre de Lorne, le 1 mai 1919. Le Bureau
International du Travail, dont la constitution a été acceptée par
l’Internationale d’Amsterdam en juillet 1919 concentra à peu
près tous les efforts de la C. G. T. et de l’Internationale, l’une
et l’autre attachées à faire triompher la conception démocratique
de la Société des Nations, dont elles rêvent, utopiquement, en
régime capitaliste, de faire une Société des peuples.
Et
ce sont les grandes grèves de 1920. - Si celles des métaux de 1919
furent un échec, en juin, celles de 1920, tout au moins la dernière,
furent un désastre. Ce fut la dislocation de la C. G. T. après une
défaite sans précédent. Pourtant en février 1920, l’heure de la
Révolution passa sans qu’il se trouvât une C. G. T. pour la
saisir. À la suite de l’augmentation du coût de la vie qui
atteignit des proportions jusqu’alors inconnues, un mouvement
général de relèvement des salaires extrêmement puissant se
dessina, à la tête duquel marchaient les cheminots, dont la
Fédération comptait à ce moment 360.000 membres Sous la pression
des Syndicats parisiens, impulsés par Lévéque, la Fédération fut
obligée d’engager une action générale amorcée sur le P.-L.-M. à
la suite d’une punition infligée au camarade Campaud frappé dans
l’exercice de son droit syndical.
Le
P.-L.-M. déclencha la grève générale qui fut immédiatement
suivie par les Syndicats parisiens (tous réseaux) et s’étendit
rapidement à toute la province. Du 23 février au 1 mars 1920 toute
l’activité du pays est arrêtée. La Fédération des Cheminots a
été obligée de lancer l’ordre de grève générale, malgré
elle, à tous ses adhérents. Le mouvement est splendide. Tour à
tour, toutes les corporations se solidarisent avec les cheminots. La
C. G. T. est elle-même entraînée dans la lutte. Elle va donner
l’ordre de grève générale lorsque, le 27 février, une
délégation de la Fédération des Cheminots se rend discuter avec
Millerand, Président du Conseil, et Le Trocquer, ministre des
Travaux publics, alors que les militants cheminots sont arrêtés
depuis le 25.
Composée
de Dubois, de Sotteville, de Le Guennic, de Rennes, de Coudun, de
Paris-Est, cette délégation met fin à la grève brusquement, en
concluant un accord qui ne sera pas respecté par la suite.
Le
mouvement des Cheminots est assassiné et la C. G. T. ne lance pas
l’ordre de grève générale. Et pourtant, pris à l’improviste,
le gouvernement, qui ne disposait d’aucun approvisionnement ni en
vivres, ni en essence pour utiliser ses camions était vaincu. Tous
les espoirs suscités par cette grève, partie sur une question de
droit syndical, avec pour objectif immédiat le relèvement des
salaires, mais qui avait rapidement élargi ses objectifs, et posait,
tout à coup, tout le programme défini à Lyon, étaient à terre
et, avec eux, ceux du prolétariat de ce pays.
Comme
il fallait s’y attendre, le gouvernement ne tint pas ses promesses
et maintint les révocations. Il cherchait une revanche, comme après
la grève victorieuse des postiers, en 1909.
Mettant
à profit le temps qui lui était ainsi accordé par cette accalmie,
il constitua des stocks de vivres, de matières premières,
d’essence, et lorsqu’il fut prêt, il provoqua la classe
ouvrière.
De
profonds changements, venaient de se produire dans l’orientation de
certaines grandes fédérations, notamment chez les Cheminots. Après
avoir enlevé presque toutes les Unions de Réseau, les syndicalistes
révolutionnaires enlevaient aux réformistes la direction fédérale,
au fameux Congrès du manège Japy, fin avril 1920.
C’est
de ce Congrès que partit ce qu’on a appelé « l’ultimatum de
San Remo ».
Sur
la proposition du Syndicat de Paris-Rive Droite, dont Blacher fut le
porte parole, le Congrès adressa un message à Millerand, Président
du Conseil, pour le mettre en demeure de respecter l’accord du 27
février. Et chose curieuse, les réformistes, Bidegarray en tête,
ne furent pas les moins ardents, à réclamer l’envoi de cette mise
en demeure au Gouvernement. Nous aurions dû être plus clairvoyants,
sentir que cet empressement subit de nos adversaires était
extraordinaire, qu’il cachait quelque chose. Nous n’eûmes pas le
temps de réfléchir. Le vote fut enlevé avec rapidité. Le refus
était voulu, l’occasion cherchée par le gouvernement était
trouvée. Le Congrès poursuivant ses travaux à Aubervilliers le
déclara le lendemain avec, comme objectif : La réalisation de la
nationalisation industrialisée. Mal comprise des cheminots,
incomprise à peu près par le grand public, cette revendication
n’était pas propice à exalter les enthousiasmes. Autant la grève
de février avait soulevé vigoureusement les travailleurs et
intéressé le public, autant celle de mai les laissa indifférents.
Si
le P.-L.-M., l’Ouest-État, le Midi, le P.-O., suivirent le mot
d’ordre de grève, il n’en fut pas ainsi de l’Est et surtout du
Nord, dont les dirigeants surent habilement duper le personnel.
On
tenta sans succès, d’isoler ces Réseaux et la C. G. T. prit
bientôt la direction du mouvement, encore que cette entrée en ligne
de la C. G. T. ait donné lieu par la suite à de nombreuses et
passionnées polémiques.
Le
Cartel des Transports (ports, docks, marins) entre en ligne, sans
modifier la situation. Une deuxième vague doit suivre. Ça ne marche
pas. Il y a au sein de la C. G. T. des opposants dont Merrheim est le
chef.
Après
huit jours de lutte il apparaît que la grève sera écrasée si elle
n’est pas généralisée par la C. G. T. J’en fais la demande à
la C. G. T. après discussion avec Grifuelhes, qui est de mon avis.
Elle n’est pas accueillie. On remplace le Bureau fédéral des
Cheminots, obligé de se cacher pour se soustraire à l’arrestation.
Il y a deux Bureaux, qui se contrecarrent. Et la deuxième semaine de
grève marque l’échec du mouvement. Un Comité fédéral
extraordinaire se réunit le 16 mai 1920, la C. G. T. y assiste,
ainsi que les représentants Fédérations. C’est plutôt un Comité
Confédéral.
Il
décide de laisser les Cheminots continuer la lutte seuls et de les
soutenir pécuniairement. Le mouvement se traîne. Les défections
sont chaque jour de plus en plus nombreuses. C’est la fin, l’échec
après 20 à 30 jours de lutte, selon les centres. 23.000 révocations
et licenciements de cheminots sanctionnent cette défaite, dont les
causes sont multiples. Le gouvernement a trouvé sa revanche. Il la
tient et bien. La C. G. T. se disloque et c’est le Congrès
d’Orléans, pour la liquidation de la situation. Il marquera aussi
l’orientation sans cesse plus à droite de la C. G. T., l’abandon
désormais total du programme du syndicalisme confirmé par tous les
Congrès Confédéraux.
À
la faveur de l’emprisonnement des militants cheminots, Bidegarray a
pu reprendre la tête de la Fédération des Cheminots. Pour mettre
le sceau à sa victoire, le Gouvernement a inventé le coup du
complot contre la sûreté de l’État. Cette affaire viendra aux
Assises en mars 1921 et se terminera par un acquittement triomphal.
C’est
alors que les dissensions entre les fractions de la minorité se
feront jour. Il est patent que le parti communiste non encore
officiellement formé, a agi sur les événements de mai par le
Conseil du Comité pour la reprise des relations internationales. Il
continue sa pression sur la minorité syndicaliste, qui vient au
Congrès d’Orléans de donner une adhésion de fait à «
l’Internationale Communiste ». Adhésion toute sentimentale qui
aura les plus graves conséquences. Les Syndicalistes sentent, au
sein des C. S. R, la tutelle qu’on veut leur imposer. Ils se
dressent contre les hommes de Moscou : Monatte, Monmousseau, Rosmer,
Souzarine, Loriot, etc. C’est la première bataille qui se livre
pour l’indépendance du syndicalisme révolutionnaire. Le Bureau
des C. S. R. est battu et je suis appelé à remplacer Monatte au
Secrétariat général ; Fargues occupe le Secrétariat
administratif.
Mais,
avant notre entrée en fonctions, une délégation a été nommée
pour représenter les C. S. R. au Congrès constitutif de
l’Internationale Syndicale Rouge (I. S. R.). Elle est composée
presque exclusivement de partisans de la subordination du
syndicalisme. Seuls Sirolle, Gourdeaux, Albert et Claudine Lemoine
font figure d’opposants. La délégation, hétéroclite, est déjà
disloquée en trois parties au moins à son passage à Berlin et
subjuguée à peu près totalement par les éléments communistes.
Elle
manifestera son incompréhension totale de la Révolution et ne fera
aucun effort pour la voir qu’elle est. Ce sont alors d’ignobles
chantages exercés sur les délégués restés fidèles. Et après
s’être divisée, au Congrès de l’I. S. R., la délégation,
précédé de Tomasi - qui sera désavoué par tactique par ses amis
- rentre en France. Et c’est le Congrès Confédéral de Lille.
Entre mai et juillet, les militants syndicalistes du C. S. R. ont
fait une grosse besogne, ils abordent le Congrès de Lille, après
avoir redressé le mouvement minoritaire et mis debout un programme
qui sera opposé à Lille, trop tard hélas !, au programme de la C.
G. T. Ils ont aussi renforcé considérablement leur action et
conquis un nombre imposant de Syndicats de province. De 312 à Lyon,
585 à Mans, leurs forces atteindront à Lille 1350 voix. Le Congrès
minoritaire voit participer à ses débats plus de 1100 Syndicats.
C’est l’apogée. Le Bureau Confédéral sent la défaite. Il ne
s’en tirera que par la violence, en faisant matraquer par des gens
à sa solde, les délégués de la minorité. Des coups de revolver
sont tirés. Il y a des blessés. Le Gouvernement parle d’interdire
la continuation du Congrès. Il est visible que la majorité,
stimulée par le Pouvoir, cravachée par les hommes du démocratisme
social cherche la rupture. La minorité, quoique divisée en
elle-même, ne se prête pas à cette besogne. Le Congrès continue.
Une fois de plus - et ç’eût dû être la dernière - Jouhaux et
ses amis triomphent.
La
division s’accentue cependant entre les fractions de la minorité
et au Comité Confédéral de septembre, une réunion extraordinaire
du Comité Confédéral de septembre est convoquée.
La
C. G. T., de son côté, brusque les choses. Dumoulin reprend sa
motion d’exclusion. Il l’aggrave et somme les délégués de le
suivre. Il ne triomphe qu’à une voix de majorité. À toute force,
il est patent que la majorité confédérale veut la scission. Elle
veut aussi dissoudre les C. S. R., ce que refusent les délégués
minoritaires au C. C. N. après délibération du Comité Central. La
situation empire. Les exclus sont plus nombreux qu’avant Lille. La
minorité tout entière se solidarise avec eux. La scission est
désormais inévitable. C’est à ce moment que se tient le Congrès
de l’U. D. de la Seine où Monmousseau prononce son dernier
discours à peu près syndicaliste et tente déjà sa conversion
communiste. Il n’y parviendra pas et devra s’incliner après
l’intervention du Bureau des C. S. R. Mais le malaise augmente. Il
faut clarifier la situation. Une Conférence des Unions
départementales est convoquée en novembre. Elle marque le désaccord
sans cesse plus profond des partisans composant les C. S. R. et
décide la convocation d’un Congrès auquel seront convoqués tous
les Syndicats du pays pour protester contre la décision qui frappe
d’ostracisme la moitié au moins des Syndicats du pays. 1550
Syndicats y participeront. Ce Congrès se tiendra fin décembre 1921.
Sa première tâche sera de désigner une délégation qui aura
charge d’informer la C. G. T. de la tenue de ce Congrès et de son
importance. Elle se rend au siège confédéral, 211, rue Lafayette,
où elle ne rencontre que Lapierre, secrétaire adjoint de la C. G.
T. qui a mission de ne pas discuter et ne reçoit la délégation que
par courtoisie.
Bien
que prévenus, Jouhaux et Dumoulin sont absents, en délégation
internationale. Après une discussion qui fut parfois tragique,
Lapierre accepte cependant de convoquer la C. E. de la C. G. T. et de
donner une réponse pour le soir à 6 heures et par écrit.
Ne
recevant aucune communication, le Congrès décide d’envoyer à la
rue Lafayette une délégation restreinte pour connaître la réponse.
J’en fais partie avec Monmousseau, Fourcade, Carpentier, Gauthier.
Nous trouvons portes closes. Le Congrès attend impatiemment notre
retour. Nous rentrons immédiatement, et nous apprenons, par un
communiqué que la C. G. T. considère que les organisations qui
participent au Congrès se sont placées en dehors de la Centrale
Nationale. C’est, on ne se le dissimule pas, la rupture. C’est
alors que, mis au courant, le Congrès décide que la C. G. T., dont
les Syndicats présents constituent la majorité, continue sur la
base de ses statuts constitutifs définis à Amiens en 1906. La
destitution du Bureau Confédéral est prononcée. Ce n’est
d’ailleurs qu’une décision de pure forme. Il y a, en fait, deux
C. G. T., sinon officiellement, du moins en réalité. En effet, le
Congrès ne peut échapper à la nécessité, inéluctable
d’ailleurs, de désigner, un Bureau Confédéral et une Commission
Exécutive provisoires. Totti, Cadeau et Labrousse sont appelés à
ce Secrétariat provisoire. Pendant deux mois encore, on essayera
sans succès de recoller les morceaux. Ce sera en vain. On ne pourra
y parvenir, la C. G. T. s’y opposera chaque fois. Il faudra bon
gré, mal gré, se décider à considérer la scission comme
réalisée. La C. G. T. U., un moment arrêtée dans son recrutement
et sa propagande par le souci de renouer les rapports entre les deux
grandes fractions du syndicalisme, prend maintenant un rapide essor,
encore que la lutte des tendances ne se soit pas ralentie à
l’intérieur. Après deux Comités Nationaux, au cours desquels s’y
affronteront avec force les défenseurs du syndicalisme et ceux du
Parti Communiste, il fut décidé qu’un Congrès Confédéral
Constitutif aurait lieu à Saint-Étienne en juillet 1922. La tension
internationale entre le Bureau et la C. E. provisoires de la C. G. T.
U. et les Bureaux de l’Internationale Syndicale rouge et de
l’Internationale Communiste est à l’état aigu.
À
Paris, quoi qu’on en dise, les syndicalistes font tout pour
empêcher une rupture totale, soit par des conversations avec les
délégués des Exécutifs russes, soit par des propositions
concrètes à ces Exécutifs, dont les plus importantes seront
soumises par Griffuelhes à Lénine, Zinoview et Lozovsky. Ce fut en
pure perte. Les russes restèrent intransigeants. On peut dire,
aujourd’hui, sans crainte d’erreur, que la rupture leur incombe
et à eux seuls.
Les
dernières propositions du Bureau provisoire contresignées par un
certain nombre de membres les plus influents de la C. E. n’eurent
pas davantage de succès. Parallèlement à cette action, se
déroulait sur le plan national l’offensive du Parti communiste et
de ses alliés syndicaux, le tout sous la direction de Frossard,
mandataire
de l’Exécutif de Moscou, dont il appliquait d’ailleurs les
ordres avec une
mollesse
qui lui sera reprochée par la suite. Par sa conduite, en ces
circonstances tragiques, Frossard n’en aura pas moins assumé de
redoutables responsabilités. Pour n’avoir point rompu à temps
avec ceux qui dirigeaient l’offensive, après l’avoir souvent
annoncé pour avoir tantôt paru céder, tantôt semblé résister,
il fut un des hommes qui facilitèrent grandement la mainmise du
Parti communiste - dont il dirigea d’ailleurs l’offensive à
Saint Étienne - sur la C. G. T. U.
Entre
temps, la C. G. T. U. fut sollicitée de participer à une Conférence
convoquée par les Centrales syndicales non adhérentes à Moscou ou
à Amsterdam. Sous réserve que la C. G. T. russe serait invitée, la
C. E. décida, sur la proposition des syndicalistes communistes, que
la C. G. T. U. participerait, à cette Conférence à titre
d’information.
Cette
Conférence se tint à Berlin, le 12 juillet 1922 et jours suivants.
La C. G. T. russe y avait délégué un de ses secrétaires,
Andréieff. La minorité russe y était également représentée. Une
grande discussion s’y produisit au sujet des persécutions en
Russie et sur un motif futile, la C. G. T. russe se retira, en se
solidarisant avec la fraction Vecchi de l’Union Syndicale
italienne, que la Conférence avait refusé d’admettre.
Les
travaux de cette conférence seront examinés plus largement dans la
partie internationale. Sur la pression de la délégation française,
elle prit la décision de tenter un dernier effort d’entente avec
l’I. S. R. avant de constituer une Internationale, dont elle fixa
toutefois les principes et dont elle définit la doctrine. La
délégation de la C. G. T. U. à Berlin : Totti, Lecoin et moi-même,
rendit compte de son mandat par un rapport adressé au Congrès de
Saint-Étienne. Ce Congrès constitutif de la C. G. T. U. marqua le
triomphe de la fraction communiste. Après six jours de débats
extrêmement passionnés, les syndicats communistes triomphèrent par
749 voix contre 406.
Monmousseau
et ses amis prirent la tête de l’organisation centrale du
syndicalisme révolutionnaire français. Sentant le péril, les
syndicalistes et les anarchistes constituèrent immédiatement un
Comité de Défense Syndicaliste, avec mission d’entreprendre à
nouveau le redressement du syndicalisme. J’acceptai d’en être le
secrétaire.
La
besogne s’annonçait d’autant plus difficile que les
syndicalistes abasourdis par leur défaite ne surent ni s’organiser
solidement, ni agir à bon escient. Bientôt, de ce Comité qui
portait tous les espoirs de la minorité de Saint-Étienne, ne vécut
plus que la tête, à Paris ; la province boudait ou se
désintéressait de son existence.
Le
Comité de Défense syndicaliste n’en joua pas moins un rôle
important. Peu de temps après le retour de la délégation
Confédérale du IIIe Congrès de l’I. S. R., après qu’on eût
appris de source sûre que cette délégation, violant son mandat de
Saint-Étienne, avait livré le syndicalisme français, pieds et
poings liés à l’Internationale Communiste, le Comité fut
sollicité de participer au Congrès constitutif de la II Association
Internationale des Travailleurs. Je m’y rendis avec A. Lemoine. Ce
Congrès, sur les travaux duquel je reviendrai plus tard, décida la
constitution de l’Internationale Syndicaliste, après avoir pris
acte des décisions scissionnistes du Congrès de l’I. S. R.
C’est
alors, en janvier 1923, que les événements se précipitèrent en
Allemagne, après l’envahissement de la Ruhr par Poincaré. Ces
événements se développèrent rapidement. Les Partis Communistes
français et allemand, la C. G. T. U., divers autres Partis
communistes, les Conseils d’Usines de Rhénanie Westphalie,
réunirent une conférence à Essen.
Sentant
le péril de laisser toute l’organisation aux mains des
communistes, le Comité de Défense syndicaliste intervint
immédiatement. Il fit une démarche auprès du Bureau Confédéral
en demandant à participer activement à toute l’action et, aussi,
à sa préparation. Le Bureau Confédéral repoussa notre concours.
Le gouvernement de Poincaré refit à ce moment le coup du complot et
arrêta les membres du Comité d’action. Ce complot fut étayé sur
un faux, qui prit le nom de faux de Hambourg, dont on ne saura jamais
sans doute s’il fut l’oeuvre de la police bourgeoise
internationale ou celle de la Tcheka russe en Allemagne. Les
relations de Radek avec le Préfet de Police de Berlin semblent
plutôt de nature à faire pencher vers cette dernière hypothèse.
En tout cas, le complot s’effondra après la lecture en Haute Cour
du réquisitoire introductif du Procureur général Lescouvé. Les
pseudo comploteurs furent tous libérés. Puis vinrent les grandes
opérations d’Allemagne qui marquèrent à nouveau une tendance
vers la prise du Pouvoir en Saxe et en Thuringe, mouvement auquel
participa la C. G. T. U. qui assista à la Conférence de Francfort
où fut dressé le programme d’action qui devait être exécuté
par les participants.
Mal
dirigé, ce mouvement finit par le triomphe de la réaction, malgré
que les conditions de réussite aient paru un moment réunies. Les
gouvernements en partie ouvriers de Saxe et de Thuringe durent fuir
devant les baïonnettes de la Reichswehr et, après le Congrès des
Usines d’Allemagne, tenu à Chemnitz, et les sanglants événements
de Hambourg, le mouvement de révolte allemand né de la faim, écrasé
dans le sang, prit fin.
C’est
à Bourges, en novembre 1923, que ces événements et tant d’autres,
y compris la question de suprématie des communistes furent
définitivement tranchés. Pendant l’année syndicale 1923-1924, le
Bureau de la C. G. T. U. et ses amis avaient considérablement
renforcé leurs positions. En dépit d’une opposition trop tiède,
trop timide, sans position doctrinale définie, qui se fit jour à la
C. E. et gagna à elle deux membres sur quatre du Bureau : Marie
Guillot et Cazals, les communistes gagnèrent un terrain
considérable. Ils avaient conquis presque toutes les Unions
départementales, sauf la Loire, le Rhône et les Bouches-du-Rhône,
ainsi que toutes les Fédérations, sauf le Bâtiment et les P. T. T.
Malgré
les efforts inouïs des syndicalistes, dont l’homogénéité ne fut
d’ailleurs pas la vertu dominante, les communistes triomphèrent
définitivement. Lozowsky était, nous assura-t-on, présent dans les
coulisses. Si les groupements syndicalistes révolutionnaires
avaient été plus actifs, s’ils avaient su où Ils allaient, Il
peut se faire, que l’écrasement eût été moins brutal et qu’une
réaction devînt possible. Ce ne fut pas le cas.
Après
Bourges, où le triomphe du Parti communiste s’étala cyniquement,
le Bureau Confédéral tenta d’enlever les derniers fortins
syndicalistes. Le Parti communiste entra alors carrément en
bataille. Il était décidé à frapper un grand coup et, à cet
effet, avec la complicité des dirigeants de la C. G. T. U. et de
l’U. D. de la Seine, il organisa un grand meeting de provocation à
la Maison des Syndicats, 33, rue de la Grange-aux-Belles, à Paris,
qui eut lieu le 11 janvier 1924.
S’emparant
sans vergogne du programme syndical, il démasqua toutes ses
batteries. Des camarades syndicalistes qui voulaient faire respecter
le mouvement ouvrier et défendre son programme furent roués de
coups. Des équipes de décrocheurs professionnels, aux gages du
Parti communiste, jouèrent du revolver. Deux des nôtres : Pontet et
Clos furent tués, une dizaine d’autres blessés. La colère monta
chez les syndicalistes et le jour des obsèques des victimes,
auxquelles participèrent, de nombreuses délégations de province,
se tint une Conférence de la minorité syndicaliste.
Une
fois de plus, celle-ci manifesta son incompréhension, son
impuissance, en ne se séparant pas immédiatement des communistes.
Le temps fut mis à profit par ceux-ci qui, à part le Rhône,
enlevèrent tout ce qui restait de forces syndicalistes et coupèrent
en deux la Fédération du Bâtiment.
Comprenant
enfin qu’elle n’avait plus rien à attendre, la minorité
syndicaliste, se réunit en Conférence les 1 et 2 novembre 1924.
Toujours par les mêmes raisons, elle ne sut pas prendre des
décisions fermes. Elle convoqua et décida la constitution d’une
organisation insuffisamment définie : l’Union Fédérative des
Syndicats Autonomes de France. Cette organisation qui eût dû
recevoir l’adhésion de tous les Syndicats autonomes du Pays ne put
remplir sa tâche et redresser un mouvement à côté de la C. G. T.
Délaissée par ceux-là mêmes qui la constituèrent, mais n’y
adhérèrent jamais, elle mena une pauvre existence. Son Bureau
décida de convoquer une Conférence le 23 juillet 1925. Elle se tint
à Saint-Ouen. 36 Syndicats y participèrent. La proximité des
Congrès Confédéraux ne permit pas de prendre encore une position
nette, surtout sur la question de l’Unité qui apparaît bien,
maintenant comme la plus fameuse chimère du moment. Il n’est pas
besoin d’être grand prophète pour prédire que les Congrès des
deux C. G. T. qui vont se tenir fin août, laisseront les choses en
l’état et sanctionneront une scission qui apparaît comme
irrémédiable avant longtemps.
À
ce sujet, voici ci-dessous la position prise, sur cette question par
l’U. F. S. A. qui reste, en dépit de ses maigres effectifs, la
seule force syndicaliste de ce pays. Je la reproduis en entier, parce
qu’elle marque exactement la position du conflit, et qu’elle
permettra aux hommes d’aujourd’hui, comme à ceux des générations
de l’avenir, de se reconnaître dans l’histoire si compliquée du
syndicalisme. Elle sera aussi de nature. à marquer le point de
départ d’une nouvelle évolution du syndicalisme.
DECLARATION
DE LÀ C. E. DE L’U. F. S. A. ÀUX CONGRÈS CONFEDERAUX d’ÀOÛT
1925
Les
bouleversements provoqués par la guerre ont posé avec une force
accrue, pour la classe ouvrière, le problème de la gestion de la
Société par le Syndicalisme. Ceci implique que les travailleurs
doivent exprimer avec plus de clarté et d’objectivité, les désirs
d’affranchissement qu’ils ont affirmé à toutes les périodes
tumultueuses de l’Histoire.
La
persévérance de ces affirmations, leur précision sans cesse plus
grande depuis la publication du manifeste de 1863, prouvent avec
évidence que la véritable tendance du Syndicalisme est
l’organisation du travail et la gestion de la production.
En
toute logique, la solution de ce problème qui se pose au sortir de
la guerre avec une intensité jamais égalée, devait rapprocher les
unes des autres les diverses fractions du syndicalisme dont le but
est de supprimer le salariat, d’abolir le capital. Or, fait
extraordinaire, c’est le contraire qui s’est produit. Les
tendances se sont heurtées violemment les unes contre les autres et,
au lieu d’un renforcement de l’Unité syndicale, ce sont des
scissions qui sont intervenues.
Il
y a à cela des raisons profondes qu’il convient d’examiner,
avant de reprendre la marche en avant. En effet, les scissions quel
qu’en soit le mécanisme, ne se sont pas produites fortuitement. À
l’origine de chacune d’elles, doit se trouver une cause
essentielle. À notre avis, la cause première de toutes ces
scissions réside dans l’abandon des principes fondamentaux du
syndicalisme par certaines des fractions aujourd’hui rivales.
Ces
principes sont condensés dans la charte du syndicalisme. Ce n’est
pas par hasard que le Congrès d’Amiens la formula en 1906. Elle
est l’affirmation synthétique de toutes les déclarations des
Congrès ouvriers antérieurs. Elle résulte de l’observation
attentive des faits sociaux, elle est la conséquence des luttes
ouvrières et de leurs enseignements. Traduisant la pensée ouvrière,
elle dicte au mouvement syndical, sa ligne de conduite dans le
domaine immédiat en même temps qu’elle fixe les buts lointains à
atteindre. Elle définit aussi le caractère exact du syndicalisme,
détermine la valeur revendicative et la capacité révolutionnaire
des Syndicats dans la lutte, l’organisation et la gestion.
On
peut dire que la Charte d’Amiens contient six affirmations
capitales qui constituent les fondements du syndicalisme, ce sont 1°
Affirmation d’unité. « La C. G. T. groupe », en dehors de toute
école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à
mener pour la disparition du patronat et du salariat.
2°
Affirmation de lutte de classe. Le Congrès considère que cette
déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose,
sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre
toutes les formes d’exploitation et d’oppression tant
matérielles que morales, mises en oeuvre par le capitalisme contre
la classe ouvrière. 3° Affirmation de la nécessité de la lutte
quotidienne dans le régime actuel. Dans l’oeuvre revendicatrice
quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts
ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la
réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution
des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.
4°
Affirmation de la capacité d’action révolutionnaire des
Syndicats. Fixation de leur rôle social avant et après la
révolution. Il (le Syndicalisme) prépare l’émancipation
intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation
capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale
et il considère que le Syndicat, aujourd’hui groupement de
résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de
répartition, base de la réorganisation sociale. 5° Affirmation
d’autonomie et d’indépendance. Le Congrès déclare que cette
double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation
de salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous
les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou tendances
politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement
essentiel qu’est le Syndicat. Comme conséquence, en ce qui
concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté
pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif,
à toute forme de lutte correspondant à ses conceptions politiques
ou philosophiques, en se bornant à lui demander, en réciprocité,
de ne pas introduire dans le Syndicat, les opinions qu’il professe
au dehors.
6°
Affirmation d’action directe et de neutralité envers les Partis et
les groupements philosophiques. En ce qui concerne les organisations,
le Congrès décide qu’afin que le Syndicalisme atteigne le maximum
d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre
le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant
que groupements syndicaux, à se préoccuper des Sectes et des Partis
qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivie en toute liberté la
transformation sociale. Ces principes forment un tout. Il est clair,
qu’en cessant de respecter l’un ou plusieurs d’entre eux, on ne
pouvait que provoquer l’écroulement de l’édifice si péniblement
construit et l’anéantissement du mouvement sur lequel il reposait.
C’est ce qui est arrivé, au moment même où l’Unité était
plus nécessaire que jamais, alors qu’il était indispensable
d’affirmer la valeur du syndicalisme, de préparer des cadres et de
le diriger vers les buts à atteindre.
Personne
ne contestera que les objectifs fixés à Amiens restent ceux
d’aujourd’hui, puisqu’ils ne furent jamais atteints et
correspondent toujours aux désirs et aux besoins des travailleurs.
La besogne quotidienne et d’action révolutionnaire, de défense,
de préparation, d’agitation, de transformation, reste identique et
s’impose plus que jamais.
Cela
suffit largement pour nous permettre d’affirmer avec raison, en
dépit de toutes les expériences récentes - qui en sont plutôt la
confirmation que l’infirmation – que la Charte d’Amiens
conserve toute sa valeur doctrinale et que ses principes restent les
seuls qui soient de nature à permettre au syndicalisme de retrouver
son Unité et sa vigueur.
La
preuve en est péremptoirement administrée par les faits suivants
1°
Dès qu’on a cessé de reconnaître que la lutte de classe est un
fait indéniable, pour pratiquer ou tenter de pratiquer la
collaboration continue du Travail et du Capital par en haut, on a
créé une tendance qui ne permettait plus à la C. G. T. de grouper
dans son sein, en dehors de toute école politique, tous les
travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du
patronat et du salariat. Une partie d’entre eux en était exclue
idéologiquement, moralement. Elle le fut bientôt matériellement.
II ne faut pas chercher ailleurs la cause de la première scission.
La confiance mise par la C. G. T. dans la démocratie et l’État
bourgeois, pendant et après la guerre, pour réaliser une partie du
programme syndicaliste était en opposition flagrante avec la Charte
d’Amiens, qui rompait publiquement avec cette démocratie et son
État et n’attendait rien que de l’action directe des
travailleurs. Il y a d’autres causes, mais celle-ci est
l’essentielle. Les expériences, qui se suivent et se ressemblent
quant aux résultats depuis mai 1924, prouvent et confirment avec
éclat, en dépit de l’accentuation de cette politique, qui
rencontre l’agrément du Pouvoir et du Parlement, que les militants
de 1906 furent clairvoyants, qu’ils avaient pleinement raison.
Indubitablement,
le premier divorce des fractions de la C. G. T. vient de là et non
d’ailleurs. Il était inévitable, parce que les principes
fondamentaux d’un mouvement sont au-dessus de la toi de la majorité
et qu’ils doivent y demeurer. C’est du moins notre avis.
2°
Lorsque le rôle révolutionnaire du syndicalisme, sa valeur
revendicative, son indépendance, son autonomie fonctionnelle, sa
capacité d’action furent contestés par un Parti et ses adeptes
qui voulaient que le Syndicalisme rompît sa neutralité en faveur de
ce Parti jusqu’à en devenir l’appendice, contrairement
d’ailleurs à ce qu’affirmait Karl Marx lui-même à Genève en
1866, la deuxième scission, déjà en germe lors de la première, se
produisit.
À
ce moment, la C. G. T. U., pas plus que la C. G. T., ne pouvait plus
grouper dans son sein, en dehors de toute école politique, tous les
travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du
patronat et du salariat, même si ce principe directeur restait à la
base de l’action de la nouvelle C. G. T.
Et
ce fut la seconde scission, parce que, une fois encore, les principes
fondamentaux du syndicalisme cessaient d’être respectés et qu’ils
ne pouvaient être modifiés par une majorité inspirée
extérieurement par le parti communiste. Il en eût été de même,
s’il se fût agi d’un autre parti ou d’un groupement
philosophique. On peut donc dire, aujourd’hui, que les principes
d’Amiens sont niés, dans leur intégralité, soit par l’une,
soit par l’autre C. G. T. Faut-il en conclure que l’Unité est à
tout jamais impossible ? Peut-être, hélas !, si on continue de tels
errements. Les conceptions nouvelles des deux C. G. T. basées de
part et d’autre sur des principes opposés à ceux du syndicalisme,
ont en effet donné naissance à des programmes, à des systèmes qui
s’opposent dans presque toutes leurs parties à ceux du
syndicalisme. Il est à craindre, dans ces conditions que ceux qui
les défendent respectivement, ainsi que ceux qui les suivent,
s’obstinent dans leurs erreurs et persistent dans la voie qu’ils
ont choisie.
On
peut donc redouter que les heurts des tendances s’aggravent au lieu
de disparaître. Aussi, pour exprimer franchement notre pensée, nous
n’apercevons en ce moment et ce jusqu’à ce que nos craintes
soient dissipées, aucune possibilité sérieuse de fondre dans un
même creuset les systèmes sociaux qui sont, à notre avis, appelés
à s’opposer chaque jour plus violemment, jusqu’à l’application
de l’un d’eux.
L’histoire
nous enseigne que cette lutte se poursuivra, vraisemblablement, par
delà cette application, s’exacerbera davantage encore, lorsque
l’un des adversaires aura momentanément triomphé, même s’il
jugule ses opposants. En ce qui les concerne, les travailleurs
groupés dans l’U. F. S. A. n’attendent rien de la démocratie.
Ils savent que le développement de celle-ci signifie le maintien du
Capitalisme dans ses privilèges et la continuation de
l’asservissement du travail. Aux prétendus droits du Capital, ils
opposent les droits véritables du travail, qui ne peuvent trouver
leur expression que par la libération des travailleurs, la
suppression du capitalisme et du système qui le soutient et non dans
une conciliation impossible des intérêts opposés.
Ils
savent que l’État-patron oppresse ses ouvriers, ses employés, ses
fonctionnaires doublement : politiquement et économiquement. Aussi,
considérant que la tendance de la démocratie, qui est d’étendre
indéfiniment le champ d’action de l’État par l’extension de
la politique des monopoles, conduira en fait à ce double
asservissement un nombre sans cesse plus élevé de travailleurs,
l’U.F.S.A. déclare que le Syndicalisme a pour devoir de
revendiquer pour les Syndicats, la pleine autonomie dans
l’organisation du travail, de tenter de détruire les hiérarchies
arbitraires et incompétentes qui, dans les services publics,
dominent les travailleurs et paralysent leur efforts ; de faire
restituer aux intéressés eux mêmes (par le contrôle syndical) les
droits de régler les questions d’ordre technique et professionnel,
d’enlever aux hommes politiques et aux partis qu’ils représentent
la possibilité de s’ingérer dans le recrutement du personnel, en
un mot de neutraliser à la fois la puissance malfaisante de l’État
et celle non moins malfaisante du Patronat.
C’est
une oeuvre qui relève essentiellement de l’activité du
syndicalisme, si ce dernier veut défendre hardiment les ouvriers
contre les démocrates et s’opposer au triomphe de la démocratie,
de la république des camarades, de la médiocrité et de
l’irresponsabilité.
En
monopolisant, l’État devient entrepreneur. Comme tel, il prétend
être, à la fois, industriel ordinaire et patron privilégié. Or,
comme industriel, il est incompétent et, comme patron, il est
tyrannique.
Le
syndicalisme doit donc se dresser et lutter contre les institutions
composées de représentants de l’État, des patrons et des
ouvriers, dont le but est d’acheminer l’ordre social vers la
démocratie. C’est le rôle de ses groupements comme, demain, ce
sera le rôle de ces mêmes groupements d’assumer les charges de
l’organisation sociale. Les travailleurs n’ont pas davantage foi
dans leur soi-disant affranchissement par l’État et les Partis.
Ils n’attendent rien que d’eux-mêmes et de leur action. Ils se
refusent à reconnaître à un Parti le droit de parler en leur nom
et à l’État d’administrer la chose publique à leur place. Ils
se souviennent, à ce sujet, des multiples enseignements des
révolutions passées. Ils n’ont oublié ni la façon dont le
Conseil municipal de Paris accueillait leurs revendications en 1790,
ni le vote de la loi Le Chatelier en 1791, par l’Assemblée
constituante, ni les fusillades du faubourg St Antoine en 1830, ni la
faillite du socialisme d’État, avec Louis Blanc, en 1848. Ils se
rappellent que chacune de ces dates vit couler à flots le sang
ouvrier et que le triomphe du prolétariat fut, chaque fois, rendu
vain par les trahisons successives des Partis qui utilisèrent le
levier populaire pour renverser une tyrannie et imposer la leur.
De
telles expériences gardent les travailleurs pour l’avenir. Elles
justifient aussi, et au-delà, leur fidélité aux principes du
syndicalisme, à son action, aux buts qu’il poursuit.
L’U.
F. S. A. croit d’ailleurs fermement que la situation est
révolutionnaire ; économiquement, financièrement, politiquement et
socialement. C’est pour elle, une
raison
de plus d’être fidèle à ses principes. Pour parler net, elle ne
voit de possibilité d’unité que dans l’action que les
événements vont rendre indispensable. C’est donc de l’action
seule, que peut, à notre avis, surgir l’organisation unique des
travailleurs. C’est elle qui démontrera la nécessité d’employer
les moyens d’action du syndicalisme et acheminera instinctivement
les ouvriers vers leurs buts invariables d’affranchissement. Par
avance, l’U. F. S. A., en même temps qu’elle déclare la Paix à
toutes les autres tendances du mouvement syndical et à leurs
militants, est d’ores et déjà prête à collaborer avec les uns
et les autres pour toute action qui aurait pour but la défense des
intérêts ouvriers (salaires, 8 heures, vie chère, chômage, etc.,)
ou qui tendrait à supprimer le salariat et à faire disparaître le
patronat.
Elle
est également prête à s’associer à toute action pratique et
sérieuse dirigée contre la guerre, à la seule condition que cette
action soit dirigée par les travailleurs et leurs organisations
syndicales, même si celles-ci ne sont pas d’accord avec elle sur
le caractère du deuxième stade d’une révolution qui doit
normalement découler de cette guerre, dans les circonstances
actuelles.
Pour
conclure et se résumer, l’U. F. S. A. déclare :
1°
Etre prête à réaliser immédiatement l’unité organique par la
reconstitution d’une seule C. G. T. basée sur les six affirmations
capitales et de principe contenues dans la charte d’Amiens et
rappelées d’autre part.
2°
Etre prête dès maintenant, à participer, comme force organique à
toute action quotidienne, revendicative ou révolutionnaire dirigée
contre le patronat et l’État bourgeois, jusqu’au jour où,
conscients de leur vrai rôle social, les travailleurs groupés ou
associés dans leurs syndicats, Unions, Fédérations, C. G. T. et
Internationale uniques, reviendront d’eux-mêmes aux principes du
syndicalisme et en assureront son triomphe définitif, en même temps
que la libération du prolétariat, par la prise des moyens de
production et d’échange et l’organisation sociale par la classe
ouvrière.
La
C. E. de l’U. F. S. A. Pendant ce temps que fait la C. G. T. ? Elle
traverse deux périodes totalement différentes. L’une qui va de
décembre 1921 à mai 1924 et l’autre, qui commence à cette
dernière date et dont le cycle n’est pas encore achevé. Pendant
la première, elle est quelque peu désorientée, perd de ses
effectifs. Malgré qu’elle ait tenté de se rapprocher du Pouvoir
sous Briand, Poincaré l’écarte. Elle ne peut, quelque désir
qu’elle en ait participer à la conférence de Gênes où la Russie
reprend pour la première fois contact avec le monde diplomatique en
1922. Albert Thomas, y représente le Bureau International et
participe aux travaux, ce qui a le don de mettre en colère
Bourderon, qui quitte le Congrès. On y chante la louange de la
Société des Nations et le Congrès syndical manifeste une répulsion
aggravée pour la lutte de classe.
Après
cette dure période de 1922 à 1924, la C. G. T. va connaître à
nouveau les grâces du Pouvoir avec l’arrivée de Herriot et du
Cartel des gauches qui viennent de triompher, en mai 1924, du Bloc
national.
Le
programme minimum de la C. G. T. se voit infliger la suprême injure
d’être accepté par presque tous les candidats de ce Cartel aux
élections de mai. Le triomphe porte tout naturellement aux portes du
Pouvoir les grands manitous confédéraux et fédéraux, qui
s’installent un peu partout dans les Commissions instituées. Mais
les résultats réels se font attendre. Ni la nomination de Jouhaux
comme représentant du Gouvernement au Conseil de la S. D. N. à
Genève, ni celle de nombreux militants réformistes, par Painlevé,
au Conseil National Economique et à l’Office national de la
main-d’oeuvre, pendant que d’autres entrent dans les conseils
techni ques de toutes sortes, ne permettent à la C. G. T.
d’atteindre les buts qu’elle vise.
L’expédition
du Maroc, qu’elle n’ose condamner formellement, les difficultés
de tous ordres qui surgissent, les déboires causés par
l’application du plan Dawes à l’Allemagne, la politique
centriste de Painlevé tiraillé de gauche à droite, la rentrée
politique financière de Caillaux ont tellement rendu la tâche de la
C. G. T. difficile, que Jouhaux et ses amis regardent l’avenir avec
effroi.
Il
est à peu près certain d’ailleurs que le fiasco qui marquera la
fin de l’expérience du Parti radical français, soutenu d’une
façon intermittente par le parti socialiste, marquera aussi
l’impuissance totale de la C. G. T. à concilier l’intérêt de
classe avec l’intérêt général, les intérêts du Travail et
ceux du Capital.
La
désillusion qui s’en suivra chez les travailleurs, celle qui
s’emparera d’eux après qu’ils auront constaté le néant des
réalisations du parti communiste, surtout si les événements
révolutionnaires forcent celle-ci à agir et à tenter d’appliquer
son programme, ramèneront les ouvriers sur la route qu’ils
n’auraient pas dû quitter : celle du syndicalisme, seule force de
libération véritable. Les Congrès des deux C. G. T. venant de
prendre fin au moment même où je termine cette étude, il me semble
impossible de n’en pas parler. Ces Congrès ont été réunis à
Paris à la même date (26 au 29 août 1925). Dès sa première
séance, celui de la C. G. T. U. qui se tenait au « Chaumont Palace
» a désigné une délégation avec mission de proposer au Congrès
de la C. G. T., réuni au « Manège Japy » de réunir les deux
Congrès en un seul après les assises régulières des deux C. G. T.
pour la réalisation de l’Unité Nationale.
De
son côté, l’U. F. S. A. adressait une lettre à chacune des deux
C. G. T. et à leur Congrès pour qu’une délégation puisse
exposer le point de vue des autonomes sur l’Unité.
Le
Congrès de la C. G. T. reçut la délégation de la C. G. T. U. et
moi-même pour l’U. F. S. A. nous donnâmes lecture des
déclarations de nos organisations respectives.
Le
Congrès prit acte et nous nous retirâmes. Le lendemain le Congrès
de la C. G. T. U. reçut le camarade Huart (chaussure) qui vint lui
donner connaissance du manifeste inséré d’autre part.
De
ces « négociations » nul résultat n’est sorti. La C. G. T.
reste sur sa position. Son point de vue se résume en ceci : Unité
chez elle. Le refus formel de la C. G. T. a rendu inutiles toutes
négociations. Plus que jamais l’Unité s’éloigne, quelles qu’en
soient les nécessités.
Le
congrès de la C. G. T. a précisé avec une telle clarté la ligne
de conduite de ce groupement, sur le terrain de la collaboration des
classes, de l’entente avec la démocratie, de la participation
indirecte au Pouvoir, qu’il lui est impossibled’envisageruneaction
commune le reste du prolétariat, comme il est désormais certain que
celui-ci ne peut compter sur la C. G. T. pour une action de classe,
quel qu’en soit le caractère.
Du
côté de la C. G. T. U. le triomphe du parti communiste est total,
l’asservissement du syndicalisme est complet et, à moins d’un
concours exceptionnel de circonstances, il est certain que les
syndicalistes ne pourront travailler en commun avec la C. G. T. U.
Reste l’U. F. S. A. seule avec son point de vue syndicaliste. Qu’en
adviendra-t-il ?
Je
l’ignore. Les syndicats le diront. Comme je le déclarais plus haut
la situation reste inchangée. Seuls les événements la
solutionneront. Aux syndicalistes de savoir les utiliser.
ACTION
INTERNATIONALE DE LA C. G. T.
Il
me paraît nécessaire de faire remonter l’action internationale du
mouvement ouvrier français à l’année 1862 qui marqua la première
prise de contact des ouvriers français avec leurs camarades anglais,
lors de l’Exposition universelle de Londres. Cette prise de contact
eut des lendemains féconds. La publication du manifeste dit « des
Soixante » marqua une date importante du mouvement français, qui
affirma le caractère de classe de son action. Le retentissement de
ce document - dont les conclusions, pour contradictoires qu’elles
apparaissent aujourd’hui, firent sensation à l’époque - fut
énorme.
Le
recrutement des sociétés de résistance en fut considérablement
augmenté. La répression brutale de la grève de la typographie
parisienne accrut et surexcita l’agitation ouvrière. Après avoir
arraché le droit de coalition au gouvernement impérial apeuré par
des conflits renouvelés, les travailleurs songèrent sérieusement à
internationaliser leur action.
C’est
en 1864 que fut constituée l’Association Internationale des
Travailleurs, elle fut fondée à Londres le 28 septembre, après un
meeting international tenu par les ouvriers au Saint-Martin’s Hall,
en faveur le la Pologne martyrisée. Constituée en 1865, la Section
française, dont le siège était à Paris, rue des Gravilliers,
participa au 1er Congrès de l’Internationale qui se tint à Genève
en 1866.
Ce
Congrès fut d’une haute tenue par ses discussions doctrinales et
les décisions d’ordre pratique qu’il prit, notamment sur le
principe de la réduction de la journée de travail à 8 heures, sur
la suppression du salariat qui ne disparaîtra, disait-il, que par
l’association coopérative des travailleurs. L’évolution de la
grève générale qui fut faite à ce Congrès atteste que nos
devanciers attachaient à cette forme de lutte une valeur certaine.
La
Section française participa également au Congrès de Lausanne, en
1867. Ce Congrès déclara en outre, que « l’émancipation sociale
des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique et
que l’établissement des libertés politiques est une mesure
d’absolue nécessité ». Je pense qu’on pourrait aisément
renverser les termes de cette formule sans qu’elle perdît ni de sa
valeur ni de force, bien au contraire.
Cette
affirmation valut à la Section française d’être poursuivie, sans
que se ralentissent pour cela, et l’action et la propagande de l’A.
I. T. en France. Les Congrès suivants marquèrent une nette
orientation vers le collectivisme. César de Paëpe, un militant
belge de haute valeur, joua un grand rôle dans cette évolution de
l’Internationale.
Les
Congrès de Bruxelles (18613) et Bâle (1869) accentuèrent cette
évolution. Ils affirmèrent que la « propriété collective est une
nécessité sociale, que la société a le droit d’abolir la
propriété individuelle du sol et de le faire rentrer à la
communauté ».
Mais,
toutes ces discussions sur des sujets aussi vastes firent apparaître
de graves oppositions non seulement dans les Congrès, mais au sein
du Conseil Général de l’Internationale.
Pendant
que déclinait l’influence des « mutualistes » français et que
celle de Karl Marx grandissait, une autre tendance, celle des «
fédéralistes », naissait avec Bakounine.
Fédéralistes
bakouninistes et étatistes marxistes allaient s’opposer avec
vigueur. Ce fut le commencement des luttes qui se poursuivent encore
aujourd’hui. Marx et Bakounine étaient en complet désaccord à la
fois sur la conception générale de la Révolution et sur le rôle
des syndicats.
Les
marxistes ne voyaient de possibilité de réalisation révolutionnaire
que par l’institution d’un État prolétaire et la constitution
du prolétariat en parti politique, tandis que Bakounine et ses amis,
dont James Guillaume fut le commentateur brillant et la Fédération
jurassienne l’organisme d’action vigoureux, déclaraient que la
reconstitution sociale devait avoir pour base la Commune, ce qui
correspond au rôle que nous assignons aujourd’hui aux Bourses du
Travail ou Unions locales. D’autre part, en ce qui concerne le rôle
des syndicats les divergences n’étaient pas moins grandes. Comme
les communistes d’aujourd’hui, et en complète contradiction avec
ses affirmations de Genève en 1866, Marx déclarait que les
syndicats étaient des organes de défense corporative et qu’à la
défense des intérêts professionnels devait se limiter leur rôle.
Waldeck-Rousseau eut en Marx un précurseur certain et on ne s’étonne
pas qu’il ait cherché à enfermer les syndicats dans une légalité
qui leur attribuait ce rôle restreint.
Quels
que furent les efforts de Bakounine, d’ailleurs trop occupé par
son action à travers tous les pays de l’Europe Centrale et moins
homme de plume qu’homme de combat, Marx triompha.
Il
réussit à se débarrasser de Bakounine et de ses amis, mais
l’Internationale ne survécut pas à cette victoire qui n’est
peut-être pas sans analogie avec celle des communistes de nos jours.
Ce
fut la fin de la 1ère Internationale, dont la force fut insuffisante
pour arrêter la guerre franco-allemande de 1870-1871.
Elle
n’en avait pas moins joué un rôle fort important. C’est de
cette époque que date la véritable conscience de classe
internationale.
Sa
formule si claire, si nette : L’émancipation des Travailleurs doit
être l’oeuvre des Travailleurs eux-mêmes, définit admirablement
le caractère de l’action ouvrière. Les enseignements de la I
Internationale, son expérience, ne sauraient être oubliés. Ils
forment la base de notre activité.
Elle
donna d’ailleurs à la Commune des militants de valeur. Varlin est
la figure ouvrière qui domine cette époque. On le considère comme
le premier Secrétaire de l’Union des syndicats de la Seine.
Il
faudra attendre longtemps avant qu’une nouvelle expérience de
constitution d’un organisme de liaison devienne possible sur le
terrain international.
C’est
en 1901 que les syndicats allemands convoquent au Congrès de
Copenhague les Centrales Nationales des autres pays. 12 organisations
répondent à l’appel du Centre syndicaliste allemand.
Il
ne sort pas de ce contact une Internationale, mais un Bureau de
renseignements international dit « Secrétariat international des
Centres Syndicaux Nationaux ». Le secrétariat en est confié à
l’Allemagne qui le conservera jusqu’en 1914, avec Legien.
La
C. G. T. qui vient de forger définitivement son Unité au Congrès
de Montpellier, en 1902, donne son adhésion à ce Bureau.
Dès
le début deux conceptions se heurtèrent fondamentalement : celle
des Français qui voulaient une organisation vivante, combative ;
l’autre, celle des Allemands qui ne voulaient faire du Secrétariat
International qu’un organe de renseignements, de statistique,
d’administration.
Les
choses ne tardèrent pas à s’envenimer. À Dublin, en 1903, la C.
G. T. française présenta un rapport sur l’antimilitarisme et la
grève générale. Elle essayait de faire ainsi revivre l’esprit
internationaliste qui animait là I Internationale. Ce fut en vain,
le rapport ne fut ni lu, ni même distribué.
Ce
rapport résumait d’ailleurs remarquablement les conceptions du
syndicalisme français.
On
y lit aussi cette affirmation d’antimilitarisme :
«
L’État n’observe jamais la neutralité. Àu moindre conflit,
pour de simples menaces de grève, il mobilise l’armée et l’envoie
sur le théâtre des événements contre les travailleurs.
L’antimilitarisme doit être mis au premier rang des préoccupations
des travailleurs organisés. C’est une besogne aussi indispensable
et aussi urgente que celle qui consiste à rallier au syndicat les
camarades inconscients. » Le refus autoritaire de Legien de faire
connaître ce rapport montre que l’Internationale n’est qu’un
organisme administratif qui reste étranger à toute action de classe
vraiment ouvrière et internationaliste. Il faut peut être chercher
dans la permanence de cet état d’esprit, l’une des causes
essentielles de la faillite de la Deuxième internationale devant la
guerre.
La
C. G. T. continue de payer ses cotisations mais elle ne participe
pas, en fait, à l’action du Bureau International.
La
C. G. T., devant l’attitude hostile persistante du Secrétariat
International, ne participe pas aux travaux de la quatrième
Conférence qui se tint à Amsterdam, les 23-24 juin 1905, à l’ordre
du jour duquel elle avait demandé à nouveau et avec insistance que
figurent la grève générale, les 8 heures et l’antimilitarisme.
Le
Secrétariat international décida, après consultation des Centres
syndicaux Nationaux, tous défavorables à l’exception de la
Hollande, que ces questions ne figureraient pas à l’ordre du jour.
Elles
étaient, disaient ces Centres, de la compétence, des Congrès
Internationaux du Travail et des Congrès Nationaux.
On
voit quelle était l’étendue du fossé doctrinal qui séparait le
syndicalisme français, libre de toute attache politique, avec les
mouvements syndicaux des autres pays, tous plus ou moins corporatifs
et liés avec les partis social-démocrates.
On
pourrait croire que le syndicalisme français représentait dès
cette époque – et représente encore - un mouvement anachronique
par rapport aux autres mouvements de tous les pays. Il n’en est
rien. Il a atteint une forme particulière, un stade plus évolué,
parce que la France a passé par toutes les phases des révolutions
politiques et que celles-ci ont démontré aux ouvriers français
l’inanité de ces changements qui n’affectent que la forme de
l’État et ne modifient en rien le contrat social, alors que les
autres pays de l’Europe n’ont pas connu ces bouleversements
répétés.
On
a beau, de Moscou, tenter l’impossible pour que ce mouvement, jugé
dangereux - à juste titre d’ailleurs - pour les politiciens et les
Partis disparaisse, il n’en sera pas
ainsi.
L’avenir lui appartient, c’est lui qui, lorsque les Prolétariats
de tous les partis auront perdu toutes leurs illusions politiques,
toute leur foi dans les partis, triomphera en définitive.
En
1906, alors que les incidents du Maroc font craindre une
conflagration, la C.G.T. délègue à Berlin, sou secrétaire
Griffuelhes. Il ne se heurte pas à un refus formel de Legien, mais
il reçoit de celui-ci l’invitation d’avoir à s’adresser au
parti Socialiste.
Cette
réponse permet de mesurer la valeur attribuée au syndicalisme en
Allemagne. Aussi, il est inutile de se demander comment le
Secrétariat international accueillit l’idée qu’exprimée à
Amiens, la Conférence des Bourses, à l’issue du Congrès
Confédéral : « les travailleurs doivent répondre à toute
déclaration de guerre par la
grève
générale. »
Depuis,
certes, l’idée a fait son chemin dans tous la pays, on ne la
considère plus, comme le disait dédaigneusement Legien, comme une
ineptie générale. Mais au Congrès de Stuttgart en 1907, la C.G.T.
devant l’hostilité toujours réservée à ses propositions ne s’en
retirera pas moins du Secrétariat international où tout travail est
devenu impossible. Elle participera cependant à la Conférence de
Paris en 1909. Pendant le conflit du Maroc, en 1911, il y a échange
de délégués entre la France et l’Allemagne sans que soient
aplanies les difficultés originelles.
En
1912, le conflit balkanique et ses extensions possibles amenèrent la
C. G. T. à convoquer un Congrès extraordinaire des syndicats qui
vota la résolution suivante : Le Congrès confédéral
extraordinaire de Paris rappelle que la raison d’être de la C. G.
T. est de grouper en des organisations : syndicats, unions de
syndical,
fédérations
corporatives, les travailleurs avides de conquêtes morales,
matérielles, en créant entre-eux une communauté de pensée,
d’action, d’où résultent a solidarité, une union sans
lesquelles le progrès ne pourrait se réaliser.
Qu’ainsi,
la C. G. T. s’affirme comme le représentant naturel du
prolétariat, puisqu’elle exprime ses désirs de mieux-être et de
liberté et constitue l’organe par lequel elles doivent se
réaliser, en exerçant son action par l’intermédiaire des
groupements précités qui sont autant de foyers répandus à travers
le pays, au sein desquels les travailleurs trouvent les éléments de
leur activité.
Que
par là, la C. G. T. a été créée par la classe ouvrière pour
synthétiser ses aspirations, les coordonner, en vue de leur assurer
une force de rayonnement résultant de l’Unité d’organisation
qui, dans l’autonomie de chaque groupement, puise une valeur plus
grande.
Qu’il
est reconnu par tous que la C. G. T. se présente comme l’interprète
de la volonté des prolétaires organisés, que cette volonté se
dégage du droit même qui appartient à chaque salarié de
participer de façon effective à la vie confédérale. Par ces
considérations, il apparaît qu’à aucun moment il ne peut exister
entre les classes en opposition la moindre communauté de pensée et
d’action. Mieux que tout autre événement social, une guerre fait
éclater cette opposition, puisqu’il s’agit, pour la classe
ouvrière, sans profit pour elle, de répondre à l’appel guerrier
du Capitalisme en courant sus aux prolétaires, victimes
inconscientes du Capitalisme voisin ; que, ce faisant, la classe
ouvrière se prêterait à la plus criminelle besogne devant
augmenter la force d’exploitation du capitalisme et affaiblir, pour
de longues années, le mouvement ouvrier.
Pour
toutes ces raisons, le Congrès Confédéral déclare qu’il ne
reconnaît pas à l’État bourgeois le droit de disposer de la
classe ouvrière ; que celle-ci, majeure, entend poursuivre à son
gré, dans les conditions déterminées par elle, au sein de ses
organismes, son oeuvre de propagande et de conquête.
Qu’en
s’acheminant vers sa libération, elle est résolue à ne rien
sacrifier à une guerre ; qu’au contraire, elle est décidée à
profiter de toute crise sociale pour recourir à une action
révolutionnaire. D’où il résulte que si, par folie ou par calcul
le pays au sein duquel nous sommes placés se lançait dans une
aventure guerrière, au mépris de notre opposition et de nos
avertissements, le devoir de tout travailleur est de me pas répondre
à l’ordre d’appel et de rejoindre son organisation de classe
pour y mener la lutte contre ses seuls adversaires : les
Capitalistes.
Désertant
l’usine, l’atelier, la mine, le chantier, les champs, les
prolétaires devront se réunir dans les groupements de leur
localité, de leur région pour y prendre toutes mesures dictées par
les circonstances et le milieu avec, comme objectif, la conquête de
leur émancipation et, comme moyen, la grève générale
révolutionnaire.
Les
délégués des organisations ouvrières estiment que les salariés,
mis dans l’obligation d’aller à la guerre n’ont qu’une
perspective : accepter les armes pour aller à la frontière
massacrer d’autres salariés ou accepter la lutte contre l’ennemi
commun : le Capitalisme.
Sous
l’empire des obligations imposées par nos dirigeants, les
délégués, en faisant choix de la guerre sociale, c’est-à-dire
de la révolte dés exploités contre les exploiteurs, considèrent
agir en conformité de voeu et de pensée avec les travailleurs
organisés des autres pays également soucieux de ne rien sacrifier à
la cupidité des gouvernants, le mot d’ordre étant pour tous À
bas la guerre entre les Peuples !
Moins
de deux ans après, les craintes du Congrès extraordinaire de Paris
devaient être effroyablement confirmées, sans qu’il ait été
possible d’éveiller à notre conception le Secrétariat
International qui persistait à soutenir que la lutte contre la
guerre n’était pas du ressort du syndicalisme et en laissait le
soin aux partis social démocrates.
Et
en dépit des affirmations produites au meeting de la salle Wagram à
la veille de la guerre par Sassenbach et Bebel, le cataclysme fondit
sur nous, vertigineusement, en juillet 1914.
Ce
fut, dans la faillite la plus lamentable qui soit, la fin de la
deuxième Internationale syndicale.
Il
y aura bien, à Londres en 1925, à Leeds en 1916, des Conférences
interalliées, où on souhaitera la reprise des relations
internationales, mais où, au fond, ne joueront que des nationalismes
cachés représentés par des organisations syndicales ayant épousé
le point de vue de leurs gouvernements respectifs.
La
seule manifestation anti-guerrière, d’ailleurs extra syndicale,
comme Merrheim tint à le préciser à Lyon, fut la Conférence de
Zimmerwald, où Allemands, Suisses, Italiens, Français et Russes
tentèrent de mettre fin à la guerre. La C. G. T. fut nettement
hostile à l’action de Zimmerwald et c’est de toutes ses forces
qu’elle s’opposa à la propagande pacifiste entreprise à ce
moment.
Il
faudra en arriver à la Conférence de Berne (5 au 9 février 1919)
pour voir jeter à nouveau les bases d’une nouvelle Internationale
syndicale. Les Belges et les Américains, plus chauvins encore que
les autres, n’y assistent pas.
C’est
à Berne que fut décidée la tenue du Congrès Constitutif
d’Amsterdam (26 juillet au 2 août 1919) qui reconstituera sur des
bases nouvelles l’organisme international qui entrera dans
l’histoire sous le nom de Fédération syndicale Internationale
d’Amsterdam. Les Allemands et les Autrichiens ont été invités,
mais sont un peu tenus à l’écart. Il y a des relents de
nationalisme qui flottent encore dans l’air d’Amsterdam.
Appleton
des « Trades-Unions Anglaises » sera élu président ; Jouhaux
(France) et Mertens (Belgique) vice-présidents ; Oudegeest et Fimmen
(Hollande) secrétaires. L’Internationale, ainsi reconstituée, ne
comprend pas dans son sein toutes les Centrales européennes -
l’Union syndicale italienne, la Confédération nationale
d’Espagne, les indépendants d’Allemagne (F. À. U. D.) n’y
adhérent pas. En Amérique, seule la Fédération Of Labor adhérera,
puis se retirera. Aucune Centrale de l’Amérique du Sud ne donne
non plus son adhésion. La Fédération syndicale internationale
d’Amsterdam reste une organisation européenne où les
représentants syndicaux de l’ex-Entente de guerre jouent les
premiers rôles.
Elle
ne tardera pas à entrer en conflit avec l’Internationale
communiste d’abord, puis avec l’Internationale syndicale rouge.
L’action réciproquement défensive de ces organisations amènera
bientôt la scission dans presque tous les pays. La France en
souffrira particulièrement, quoique n’ayant été atteinte qu’en
dernier lieu. L’action de la C. G. T. française avec Jouhaux
inspirera celle de l’Internationale d’Amsterdam. Il n’est donc
pas étonnant que la scission en France ait influencé si fortement
la Fédération syndicale d’Amsterdam.
Toutes
les tentatives d’Unité accomplies par l’I.S.R., insincères
d’ailleurs, manoeuvrières certainement, seront repoussées par
Amsterdam qui poursuit, en liaison étroite avec le Bureau
International de Genève et la deuxième Internationale socialiste,
sa besogne démocratique dans toute l’Europe. Il est juste de dire
que, par opposition, Moscou poursuit une autre action politique qui
vise à atteindre des buts
aussi
exclusivement politiques et particuliers.
La
bataille est loin d’être finie entre Amsterdam et Moscou. Il s’est
formé dans le sein de la première de ces Internationales une aile
dite de gauche, avec Fimmen à sa tête, qui poursuit la réalisation
de l’Unité avec Moscou. Elle vient de recevoir l’aide d’une
forte fraction des Trades-Unions anglaises à la tête de laquelle se
trouve le propre président de l’Internationale d’Amsterdam,
Purcell, qui a succédé à Thomas lorsque celui-ci devint ministre
des Colonies dans le cabinet Ramsay Mac Donald. C’est un fait assez
extraordinaire pour qu’on le souligne. Il ne s’en suit pas que
Moscou, même soutenu du dedans, triomphera d’Amsterdam et forcera
les dirigeants hostiles à l’Unité sur les bases proposées par
Losovsky à capituler. Ces luttes menacent d’être terriblement
longues et nul n’en peut prévoir la fin ni l’aboutissement.
L’Internationale
d’Amsterdam, de même que la C. G. T. reste sur ses décisions du
Congrès de Vienne en 1924, qui indiquent que les Centrales
adhérentes à Moscou peuvent entrer à Amsterdam, mais ne veulent
laisser aucune place aux discussions avec l I. S. R. dont la
dissolution doit concorder avec la rentrée des Centrales à
Amsterdam.
La
Constitution de l’A. I. T. n’a pas rendu le problème plus simple
et cependant le Congrès de décembre 1922 à Berlin n’avait pas
d’autre issue s’il voulait rendre possible la coordination des
forces non adhérentes ni à Moscou ni à Amsterdam. Toutefois, il
apparaît qu’avec un peu de compréhension, avec un peu de volonté
éclairée, en raison de l’impossibilité d’action de chacune des
Internationales, agissant séparément, on arrivera un jour, de part
et d’autre, sous la pression des événements, à agir en commun
pour certaines actions déterminées à l’avance.
Ce
serait, sinon la solution idéale, du moins une solution meilleure
qui permettrait, de faire face à l’adversaire capitaliste.
Il
est à craindre que cette sorte d’unité d’action ne se réalise
pas, tant l’opposition des programmes apparaît grande. Il se peut,
en effet, qu’on ne puisse trouver une seule question susceptible de
marquer le point commun de propagande ou d’action. Dans ces
conditions, il est à peu près certain que nous assisterons à la
mise en application successive des deux programmes qui ne sont, ni
l’un ni l’autre, spécifiquement syndicaux. On verra sans doute
se réaliser d’abord le programme social-démocrate et, après un
court laps de temps, les communistes l’emporteront. Si les
syndicalistes, impuissants en ce moment, savent réagir à temps, la
social démocratie et le communisme seront les fourriers du
syndicalisme.
C’est
vraisemblablement à cette dernière hypothèse infiniment probable
qu’il faudra
s’arrêter.
L’action
purement syndicale ne reparaîtra que plus tard. Quand ? Je l’ignore.
Mais elle reparaîtra, parce qu’elle a des racines trop profondes
dans le peuple pour être éliminée. Le syndicalisme représente
l’avenir. Il triomphera en définitive, peut-être plus tôt qu’on
le pense généralement.
Pierre
Besnard
P.
S. Je renonce à donner ici les caractéristiques des Congrès
internationaux de Rome, de Vienne, pour la C. G. T ; de Moscou, pour
la C. G. T. U. et de Berlin, pour le Comité de Défense
syndicaliste. Cette étude déjà trop longue en serait trop
alourdie. Les Congrès seront examinés lors de l’étude sur
l’Internationale, c’est d’ailleurs leur vraie place.
P.
B.
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