jeudi 29 février 2024

Avons nous suffisamment envisagé l'avenir? Si il devait y en avoir un...par M.A.

 Robert Antelme a déclaré après la parution de son livre: "L'espèce humaine", nous aurions du tous nous suicider.

Il est vrai que la question de savoir si on a suffisamment réfléchi les camps de la mort et l'industrie du génocide et sommes-nous sur de l'avoir réfléchi de manière que cela ne puisse pas se répéter. Ce que nous ne sommes pas sûr dans l'ère actuel.

Une autre réflexion se développe dans "Défiguration" de Michel Surya. En effet, le "héros" développe sa pensée, à la veille de mourir, au fil des jours qui s'écoule difficilement. Je vais la retranscrire complètement.


"Aucun livre n'est assez anonyme. Aucun des miens. Aucun de tous ceux que j'ai lus, non plus. Il entre beaucoup trop de leurs auteurs dans tous les livres que j'ai lus. Beaucoup trop de moi dans les miens.

Il faudrait pouvoir se retirer de ce qu'(on écrit. Qu'écrire soit l'analogue d'un abandon. Qu'en ce sens, écrire ressemble à l'abandon par lequel on entre dans l'anonymat de la mort.

Comme nous y sommes nous-même entrés. Comme nous sommes nous-mêmes entrés en masse, anonymement, dans l'horreur. Pour ceux auxquels cette horreur a laissé un nom, à combien l'a-t-elle retiré? Et n'est-ce pas ce qu'elle cherchait: que nul n'eût plus de nom?

Ne pas trahir aurait demandé: être cet anonymat que l'horreur voulait. C'est-à-dire, être soi-même son nom perdu...Etre soi-même son nom insupportable. L'anonymat d'un livre serait: qu'il soit de telle sorte qu'il ne supporte aucun nom.

J'ai eu trop du mien pour écrire comme il l'aurait fallu. Trop de mon nom, trop de mes yeux. Quand il suffisait  - mais comment n'en ai-je pas eu le courage? mais était-il possible de trahir davantage? - de demeurer jusqu'à la fin dans l'état auquel nous avions été réduits où nous n'avions ni nom ni figure.

C'est pourquoi il fallait détruire. Ces pages d'ébauche, ces notes, ces lettres...Tout. Elles trichaient. Elles empruntaient à mon nom retrouvé l'autorité d'une horreur qui avait voulu le lui retirer.

Tout ce que j'ai écrit depuis est tout au plus bon à faire pleurer. N'est-ce pas risible?

Ce n'est qu'aveugle que j'ai compris. Aveugle, l'anonymat me fut rendu, en même temps que je fus rendu à ma défiguration.

Il nous restait cependant une supériorité. Une seule: mourir. Morts, nous aurions échappé à ce que nous avions de commun avec ceux qui nous tuaient.

N'être pas mort avec ceux qui sont morts me fait être le même que ceux qui les ont tués.

A quoi sert de se défendre? Prétendre: la probabilité de la mort était la plus grande? ce n'est pas assez.

Seule notre mort, notre mort à tous, pouvait être de ce qu'ils faisaient la conséquence à laquelle eux-mêmes s'enorgueillissaient d'être jugés. Elle les aurait accusés mieux que ne l'ont fait ceux qui ont survécu.

Or c'était sûr: le premier mot que le premier d'entre les survivants en dirait réduirait cette horreur aux mots de sa survie. A rien de personnel. A rien qui soit assez anonyme pour ne pas trahir que c'est d'anonymes qu'était cherchée la mort. Que nul ne fut jamais assez anonyme pour que sa mort suffit. Pour que, mort, il ne dut pas, en plus, ne plus avoir figure humaine.

il y eut trop de morts pour que je ne puisse pas regretter qu'il n'y en eût pas plus. regretter qu'il n'y en eût pas assez pour que nous l'ayons tous été. Est-ce affreux? ce n'est pas affreux. Ne pas mourir a tenu à si peu et survivre nous a couté...

Sans pouvoir rien oublier. Oubliant cependant. Il n'y a rien ni personne dont on puisse se souvenir assez pour n'être pas accusable de lui avoir survécu. Que j'aie survécu m'accuse (que j'aie survécu assez pour que me souvenir n'ait plus la même force affreuse). Si intolérable qu'ait été ce qu'il a fallu tolérer, si difficile qu'il ait été de ne pas mourir quand même mourir n'était plus difficile - vivre a plus de réalité.

Se souvenir est impossible. N'atteint pas le pire. Trahit. Mieux vaudrait l'oubli. Un complet oubli. Mais oublier aussi est impossible. On n'oublie pas plus qu'on ne se souvient.

Se souvenir est impossible. Oublier l'est aussi. Seule la mort ne trahit pas.

On le comprendra mal: ils l'ont emporté. Survivre n'a servi à rien. Je n'ai pas pu. Je ne pourrai plus. Ni moi ni personne. Survivre ou mourir était indifférent. Survivre demandait la plus grande force. En vain. 

Quand je dis: l'anonymat est la condition des oeuvres qui ne trahiraient pas, qui ne rendraient pas l'horreur sentimentale, je pense: anonyme, je consens à l'abandon du nom par lequel je pouvais opposer à l'horreur rien de vivant.

Quand je dis: toute œuvre triche qui prétend atteindre à la pensée que cette horreur appelait, je pense : seules les oeuvres les pouvaient et leur échec est une condamnation plus grande encore (qui n'en innocente aucune).

Quand je dis: seule la mort de tous, seule notre mort à tous n'aurait pas diminué cette horreur (ne l'aurait pas réduite à ce qu'inévitablement nous en raconterions), je pense: une mort qui n'aurait excepté aucun d'entre nous (qui serait demeurée sans témoins) aurait prémuni la leur contre l'accusation la plus grave: d'avoir fait de la mort quelque chose de pire que la mort, quelque chose à quoi même la peur n'atteint pas.

Quand je dis: avoir survécu m'accuse, je pense: mais était-ce survivre? Oublier ni se souvenir. Dire ni se taire.

De quelque côté que je me tourne, fait comme un rat.

La peur ne m'a plus quitté. Au point qu'il n'était plus même besoin qu'elle ait aucun motif pour que vivre fût une peur, et mourir la seule façon qui restât de se sauver. Mais même la mort avait été à ce point rabaissée qu'elle ne constituait plus un espoir. L'enfer: qu'on ne croie plus qu'il n'existe rien, pas même la mort, pour délivrer d'une peur aussi profonde.

Nos vies ont dépouillé les morts, leur empruntant le peu qui nous restait; c'était les tuer encore. cette logique est l'enfer. Elle effraie.

De tout l'oubli. Un oubli complet. Que disparaisse qui peut se souvenir. Que disparaisse qui le veut. Que disparaisse jusqu'à l'oubli. Rien. Qu'enfin, il n'y ait ni ne reste rien. C'est le mieux. Que savoir soit sans qu'on se souvienne. Qu'on abandonne à la mort l'oubli que le souvenir a été impuissant à empêcher. Que la mort achève l'oubli que même le souvenir a commencé."

mardi 27 février 2024

Titre inconnu pour l'instant

 1/


Jamais.


Jamais le matin je ne me regarde dans un miroir.


Jamais.


Mais ce matin je l'ai fait parce que je savais. Je savais que je ne me verrais pas. Que mon visage ne m'apparaitra plus. Je l'ai disparu. 


La veille, j'avais prévenu tout le monde, j'avais fait en sorte que personne ne soit surpris, que chacun puisse s'y préparer.


Et ce matin, je me suis disparu.


Je me suis plus disparu à mes yeux qu'aux yeux des autres. Il me le fallait. Afin de me survivre. Afin de survivre à ce que je me croyais être. Afin de n'être plus que ce que je voulais être. Un corps qui n'offrait plus de visage, qui n'imposait plus de définitif que la définition que chacun voulait y voir.


De mon visage, je n'en ai jamais eu le moindre souvenir. Cela n'allait donc pas m'imposer des regrets ou de vieilles nostalgies.


©M. A. 26/02/24



2/


Je reviens sur la dernière partie de ce que j'ai dit hier. Je n'ai aucun souvenir de mon visage. Car je l'oublie aussitôt qu'il a disparu de mon regard. 


A chaque fois que je parle ou que je m'exprime, celui-ci prend une forme à chaque fois différente, il devient ce que je dis ou le sentiment que j'exprime. Je ne veux ressembler qu'à ce que j'exprime.


Il est important pour moi aussi que mes interlocuteurs ne gardent aucun souvenir de mon visage, qu'il n'ait en mémoire que les paroles que je prononce. Et l'intention ou l'intonation.


Il m'est difficile d'entendre les compliments que l'on peut me faire sur mon physique. Ceux-ci me déstabilisent, m'indisposent, je n'y crois pas; ce qui est paradoxal, je sais ces gens sincères. La vision que peuvent en avoir les autres ne peut en aucun cas contrer la violence de mon propre rejet. Je vis mon rejet, je suis mon rejet. 


J'ai, semble-t-il, trouvé un confort à raisonner de cette manière. J'y trouve une certaine forme d'élasticité, c est le vocable qui m'est venu dans la réflexion, une élasticité qui me permet d'être et de dire tout ce que j'ai envie de dire. 

 Je trouve aussi un confort de m'oublier, une assurance que je n'aurais peut-être pas si j'avais en permanence en mémoire les grimaces de mes expressions.


©M. A. 27/02/24


3/


Il est évident que je ne peux m'arrêter à ce qui a été dit hier, il est très important sinon essentiel de poursuivre ma réflexion. Soit j'en ai trop dit ou trop peu. 

Je veux ici rassurer ceux qui s'inquiète: je ne souffre pas. Lorsque l'on se rejette avec autant de violence, ou de détermination, et depuis si longtemps, on ne souffre pas de son absence. 

On compose.


Pour dire plus ou plus exactement afin de préciser la pensée, il m'arrive parfois, lorsque je suis en conversation, ou lorsque j'argumente sur un sujet qui me passionne, que, soudain, mon visage m'apparaisse. Alors, il se peut que je bégaie, que je devienne écarlate alors il me faut m'éloigner de la conversation, des interlocuteurs, mais surtout de celui qui menait la conversation et qui m'est apparu. 


Il m'arrive parfois, également, et l'instant est plus cocasse, que par rapport à mes arguments de ma conversation ou de ma discussion, un visage m'apparaisse mais que celui-ci n'est absolument pas adapté au sujet. Il me faut alors me reconcentrer pour que le masque adéquat me revienne. 


Il s'agit simplement du vieux théâtre antique grec.


©M. A. 27/02/24

lundi 19 février 2024

Oeuvres complètes GTeorges Bataille Tome 2

 Article: La nécessité d'éblouir...


La nécessité d'éblouir et d'aveugler peut être exprimée dans l'affirmation qu'en dernière analyse le soleil est le seul objet de la description littéraire. Cette réduction d'une difformité à une fonction naturelle a pour contrepartie la situation sociale faite à n'importe quelle personne, si malade qu'elle soit, si elle se croit obligée de jouer un rôle en rapport avec le soleil.

Dans cette situation où se juxtaposent la gloire avec ce qu'elle apporte d'inadmissible et la misère matérielle ou morale résultant de la réprobation sociale, s'expriment les résultats de l'aspiration prédominante (mais la plupart du temps inconsciente) qui pousse chaque individu agité à sortir du groupe homogène de ses semblables ou plutôt à se faire expulser, manifestement ou non, par ce groupe. L'exclusion sociale envisagée de cette façon sous la forme la plus générale n'est pas différente de celle qui frappe en particulier un certain nombre de catégories sociales: une prostituée, un ascète, un officier d'autrefois en grand uniforme, un criminel, un pr^trecouvert d'ornements bariolés, un bourreau, un fossoyeur sont engendrés en tant que tels par une opération semblable, c'est-à-dire qu'ils sont rejetés du corps homogène et neutre de la société de la même façon que des excréments. Ainsi se constitue en provoquant partout l'excitation la plus angoissée une constellation excrémentielle qui comprend d'autre part le feu, le tonnerre, les dieux, les spectres, les âmes, les lumières et les couleurs, l'argent (la valeur) et l'or, les bijoux et les diamants, les cadavres en décomposition, le soleil.

L'importance de l'exclusion sociale peut être exprimée par les propositions suivantes: lorsqu'un ensemble homogène expulse une de ses parties il lui confère à la fois un caractère répugnant et terrifiant et un éclat aveuglant. La vie humaine n'est valorisée et irréductible à l'homogénéité indifférente des concepts rationnels qu'en raison des qualifications subjectives (dégoût ou fascination) qui résultent des actes arbitraires d'expulsion. Ce que l'on qualifie sous le nom "d'amour" lorsqu'on cherche à déterminer les éléments non intéressés de la vie n'est qu'une représentation fragmentée des ensembles d'impulsions qui sont mis en mouvement dès qu'un objet est trouvé en dehors du cours normal où tout est indifféremment identifiable. L'amour n'étant dans les cas ordinaires que la partie consciente de ces ensembles s'oppose à l'identification (à la connaissance) de l'objet, c'est-à-dire que son objet est nécessairement chargé& d'un caractère hétérogène (analogue au caractère du soleil aveuglant, des excréments, de l'or, des choses sacrées).

En particulier le simple projet d'écrire implique la volonté de modifier à son profit le travail d'identification et de réduction dont chaque individu est l'objet de la part de son milieu. Lorsque le pas est franchi, il parait impossible d'éviter l'angoisse qui accompagne la sensation d'être ridicule au lieu d'être annulé aux yeux d'un certain npombre de personnes réelles ou imaginaires. Il peut donc devenir préférable d'apparaitre volontairement écœurant, non que cela corresponde spécialement à une qualité existante, mais en partie parce qu'il faudrait user de subterfuges pour ne pas l'être dès que l'on commence à provoquer ses semblables pour être vomi par eux. Le simple fait de l'ostentation n'est-il pas déjà extrêmement misérable?

Il est sans aucun doute négligeable que l'on écrive sans confondre tout d'abord sa propre existence avec le soleil, aveuglant tous ceux qui sont assez puérils pour le regarder fixement.. Cette confusion est certainement l'effet d'une nature chétive et dans un certain sens incapable, mais la disproportion entre ce qui est et ce que l'on cherche à représenter est précisèment l'une des conditions du vomissement d'une personne par l'ensemble des autres. C'est dans ce sens que l'on peut dire que l'impuissance est une qualification.

La question du renoncement peut être posée indépendamment de toute circonstance particulière de l'histoire littéraire, en raison de l'impuissance liée au besoin d'aveugler. Cette impuissance peut même porter d'une façon plus ou moins efficace sur la capacité d'écrire et de développer ainsi un sentiment de déchéance et d'abjection beaucoup plus fort que celui qui accompagne généralement le fait qu'on écrit (aussi bien que le fait qu'on est prêtre)."

samedi 17 février 2024

Oeuvres complètes de Georges Bataille Tome 2

 [Note sur le système actuel de répression]


"L'existence de la répression sous la triple forme de l'emprisonnement, du supplice et de la mise à mort met en cause l'existence même des sociétés humaines. Or, s'il était possible que la volonté consciente et réfléchie puisse disposer d'une façon catégorique et en connaissance de cause de ce qui a lieu entre les hommes, il est probable que toute répression serait écartée et les sociétés dissoutes.

Mais il ne peut en être ainsi et tout ce qu'il est possible d'envisager, aujourd'hui qu'il n'est plus temps de revenir aux organisations primitives et aux tabous efficaces d'eux-mêmes, c'est que la société soit organisée de telle façon qu'il n'y ait presque plus jamais de raison de tuer ou de voler, la propriété étant supprimée en principe.

Il serait idéaliste d'imaginer que les choses puissent se transformer à tel point qu'il ne soit plus question de répression sociale. Il y a lieu, tout au contraire, de supposer que certains hommes moins asexués et plus sauvages que les autres continueront à tuer et à voler par passion. Ceux des sentiments humains qui sont irréductibles à la vie sociale ne peuvent être détruits en aucun cas et il est nécessaire qu'ils trouvent une expression dans les représentants les plus admirables de l'espèce, qu'il s'agisse de personnages géniaux et non nuisibles, de déments ou de criminels.

Or, il est probablement temps, parlant au nom, tant de ces criminels que de ces personnages géniaux ou de ces déments de formuler les plus strictes exigences auxquelles il faudra bien que les sociétés et leur répression finissent par se plier.

IL EST INADMISSIBLE QUE LA SOCIETE FRAPPE LES CRIMINELS AUTREMENT QU AU GRAND JOUR;

Il est inadmissible que l'on égorge des hommes à l'aube à la dérobée comme on abat les animaux de boucherie. Il est inadmissible qu'on envoie des hommes pourrir vivants à Cayenne et que les honnêtes bourgeois puissent éviter des les voir pourrir.

Il est inadmissible que des inspecteurs de police puissent infliger des tortures à des prévenus (souvent d'ailleurs innocents) sans que le public puisse assister librement à ces tortures et sans que les noms et les visages des policiers bourreaux soient publiés par les journaux avec les photographies et le récit des supplices.

Il est inadmissible si l'on frappe que l'on porte les coups avec l'affreuse lâcheté du bourgeois repu qui ne tremble pas seulement devant le mal que le criminel peut lui faire mais aussi devant le mal (infiniment plus atroce il est vrai) qu'il fait au criminel: le supplicié possède et d'une façon imprescriptible, le droit de troubler le sommeil des lâches et des pleutres pour la digestion paisible desquels il meurt.

IL EST TEMPS DE CRIER PARTOUT ET DE TOUTES LES FACONS QUE LE SYSTEME DE REPRESSION ACTUELLEMENT EN VIGUEUR EST LE PLUS MONSTRUEUX ET LE PLUS DEGRADANT POUR LES HOMMES DE TOUS CEUX QUI ONT JAMAIS ETE APPLIQUES;

Relativement aux conditions générales d'existence, aussi cruel qu'aucun n'a jamais été, il a perdu entièrement l'élément passionnel sans lequel la répression sociale n'aurait jamais pu naitre. Les sentiments d'un Chinois à l'égard d'un supplicié paraissent humains si on les compare à ceux d'un bourgeois européen à l'égard de ceux qu'il envoie paisiblement au bagne ou à la mort. En Chine le foie de celui qui est mort en subissant orgueilleusement un supplice est mangé par un autre homme qui l'a admiré et qui veut s'approprier sa valeur. Ceci conduit à dire qu'une société n'a le droit de frapper les criminels que dans la mesure où elle reconnait le caractère sacré du crime, que dans la mesure où elle sacrifie un homme qui, en choisissant volontairement la voie du crime, s'est voué lui-même au sacrifice. dans une société sans hypocrisie, le fait criminel ne peut être regardé par ceux qui s'y opposent en raison d'une triste nécessité, qu'en tant qu'il désigne un homme à la façon de l'extase du martyr ou du délire sexuel de l'insecte, à une mort violente et sacrificielle.

La mort à la condition qu'elle soit appliquée de la façon la plus provocante possible, à la condition qu'aucun autre homme ne puisse échapper à la terreur ou à la jouissance qui en résulte, à la condition surtout que le condamné soit traité jusqu'au moment du supplice non comme un criminel mais comme un dieu ou une victime, la mort (et pour les simples voleurs le pilori, à l'exclusion de toute prison, comme de tout bagne) peut être admise dans une société avec la valeur d'une répression - écartant du crime les lâches - seulement en tant qu'elle élève celui qu'elle frappe au-dessus de toutes les chiffes humaines terrifiées, de même qu'un oiseau de proie au-dessus de la volaille."

dimanche 4 février 2024

Michel Surya : « Défense d’écrire »

 


 

« C’est affaire d’âge ou de génération sans doute : le communisme a toujours pour moi été mort ; si j’ose dire, politiquement mort, qui ne l’est donc pas devenu depuis,. Parce que l’Union Soviétique, bien sûr, avait eu tôt fait d’engloutir le bolchévisme, qui l’a tué dans l’œuf – mon adolescence a suffi pour que je le sache. Parce que mai 1968 ensuite –dont les années 70 ont eu si cruellement raison, je l’ai dit déjà. Et parce que la révolution chinoise n’aura pas eu le temps, en tout cas pour moi, de remplacer l’illusion bolchévique par l’illusion itérative ou substitutive dont on a tous toujours pauvrement besoin, pour ne pas rester sans illusion. Après que la grande politique a disparu, alors, du communisme donc, supposons-le puisque tu le demandes, mais j’aimerais mieux dire révolutionnaire (c’est-à-dire utopique ou anarchiste), le temps est tout de suite venu que la petite politique (progressiste dans le meilleur des cas) disparaisse aussi, à son tour, dans laquelle se sont tous tout aussitôt reconvertis les déçus de la grande. Les convertis de fraîche date, les repentis : époque sinistre ! L’encan généralisé ! C’est-à-dire le sauve-qui-peut des places ! S’il y a quelque chose dont le temps de mon travail a été contemporain, c’est de la disparition même de la petite politique, pas de la grande, puisque le peu qu’il restait de cette dernière s’était réfugié dans la petite, dont 1981 (ou si on préfère, 83) aura été l’illustration sinistre. Petite politique qui, pour les mieux lotis, n’existe plus depuis que sous les traits résiduels, amers, revanchards, de l’accomplissement narcissique et servile des mouvements prospérant de la domination de l’argent et, pour les plus mal lotis (mais parfois pour les mêmes tellement tout le monde semble perdu), du retour aux vieilleries violentes, identitaires, nationales, religieuses – tout le toutim de l’horreur des années trente en somme, même s’il n’y a pas encore besoin d’y mettre la même violence. »