jeudi 29 août 2019

L'étincelle Claude-Joseph Dorat

Donne-moi, ma belle maitresse,
Donne-moi, disais-je, un baiser,
Doux, amoureux, plein de tendresse...
Tu n'oseras me le refuser:
Mais que mon bonheur fut rapide !
Ta bouche à peine, souvient-t-en,
Eut effleuré ma bouche avide,
Elle s'en détache à l'instant. Ainsi s'exhale une étincelle.
Oui, plus que Tantale agité,
Je vois, comme une onde infidèle,
Fuir le bien qui m'est présenté.
Ton baiser m'échappe, cruelle !
Le désir seul m'en est resté.

1757

Je songeais que Philis des enfers revenue Théophile de Viau

Je songeais que Philis des enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantôme encore fit l'amour
Et que comme Ixion j'embrassasse une nue.

Son ombre dans mon lit se glissa toute nue
Et me dit: " Cher Tircis, me voici de retour,
Je n'ai fait qu'embellir en ce triste séjour
Où depuis ton départ le sort m'a retenue.

Je viens pour rebaiser le plus beau des amants,
Je viens pour remourir dans tes embrassements."
Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme

Elle me dit: " Adieu, je m'en vais chez les morts.
Comme tu t'es vanté d'avoir foutu mon corps,
Tu pourras te vanter d'avoir d'avoir foutu mon âme."

1608

Satire XI Jacques du Lorens

Pour être courtisans, il faut dissimuler,
Faire le chien couchant, ou ne s'en point mêler;
Je n'ai point ces vertus: comme sous une halle,
Mon esprit simplement sa marchandise étale;
Je hais tout sacrifice et tout déguisement,
Je ne sais ni louer ni blâmer faussement;
Bref, qu'en tous mes propos je suis si véritable
Qu'un grand ne me veut voir qu'une fois à sa table;
Et d'ailleurs je ne suis ni flatteur ni devin,
Un peu trop librement je demande du vin;
Je jouerais à la cour un mauvais personnage,
Vu, comme chacun sait, que je n'ai qu'un visage.

Comme un vaisseau sur mer, selon qu'il a le vent,
Fuit quelquefois le nord pour cingler au levant,
Pource qu'il périrait s'il n'avait qu'une route,
L'homme que tu connais fait de même sans doute;
Il a sur son esprit tant de commandement
Qu'à tout ce qu'il lui plait il le ploie aisèment;
Selon le temps qui fait, ou l'astre qui domine,
Il change d'entretien, et de geste, et de mine.
L'église a divers chants en diverses saisons,
Et tout cela fondé sur de bonnes raisons;
Lui sans comparaison ne fait rien qu'il n'en dise
Le pourquoi, le comment, et qu'il ne l'étudie.

Enfin il s'est acquis un pouvoir sur lui-même
Tellement absolu qu'il n'en est point de même;
A ce que veut un autre il est si tôt porté
Qu'il semble n'avoir point de propre volonté.

1618

Les jaloux trompés Claude-Joseph Dorat

Aimons nous, ame de ma vie,
Aimons, dans l'âge des amours;
De la vieillesse et de l'envie
Que nous importent les discours?
On voit mourir et renaitre les jours:
Mais dès que la lumière, hélas! Nous est ravie,
Songes-y bien, c'est pour toujours.
Jette toi dans mes bras; je brûle, je t'adore,
Viens...au désir laisse nous emporter.
Baisons nous mille fois et mille fois encore,
Puis encore mille fois...pour ne nous plus quitter!
Soyons fiers, O Thais, du noeud qui nous
rassemble;
Mais confondons si bien tous nos baisers ensemble,
Que les yeux des jaloux ne puissent les compter.

1754

mercredi 28 août 2019

Nestor Makhno Proubouzdénié N°18


L'anarchisme, ce n'est pas un enseignement exclusivement théorique, à partir de programmes élaborés artificiellement dans le but de régir la vie ; c'est un enseignement tiré de la vie à travers toutes ses saines manifestations, passant outre à toutes les normes artificielles.
La physionomie sociale et politique de l'anarchisme, c'est une société libre, anti-autoritaire, celle qui instaure la liberté, l'égalité et la solidarité entre tous ses membres.
Le Droit, dans l'anarchisme, c'est la responsabilité de l'individu, celle qui entraîne une garantie véritable de la liberté et de la justice sociale, pour tous et pour chacun, partout et de tous temps. C'est là que naît le communisme.
L'anarchisme naît naturellement chez l'homme ; le communisme, lui, en est le développement logique.
Ces affirmations demandent à être appuyées théoriquement à l'aide de l'analyse scientifique et de données concrètes, afin de devenir des postulats fondamentaux de l'anarchisme. Cependant, les grands théoriciens libertaires, tels que Godwin, Proudhon, Bakounine, Johann Most, Kropotkine, Malatesta, Sébastien Faure et de nombreux autres n'ont pas voulu, du moins je le suppose, enfermer la doctrine dans des cadres rigides et définitifs. Bien au contraire, on peut dire que le dogme scientifique de l'anarchisme, c'est l'aspiration à démontrer qu'il est inhérent à la nature humaine de ne jamais se contenter de ses conquêtes. La seule chose qui ne change pas dans l'anarchisme scientifique, c'est la tendance naturelle à rejeter toutes les chaînes et toute entreprise d'exploitation de l'homme par l'homme. En lieu et place des chaînes et de l’esclavage instaurés actuellement dans la société humaine - ce que, d'ailleurs, le socialisme n'a pu et ne peut supprimer -, l'anarchisme sème la liberté et le droit inaliénable de l'homme à en user.
En tant qu'anarchiste révolutionnaire, j'ai participé à la vie du peuple ukrainien durant la révolution. Ce peuple a ressenti instinctivement à travers son activité l’exigence vitale des idées libertaires et en a également subi le poids tragique. J'ai connu, sans fléchir, les mêmes rigueurs dramatiques de cette lutte collective, mais, bien souvent, je me suis retrouvé impuissant à comprendre puis à formuler les exigences du moment. En général, je me suis rapidement repris et j'ai clairement saisi que le but vers lequel, moi et mes camarades, nous appelions à lutter était directement assimilé par la masse qui combattait pour la liberté et l'indépendance de l'individu et de l’humanité entière.
L'expérience de la lutte pratique a renforcé ma conviction que l'anarchisme éduque d'une manière vivante l'homme. C'est un enseignement tout aussi révolutionnaire que la vie, il est tout aussi varié et puissant dans ses manifestations que la vie créatrice de l'homme et, en fait, il s'y identifie intimement.
En tant qu'anarchiste révolutionnaire, et tant que j'aurai un lien au moins aussi ténu qu'un cheveu avec cette qualification, je t'appellerai, toi frère humilié, à la lutte pour la réalisation de l'idéal anarchiste. En effet, ce n'est que par cette lutte pour la liberté, l'égalité et la solidarité que tu comprendra l'anarchisme.
L'anarchisme existe, donc, naturellement chez l'homme: il l'émancipe historiquement de la psychologie servile - acquise artificiellement - et l'aide à devenir un combattant conscient contre l'esclavage sous toutes ses formes. C'est en cela que l'anarchisme est révolutionnaire.
Plus l'homme prend conscience, par la réflexion, de sa situation servile, plus il s'en indigne, plus l'esprit anarchiste de liberté, de volonté et d'action s'incruste en lui. Cela concerne chaque individu, homme ou femme, même s'ils n'ont jamais entendu parler du mot "anarchisme".
La nature de l'homme est anarchiste: elle s'oppose à tout ce qui tend à l'emprisonner. Cette essence naturelle de l'homme, selon moi, s'exprime dans le terme scientifique d'anarchisme. Celui-ci, en tant qu'idéal de vie chez l'homme, joue un rôle significatif dans l'évolution humaine. Les oppresseurs, tout aussi bien que les opprimés, commencent peu à peu à remarquer ce rôle; aussi, les premiers aspirent-ils par tout les moyens à déformer cet idéal, alors que les seconds aspirent, eux, à les rendre plus accessibles à atteindre.
La compréhension de l'idéal anarchiste chez l'esclave et le maître grandit avec la civilisation moderne. En dépit des fins que celle-ci s'était jusque là données - endormir et bloquer toute tendance naturelle chez l'homme à protester contre tout outrage à sa dignité -, elle n'a pu faire taire les esprits scientifiques indépendants qui ont mis à nu la véritable provenance de l'homme et démontré l’inexistence de Dieu, considéré auparavant comme le créateur de l'humanité. Par suite, il est devenu naturellement plus facile de prouver de manière irréfutable le caractère artificiel des "onctions divines" sur terre et des relations infamantes qu'elles entraînaient contre les homes.
Tous ces évènements ont considérablement aidé au développement conscient des idées anarchistes. Il est tout aussi vrai que des conceptions artificielles ont vu le jour à la même époque: le libéralisme et le socialisme prétendument "scientifique", dont l'une des branches est représentée par le bolchevisme-communisme. Toutefois, malgré toute leur immense influence sur la psychologie de la société moderne, ou du moins sur une grande partie d'entre elle, et malgré leur triomphe sur la réaction classique d'une part, et sur la personnalité de l'individu, d'autre part, ces conceptions artificielles tendent à glisser sur la pente menant aux formes déjà connues du vieux monde.
L'homme libre, qui prend conscience et qui l'exprime autour de lui, enterre et enterrera inévitablement tout le passé infamant de l'humanité, ainsi que tout ce que cela entraînerait comme tromperie, violence arbitraire et avilissement. Il enterrera aussi ces enseignements artificiels.
L'individu se libère peu à peu, dès à présent, de la chape de mensonges et de lâcheté dont l'ont recouvert depuis sa naissance les dieux terrestres, cela à l'aide de la force grossière de la baïonnette, du rouble, de la "justice" et de la science hypocrite - celle des apprentis sorciers.
En se débarrassant d'une telle infamie, l'individu atteint la plénitude qui lui fait découvrir la carte de la vie: il y remarque en premier lieu son ancienne vie servile, repoussante de lâcheté et de misère. Cette vie ancienne avait tué en lui, en l'asservissant, tout ce qui avait de propre, clair et valable au départ, pour le transformer soit en mouton bêlant, soit en maître imbécile qui piétine et déchire tout ce qu'il y a de bon en lui-même et chez autrui.
C'est seulement à ce moment que l'homme s'éveille à la liberté naturelle, indépendante de qui ou de quoi que ce soit et qui réduit en cendre tout ce qui lui est contraire, tout ce qui viole la pureté et la beauté captivante de la nature, laquelle se manifeste et croît à travers l’œuvre créatrice autonome de l'individu. Ce n'est qu'ici que l'homme revient à lui-même et qu'il condamne pour toujours son passé honteux, coupant avec lui tout lien psychique qui emprisonnait jusqu'ici sa vie individuelle et sociale, par le poids de son ascendance servile et aussi, en partie, par sa propre démission, encouragée et accrue par les chamans de la science.
Désormais, l'homme avance d'année en année autant qu'il le faisait auparavant de génération en génération, vers une fin hautement étique: ne pas être, ni devenir lui-même un chaman, un prophète du pouvoir sur autrui et ne plus permettre à d'autres de disposer d'un pouvoir sur lui.
Libéré des dieux célestes et terrestres, ainsi que de toutes leurs prescriptions morales et sociales, l'homme élève la voix et s'oppose en actes contre l'exploitation de l'homme par l'homme et le dévoiement de sa nature, laquelle reste invariablement liée à la marche en avant, vers la plénitude et la perfection. Cet homme révolté ayant pris conscience de soi et de la situation de ses frères opprimés et humiliés, s'exprime dorénavant avec son cœur et sa raison: il devient un anarchiste révolutionnaire, le seul individu qui puisse avoir soif de liberté, de plénitude et de perfection tant pour lui que pour le genre humain, foulant à ses pieds l'esclavage et l'idiotie sociale qui s'est incarnée historiquement par la violence - l’État. Contre cet assassin et bandit organisé, l'homme libre s'organise à son tour avec ses semblables, en vue de se renforcer et d'adopter une orientation véritablement communiste dans toutes les conquêtes communes accomplies sur la voie créatrice, à la fois grandiose et pénible.
Les individus membres de tels groupes s'émancipent par là même de la tutelle criminelle de la société dominante, dans la mesure où ils redeviennent eux-mêmes, c'est à dire qu'ils rejettent toute servilité envers autrui, quelqu'ils aient pu être auparavant: ouvrier, paysan, étudiant ou intellectuels. C'est ainsi qu'ils échappent à la condition soit d'âne bâté, d'esclave, de fonctionnaire ou de laquais se vendant à des maîtres imbéciles.
En tant qu'individu, l'homme se rapproche de sa personnalité authentique lorsqu’il rejette et réduit en cendres les idées fausses sur sa vie, retrouvant ainsi tous ses véritables droits. C'est par cette double démarche de rejet et d'affirmation que l'individu devient un anarchiste révolutionnaire et un communiste conscient.
En tant qu'idéal de vie humaine, l'anarchisme se révèle consciemment en chaque individu comme une aspiration naturelle de la pensée vers une vie libre et créatrice, conduisant à un idéal social de bonheur. A notre siècle, la société anarchiste ou société harmonieuse n'apparaît plus comme une chimère. Cependant, autant que son élaboration et son aménagement pratique, sa conception paraît encore peu évidente.
En tant qu'enseignement portant sur une vie nouvelle de l'homme et de son développement créateur, tant sur le plan individuel que social, l'idée même de l'anarchisme se fonde sur la vérité indestructible de la nature humaine et sur les preuves indiscutables de l'injustice de la société actuelle - véritable plaie permanente. Cette constatation conduit ses partisans - les anarchistes - à se trouver en situation à demi ou entièrement illégale vis-à-vis des institutions officielle de la société actuelle. En effet, l'anarchisme ne peut être reconnu tout à fait légal dans aucun pays; cela s'explique par son serviteur et maître: l’État. La société s'y est complètement dissoute; toutes ses fonctions et affaires sociales sont passées aux mains de l’État. Le groupe de personnes qui a parasité de tous temps l'humanité, en lui construisant des "tranchées" dans sa vie, s'est ainsi identifié à l’État. Que ce soit individuellement ou en masse innombrable, l'homme se retrouve à la merci de ce groupe de fainéants se faisant appeler "gouvernants et maîtres", alors qu'ils ne sont en réalité que de simple exploiteurs et oppresseurs.
C'est à ces requins qui abrutissent et soumettent le monde actuel, qu'ils soient gouvernants de droite ou de gauche, bourgeois ou socialistes étatistes, que la grande idée d'anarchisme ne plaît en aucune sorte. La différence entre ces requins tient en ce que les premiers sont des bourgeois déclarés - par conséquents moins hypocrites -, alors que les seconds, les socialistes étatistes de toutes nuances, et surtout parmi eux les collectivistes qui se sont indûment accolés le nom de communistes, à savoir les bolcheviks, se dissimilent hypocritement sous les mots d'ordre de "fraternité et d'égalité". Les bolcheviks sont prêt à repeindre mille fois le société actuelle ou à changer mille fois la dénomination des systèmes de domination des uns et d'esclavage des autres, bref à modifier les appellations selon les besoins de leurs programmes, sans changer pour autant un iota de la nature de la société actuelle, quitte à échafauder dans leurs stupides programmes des compromis aux contradictions naturelles qui existent entre la domination et la servitude. Bien qu'ils sachent que ces contradictions soient insurmontables, ils les entretiennent tout de même, à la seule fin de ne pas laisser apparaître dans la vie le seul idéal humain véritable: le communisme libertaire.
Selon leur programme absurde, les socialistes et communistes étatistes ont décidé de "permettre" à l'homme de se livrer socialement, sans qu'il soit possible pour autant de manifester cette liberté dans sa vie sociale. Quant à laisser l'homme s'émanciper spirituellement en totalité, de manière à ce qu'il soit entièrement libre d'agir et de se soumettre uniquement à sa propre volonté et aux seules lois naturelles, bien qu'ils abordent peu ce sujet, il ne saurait pour eux en être question. C'est la raison pour laquelle ils unissent leurs efforts à ceux des bourgeois afin que cette émancipation ne puisse jamais échapper à leur odieuse tutelle. De toute façon, l'"émancipation" octroyée par un pouvoir politique quelconque, on sait bien désormais quel aspect cela peur revêtir.
Le bourgeois trouve naturel de parler des travailleurs comme d'esclaves condamné à le rester. Il n'encouragera jamais un travail authentique susceptible de produire quelque chose de réellement utile et beau, pouvant bénéficier à l'humanité entière. Malgré les capitaux colossaux dont il dispose dans l'industrie et l'agriculture, il affirme ne pas pouvoir aménager des principes de vie sociale nouvelle. Le présent lui paraît tout fait suffisant, car tout les puissants s’inclinent devant lui: les tsars, les présidents, les gouvernements et la quasi-totalité des intellectuels et savants, tout ceux qui soumettent à leur tour les esclaves de la société nouvelle. "Domestiques" crient les bourgeois à leur fidèles serviteurs, donnez aux esclaves le servile qui leur est dû, gardez la part qui vous revient pour vos dévoués services, puis conservez le reste pour nous !... Pour eux, dans ces conditions, la vie ne peut être que belle !
"Non nous ne sommes pas d'accord avec vous là-dessus ! rétorquent les socialistes et communistes étatistes. Sur ce, ils s'adressent aux travailleurs, les organisent en parti politiques, puis les incitent à se révolter en tenant le discours suivant: "Chassez les bourgeois du pouvoir de l’État et donnez-nous-le, à nous socialistes et communistes étatistes, ensuite nous vous défendrons et libérerons".
Ennemis acharnés et naturels du pouvoir d’État, bien plus que les fainéants et les privilégiés, les travailleurs expriment leur haine, s'insurgent accomplissent la révolution, détruisent le pouvoir d’État et en chassent ses détenteurs, puis, soit par naïveté soit par manque de vigilance, ils laissent les socialistes s'en emparer. En Russie, ils on laisser les bolcheviks-communistes se l'accaparer. Ces lâches jésuites, ces monstres et bourreaux de la liberté se mettent alors à égorger, à fusiller et à écraser les gens, même désarmés, tout comme auparavant les bourgeois, si ce n'est pire encore. Ils fusillent pour soumettre l'esprit indépendant, qu'il soit individuel ou collectif, dans le but d'anéantir pour toujours en l'homme l'esprit de liberté et la volonté créatrice, de le rendre esclave spirituel et laquais physique d'un groupe de scélérats installés à la place du trône déchu, n'hésitant pas à utiliser des tueurs pour se subordonner la masse et éliminer les récalcitrants.
L'homme gémit sous le poids des chaînes du pouvoir socialiste en Russie. Il gémit aussi dans les autres pays sous le joug des socialistes unis à la bourgeoisie, ou bien sous celui de la seule bourgeoisie. Partout, individuellement ou collectivement, l'homme gémit sous l'oppression du pouvoir d’État et de ses folies politiques et économiques. Peu de gens s'intéressent à ses souffrances sans avoir en même temps d'arrières-pensées, car les bourreaux, anciens ou nouveaux, sont très forts spirituellement et physiquement: ils disposent de grands moyens efficaces pour soutenir leur emprise et écraser tout et tous ceux qui se mettent en travers de leur chemin.
Brûlant de défendre ses droits à la vie, à la liberté et au bonheur, l'homme veut manifester sa volonté créatrice en se mêlant au tourbillon de violence. Devant l'issue incertaine de son combat, il a parfois tendance à baisser les bras devant sont bourreau, au moment même où celui-ci passe le nœud coulant autour du cou, cela alors qu'un seul de ses regards audacieux suffirait à faire trembler le bourreau et à remette en cause tout le fardeau du joug. Malheureusement, l'homme préfère bien souvent fermer les yeux au moment même où le bourreau passe un nœud coulant sur sa vie toute entière.
Seul, l'homme qui a réussi à se débarrasser des chaînes de l'oppression et observé toutes les horreurs se commettant contre le genre humain, peut être convaincu que sa liberté et celle de son semblable sont inviolables, tout autant que leur vies, et que son semblable est un frère. S'il est prêt à conquérir et à défendre sa liberté, à exterminer tout exploiteur et tout bourreau (si celui-ci n'abandonne pas sa lâche profession), puis s'il ne se donne pas pour but dans sa lutte contre le mal de la société contemporaine de remplacer le pouvoir bourgeois par un autre pouvoir tout aussi oppresseur - socialiste, communiste ou "ouvrier" (bolchevik) -, mais d'instaurer une société réellement libre, organisée à partir de la responsabilité individuelle et garantissant à tous une liberté authentique et une justice sociale égale pour tous, seul cet homme là est un anarchiste révolutionnaire. il peut sans crainte regarder les actes du bourreau-État et recevoir s'il le faut son verdict, et aussi énoncer le sien à l'occasion en déclarant: "Non, il ne saurait en être ainsi ! Révolte-toi, frère opprimé! Insurge-toi contre tout pouvoir de l’État ! Détruis le pouvoir de la bourgeoisie et ne le remplace pas par celui des socialistes et des bolcheviks-communistes. Supprime tout pouvoir d’État et chasse ses partisans, car tu ne trouveras jamais d'amis parmi eux."
Le pouvoir des socialistes ou communistes étatistes est tout aussi nocif que celui de la bourgeoisie. Il arrive même qu'il le soit encore davantage, lorsqu’il fait ses expériences avec le sang et la vie des hommes. A ce moment, il ne tarde pas à rejoindre à la dérobée les prémices du pouvoir bourgeois; il ne craint plus alors de recourir aux pires moyens en mettant et en trompant encore plus que tout autre pouvoir. Les idées du socialisme ou communisme d’État deviennent même superflues: il ne s'en sert plus et se rapproche à toutes celles qui peuvent lui servir à s'agripper au pouvoir. En fin de compte, il ne fait qu'employer des moyens nouveaux pour perpétuer la domination et devenir plus lâche que la bourgeoisie qui, elle, pend le révolutionnaire publiquement, alors que le bolchevisme-communisme, lui, tue et étrangle en cachette.
Toute révolution qui a mis aux prises la bourgeoisie et les socialistes ou communistes d’État illustre bien ce que je viens d'affirmer, en particulier si l'on considère l'exemple des révolutions russes de février et d'octobre 1917. Ayant renversé l'empire russe, les masses laborieuses se sentirent en conséquence à demi émancipée politiquement et aspirèrent a parachever cette libération. Elles se mirent à transmettre les terres, confisquées aux grands propriétaires terriens et au clergé, à ceux qui les cultivaient ou qui avaient l'intention de le faire sans exploiter le travail d'autrui. Dans les villes, ce furent les usines, les fabriques, les typographies et autres entreprises sociales qui furent prises en main par ceux qui y travaillaient. Lors de ces réalisations saines et enthousiastes, tendant à instaurer des relations fraternelles entre les villes et les campagnes, les travailleurs ne voulurent pas remarquer qu'à Kiev, Kharkov et Petrograd, des gouvernements nouveaux se mettaient en place.
A travers ses organisations de classe, le peuple aspirait à poser le fondement d'une société nouvelle et libre devant éliminer, en toute indépendance, au cours de son développement, du corps social tous les parasites et tous les pouvoirs des uns sur les autres, jugés stupides et nuisibles par les travailleurs.
Une telle démarche s'affirma nettement en Ukraine, dans l'Oural et en Sibérie. A Tiflis, Kiev, Petrograd et Moscou, au cœur même des pouvoir mourants, cette tendance se fit jour. Toutefois, partout et toujours, les socialistes et communistes d’État avaient et on encore leurs nombreux partisans, ainsi que leurs tueurs à gages. Parmi ceux-ci, il faut malheureusement constater qu'il y eu de nombreux travailleurs. A l'aide de ces tueurs les bolcheviks ont coupé court à l’œuvre du peuple, et d'une manière si terrible que même l'inquisition du Moyen Age pourrait les envier.
Quant a nous, connaissant la véritable nature de l’État, nous disons aux guides socialistes et bolcheviks: "Honte à vous ! Vous avez tant écrit et discuté de la férocité bourgeoise à l'égard des opprimés. Vous avez défendu avec tant d'acharnement la pureté révolutionnaire et le dévouement des travailleurs en lutte pour leur émancipation et maintenant, parvenu au pouvoir, vous vous révélez ou bien les même lâches laquais de la bourgeoisie ou bien vous devenez vous même bourgeois en utilisant ses moyens, au point même qu'elle s'en étonne et s'en moque."
D'ailleurs à travers les expériences du bolchevisme-communiste, la bourgeoisie a compris, ces dernières années, que la chimère scientifique d'un socialisme étatique ne pouvait se passer ni des moyens, ni même d'elle même. Elle l'a si bien compris qu'elle se moque de ses élèves qui n'arrivent même pas à sa hauteur. Elle à compris que, dans le système socialiste, l'exploitation et la violence organisée contre la majorité de la masse laborieuse ne suppriment nullement la vie débauchée et le parasitisme des fainéants, qu'en fait l'exploitation ne change que de nom puis croît et se renforce. Et c'est bien ce que la réalité nous confirme. Il n'y a qu'à constater la maraude des bolcheviks et leur monopole sur les conquêtes révolutionnaire du peuple, ainsi que leur police, leurs tribunaux, prisons et armée de geôliers, tous employés contre la révolution. L'armée "rouge" continue d'être recrutée de force ! On y retrouve les mêmes fonctions qu'auparavant, bien qu'elles s'y dénomment autrement, en étant encore plus irresponsable et dévoyées.
Le libéralisme, le socialisme et le communisme d’État sont trois membres de la même famille empruntant des voies différentes pour exercer leur pouvoir sur l'homme, afin de l'empêcher d'atteindre son plein épanouissement vers la liberté et l'indépendance en créant un principe nouveau, sain et authentique à partir d'un idéal social valable pour tout le genre humain.
"Révolte-toi ! déclare l'anarchiste révolutionnaire à l'opprimé. Insurge-toi et supprime tout pouvoir sur toi et en toi. Et ne participe pas à en créer un nouveau sur autrui. Sois libre et défends la liberté des autres contre toutes atteintes !"
Le pouvoir dans la société humaine est surtout prôné par ceux qui n'ont jamais vécu véritablement de leur propre travail et d'une vie saine, ou bien, encore, qui n'en vivent plus ou qui ne veulent pas en vivre. Le pouvoir d’État ne pourra jamais donner la joie, le bonheur et l'épanouissement à une société quelle qu'elle soit. Ce pouvoir à été créé par des fainéant dans le but unique de piller et d'exercer leur violence, souvent meurtrière, contre tous ceux qui produisent, par leur travail - que ce soit par la volonté, l'intelligence ou les muscles - , tout ce qui est utile et bon dans la vie de l'homme.
Que ce pouvoir se qualifie de bourgeois, de socialiste, de bolchevik-communiste, d'ouvrier ou de paysan, cela revient au même: il est tout aussi nocif à l'individualité saine et heureuse et à la société dans son ensemble. La nature de tout pouvoir d’État est partout identique: anéantir la liberté de l'individu, le transformer spirituellement en laquais, puis de s'en servir pour les besognes les plus sales. Il n'y a pas de pouvoir inoffensif.
"Frère opprimé, chasse en toi le pouvoir et ne permet pas qu'il s'instaure ni sur toi ni sur ton frère, proche ou lointain !"
La vraie vie, saine et joyeuse, de l'individu et de la collectivité ne se construit pas à l'aide du pouvoir et de programmes qui tentent de l'enfermer en des formules et des lois écrites. Non, elle ne peut s'édifier qu'à partir de la liberté individuelle, de son œuvre créatrice et indépendante, s'affirmant par les phases de destruction et de construction.
La liberté de chaque individu fonde la société libertaire; celle-ci atteint son intégralité par la décentralisation et la réalisation but commun: le communisme libertaire.
Lorsque nous nous représentons la société communiste libertaire, nous la voyons comme une société grandiose et harmonieuse dans ses relations humaines. Elle repose principalement sur les individus libre qui se groupent en associations infinitaires - que ce soit par intérêt, nécessité ou penchants -, garantissant une justice sociale à titre égal pour tous en se liant en fédérations et confédérations.
Le communisme libertaire, c'est une société qui se fonde sur la vie libre de tout homme, sur son droit intangible à un développement infini, sur la suppression de toutes les injustices et de tous les maux qui ont entravé le progrès et le perfectionnement de la société en la partageant en couches et en classes, sources de l'oppression et de la violence des uns sur les autres.
La société libertaire se donne pour but de rendre plus belle et plus radieuse la vie de chacun, au moyen de son travail, de sa volonté et de son intelligence. En plein accord avec la nature, le communisme libertaire se fonde par conséquent sur la vie de l'homme pleinement épanoui, indépendant, créateur et absolument libre. C'est la raison pour laquelle ses adeptes apparaissent dans leur vie comme des êtres libres et radieux.
Le travail et les relation fraternelles entre tous, l'amour de la vie, la passion de la création belle et libre, toutes ces valeurs motivent la vie et l'activité des communistes libertaires. Ils n'ont nul besoin de prisons, de bourreaux, d'espions et de provocateurs, utilisés par contre en grands nombre par le socialistes et communistes étatistes. Par principe, les communistes libertaire n'ont aucun besoin des bandits et assassins à gages dont le pire exemple et le chef suprême est en fin de compte, l’État. Frère opprimé ! Prépare-toi à la fondation de cette société là, par la réflexion et au moyen de l'action organisée. Seulement, souviens-toi que ton organisation doit être solide et constante dans son activité sociale. L'ennemi absolu de ton émancipation, c'est l’État; il s'incarne au mieux par l'union des cinq types suivants: le propriétaire, le militaire, le juge, le prêtre et celui qui est leur serviteur à tous, l'intellectuel. Dans la plupart des cas, ce dernier se charge de prouver les droits "légitimes" de ses quatre maître à sanctionner le genre humain, à normaliser la vie de l'homme sous tous ses aspects individuels et sociaux, cela en déformant le sens des lois naturelles pour codifier des lois "historiques et juridiques", œuvres criminelles de plumitifs stipendiés.
L'ennemi est très fort car, depuis des millénaires, il vit de pillages et de violences; il en a retiré de l'expérience, il a surmonté des crises internes et il adopte maintenant une nouvelle physionomie, étant menacé de disparition par l'apparition d'une science nouvelle qui réveille l'homme de son sommeil séculaire. Cette science nouvelle libère l'homme de ses préjugés et lui fournit des armes pour se découvrir lui-même et trouver sa véritable place dans la vie, malgré tous les efforts des apprentis-sorciers de l'union des "cinq" pour l'empêcher d'avancer sur cette voie.
Ainsi une telle modification du visage de notre ennemi, frère opprimé, peut être remarqué, par exemple, dans tout ce qui sort du cabinet des savants réformateurs de l’État. Nous avons pu observer d'une manière caractéristique cette métamorphose lors des révolutions que nous avons vécues nous-même. L'union des "cinq", l’État, notre ennemi, parut au début disparaître complètement de la terre...
En réalité, notre ennemi ne fit que changer d'apparence et se découvrit de nouveau alliés qui œuvrèrent criminellement contre nous: la leçon des bolcheviks-communistes en Russie, en Ukraine, en Géorgie, et parmi de nombreux peuples d'Asie centrale est très édifiante à ce égard. Cette époque ne sera jamais oubliée par l'homme qui combat pour son émancipation, car il car il saura se rappeler ce qu'il y a eu de cauchemardesque et de criminel.
Le seul et le plus sûr moyen qui s'offre à l'opprimé dans sa lutte contre le mal qui l'enchaîne, c'est la révolution sociale, rupture profonde et avancée vers l'évolution humaine.
Bien que la révolution sociale se développe spontanément, l'organisation déblaie sa voie, facilite l'apparition de brèches parmi les digues dressée contre elle et accélère sa venue. L’anarchiste révolutionnaire travaille dès maintenant à cette orientation. Chaque opprimé qui tient sur lui le joug, en étant conscient que cette infamie écrase la vie du genre humain, doit venir en aide à l'anarchiste. Chaque être humain doit être conscient de sa responsabilité et l'assumer jusqu'au bout en supprimant de la société tous les bourreaux et parasites de l'union des "cinq", afin que l'humanité puisse respirer en toute liberté.
Chaque homme et surtout l'anarchiste révolutionnaire - en tant qu'initiateur appelant à lutter pour l'idéal de liberté, de solidarité et d'égalité - doit se rappeler que la révolution sociale exige pour son évolution créatrice des moyens adéquats, en particulier des moyens organisationnels constants, notamment durant la période où elle détruit, dans un élan spontané, l'esclavage, et sème la liberté, en affirmant le droit de chaque homme à un libre développement illimité. C'est précisément la période où, ressentant la véritable liberté en eux et autour d'eux, les individus et les masses oseront mettre en pratique les conquêtes de la révolution sociale, que celle- ci éprouvera le plus grand besoin de ces moyens organisationnels. Par exemple, les anarchistes révolutionnaires ont joué un rôle particulièrement remarquable lors de la révolution russe mais, ne possédant pas les moyens d'action nécessaires, n'ont pu mener à terme leur rôle historique. Cette révolution nous a, d'ailleurs, bien démontré la vérité suivante: après s'être débarrassé des chaînes de l'esclavage, les masses humaines n'ont nullement l'intention d'en créer de nouvelles. Au contraire, durant les périodes révolutionnaires, les masses recherchent des formes nouvelles d'associations libres pouvant non seulement répondre à leurs élans libertaires,mais défendre aussi leurs acquis lorsque l'ennemi s'y attaque.
En observant ce processus, nous sommes constamment parvenu à la conclusion que les association les plus fertiles et les plus valables ne pouvaient être que les union-communes, celles dont les moyens sociaux sont créés par la vie même: les soviets libres. En se fondant sur cette même conviction, l'anarchiste révolutionnaire se jette dans l'action avec abnégation et il rappelle les opprimés à la lutte pour les actions libres. Il est convaincu qu'il ne faut pas seulement manifester les principe organisationnels fondamentaux et créateurs, mais aussi se donner les moyens de défendre la vie nouvelle contre les forces hostiles. La pratique montre que cela doit être réalisé de la manière la plus ferme et soutenue par les masses elles-même, directement sur place.
En accomplissant la révolution, poussées par l'anarchisme naturellement en elles, les masses humaines recherchent les associations libres. Les assemblées libres retiennent toujours leur sympathie. L'anarchiste révolutionnaire doit les aider à formuler le mieux possible cette démarche. Par exemple, le problème économique de l'association libre des communes doit trouver sa pleine expression par la création de coopératives de production et de consommation, dont les soviets libres seraient les promoteurs.
C'est par l'intermédiaire des soviets libres, durant le développement de la révolution sociale, que les masses s'empareront directement de tout le patrimoine social: la terre, les forêts, les fabriques, les usines, les chemins de fer et transports maritimes, etc., puis, se regroupant selon leurs intérêts, leurs affinités ou l'idéal commun, elles construiront leur vie sociale de la façon la plus variée et appropriée à leurs besoins et désirs.
Il va sans dire que cette lutte sera pénible; elle provoquera un grand nombre de victimes, car elle opposera pour la dernière fois l'humanité libre et le vieux monde. Il n'y aura pas de place à l'hésitation ni au sentimentalisme. Ce sera à la vie et à la mort ! Du moins c'est ainsi que devra le concevoir chaque homme qui attache de l'importance à ses droits et à ceux de l'humanité entière, s'il ne veut pas demeurer un âne bâté, un esclave, comme on le force à l'être actuellement.
Lorsque le raisonnement sain et l'amour autant de soi-même que d'autrui prendront le dessus dans la vie, l'homme deviendra le véritable créateur de sa propre existence.
Organise-toi, frère opprimé, fais appel à tous les hommes de la charrue et de l'atelier, du banc d'école du lycée et de l'université, sans oublier le savant et l'intellectuel en général, afin qu'il sorte de son cabinet et te porte secours sur ton pénible chemin. Il est vrai que neuf intellectuels sur dix ne pourront pas répondre à ton appel ou bien, s'il le font, ce sera avec l'arrière pensée de te tromper, car n'oublie pas que ce sont de fidèles serviteur de l'union des "cinq". Il y en aura tout de même un sur dix qui s'avèrera être ton ami et t'aidera à déjouer la tromperie des neuf autres. En ce qui concerne la violence physique, la force grossière des gouvernants législateurs, tu l'écartera avec ta propre violence.
Organise-toi, appelle tout tes frères à rejoindre le mouvement et exige de tous les gouvernants de mettre fin volontairement à leur lâche profession de régenter la vie de l'homme. S'ils refusent, insurge-toi, désarme les policiers, les miliciens et autres chiens de garde de l'union des "cinq". Arrête pour le temps nécessaire tout les gouvernants, déchire et brûle leurs lois ! Détruis les prisons, anéantis les bourreau, supprime tout pouvoir d’État !
De nombreux tueurs à gages et assassins se trouvent dans l'armée, mais tes amis, les soldats mobilisés de force, y sont présents aussi, appelle-les à toi, ils viendront à ton secours et t'aideront à neutraliser les mercenaires.
Après s'être tous réunis en une grande famille, frères, nous irons ensemble sur la voie de la lumière et du savoir, nous éloignerons les ténèbres et marcherons vers l'idéal commun de l'humanité : la vie fraternelle et libre, la société où personne ne sera plus jamais esclave ni humilié par quiconque.
A la violence grossière de nos ennemis, nous répondrons par la force compacte de notre armée révolutionnaire insurrectionnelle. A l'incohérence et l'arbitraire, nous répondrons en construisant avec justice notre nouvelle vie, sur la base de la responsabilité de chacun, vraie garantie de la liberté et de la justice sociale pour tous.
Seuls, les criminels sanguinaires de l'union des "cinq" refuseront de se joindre à nous sur la voie novatrice; ils tenteront de s'y opposer pour conserver leurs privilèges, ce en quoi ils se condamneront eux-mêmes.
Vive cette conviction claire et ferme en la lutte pour l'idéal de l'harmonie humaine généralisée : la société anarchiste !
Nestor Makhno,
Probouzdéni
é, n°18, janvier 1932, pp.57-63 et n°19-20, février-mars 1932, pp.16-20.


mardi 27 août 2019

ILLOGIQUE adj. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure





Ce qui est contraire à la logique Comme ce qu’on appelle la logique (voir ce mot) est une chose fort complexe, eu égard que chacun a, à peu près, sa logique particulière, il est fort malaisé de définir ce qui est illogique.
Tel acte, telle chose peuvent paraître à d’aucuns parfaitement logiques, alors qu’à d’autres, suivant leur objectivité particulière, ils semblent foncièrement illogiques. Cependant certains faits semblent, pour qui veut bien se donner la peine de réfléchir, d’un illogisme flagrant.
N’est-ce pas, par exemple, illogique que de se donner toute une multitude de représentants dans d’innombrables assemblées délibérantes alors qu’on pourrait tout aussi bien s’en passer ? N’est-ce pas illogique d’accumuler armements sur armements pour obtenir le maintien de la paix universelle, alors qu’il serait beaucoup plus simple de supprimer totalement les armées ? N’est-ce pas illogique que le maçon qui construit des maisons habite dans un taudis ? etc., etc. Du reste, tout ce qui se passe dans la société actuelle, la société elle-même, les hommes qui la composent ne sont-ils pas illogiques ?
Faire appel à la simplicité dans nos rapports et dans notre manière de vivre, éviter tout appareil compliqué de l’existence, voilà la meilleure façon de supprimer l’illogique.

ILLÉGITIME adj. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Qui n’a pas les qualités requises par la loi. Qui est injuste, déraisonnable.
On emploie souvent le mot illégitime dans le mariage ; par exemple on appelle un enfant illégitime l’enfant né hors du mariage.
S’il fallait tracer une limite entre ce qui est légitime et ce qui est illégitime, on serait souventes fois bien embarrassé. Prouver d’abord la légitimité de la loi serait une besogne ardue et sujette à maintes controverses. Pour nous, anarchistes, est illégitime tout ce qui est en dehors de la raison, de la logique et qui s’impose par autorité. Le patronat, la propriété, le commerce, l’autorité (Voir ces mots.) sont illégitimes. Tout ce qui fait pression sur l’individu, tout ce qui le régente, l’exploite, le spolie, le brime, mutile son autonomie est illégitime.

ILLÉGALISME encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Le caractère anti-légaliste, de l’anarchie devant être traité aux mots loi et légalité nous n’examinerons ici, sous le vocable « illégalisme » que l’activité hors loi, le mode d’existence qu’ont choisi certains anarchistes, lesquels se procurent, en marge du code, les ressources nécessaires a leur subsistance. Cette attitude - en son essence - est indépendante des voies secrètes, extra-légales, que revêtent, à certaines heures et dans certaines conditions, voire en permanence, la propagande et l’action anarchistes. L’illégalisme « matériel » [si l’on peut dire) est uniquement un moyen individuel d’organiser la vie quotidienne. Il ne comporte pas, en soi, l’affirmation d’une philosophie, tout comme le fait de travailler a l’usine n’implique pas d’opinion « a priori ». Le pratiquent d’ailleurs, sans différenciation, des gens totalement étrangers à l’anarchisme. - S. M. S.

ILLÉGALISME (Le vol). La propagande pour l’illégalisme et le vol peut avoir quelque influence sur de jeunes écervelés. Elle expose ceux qui se laisseraient aller à ce moyen, commode en apparence, de « se débrouiller » à gâcher lamentablement toute leur existence. Même à ce point de vue personnel, au point de vue purement égoïste de se tirer d’affaire, 1e moyen ne vaut rien. Nous l’avons vu, il y a une douzaine d’années. Sauf exception rarissime, il ne donne aucun résultat. Le métier de joueur ne vaut pas grand chose. Celui de voleur est bien pire, car aucun enjeu ne vaut la perte de la liberté.
Un bourgeois vivra de ses rentes, c’est-à-dire en parasite. Mais un pauvre diable d’individualiste qui ne veut pas se prostituer dans le travail salarié, comment fera-til ? Il sera forcé de vivre d’expédients, c’est-à-dire que lui aussi vivra en parasite... J’ai entendu souvent discuter sur la légitimité ou non. de la reprise individuelle, sur l’utilité de certains gestes. Or, il y a un critérium très commode et que je n’ai jamais vu énoncer clairement. Pour juger si un homme vit d’une façon sympathique, il suffit de savoir s’il vit ou non en parasite : que ce soit un rentier, comme un bourgeois, ou que ce soit un simple estampeur, un escroc, un souteneur, etc. Tout être qui vit en parasite ne peut avoir notre sympathie. Il faut que chacun travaille selon ses forces. Les enfants, les vieillards, les malades, les convalescents, etc sont dispensés d’un travail productif. Ce qui froisse notre sentiment de justice, c’est l’existence du parasitisme social. C’est contre ce parasitisme que nous nous élevons ; ce n’est donc pas en ajoutant un parasitisme à un autre qu’on créera une nouvelle morale. Notre morale, celle que nous opposons à la morale du parasitisme, est celle du travail. Bien entendu, il s’agit de travail productif, je veux dire de travail utile au point de vue social et non au point de vue du profit individuel. C’est ainsi qu’il ne suffit pas de travailler, il faut encore se rendre compte de la destination du travail. Un ouvrier qui fabrique des canons, un maçon qui participe à la construction d’une prison, un gardien de cette même prison, font du travail nuisible. Les travailleurs utiles sont exploités, c’est vrai, mais notre libération à tous et la possibilité d’une nouvelle morale sont justement dans l’effort des travailleurs contre cette exploitation. Il faut que le travail utile, le travail nécessaire (dont les humains ne peuvent s’affranchir, puisque notre vie en dépend) il faut que ce travail ne soit plus exploité par une classe parasite.
Le vol reste un moyen précaire et temporaire d’échapper à la faim et à la mort - il faut bien vivre - et, dans ce cas, la morale chrétienne absout le vol. A plus forte raison nous, anarchistes, n’avons pas contre les voleurs la répulsion que professent les honnêtes gens.
Nous savons, d’ailleurs, que la vie de ces honnêtes gens est fondée sur le vol et le parasitisme. La seule différence, c’est que le vol des bourgeois est légal. Un voleur nous semble donc tout aussi « honorable » qu’un financier, par exemple. Mais quant à faire du vol (illégal) un système, ce serait reconnaître le parasitisme ce serait élever à la dignité d’une morale de révolte un moyen individuel de se tirer d’affaire, sans que le principe de propriété en souffre la moindre atteinte... Le vol ne s’attaque pas à la cause de la propriété : il ne s’attaque pas aux conditions du travail. Le vol s’en prend à la propriété, à la richesse, une fois constituées, ou du moins à une infime partie de cette richesse. Mais il ne s’oppose pas à la naissance, au développement et à la reproduction de cette richesse, au contraire. Les pertes subies à la suite d’un vol ne font que pousser le patron à pressurer davantage le travail de ses ouvriers. Le voleur professionnel n’a même pas intérêt à anéantir la richesse bourgeoise : il en vit, à peu près comme le larbin de grande maison vit sur le coulage de l’office... Les voleurs n’ont jamais eu une action sociale. Ce n’est pas non plus en prenant l’habitude de faire du tort à autrui, quel qu’il soit, qu’on devient révolutionnaire....
Une société humaine, quelle qu’elle soit, ne peut vivre que par le travail, chacun travaillant à son métier, chacun. solidaire et dépendant du travail d’autrui. Une société ne peut pas être fondée sur le vol. Comment vivrait-elle ? Le vol ne produit rien. Les richesses produites par le travail attirent l’appétit des fainéants et des voleurs. Dans toute société il y a des voleurs légaux, des parasites. Nous cherchons à nous en débarrasser. Est-ce pour admettre d’autres parasites, les illégaux ?
Sous prétexte que la société est mal faite, quelques voleurs se posent en champions des opprimés ; ils se vantent de récupérer les richesses mal acquises (reprise individuelle). Mais ils ne changent rien à l’ordre social existant. Leur activité (si j’ose dire) ne supprime pas les causes du parasitisme ; au contraire, ils en profitent... Le vol entre au compte des profits et pertes dans toute entreprise capitaliste, mais, en définitive, c’est aux dépens des travailleurs...
Les illégalistes ne peuvent pas non plus se vanter de travailler au progrès moral : la duperie ne peut engendrer que la méfiance. Ils n’ont pas non plus à se parer d’une auréole héroïque. Pour vivre, pour réussir (temporairement) ils cherchent naturellement le moindre risque. Ils n’ont pas l’ambition de cambrioler Rothschild, c’est impossible ; donc ils cambrioleront les chambres de bonnes, au 6e, ils refileront de la fausse monnaie à de pauvres ménagères, ils abuseront de la confiance naïve de leurs propres camarades. Je n’invente rien. L’expérience du passé est là.
  1. Pierrot

ILLÉGALISME. Rien ne sert de le dissimuler, car, qu’on le reconnaisse ou non, il y a des anarchistes qui résolvent leur question économique de façon extralégale, c’est-à-dire par des moyens impliquant atteinte à la propriété, par l’usage constant ou occasionnel de différentes formes de violence ou de ruse, la pratique de métiers ou professions que la police ou les tribunaux désavouent.
C’est en vain que les doctrinaires, anarchistes communistes - et pas tous- veulent se désolidariser des « illégalistes », tonner contre « la reprise individuelle », qui remonte cependant aux temps héroïques de l’anarchisme, à l’époque des Pini, des Schouppe, des Ortiz, des Jacob. C’est en vain que les doctrinaires de l’anarchisme individualiste, tels les Tucker, combattront 1’outlawry anarchiste : il y a eu, il y aura toujours des théoriciens de l’illégalisme anarchiste, spécialement en pays latins.
Avant de nous enquérir de ce que disent ces « théoriciens » qui sont surtout des camarades qui cherchent à expliquer et à s’expliquer la tournure d’esprit de l’illégaliste annarchiste, il convient de faire remarquer que la pratique de l’illégalisme n’est ni à prôner ni à propager ; il offre de redoutables aléas. Il n’affranchit économiquement à aucun point de vue. Il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’il n’entrave pas l’épanouissement de la vie individuelle ; il faut un tempérament exceptionnel pour que l’illégalisme ne se laisse pas entraîner et finisse par être réduit au rang de déchet social.
Ces réserves faites et proclamées à son de trompe, s’il le faut, s’ensuit-il que le camarade qui se procure son pain quotidien en recourant à un métier stigmatisé par la coutume, interdit par la loi, puni par « la justice », ne doive pas être traité en « camarade » par celui qui accepte de se faire exploiter par un patron ?
Somme toute, tout anarchiste, adapté ou non, est un illégal, parce qu’il nie la loi. Il est illégal et délinquant toutes les fois qu’il émet et propage des opinions contraires aux lois du milieu humain où il évolue. Entre l’illégaliste intellectuel et l’illégaliste économique, il n’y a qu’une question d’espèce.
L’anarchiste illégaliste prétend qu’il est tout autant un camarade que le petit commerçant, le secrétaire de mairie ou le maître de danse qui ne modifient en rien et pas plus que lui les conditions de vie économique du milieu social actuel. Un avocat, un médecin, un instituteur peuvent envoyer de la copie à un journal libertaire et faire des causeries dans de petits groupes d’éducation anarchistes, ils n’en restent pas moins les soutiens et les soutenus du système archiste, qui leur a délivré le monopole leur permettant d’exercer leur profession et aux réglementations duquel ils sont obligés de se soumettre s’ils veulent continuer leur métier.
La loi protège aussi bien l’exploité que l’exploiteur, le dominé que le dominateur, dans les rapports sociaux qu’ils entretiennent entre eux et, dès lors qu’il se soumet, l’anarchiste est aussi bien protégé dans sa personne et ses biens que l’archiste ; dès lors qu’ils obtempèrent aux injonctions du « contrat social » la loi ne fait pas de distinction entre eux. Qu’ils le veuillent ou non, les anarchistes qui se soumettent, petits artisans, ouvriers, fonctionnaires, employés, ont de leur côté la force publique, les tribunaux, les conventions sociales, les éducateurs officiels. C’est la récompense de leur soumission ; quand elles contraignent l’employeur archiste à payer demi-salaire au salarié anarchiste victime d’un accident de travail, les forces de conservation sociale se soucient peu que le salarié, intérieurement, soit hostile au système du salariat ; et la victime profite de cette insouciance.
Au contraire, l’insoumis, le réfractaire au contrat social, l’anarchiste illégal a contre lui toute l’organisation sociale, quand il se met, pour « vivre sa vie », à brûler les étapes. Il court un risque énorme et il est équitable que ce risque soit compensé par un résultat immédiat, si résultat il y a.
Tout anarchiste, soumis ou non, considère comme un camarade, celui d’entre les siens qui refuse d’accepter la servitude militaire. On ne s’explique pas que cette attitude change quand il s’agit du refus de se laisser exploiter.
On conçoit fort bien qu’il y ait des anarchistes qui ne veuillent pas contribuer à la vie économique d’un pays qui ne leur accorde pas la possibilité de s’exprimer par la plume ou par la parole comme ils le voudraient, qui limite leurs facultés de réalisation ou d’association dans quelque domaine que ce soit. Tout bien considéré, les anarchistes qui consentent à participer au fonctionnement des sociétés où ils ne peuvent vivre à leur gré, sont des inconséquents. Qu’ils le soient, c’est leur affaire, mais qu’ils n’objectent pas aux « réfractaires économiques ».
Le réfractaire à la servitude économique se trouve obligé, par l’instinct de conservation, par le besoin et la volonté de vivre, de s’approprier une parcelle de la propriété d’autrui. Non seulement cet instinct est primordial, mais il est légitime, affirment les illégalistes, comparé à l’accumulation capitaliste, accumulation dont le capitaliste, pris personnellement, n’a pas besoin pour exister, accumulation qui est une superfluité. Maintenant qui est cet « autrui » auquel s’en prendra l’illégaliste raisonné, conscient, l’anarchiste qui exerce une profession illégale ? Ce ne sera pas aux écrasés de l’état de choses économiques. Ce ne sera pas non plus à ceux qui font valoir par eux-mêmes, sans recours à l’exploitation d’autrui, leur « moyen de production ». Cet « autrui », mais ce sont ceux qui veulent que les majorités dominent ou oppriment les minorités, ce sont les partisans de la domination ou de la dictature d’une classe ou d’une caste sur une autre, ce sont les soutiens de l’État, des monopoles et des privilèges qu’il favorise ou maintient. Cet « autrui » est en réalité l’ennemi de tout anarchiste - son irréconciliable adversaire. Au moment où il s’attaque à lui, - économiquement, - l’anarchiste illégaliste ne voit plus en lui, ne veut plus voir en lui qu’un instrument du régime archiste.
Ces explications fournies, on ne saurait donner tort à l’anarchiste illégaliste qui se considère comme trahi lorsque l’abandonnent ou s’insoucient d’expliquer son attitude les anarchistes qui ont préféré suivre un chemin moins périlleux que celui sur lequel lui-même s’est engagé.
A l’anarchiste révolutionnaire qui lui reproche de chercher tout de suite son bienêtre au point de vue économique, l’illégaliste lui rétorque que lui, révolutionnaire, ne fait pas autre chose. Le révolutionnaire économique attend de la révolution une amélioration de sa situation économique personnelle, sinon il ne serait pas révolutionnaire ; la révolution lui donnera ce qu’il espérait ou ne le lui donnera pas, comme une opération illégale fournit ou ne fournit pas à celui qui l’exécute ce qu’il escomptait. C’est une question de date, tout simplement. Même, quand la question économique n’entre pas en jeu, on ne fait une révolution que parce que l’on s’attend personnellement à un bénéfice, à un avantage religieux, politique, intellectuel, éthique peut-être. Tout révolutionnaire est un égoïste.
Quant aux objections de ceux qui font un travail de leur goût, qui exercent une profession qui leur plaît, il suffira de leur opposer cette remarque que me fit personnellement Elisée Reclus un jour qu’à Bruxelles, je discutais la question avec lui : « Je fais un travail qui me plaît, je ne me reconnais pas le droit de porter un jugement sur ceux qui ne veulent pas faire un travail qui ne leur plaît pas. »
L’anarchiste dont l’illégalisme s’attaque à l’État ou à des exploiteurs reconnus n’a jamais indisposé « l’ouvrier » à l’égard de l’anarchisme. Je me trouvais à Amiens lors du procès Jacob qui s’en prit aux églises, aux châteaux, aux officiers coloniaux ; grâce aux intelligentes explications de l’hebdomadaire Germinal, les travailleurs amiénois se montrèrent très sympathiques à Jacob, récemment libéré du bagne, et aux idées de reprise individuelle. Même non anarchiste, l’illégal qui s’en prend à un banquier, à un gros usinier, à un manufacturier, à une trésorerie, etc., est sympathique aux exploités qui considèrent quelque peu comme des laquais ou des mouchards les salariés qui s’obstinent à défendre les écus ou le papier-monnaie de leur exploiteur, particulier ou État. Des centaines de fois, il m’a été donné de le constater.
Bien que je ne possède pas les statistiques voulues, la lecture des journaux révolutionnaires indique que le chiffre des emprisonnés ou des tués, à tort ou à raison, pour faits d’agitation révolutionnaire (dont la « propagande par le fait ») laisse loin derrière lui, le nombre des tués ou emprisonnés pour faits d’illégalisme. Dans ces condamnations, les théoriciens de l’anarchisme, du communisme, du socialisme révolutionnaire ou insurrectionnel ont une large part de responsabilité, car ils n’ont jamais entouré la propagande en faveur du geste révolutionnaire des réserves dont les « explicateurs » sérieux entourent le geste illégaliste.
Dans une. société où le système de répression revêt le caractère d’une vindicte, d’une vengeance que poursuivent et exercent les souteneurs de l’ordre social sur et contre ceux qui les menacent dans la situation qu’ils occupent - ou poursuit l’abaissement systématique de la dignité individuelle - il est clair qu’à tout anarchiste « l’enfermé » inspirera plus de sympathie que celui qui le prive de sa liberté ou le maintient en prison. Sans compter que c’est souvent parmi ces « irréguliers », ces mis au ban des milieux fondés sur l’exploitation et l’oppression des producteurs, qu’on trouve un courage, un mépris de l’autorité brutale et de ses représentants, une force de résistance persévérante à un système de compression et d’abrutissement individuels qu’on chercherait en vain parmi les réguliers ou ceux qui s’en tiennent aux métiers tolérés par la police.
Nous nourrissons la conviction profonde que, dans une humanité ou un milieu social où les occasions d’utiliser les énergies individuelles se présenteraient au point de départ de toute évolution personnelle, où elles abonderaient le long de la route de la vie, où les plus irréguliers trouveraient faculté d’expériences multiples et aisance de mouvements, les caractères les plus indisciplinés, les mentalités les moins souples parviendraient à se développer pleinement, joyeusement, sans que ce soit au détriment de n’importe quel autre humain.
E. Armand.


ILLÉGALISME. « Exercice de métiers hasardeux non inscrits aux registres des professions tolérées par la police. » - E. Armand.
En principe, tous les anarchistes sont des illégaux, ou plus exactement, des alégaux. Négateurs de l’autorité, des lois, ils tendent vers leur destruction et s’ingénient en attendant l’an-archie, à échapper à leurs contraintes.
En fait, une grande partie des anarchistes, tout en préparant la disparition progressive ou simultanée de tous les articles du Code des Lois, s’adapte au fait social, le subit. C’est ainsi qu’ils se plient aux lois sur la propriété, aux lois sur le service militaire, aux lois sur les mœurs, etc. L’attitude de ces anarchistes : illégaux par principe et légaux en fait, leur est dictée soit par le sentiment de leur impuissance devant les foudres de la loi, soit par préjugés, ou traditions, ou morales, soit par tempérament.
La critique des bases d’autorité, au service de tempéraments combatifs, logiques, débarrassés des préjugés courants sur la morale et l’honnêteté, a donné naissance à une catégorie d’anarchistes, qui ont affirmé une théorie de vie illégaliste.
A la force sociale ou gouvernementale, ils opposeront leur audace, leur science et leur ruse. Ce qu’ils ne peuvent réaliser socialement, ils le réaliseront individuellement. Face à l’autorité qui fait le Bien et le Mal, qui commande au nom de sophismes ou de sa force, tout est Bien, pourvu qu’on soit le plus fort ; il n’y a de Mal que d’être insuffisamment armé. Si l’exploité voulait, il n’y aurait plus d’exploitation. Attendre qu’il le comprenne, et ose se refuser à être exploité, c’est apporter, ou au moins conserver, sa part d’acceptation à l’édifice autoritaire. Or, eux, ont compris, ils oseront, ils vivront en dehors de la loi, contre la loi.
Travailler, c’est consolider l’État ; être soldat, c’est défendre le Capital. Ils veulent que disparaisse l’État et le Capital : ils ne seront pas soldats ; ils ne travailleront pas. Personnellement, ils s’insurgent ; ils n’acceptent pas la loi. Ils n’ont pas d’instruments de production, pas de matière première sur laquelle exercer leur activité. Ils prendront leur part de la richesse sociale, du capital produit, amassé, par les générations disparues et monopolisé par quelques individus.
Et comme l’actuel possesseur de ces capitaux ne voudra pas se laisser exproprier, on emploiera les moyens adéquats : tantôt des moyens directs : le vol ; tantôt indirects : escroqueries, fabrication de fausse monnaie, etc., etc. Nul n’est obligé, en droit, de se soumettre à un contrat unilatéral, qu’il n’a pas été appelé à discuter, qu’il n’a pas contresigné.
D’autre part, le minimum de bien-être et de liberté, nécessaire à tout individu évolué, ne peut être que très rarement acquis par des procédés légaux. De ce fait, le produit du travail de chacun ne lui reste pas intégral, et le travail devient une duperie. C’est ainsi que Guizot a pu dire avec juste raison : « Le travail est une garantie efficace contre la disposition particulière des classes pauvres. La nécessité incessante du travail est le côté admirable de notre société. Le travail est un frein ! »
Fatigué, exténué, sale souvent, l’ouvrier, le travailleur, rentre dans un logis dont le loyer n’est pas trop élevé, c’est-à-dire : un taudis. Pas de place, pas d’air, pas de meubles ; une nourriture insuffisante ou de mauvaise qualité ; le souci continuel de ne pas dépenser plus que ce qu’il gagne ; la maladie qui le guette, le chômage ; enfin la continuelle et terrible insécurité du lendemain.
Ah ! échapper au salariat ; être propriétaire de son champ, de son atelier, de sa maison ! Le travail ne pouvant nous libérer, nous nous débrouillerons en dehors des limites de la loi.
Pour vivre la vie libre que nous voulons, il nous faut mener une campagne de tous les instants contre les institutions sociales. I1 nous faut créer un milieu de « nôtres » considérable ; émanciper le plus grand nombre possible de cerveaux, afin d’être plus forts pour résister à l’oppression. Mais notre presse est chlorotique : faute d’argent ; nos conférenciers ne peuvent se déplacer : faute d’argent ; nos livres ne peuvent être édités : faute d’argent ; nos écoles ne peuvent subsister : faute d’argent. Faute d’argent, telle est la litanie ; car le travailleur, qui a déjà grand peine à se nourrir, se vêtir, se loger avec son salaire, ne peut distraire pour la propagande que des sommes ridiculement minimes.
Ah ! si nous avions de l’argent ; si nous pouvions disposer de ce levier formidable pour révolutionner les esprits, comme notre vie pourrait s’épandre. Or, nous voulons vivre, et tout de suite. Il n’y a pas de Ciel ni d’Enfer pour nous recevoir après notre mort. Il faut vivre maintenant !
Par le travail rarement la libération est possible ; nous serons donc : illégalistes.
Mais ici, il est bien nécessaire de s’entendre. L’illégaliste ne pose pas ses actes comme révolutionnaires. Il sait : qu’une escroquerie, un estampage, un vol, etc., ne modifient en rien les conditions économiques de la société. Il sait qu’en ne se rendant pas à la caserne, il n’a pas détruit le militarisme. Non plus, l’illégaliste, parce qu’échappant à l’usine, à l’atelier, ou à la ferme, parce que ne « travaillant » pas, n’est un paresseux.
L’illégaliste-anarchiste choisit un travail non accepté par les lois, donc dangereux, comme moyen de vie économique, comme pis-aller. Il est toujours prêt à faire un travail utile, à condition qu’il puisse jouir du produit intégral de ce travail.
Aussi, il est entendu que « en tous cas, jamais la pratique des « gestes illégaux » ne saurait, à nos yeux, diminuer intellectuellement ou moralement qui s’y livre.. C’est même le « critérium » qui permettra de savoir à qui on a affaire. Nul individualiste n’accordera sa confiance au soi-disant camarade qui se targue « d’illégalisme », ne pense qu’à bombances et fêtes, indifférent aux besoins de ses amis, insouciant de la marche du mouvement des idées qu’il prétend siennes. I1 lui sera plus sympathique qu’un autre, voilà tout, car le réfractaire, l’irrégulier, le hors-cadre, même inconscients, même impulsifs, attireront toujours l’individualiste anarchiste. « Entre Rockfeller et Cartouche, c’est Cartouche qui a sa sympathie. » (E. Armand : Initiation individualiste, p. 131.)
Ainsi donc, il y a deux sortes d’illégalistes : l’Illégaliste anarchiste, qui lutte illégalement, par raison et par tempérament, qui accomplit des « actes illégaux » de la même manière que travaille chez un patron quelconque l’anarchiste non « illégaliste », c’est-à-dire en s’appliquant à sauvegarder son intégrité intellectuelle et éthique ; l’Illégaliste bourgeois qui s’insoucie totalement du milieu social, du bienêtre de ses compagnons, qui ne lutte pas contre l’Autorité sauf pour son cas tout spécial, qui « se débrouille » par tempérament sans plus.
Seul le premier nous intéresse réellement. Ce n’est point la profession, mais la mentalité, qui fait d’un individu : notre camarade.
La théorie illégaliste apparaît souriante à l’anarchiste : lutte active contre les lois ; profits permettant une plus sérieuse propagande ; évasion de ces enfers abrutisseurs que sont l’usine et l’atelier ; plus de patron. Mais il faut bien comprendre que tout cela ne va pas sans de sérieux inconvénients. La société est trop bien organisée, trop anciennement policée pour qu’elle n’ait pas prévu cette porte de sortie pour les salariés. Aussi est-elle terriblement armée contre les réfractaires et féroce dans la répression.
Pour l’illégaliste, même avec des qualités et un tempérament extraordinaires, il y a infiniment plus de chances pour qu’il ne réussisse pas que pour le succès de son entreprise. La conséquence, c’est l’échafaud parfois ; la balle d’un policier souvent ; en tout cas c’est l’emprisonnement. Pour vivre plus libre, quatre murs ; pour bien vivre, du pain et de l’eau. Et la satisfaction ultime de cracher un dernier « blasphème » à la gueule de la société, ne vaut pas, certes, toutes les possibilités qui vont s’éteindre.
Mais l’illégaliste-anarchiste n’a pas agi à la légère ; il sait les risques, connaît bien son ennemi, se sent bon lutteur : il va.
Il aura à terrasser un ennemi bien plus subtil que la police, s’il veut rester anarchiste. Comme toute fonction sous un régime autoritaire, l’illégalisme déforme son homme, lui donne des habitudes, des tendances, et il est évident que le passage de l’illégalisme-anarchiste à l’illégalisme-bourgeois est des plus aisés. Nous pensons cependant avec E. Armand, que « se placer sur le terrain de la « déformation professionnelle » pour critiquer la pratique de l’illégalisme comme l’entendent les individualistes, n’est pas non plus ni très adroit, ni très concluant. L’individualiste qui a choisi comme pis-aller le travail exploitation subit une déformation professionnelle aussi marquée que « l’illégal ». Se dissimuler sans cesse et toujours devant l’exploiteur, accepter, par crainte de perdre son emploi, tous les caprices, toutes les fantaisies de l’employeur, demeurer silencieux devant les actes d’arbitraire, de tromperie, de canaillerie dont on est témoin, de peur d’être mis à la porte de l’atelier ou du chantier où on travaille, tout cela crée des habitudes dont l’exploité n’a guère à faire étalage.
L’illégaliste-anarchiste est donc notre camarade, au même titre que l’anarchisteouvrier, l’anarchiste-écrivain, l’anarchiste-conférencier, etc. Quand les anarchistesmoralitéistes auront révolutionné la société, ils seront tout surpris de trouver au premier rang des producteurs les illégalistes-anarchistes.
A. Lapeyre


ILLÉGALISME. (Son aspect, sa pratique et ses aboutissants.) Le vol ? le crime ?... D’un côté le larcin - illégal, et individuel, et désordonné du miséreux sans pain, du chômeur sans ressources, du travailleur à l’index, du misérable aussi que sa naissance y prédestine, le vol, somme toute, du pauvre volant pour vivre. De l’autre, le rapt - légal, habile et socialement organisé - des bénéficiaires d’un régime accumulant le superflu : les riches volant pour emplir des coffres-forts. D’un côté les hécatombes des antres du dividende, du taudis, de la guerre qui, par privation, surmenage, consomption, violence, immolent, sur l’autel du profit, les multitudes abusées ; l’assassinat, méthodique et quotidien, d’une société pour qui les affaires valent plus que les hommes. De l’autre, le geste isolé de quelque malheureux que les circonstances entraînent à l’acte criminel et qui, en petit, renouvelle à la vie d’autrui des atteintes partout regrettables... Pour les uns - les maîtres - l’approbation des codes et des mœurs, la considération de l’opinion. Pour les autres - les esclaves - l’anathème public et la rigueur des lois. Honneur au vol, au crime d’en-haut : contre ceux d’en-bas, répression féroce !... Nous laissons aux hypocrites morales le privilège des réprobations unilatérales ; nous laissons aux « honnêtetés » officielles les démarcations qui, comme par hasard, sont des justifications intéressées d’appétits ; nous laissons aux régimes d’arbitraire une « justice » qui toujours poursuit dans le faible un délinquant, absout et encense les puissants ; nous laissons aux professionnels du jugement le triste courage et la honte du châtiment : leurs consciences et les nôtres ne connaissent pas les mêmes tourments... Nul n’a plus que nous, anarchistes, la préoccupation aiguë - et générale - de la vie humaine. Mais, dans la balance de la justice véritable - laquelle ne s’asservit ni aux intérêts, ni aux classes, ni aux haines - combien les vols et les crimes des déshérités sont légers et menus en définitive - et plus près des vitales exigences - en regard des vols et des crimes, et des maux sans nombre, que multiplie la rapacité souveraine des grands...
Il ne s’agit donc ici, à aucun moment et sous quelque face, d’épouser l’âme du juge et de faire des dosages de criminalité entre ceux qui, las d’être écrasés, se retournent contre la société qui les broie, et rusent et soustraient, frappent parfois, et ceux qui, quotidiennement, honorés et le sourire aux lèvres, dans la normale des conditions actuelle, du travail, raflent, volent et font périr des milliers de leurs semblables. Il est question moins de morale d’ailleurs que de pratique et moins de responsabilités que de conséquences. Et nous étudions l’illégalisme systématique bien plus que l’accidentel et la décision, de celui qui, privé des richesses amoncelées sous ses yeux et insultant à son droit, demande aux voies « .délictueuses » des satisfactions qui se dérobent, plutôt que l’attitude de celui qui ravit par hasard et sous la poussée impérieuse des nécessités... Situant la voie, à peine choisie que les forces de « l’ordre » lui reprochent, un illégaliste déclare : « Je n’ai pas à hésiter, lorsque j’ai faim, à employer les moyens qui sont à ma disposition, au risque de faire des victimes ? Les patrons, lorsqu’ils renvoient des ouvriers, s’inquiètent-ils s’ils vont mourir de faim ?... Que peut-il faire, celui qui manque du nécessaire en travaillant, s’il vient à chômer ? Il n’a qu’à se laisser mourir... Alors on jettera quelques paroles de pitié sur son cadavre. C’est ce que j’ai voulu laisser à d’autres. J’ai préféré me faire contrebandier, faux-monnayeur, voleur, etc., etc. J’aurais pu mendier : c’est dégradant et lâche et c’est même puni par vos lois, qui font un délit de la misère... J’ai travaillé pour vivre et faire vivre les miens ; tant que ni moi ni les miens n’avons pas trop souffert, je suis resté ce que vous appelez honnête. Puis le travail a manqué et avec le chômage est venue la faim. C’est alors que cette grande loi de la nature, cette voix impérieuse qui n’admet pas de réplique, l’instinct de la conservation, me poussa à commettre certains des crimes et délits que vous me reprochez... » Et il ajoute : « Si tous les nécessiteux au lieu d’attendre, prenaient où il y a et par n’importe quel moyen, les satisfaits comprendraient peut-être plus vite qu’il y a danger à vouloir consacrer l’état social actuel où l’inquiétude est permanente et la vie menacée à chaque instant... »
Aux repus et aux privilégiés du régime, aux ouvriers que la chance - si l’on peut dire - favorise d’un travail régulier, à tous ceux à qui le hasard du sort ou les circonstances rendent faciles, ou possibles, l’existence paisible - sinon heureuse dans la légalité, il opposait - illégalité involontaire - l’argument de la vitalité éclairée qui regimbe et qui, « lorsque règne l’abondance, que les boucheries sont bondées de viande, les boulangeries de pain, que les vêtements sont entassés dans les magasins, qu’il y a des logements inoccupés », dresse le droit naturel en face des défenses monstrueuses qui briment la vie, invoque la légitimité du recours suprême et passager aux détournements illégaux...
Mais d’autres vont plus loin. Pour eux, l’illégalisme est aussi l’argument de l’individualité lésée qui, en face d’un contrat social qui met à la charge des uns le plus lourd de la production et ne leur consent que le plus minime de la répartition, se refuse à contresigner plus longtemps un marché draconien. Déniant au système en vigueur (qui, sans débat préalable et sans libre acceptation, le rive à un labeur sans contre-partie équitable), le caractère de consentement mutuel qui en justifierait l’observance, ils réclament - et là commence le sophisme - au nom de l’expansion totale de leur être, sinon le droit de dérober, du moins l’excuse de puiser - par pratique constante - à même les biens entreposés. Si elle comporte déjà cette critique de l’état social, cette dénonciation de son iniquité fondamentale, cet appel aux droits égaux de tous les humains à jouir, sans contrainte, des possibilités de la vie, par quoi l’anarchisme s’affirme, cette argumentation ne vise cependant à élever le vol à la hauteur d’un principe ou d’une propagande et aux vertus positives d’une rénovation que dans le domaine individuel. Il demeure un moyen - amené au niveau évidemment contestable du métier - tendant à assurer le sort agrandi de son commettant. Il ne prétend qu’à une résolvation limitée, étroitement particulière, de la « question sociale ». Et nous verrons tout à l’heure qu’il renferme en fait une manière d’accommodement, un acquiescement de convenance aux formes égoïstes de l’appropriation capitaliste et que seuls l’en séparent le danger et l’absence de consécration sur le plan de la légalité...
D’autres, enfin, font du vol une arme de la sociologie. Ils le situent, en fait comme en revendication, parmi les moyens de transformation collective et tendent à le placer, comme mode d’affranchissement, sous l’égide d’une idée et le patronage d’une école. Ils revendiquent le passage, au nom d’une philosophie, à une attitude d’illégalisme permanent, et en quelque sorte révolutionnaire, qui s’étend, plus loin que le manque, à tous les desiderata de l’élément humain au détriment duquel fut rompue l’harmonie sociale. C’est la thèse de ceux qui demandent à leurs convictions idéologiques, non seulement en face d’une infériorité économique imposée et dont ils sont les victimes personnelles, mais en recherche de stabilité, en réaction réformatrice contre un déséquilibre général et organique, la justification de leur entrée dans les magasins prohibés de la richesse.
Et l’acte illégal ainsi nous préoccupe, non plus uniquement du point de vue de son réflexe d’instinctive conservation, ni de par ce sentiment d’élémentaire solidarité humaine, générateur d’indulgence et de compréhension envers tout ce qui tend à sauvegarder de la mort une unité menacée (sentiment qui peut nous être commun avec maints idéalistes religieux ou sociaux), mais il met, en propre, les anarchistes en présence d’une double interprétation doctrinaire, aux fins individuelles et sociales, et d’un problème tactique dont ils ne peuvent - tant pour son esprit que pour ses aboutissants, tant pour sa théorie que pour le concret des actes qu’il pose éluder l’examen...
Un individu, plutôt que d’être un salarié, privé souvent du nécessaire d’abord et des éléments équitables de la joie ensuite, plutôt que de se prêter à une besogne parfois repoussante, ou crispé d’une révolte impossible à contenir, plutôt que de toucher une infime partie du produit de sa tâche, cesse tout effort. Il donnait et récupérait à peine. A présent il refuse sa collaboration, mais néanmoins s’approprie les fruits du labeur continué d’autrui. A part une question d’échelle et de mesure et le risque de l’énergie dépensée (une énergie non moins que productive), et l’excuse d’avoir été longtemps la victime, en quoi son procédé diffère-t-il de celui du patron (ou mieux du détenteur de coupons, de l’actionnaire) qui, pour assurer leur « petite vie » jouisseuse, puisent en leur coffre-fort l’argent qu’y poussent les ouvriers ? L’un draine à l’abri de la loi et la considération l’enveloppe. L’autre s’empare, en marge des textes, et la vindicte le poursuit... Nous ne pouvons nous rendre à cette argumentation simpliste - et d’ailleurs évidemment inexacte - qui nous présenterait comme spécifiquement nôtre tout ce que les codes réprouvent. La contre-partie des institutions légalistes ne constitue pas mécaniquement l’édifice de notre idéologie. N’est pas anarchiste tout ce que dénonce et traque la société bourgeoise. Et les difficultés, et les brutalités répressives, et les souffrances démesurées, quoique unilatérales - si elles nous rapprochent d’un homme - ne modifient pas la valeur intrinsèque d’une opération. Pour nous, qui observons les situations en dehors des considérants ordinaires et des prohibitions officielles, en quoi l’acte qui dépossède le producteur au profit d’un privilégié et au détriment de la collectivité est-il changé parce que le second larron a dupé - en soutirant, aux fins d’utilisation personnelle, l’équivalent monétaire du produit - le premier ravisseur ? Y a-t-il là autre chose qu’une substitution nominale qui laisse intacte la nature de la frustration ?...
Le vol illégal - tout comme le vol-métier que régularise la loi et qu’encense l’opinion et qui jouit, dans la morale courante, d’un droit de cité de vertu et d’honnêteté - est en désaccord avec les dénonciations et les fins de l’anarchisme. Il blesse aussi en nous le sentiment de la justice. Nous le rencontrons sous notre critique et il encourt notre réprobation à l’examen des inégalités, des incompatibilités économiques. Il manque à l’illégaliste anarchiste - tout comme au patron, au commerçant anarchistes, entre autres - cette clarté, cette logique et cette propreté individuelles en lesquelles nous situons l’honnêteté(très éloignée de celle que prônent les manuels d’une éthique asservie) indispensable à la droiture des rapports humains, état presque introuvable aujourd’hui. Et l’illégalisme s’oppose, en matière de recherche sociale, à cette aspiration fondamentale de l’anarchisme qui veut que les biens issus de la productivité générale cessent d’être l’apanage de quelques-uns et, à plus forte raison, des non-producteurs...
La jouissance sans production (il n’est nullement question, je le répète, de contester le droit - imprescriptible - de toute unité humaine à ne pas périr, et nous ne visons pas ici le vol vital) est un pis-aller accidentel, un expédient momentané ; chronique, elle n’est qu’une variante, audacieuse sans doute, mais conservatrice, de la consommation sans apport. Elle n’introduit avec elle aucun élément dissociateur, aucun ferment révolutionnaire. Elle tend plutôt à renforcer la pressuration générale des créateurs besogneux de la richesse puisque ses tenants attaqués, dépouillés des biens détenus, n’ont rien de plus pressé que d’en poursuivre - avec une frénésie accrue - la récupération...
Le mérite est minime et les peines morales moindres en définitive pour celui qui peut animer son énergie productrice dans le sens de ses idées. Mais peu nombreux sont les hommes qui peuvent éviter de laisser quelque lambeau d’eux-mêmes sous les fourches caudines du gagne-pain. Que les intermédiaires qui font profession d’échange et de négoce, que les artisans qui œuvrent, en de multiples branches, à des productions nocives ou même superflues, que ceux qui, de quelque manière et à quelque degré, élaborent de l’a-social ou de l’anti-social soient aussi, à des titres divers, des agents et complices de l’exploitation, nous le savons et, étant anarchistes, ils ne l’ignorent point eux-mêmes. Mais, s’il serait arbitraire le faire entrer dans l’anarchisme le commerce et le salariat, il ne l’est pas moins d’y incorporer le « débrouillage » duréfractaire économique plus ou moins conscient. Il y a la, de part et d’autre, pour chacun, toute une série de moyens particuliers propres à sauvegarder son existence d’abord, quelques libertés et quelques possibilités d’action ensuite dans une société qui tient en réserve, pour tous les humains, des chaînes à la meule de son esclavagisme. Mais, quand nous défendons ainsi 1e champ actuel de notre être, il n’y a qu’en incidence et accessoirement manifestation d’anarchisme et plus dans les détails et les modalités que dans le fond. Notre opposition réside non dans la nature de notre activité, mais dans les mobiles et l’arrière-pensée, aussi dans les abords et le sens de notre mouvement et ses fins attendues. Mais nous ne nous insurgeons pas en cela, de par le métier adopté, contre l’état social : nous le subissons. Et c’est à nous de veiller, au contraire, à ce que les contraintes subies et les sacrifices, faits à la force et au milieu sous les injonctions de nos besoins ou la sollicitation de nos perspectives ultérieures ou simultanées d’action, ne diminuent pas le potentiel de notre anarchisme. Et c’est surtout lorsque nous lui aurons rendu par ailleurs, et dans les mille formes que nous aurons choisies, en manifestations multipliées de vie anarchiste (en nous et autour de nous, dans nos rapports avec les nôtres et, plus loin, en réaction et en propulsion, jusque dans les mœurs, en interventions éducatives et sociales et en efforts de propagande), l’équivalent de notre abdication circonstanciée que nous aurons conscience d’avoir - dans le domaine des relativités - reconquis l’équilibre que nous ont fait perdre nos adaptations et nos inflexions dépendantes...
Que l’anarchiste qui demande le soutien de son existence aux artifices et aux recours illégaux demeure, en principe, autant notre camarade que ceux des nôtres qui, à leur corps défendant, assoient leur vie matérielle sur une carrière ou un métier essentiellement parasitaire, sans doute. Notre jugement, en pareil cas, à l’égard des uns et des autres, dépend de nombreux cas d’espèces et les événements, et l’atmosphère et le cadre de leurs actes dictent notre attitude à l’égard des individus. Mais nous présenter les pratiquants de l’illégalisme comme d’une qualité anarchiste supérieure à celle de tout autre adapté social, c’est rompre la balance des situations. Car - j’y reviens à dessein - la « reprise », tout comme le patronat ou le commerce, le propriétarisme de rendement, est une adaptation, et son milieu hors code et ses dangers, et la répression dont elle est l’objet (toutes formes extérieures à elle et étrangères à sa nature) ne changent rien à ce caractère. L’illégaliste est un adapté en ce qu’il bénéficie des richesses sociales créées par le capitalisme et que seuls d’avec les appropriateurs légaux, le différencient des modes de ravissement et d’accaparement. Il jouit, lui aussi, des biens iniquement répartis ou accumulés, et frustre - quoique par préhension secondaire - les autres hommes de l’avoir social. Il ne vise pas au redressement des répartitions disproportionnées d’un système et au rétablissement de l’harmonie. Il ne concourt (toujours en tant qu’illégaliste « terreà-terre », bien entendu) ni à la réduction du désordre ni à l’instauration d’un ordre nouveau. Il se tire d’affaire, il assure sa subsistance, son aisance s’il le peut, il fait sa place : il s’adapte. Avec lui, tout comme avec le négociant ou l’employeur, le propriétaire loueur, le salarié même, etc. (j’étudie ici en elles-mêmes les situations et non dans l’emploi que peuvent faire les uns et les autres des richesses indûment acquises), les bases du régime demeurent incontestées et inébranlées.
En la quotidienneté illégaliste de sa vie, sa révolte non plus ne paraît guère. Sous le couvert se préparent ses approches tactiques et l’ombre, le coup fait, est le plus sûr garant d’une impunité qu’il ne peut dédaigner. Il ne mettra pas son geste, ni, à cette occasion, ses principes à l’étal. I1 n’en revendiquera point quelque légitimité. Il a tout intérêt à ne pas attirer l’attention, à s’évanouir, et il ne fera pas le commentaire public de ses actes. Réflexe de tempérament ou riposte d’idéologie, adoption de nécessité ou de protestation, engouement irréfléchi ou préférence délibérée, sa « carrière » demeurera cachée, inavouée. Ses « réactions spécifiques » contre le milieu et l’artifice social ne dépasseront pas le cadre fermé de ses agissements spéciaux et clandestins. Ni le dépouillé, ni l’entourage, ni quelque portion du corps social, pas même un cercle un peu étendu de sympathiques n’auront l’éclaircissement qui tait la propagande. Et il se confondra, dans le même clan tapi et inquiet, avec les illégaux sans idéal. Son illégalisme, au mieux, pour durer, sera neutre et discret. L’illégaliste ne seraanarchiste que sorti du réseau enlaçant de son illégalisme, et le silence appesanti sur celui-ci. Plus d’une fois même la prudence (dont dépend la liberté du lendemain) d’un métier qui ne cesse d’être compromettant par-delà les « heures de travail » le fera s’écarter de la propagande ouverte. Redoutant le coup de filet et la reconnaissance, il aura tendance à éviter les groupes, la part d’imprévu que comportent certaines diffusions, voire l’identification anarchiste. Et l’indépendance pour l’action, la vie selon et pour ses convictions sera, comme pour tant d’autres, un mirage. Partout le risque l’accompagne et, comme tant d’insoumis, de déserteurs - autres réfractaires, et de philosophie parfois plus avérée cependant, et de plus sûre base anarchiste - ils seront perdus pour l’idée. Toutes ces voies (nous tâchons de garder des superficielles préconisations et des choix précipités : nous ne condamnons point et chacun reste juge de ses options), toutes ces voies sont en réalité presque toujours des impasses sociales et des suicides individuels. Les meilleurs, trop souvent, s’ils n’y périssent, s’y dessèchent sans rayonnement. La loi de conservation y paralyse les résolutions, vient à bout des principes. Et l’homme se referme afin que l’être se prolonge. Ainsi l’ambiance hostile nous réserve de paradoxales destinées et nombre qui, au départ, en louvoyant, voulaient vivre, se sont éteints dans ses bras.
Rares sont ceux qui pratiquent la « reprise », surtout d’une manière suivie, par conception et protestation anarchistes. Toutce qu’ils prélèvent en ce cas fait retour à la propagande ou à la collectivité. Et l’illégalisme n’est plus un expédient personnel et étroitement intéressé, mais une arme et un moyen de lutte, c’est un aliment de l’idée et un aspect du terrorisme. La « période héroïque » nous a fourni quelques types de cet aspect exceptionnel de militantisme...
A part ces cas de mainmise extra-individuelle, la « reprise » qu’exerce l’illégaliste demeure - avec des méthodes différentes de celles de l’adapté légal - une exploitation indirecte du producteur et consolide l’inégalité sociale. Et le fait qu’il opère en dehors et sous la menace des lois ne doit pas nous abuser sur le caractère de ses actes. Plus souvent qu’il ne les nourrit ou les impulse, l’argument philosophique en est l’adjuvant justificatif ou l’abusif pavillon... Le vol d’ailleurs, même en dehors du blanc-seing, étendu déjà, de la légalité, est pratiqué sur une large échelle par le capitalisme normal (les sphères financières où opèrent des chantages d’envergure sont, sur ce point, particulièrement significatives). Il n’y a de différence que dans le traitement subi par les opérants. Contre les uns, le régime (dont ils sont une force et l’avéré soutien) évite de tourner les rigueurs de ses lois prohibitives ; mais il n’épargne pas les autres : le menu fretin et les en-dehors.
Pour donner le change d’abord (haro sur le baudet !), par logique de puissance ensuite, pour étouffer toute concurrence aussi et se garder d’inquiétantes généralisations, pour sauver enfin la façade d’une morale (tournée vers le peuple, comme la religion) qu’il a besoin d’entretenir chez autrui pour maintenir libre le jeu de l’illégalisme princier et assujettir les cadres de ses opérations, le capitalisme bourgeois, à la faveur d’une feinte garantie de l’honnêteté, prend parmi les voleurs pauvres ses boucs émissaires...
Mais si l’illégalisme d’en bas - qu’anime ou non une philosophie de révision sociale - porte atteinte, ça et là, aux fondements ou au prestige de la propriété (ses gestes sont, la plupart du temps, incompris et honnis), si ses attitudes sont parfois à cet égard satiriques et génératrices d’irrespect, s’il recueille au passage quelques confuses et circonspectes sympathies, ce sont celles qui entourent l’adresse et la ruse triomphantes par hasard des embûches et des lourdes défenses du pouvoir, c’est cette secrète revanche des humbles contre les maîtres et les accapareurs que nous avons connue dès l’enfance du vilain et qu’exaltaient déjà les fabliaux et le Roman de Renart. Cet illégalisme s’apparente, pour la masse, à l’éternelle réaction frondeuse contre le règne et les choses établies et traduit sourdement le fondamental individualisme de notre race. Mais l’anarchisme de ses commettants n’y est pour rien et il n’en retire ni bénéfice moral ni clarté. Il semble y perdre au contraire du fait des similitudes et des compromissions qu’ébranle l’illégalisme. Et tels qui, déjà, sont faussement impressionnés par l’attentat politique ou idéologique, le sont davantage encore par l’illégalisme qui, pour des fins individuelles, expose la reprise jusqu’aux circonstances criminelles. Et l’anarchisme traîne après lui - plus ombre que lumière ! - la paradoxale auréole d’une doctrine de banditisme et d’assassinat. La portée d’accidents tactiques retentissants s’avère comme de nature à en troubler l’intellection plus qu’à en faire aimer les desseins. Et l’anarchie - dressée en libératrice contre la spoliation et le meurtre permanents, revendiquant la vie fière et fraternelle - frappe surtout les esprits comme un faisceau de brutalités vengeresses, agrippeuses et, sans scrupules...
Je ne dirai qu’un mot de ce que l’exercice de l’illégalisme comporte, éducativement, d’énergie, de bravoure, d’initiative, de tendances irrégularistes, etc. Il a sa contrepartie de mensonge, de dissimulation, de fourberie et de violence... Ses tares et ses déformations contre-balancent d’ordinaire la trempe du caractère et l’indépendance, plus apparente que réelle, de l’allure. La délivrance de certaines habitudes s’accompagne souvent d’une mise à la merci d’enchaînements tout aussi déformants. Et l’illégaliste ne s’affranchit guère de nos dépendances coutumières que pour s’assujettir aux exigences d’impératifs insoupçonnés. Reconnaissons toutefois que la pratique de l’illégalisme, même chez l’illégal fruste et vulgaire (cambrioleur, contrebandier, etc.) n’annihile pas forcément le respect du bien légitime d’autrui, ni ne tarit l’élan généreux et le don désintéressé. Un certain détachement de la propriété caractérise d’ordinaire les aventuriers et, les tenant à l’écart de la thésaurisation, les rend plus aptes à l’aide large et spontanée.
On a cité souvent des traits de sacrifice et de dévouement qui dénotent que leur genre de vie ne tue pas nécessairement le sens moral essentiel de la sociabilité. Si de lâches dénonciations - nombreux sont les réguliers qui ne leur cèdent rien en laideur policière - ont amoindri en maintes occasions la couleur romanesque de leurs campagnes, des fidélités inflexibles et des confiances intrahies jusque dans la mort ont aussi souvent élevé les bandits à un niveau de loyauté droite et d’abnégation qui ne fleurissent pas d’abondance - il s’en faut - chez maints desséchés légalistes, honorables tenants de rapine et chevaliers d’usure avec garantie de l’État. Et des reflets de chaude humanité illuminent ainsi d’une flamme inattendue quelques figures proscrites et méconnues... Disons, pour conclure cet aperçu, qu’autant qu’à l’anarchiste illégaliste qui lutte pour conserver à sa personnalité les caractéristiques qui, pour nous, le retiennent sur un plan de tolérance ou de sympathie, il faut souvent du courage et de la ténacité - et sa tâche s’accompagne aussi d’une résistance morale de tous les instants - à l’anarchiste « régulier » qui asseoit sa carrière au sein de contingences acharnées à le reconquérir. Et que, pour être moins éclatantes, les batailles qu’il livre à l’emprise d’une ambiance insidieuse et envahissante, et le maintien final de convictions quotidiennement disputées, n’en sont pas moins valeureuses...
S’il ne cesse pas de nous intéresser en tant qu’homme et que portion évolutive du corps social, l’illégaliste (tout comme les acceptants de certaines fonctions ou situations d’ordre bourgeois, tout comme les pratiquants plus ou. moins incorporés à diverses catégories légalistes) n’est pas néanmoins, lui non plus, pour et à cause de son genre de vie, un anarchiste. S’il conserve, lui aussi, cette qualité, s’il sauvegarde son potentiel anarchiste, c’est bien plutôt malgré son illégalisme et par une insurrection intérieure continuelle de son tempérament et de sa philosophie. Où sont d’ailleurs ceux dont la vie courante, dans le cadre actuel, est vraiment une réalisation anarchiste, pure de compromissions ? Dans quel milieu est-elle dès aujourd’hui possible, puisque tous sont hostiles à ses desseins et que nous ne pouvons vivre, les uns et les autres, sans amputer, dans une mesure variable, notre idéal ?... Si un individu ne cesse pas forcément parce qu’illégaliste, d’être anarchiste, ce n’est pas davantage, lorsqu’il l’est ou le demeure, à son illégalisme qu’il le doit. Car l’anarchie, en son essence, est don : elle ne peut être dol et frustration ; elle est loyauté, au fond des êtres et partout dans leurs approches : elle ne peut être altération ; elle est solidarité : elle ne peut être parasitisme. Et tout ce qui s’oppose à ce qu’elle soit ainsi dans le monde (pratiques légales ou illégales) nous avons à le vaincre et à le repousser. L’illégalisme de l’économie quotidienne aussi bien que le légalisme - est dans la nature et la, vie d’un anarchiste comme un anachronisme : c’est un étranger, corrupteur d’anarchisme, avec lequel il est obligé de lutter pour se conserver... Nous ne pouvons, aux uns et aux autres, d’ailleurs légaux ou illégaux - accorder ce caractère anarchiste sur la foi d’allégations superficielles et de confusions nominales et sur la similitude des terminologies. A qui prétend être des nôtres, nous demandons - au moins pour un minimum qui est notre critérium et notre garantie morale - dans la mentalité générale et l’esprit critique, dans le jugement et les contacts avec l’environ, dans ce qu’il a - en lui et autour de lui - réduit d’oppressive autorité et animé d’anarchisme, dans son effort d’élévation intime et de propension généreuse, dans la dominante de ses mœurs et dans ce qui nous intéresse, anarchiquement, de son activité, la preuve des sympathies et des fidélités proclamées... Et si nous demeurons, à quiconque, et pardelà les tares ou les déformations qui font plus ou moins leur proie de tous les hommes, ouverts avec indulgence et simplicité, nous ne gaspillons pas à tout réclamant une appellation qu’à nos propres yeux nous avons tant de peine à mériter...
Il est un facteur - un facteur réaliste - qui doit nous rendre circonspects à l’égard de l’illégalisme et pleins d’une sage défiance pour les tentations, à certains yeux riantes, de ses abords. A l’encontre d’affirmations entachées de légèreté et insuffisamment documentées, l’individu qui s’engage dans la voie pleine de périls de l’illégalisme, une voie semée de tous les traquenards et de toutes les coercitions d’un privilège qui, âprement, se défend, ne le fait presque jamais en pleine connaissance de cause. Il ne sait, la plupart du temps, à quelles innombrables perturbations sa décision sans base a livré son avenir et quelle meute il vient - par un seul parfois, mais irréparable premier acte - de jeter à ses trousses. Il n’a pas, généralement, soupçonné, évoqué surtout dans leur fréquente réalité, la trame d’inquiétudes et d’angoisses, la tension haletante et la fièvre, et la sécurité révolue, et le final hallali de la bête traquée. Les jeunes surtout - recrues courantes et faciles - n’en ont vu que les dehors aisément triomphants et la séduction d’une trompeuse et hélas ! combien précaire - liberté ! Et quand ils y ont engagé leurs espérances naïves et qu’ils sentent peser sur eux la chape écrasante d’une forme seulement diversifiée de l’esclavage, compliquée d’aléas redoutables, trop tard il est souvent pour ressaisir leur jeunesse prise dans l’engrenage...
Combien, pour avoir (dans l’ignorance ou la confiance abusée de leur adolescence) accordé un choix prompt et irraisonné aux menées hasardeuses de l’illégalisme, ont vu, irrémédiablement, leurs espérances abîmées, leurs jours mêmes compromis, s’anéantir jusqu’aux perspectives du retour à la plus banale des vies contemporaines. Que de forces gâchées, que de fortes et précieuses individualités sont tombées pour des peccadilles et furent à jamais perdues pour notre amitié et la tâche de nos idées chères. Qui dénombrera les malheureux jeunes gens égarés par des apologies inconsidérées - parmi lesquels se glissent parfois peut-être quelques manœuvres canailles de police - et qui, pour quelque rapt « en bande » (association de malfaiteurs), pour quelques papiers contrefaits et jetés dans la circulation (émission de fausse monnaie : « crime contre la sûreté de l’État », le bougre tient à ses prérogatives !) ont payé par des années de bagne leur geste terriblement enfantin quand on songe aux conséquences ? Combien y ont laissé leur pauvre corps, ou leur santé, la fleur de leur vie et le meilleur d’eux-mêmes ? Les uns ont donné leur tête au bourreau, d’autres agonisent dans les pénitenciers, se consument dans les geôles. 0 jeunesse sacrifiée ! Pour un vol de ciboire - en groupe - dans une église - un ciboire vendu cent sous à un receleur ! - j’en sais qui sont morts à la Guyane ! Pour l’écoulement de quelques coupures, d’autres sont allés se pourrir dans les Centrales et, en fussent-ils revenus, sont morts aussi, en face d’eux-mêmes et pour nous. Et il n’est pas vrai qu’ils savaient...
A l’âge où l’on se précipite dans les bras accueillants de l’illégalisme (ce sont des enfants encore, la plupart n’ont pas vingt ans) on ne sait pas, on croît savoir. Et l’on ne soupèse, ni ne mesure : on s’illusionne. Et c’est avec la foi et l’ardeur juvénile du bonheur prochain et de la vie totale qu’on s’élance sur les sentiers perfides où l’illégal, tardivement éveillé, succombe. On a, devant leurs yeux ouverts encore sans réserve à l’impression, leurs cerveaux superficiellement ou maladroitement meublés, leurs volontés aisément désaxées, on a fait miroiter la dorure unilatérale de la réussite et de l’avenir sans attaches. La prison et sa dure et déprimante claustration, la « défense » brusquement posée devant la fuite du cambrioleur, la « précaution » ou la riposte qui mènent au couperet, c’est pour les autres : les maladroits, et chacun, s’interrogeant en beau, ne voit jamais en lui l’incapable, ni le malchanceux. C’est comme à la guerre : s’il n’en revient qu’un, il sera celui-là... On a aussi répété devant lui que le travail était un leurre, voire, pour « l’homme libre », une déchéance. On a représenté le laborieux, l’ouvrier, comme la brute ignare, l’imbécile et la poire. Et l’on a fait, de l’herbe dans la main, la culture de la dignité. Et le moindre effort (car il n’en est pas un qui n’ait vu l’illégalisme moins fatigant que l’atelier) ; et la paresse même (l’illégalisme ? mais pour beaucoup il va n’être qu’un jeu pimenté d’émotions, une promenade romanesque, dispensatrice finale de butin) ; et cette sotte griserie de « supériorité », cet esthétisme dégénéré du moi faits de fatuité puérile et de chétive vanité, et de faux intellectualisme - les éducations et les aberrations conjuguées, servies par un mal social évident, ont fait d’eux les adeptes inéclairés et sans conscience de l’illégalisme mangeur de jeunesse et la proie des vindictes aux aguets... Rien n’est plus traître, d’ailleurs, et ne vous enlace plus perfidement, et ne vous rend, si chèrement payée, la faculté de vos mouvements que l’illégalisme. Pas une branche d’activité peut être où le passé pèse sur vous plus lourdement et s’acharne à votre perte, pas de rêts qui tiennent mieux « leur homme » et l’empêchent de se reconquérir... Des nôtres égarés sur les pentes fatales de l’illégalisme bien peu remontent le courant, nous reviennent. Ou la chance qui les y retient les « professionnalise », ou la chute les enfonce : la société, presque toujours, les achève !
Stephen Mac Say