vendredi 27 juillet 2018

Journal de la Commune


Pour conjurer le danger des émanations produites par les corps humains que les prussiens ont inhumés autour de Paris à une profondeur tout à fait insuffisante, on s’est décidé, non à déplacer ces cadavres, déjà en putréfaction, mais à les recouvrir d’une couche de terre assez épaisse pour intercepter les miasmes. Sur cette terre, on sèmera du ray-grass et d’autres plantes fourragères dont les racines s’empareront des gaz nuisibles pour les transformer en une pulpe nourrissante et salubre.
Ce travail est déjà commencé du côté de Sèvres, où des tertres nombreux, notamment au pied des gros arbres de l’avenue, à proximité de la manufacture, révèlent la présence des victimes de la guerre. Le tronc de l’arbre a été utilisé comme cippe funéraire. On a enlevé l’écorce sur une certaine étendue, et le liber a été poli de manière à former une sorte de page in-8°, blanche et lisse, sur laquelle on a gravé superficiellement, ou tracé au crayon, les noms des soldats, généralement au nombre de trois, qui reposent au pied.
A côté de quelques-uns de ces noms sont figurés des emblèmes religieux ou des outils indiquant sans doute la profession qu’exerçait, avant de prendre les armes, celui dont s’est ainsi occupée la main d’un camarade. Ces inscriptions s’effacent chaque jour davantage. Aux petits tumuli est fixée une croix faite avec des branches de buis. Si l’on monte vers Montretout, on voit se multiplier ces tertres du côté de la Porte-Jaune, de Fouilleuse, du parc Pozzo di Borgo, de la route des Fausses- Reposes, dans tous les endroits où a été le plus acharnée la lutte suprême du 19 janvier.
Ceux qui recouvrent des soldats allemands ont toujours des noms et des emblèmes : aucun signe distinctif ne peut faire reconnaître les nôtres, restés en grand nombre dans les enclos des propriétés particulières, tels que le parc Zimmermann, etc., et si peu enfoncés qu’on voyait encore là, il y a peu de temps, saillir de terre une portion de jambe toute bottée.
Il était donc urgent de procéder à ce complément d’inhumation, car, dans quelques jours chaleurs précoces que nous avons eues récemment, on commençait à entendre auprès de ces sépultures improvisées le sinistre bourdonnement de ces grosses mouches cadavériques dont la piqûre donne la mort.

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