Théâtre Français du XIX° Siècles : Victor Hugo Partie 5

 

Théâtre

Renouvellement du genre

Le théâtre de Victor Hugo se situe dans un renouveau du genre théâtral initié par Madame de StaëlBenjamin ConstantFrançois GuizotStendhal115 et Chateaubriand. Dans sa pièce Cromwell qu'il sait être injouable à son époque115 (pièce de 6 414 vers et aux innombrables personnages), il donne libre cours à son idée du nouveau théâtre. Il publie conjointement une préface destinée à défendre sa pièce et où il expose ses idées sur le drame romantique : un théâtre « tout-en-un »115, à la fois drame historique, comédie, mélodrame et tragédie. Il se revendique dans la lignée de Shakespeare115, jetant un pont entre Molière et Corneille116. Il y expose sa théorie du grotesque qui se décline sous plusieurs formes117 : du ridicule au fantastique en passant par le monstrueux ou l'horrible. Victor Hugo écrit « Le beau n'a qu'un type, le laid en a mille »118Anne Ubersfeld parle à ce sujet de l'aspect carnavalesque du théâtre hugolien119 et de l'abandon de l'idéal du beau115. Selon Victor Hugo, le grotesque doit côtoyer le sublime, car ce sont les deux aspects de la vie120.

Les Burgraves, scène du 2e acte.

Lors de la création de ses autres pièces, Victor Hugo est prêt à de nombreuses concessions121 pour apprivoiser le public et le mener vers son idée du théâtrek. Pour lui, le romantisme est le libéralisme en littérature122. Ses dernières pièces, écrites durant l'exil et jamais jouées de son vivant, sont d'ailleurs réunies dans un recueil au nom évocateur Théâtre en liberté. Le théâtre doit s'adresser à tous : l'amateur de passion, celui de l'action ou celui de la morale116,l. Le théâtre a ainsi pour mission d'instruire, d'offrir une tribune pour le débat d'idées et de présenter « les plaies de l'humanité avec une idée consolante123 ».

Victor Hugo choisit de situer ses pièces principalement dans les xvie et xviie siècles, se documente beaucoup avant de commencer à écrire124, présente souvent une pièce à trois pôles : le maître, la femme, le laid125 où se confrontent et se mélangent deux mondes : celui du pouvoir et celui des serviteursm, où les rôles s'inversent (Ruy Blas, serviteur, joue le rôle d'un grand d'Espagne), où le héros se révèle faible et où le monstre a une facette attachanten.

Victor Hugo préfère écrire avec l'alexandrin auquel il donne cependant, quand il le souhaite, une forme plus libre126 et rares sont ses pièces en prose (Lucrèce BorgiaMarie Tudor).

Controverses

La première d'Hernani. Avant la bataille. Gravure de Albert Besnard, représentant la Bataille d'HernaniMaison de Victor Hugo.

Victor Hugo, s'il possède d'ardents défenseurs de son théâtre comme Théophile GautierGérard de NervalHector BerliozPetrus Borel, etc.127, a aussi rencontré de nombreuses difficultés dans la présentation de ses pièces.

La première est une opposition politique. Sa remise en question des représentants du pouvoir ne plaît pas, Marion de Lorme est interdite, le Roi s'amuse l'est aussi après sa première représentation, Les Ultras attaquent Ruy Blas128.

La seconde est la contrainte économique : il n'existe sur Paris que deux théâtres susceptibles de représenter le drame, le Théâtre-Français et le théâtre de la Porte-Saint-Martin. Ces deux théâtres subventionnés ne roulent pas sur l'or et sont tributaires des subsides de l'État. Leurs directeurs hésitent à prendre des risques33. Victor Hugo se plaindra du manque de liberté qu'ils offrent129. C'est une des raisons qui lui font entreprendre l'aventure du théâtre de la Renaissance.

La troisième et la plus importante est une opposition du milieu artistique lui-même. Les artistes et les critiques de son époque sont pour beaucoup hostiles à la transgression des codes culturels que représente le théâtre de Victor Hugo. Ils approuvent les grandes pensées qui élèvent l'âme, mais s'insurgent contre tout ce qui relève du grotesque, du vulgaire, du populaire ou du trivial130. Ils ne supportent pas tout ce qui est excessif, lui reprochent son matérialisme et son absence de morale131. Ils critiquent vigoureusement chaque pièce présentée et sont souvent à l'origine de leur arrêt prématuré. Le Roi s'amuse ne fut représenté qu'une seule foisoHernani, pourtant forte de cinquante représentations à succès ne fut pas reprise en 1833, Marie Tudor n'est joué que 42 fois132Les Burgraves sont un échec et sont retirés de l'affiche après trente-trois représentations133Ruy Blas est un succès financier, mais est boudé par la critique134. Balzac envoya à Madame Hanska un commentaire au vitriol : « Ruy Blas est une énorme bêtise, une infamie en vers. Jamais l’odieux et l’absurde n’ont dansé de sarabande plus dévergondée. Il a retranché ces deux horribles vers : ... Affreuse compagnonne/Dont la barbe fleurit et dont le nez trognonne. Mais ils ont été dits pendant deux représentations. Je n’y suis pas encore allé : je n’irai probablement pas. À la quatrième représentation, où le public est arrivé, on a sifflé d'importance »135.

Victor Hugo, assis sur les conventions (l'Académie française et le Théâtre français).

Seule Lucrèce Borgia peut être considérée comme un plein succès.

Postérité

Le théâtre de Victor Hugo a été peu joué dans la première moitié du xxe siècle136,137. Il est remis au goût du jour par Jean Vilar en 1954 qui monte successivement Ruy Blas et Marie Tudor. D'autres metteurs en scène suivent qui font revivre Lucrèce Borgia (Bernard Jenny), Les Burgraves et Hernani (Antoine Vitez), Marie Tudor (Daniel Mesguich), les pièces du Théâtre en liberté (L'InterventionMangeront-ils?Mille Francs de récompense…) sont montées dans les années 1960 et continuent à l'être. On peut lire aujourd'hui l'ensemble de ce Théâtre en liberté dans l'édition qu'en a procurée Arnaud Laster138. Naugrette souligne aussi les difficultés d'interprétation du théâtre hugolien, comment n'être ni grandiloquent, ni prosaïque, mais sans fausse pudeur, comment présenter le grotesque sans glisser vers la caricature et comment gérer l'immensité de l'espace scénique et rappelle le conseil de Jean Vilar : « jouer sans pudeur en faisant confiance au texte de Victor Hugo ».


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