dimanche 29 août 2021

Libres propos Tome 1 par Adolph Hitler

 "De tous les slaves, le Tchèque est le plus dangereux, parce qu'il est travailleur. Il a le sens de la discipline, il a de l'ordre, il est plus mongol que slave. Sous le couvert d'une certaine loyauté, il s'entend à cacher ses plans. Maintenant, ils travailleront car ils savent que nous sommes impitoyables et brutaux. Je ne les méprise pas, je ne leur en veux pas. C'est le destin qui veut que nous soyons adversaires. En somme? Les Tchèques constituent un corps étranger au sein de la communauté allemande. Il n'y a pas de place pour eux et pour nous. L'un de nous doit céder.

En ce qui concerne le Polonais, c'est une chance pour nous qu'il soit paresseux, bête et vaniteux. L'état Tchèque, et cela est dû à la formation qu'ont eue les Tchèques, était d'une propreté exemplaire. La corruption n'existait pratiquement pas chez eux. Les fonctionnaires Tchèques sont généralement animés par le sentiment de l'honneur. C'est pourquoi un Hacha est plus dangereux qu'une crapule journalistique. C'est un homme intègre, qui ne s'enrichira pas d'une couronne dans l'exercice de ses fonctions. Les hommes accessibles à la corruption sont moins dangereux. Ce sont là des choses que le deuxième Reich n' jamais comprises. La façon de se comporter à l'égard des Polonais fut un échec lamentable. On n'a réussi qu'à raffermir leur sentiment patriotique. Nos compatriotes des régions frontières, qui sauraient comment s'y prendre azvec les peuples voisins, sont brimés par les bons allemands de l'intérieur - qui se figurent, eux, que c'est par la bonté que seront gagnés à l'Allemagne ces cœurs étrangers. Tout allait bien à l'époque de Marie-Thérèse, et l'on peut dire que, dans les années 1840, il n'était pas question d'un patriotisme polonais. Avec l'avènement de la bourgeoisie au pouvoir, le terrain conquis fut à nouveau perdu.

Le Tsar Ferdinand de Bulgarie m'a dit un jour : " Savez-vous quel est l'homme le plus dangereux? C'est Bénès. Titulesco est vénal, mais Bénès, je ne crois pas." Ferdinand était vraiment très fort."


"Il faut agir radicalement. Quand on arrache une dent, on l'arrache d'un coup, et la douleur ne tarde pas à disparaitre. Le juif doit décamper d'Europe. Sinon, aucune entente ne sera possible entre européens. C'est le juif qui empêche tout. Quand j'y réfléchis, je m'aperçois que je suis extraordinairement humain. Du temps de la domination des papes, les juifs étaient maltraités à Rome. Jusqu'en 1830, l'on promenait une fois par an dans les rues de Rome huit juifs montés sur des ânes. Moi, je me borne à leur dire qu'ils doivent s'en aller. S'ils cassent leur pipe en route, je n'y puis rien. Mais s'ils refusent de partir volontairement, je ne vois pas d'autre solution que l'extermination."


"Il me semble que ces questions pourront être résolues le jour où un homme établira intuitivement le rapport qui existe entre ces faits, montrant ainsi à la science exacte la voie à suivre. Sinon, nous ne soulèverons jamais le voile qui s'est interposé entre notre monde actuel et celui qui nous a précédé."


"J'ai horreur des femmes qui se mêlent de politique. Et si cela s'étend aux choses militaires, cela devient tout à fait insupportable.

Dans aucune section locale du Parti une femme n'a jamais eu le droit d'occuper fut-ce le plus petit poste. Aussi a-t-on dit souvent que nous étions un parti de misogynes, que nous ne voyions dans la femme qu'une machine à faire des enfants, ou bien un objet de luxe. C'est loin d'être le cas. J'ai donné beaucoup d'importance à la femme dans le domaine de la formation de la jeunesse et dans celui des œuvres d'assistance. C'est en 1924 que surgirent chez nous les femmes attirées par la politique: Mme Von Treuenfels, et Mathilde von Kemnitz. Elles voulaient faire partie du Reichstag, afin d'élever, disaient-elles, le niveau moral de cette institution. Je leur ai répondu que 99% des questions traitées par le parlement étaient affaires d'hommes à propos desquelles elles ne pouvaient avoir une opinion valable. Elles s'insurgèrent contre ce point de vue mais je leur clouai le bec en disant :" Vous n'allez pas prétendre que vous connaissez les hommes comme moi je connais les femmes". Un homme qui vocifère, ce n'est pas beau. Mais que ce soit une femme, c'est terriblement choquant. Plus elle s'époumone, et plus sa voix devient stridente. La voilà prête à se crêper le chignon, toutes griffes dehors. La galanterie, en somme, commande d'éviter aux femmes l'occasion de se mettre dans des situations qui ne leur conviennent pas. Tout ce qui est lutte est exclusivement du ressort de l'homme. Il y a tant d'autres domaines où le recours à la femme s'impose. Par exemple, pour organiser une maison. Peu d'hommes ont le talent de Mme Troost en ce qui concerne la décoration intérieure d'une maison. Il y eut quatre femmes auxquelles je fis jouer un rôle de vedette: Mme Troost, Mme Wagner, Mme Scholtz-Klink et Leni Riefenstahl." 


"Si l'humanité se donnait la peine d'étudier et de comprendre l'histoire, il en résulterait des conséquences d'une portée incalculable. On chantera un jour des actions de grâces au fascisme et au national-socialisme pour avoir préservé l'Europe d'une répétition du triomphe de la pègre."


"Si Chamberlain, à son retour de Munich, avait fait des élections sur le choix entre la guerre et la paix, il aurait obtenu une écrasante majorité en faveur de la paix. Quand je pris possession de Memel, Chamberlain me fit savoir par un tiers qu'il comprenait fort bien que ce règlement devait se faire, encore qu'il ne pût l'approuver publiquement. A cette époque,, Chamberlain était férocement attaqué par le clan Churchill. S'il avait eu la présence d'esprit d'organiser des élections, il était sauvé. Dans des cas semblables, je me suis toujours arrangé en vue d'être plébiscité. Cela produit un excellent effet, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur."


vendredi 27 août 2021

BIBLIOTHÈQUE FAHRENHEIT 451

 

LA RAFLE DU VÉL’D’HIV

Loin d’être la seule, la rafle du Vél’ d’Hiv reste la plus importante et la plus emblématique des opérations antijuives menées par la police française, « corps de fonctionnaires ayant perdu ses repères », pendant l’occupation nazie. Maurice Rajsfus, fin connaisseur des archives de cette période, analyse tous les aspects de cet évènement, dans l’espoir « d’alerter les citoyens d’un pays libre sur les dérives des pouvoirs forts ».
Il rappelle tout d’abord rapidement la tradition xénophobe française, le premier statut des Juifs de France, dès 1937, par Louis Darquier, dit de Pellepoix, les décrets-lois Daladier, l’année suivante, qui permirent l’assignation à résidence des étrangers en situation irrégulière, puis l’internement dans des camps de concentration des « débris des armées républicaines espagnoles », celui des ressortissants allemands résidant en France, à partir d’octobre 1939, essentiellement des antifascistes et des Juifs, qui seront d’ailleurs livrés au nazis l’année suivante.
« Bien avant que l'Allemagne nazie, qui occupe les trois cinquièmes de la France, ne dicte sa loi au gouvernement de la zone dite libre, Pétain et ses ministres se préoccupent déjà de réprimer les étrangers, “cause des malheurs“ du pays et, plus directement, les Juifs. » À partir de juillet 1940, différentes lois écartent les juifs de certaines professions, médicales, judiciaires, puis commerciales et industrielles un peu plus tard. Le 3 octobre le premier statut des juifs de France est édicté, « selon des critères plus drastiques que ceux des nazis ». Le 14 mai 1941, 6000 juifs étrangers de Paris sont convoqués au commissariat de leur quartier et les 3800 qui vont se présenter sont envoyés et internés dans deux camps du Loiret. Maurice Rajsfus illustre ces événements avec des extraits de circulaires officielles et des articles de presse, notamment d’extrême-droite. Puis le 20 août, une rafle limitée au 11e arrondissement, est décidée par les Autorités allemandes, pour tester « la bonne volonté des cadres comme de la base policière ».
L’organisation des services de renseignements (en particulier la constitution du fichier juif à la préfecture de police, sous la responsabilité de l’inspecteur André Tulard), de police et de gendarmerie, est présentée, ainsi que leur synergie avec les services allemands. À la fin du mois d’avril 1942, avec le retour de Pierre Laval à la tête du gouvernement de Vichy, René Bousquet accède an poste de secrétaire général de la police. (Voir aussi : LA POLICE DE VICHY)

La préparation de la rafle du Vél’ d’Hiv proprement dite, est ensuite exposée en détail. Ainsi, une note adressée le 6 juillet par le SS Dannecker à Adolf Eichmann, suite à sa rencontre avec René Bousquet, révèle que « le président Laval a proposé que, lors de l'évacuation des familles juives de zone non occupée les enfants de moins de seize ans soient emmenés eux aussi ». Le compte rendu du conseil des ministres du 10 juillet confirme que « dans un souci d'humanité, le chef du gouvernement a obtenu – contrairement aux premières propositions allemandes – que les enfants, y compris ceux de 16 ans, soient autorisés à accompagner leurs parents ».
Maurice Rajsfus évoque également des « fuites » venant « de trop rares fonctionnaires de police » permettant à un certain nombre de familles de se cacher. De son côté, l’Union générale des Israélites de France (UGIF) et d’autres institutions, informées de la date approximative de la rafle, n’ont aucune volonté de prévenir. Au contraire, l’organisation Solidarité, des communistes juifs immigrés, diffusent un trac très bien informé, avertissant de la « rafle monstre » qui n’épargnera ni les femmes ni les enfants. Par ailleurs, des rumeurs et des fausses nouvelles sont aussi propagées presque quotidiennement.
Il décrit ensuite avec la plus grande précision le déroulement des opérations, depuis le décompte des effectifs de fonctionnaires mobilisés, des interpellations heure par heure, des tentatives de suicide, des accouchements, etc. De très nombreux témoignages sont aussi rapportés. Puis les conditions abominables de détention au Vélodrome d’Hiver sont longuement détaillées : eau coupée, odeur pestilentielle, mares de déjections, fausses couches, cas de folies, tentatives de suicides, la trentaine de morts dont plusieurs enfants. Quelques évasions réussissent. Les rapports des évacuations vers les camps de Drancy, Phitiviers et Beaune-la-Rolande sont également commentés. Des consignes strictes ont été données aux journaux car la presse passe sous silence ces évènements dans les premiers jours. Des allusions dans les publications les plus antisémites n’apparaissent qu’une semaine plus tard et se précisent fin août seulement. La presse clandestine reste laconique sur le sujet.
L’Église catholique, en la personne d’un cardinal, se fend d’une discrète lettre de « protestation en faveur des droits imprescriptibles de la personne humaine », adressée au Maréchal Pétain. Seuls, l’archevêque de Toulouse et l’évêque de Montauban interviennent publiquement, en des termes plus vigoureux. La Semaine religieuse, publication du diocèse d’Évreux, explique la nécessité des mesures de répression raciale en citant l'exemple du pape Paul IV qui, au XVIe siècle, avait pris des mesures contre les Juifs. La réaction des protestants est plus nette bien que tardive.

S’en tenant strictement aux faits, Maurice Rajsfus livre une histoire de la rafle du Vél’ d’Hiv, mettant en lumière le rôle d’une police française majoritairement docile et servile.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

LA RAFLE DU VÉL’D’HIV
Maurice Rajsfus
154 pages – 10,90 euros
Éditions du Détour – Bordeaux – Juin 2021
editionsdudetour.com/index.php/les-livres/la-rafle-du-vel-dhiv/

 

Du même auteur :

LA POLICE DE VICHY

LA RAFLE DU VEL D’HIV (adaptation théâtrale)


mercredi 25 août 2021

Lignes: collection dirigée par Michel Surya

 

Lignes N°65 :  Etats d’exception





 

Rien d’exceptionnel    par Yves Dupeux

 

« Comment peut-on dire qu’il n y a rien d’exceptionnel à l’égard de la situation en tout point exceptionnelle que nous vivons ? Car de fait, le coronavirus contamine tout, c’est-à-dire aussi bien les hommes considérés individuellement que l’ensemble des activités sociales qui les relient et les déterminent, et finalement le monde lui-même. Mais si, avec cette pan-démie, tout (pan) est exceptionnel, alors plus rien ne l’est, par définition.

Afin de dégager le caractère exceptionnel de cette pandémie, on entend souvent dire que « le monde d’après ne sera pas comme le monde d’avant ». Une telle formule a l’avantage de mettre notre situation actuelle en perspective, temporellement ou historiquement, en insistant sur la rupture produite par la pandémie et le changement qui en résultera. Il faut cependant préciser que si l’on peut aisément convenir du caractère exceptionnel de cette rupture vis-à-vis du « monde d’avant », on ne peut que douter du changement qu’elle est présupposée produire, et donc de la nouveauté du « monde d’après ». Le confinement, par exemple, qui semblait impensable dans le « monde d’avant », a de fortes chances d’être la meilleure façon de le sauver, voire d’assurer ses principes. En effet, il permet entre autres l’accélération de la mise en place du télé-travail, c’est-à-dire d’une socialisation abstraite à partir de la réalité d’un travailleur confiné, considéré à partir de (chez) soi uniquement : l’auto-entrepreneur accompli. Par conséquent, ceux qui voyaient dans l’exception actuelle l’occasion d’un « sursaut politique » risquent d’en être pour leurs frais, d’autant plus qu’il n’y a pas besoin d’être devin pour savoir à l’inverse qu’une crise financière et sociale s’ensuivra. »

mardi 24 août 2021

BIBLIOTHÈQUE FAHRENHEIT 451

 

LE CHOIX DU CHÔMAGE

Le journaliste Benoît Collombat, accompagné de l’illustrateur Damien Cuvillier, ont rencontré d’anciens ministres, conseillers de présidents de la République, directeurs du trésor ou du FMI, des économistes, des juristes, des sociologues, des philosophes des banquiers. Tous ont contribué ou assisté à la victoire idéologique du néolibéralisme, qui a permis de mettre l’État au seul service du marché, et l’organisation du monde à celui de l’économie et de la finance. Résultat de trois ans et demi d’enquête, cette bande dessinée retrace les « moments de bascule historiques » et démontre comment le chômage est délibérément utilisé depuis quarante ans dans l’intérêt du système économique.
 
De nombreux repères chronologiques sont tout d’abord rappelés : de la création de l’OIT en 1919 dans le but de fonder « une paix universelle et durable (…) sur la base de la justice sociale », au Programme national de la résistance en 1944 qui prévoyait d’instaurer « une véritable démocratie économique et sociale » et d'évincer les « grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ». En 1933, Roosevelt promulgue la Glass-Steagall Act, séparant les banques de dépôt et banques d’affaires, qu’abrogera Bill Clinton en 1999. L’instauration du dollar comme monnaie de référence, par les accords de Bretton Woods, le 22 juillet 1944, et ses conséquences, sont également évoquées, ainsi que la naissance du néolibéralisme, lors du colloque Walter Lippmann en août 1938, dont les théoriciens se réuniront ensuite au sein de la Société du Mont-Pélerin, fondée en 1947, en attendant de pouvoir imposer leurs idées : des États au service des marchés. L’ordolibéralisme s’épanouit sur la reconstruction de l’Allemagne et accorde une importance fondamentale à la monnaie. L’exposé est limpide.



Depuis le tournant opéré en France avec Raymond Barre et Valéry Giscard d’Estaing, entre 1976 et 1981, privilégiant désormais la stabilité monétaire au plein emploi, les auteurs retracent, en s’immisçant dans les coulisses du pouvoir, les choix politiques français en matière économique, notamment le virage de la rigueur pris par le gouvernement socialiste dès l’été 1981, avec l’invention de la règle du 3%, outil de communication particulièrement simple à comprendre, pour justifier les déficits budgétaires, et qui deviendra une référence mondiale. Ils reviennent également sur la fin de l’indexation des salaires sur les prix, décidée par Delors pour combattre l’inflation, puis sur « l’histoire secrète des nationalisations », en particulier celle des banques. Le déficit extérieur de la France entre 1980 et 1983 correspond ni plus ni moins à la facture pétrolière et augmente à cause de la hausse du dollar. Il n’est absolument pas lié à la politique de relance mais le débat est manipulé, tout comme celui de la dette actuellement. Plutôt que de sortir du Système monétaire européen (SME), Mitterrand décide de maintenir un franc fort, ce qui implique de faire « le choix du chômage ». La politique de lutte contre l’inflation va dans le sens des épargnants et de l’accumulation financière au détriment de l’emploi qui devient la « variable d’ajustement ». En février 1984, l’émission Vive la crise, présentée par Yves Montand diffuse l’idée de la fin de l’État-providence. Puis, Bérégovoy, entre 1984 et 1986, permet à l’État de se financer sur les marchés financiers, sans passer par la Banque de France.

Un long chapitre est consacré à la construction européenne, rappelant que les fondations ont été jetées par Jean Monnet et Robert Marjolin. Basée sur un projet issu de la Société du Mont-Pélerin, la construction du Marché commun suit d’emblée un horizon libéral dans la mesure où elle est pensée comme un moyen de défaire l’interventionnisme étatique national. Le Traité de Rome s’inspire de l’ordolibéralisme allemand. Alors que De Gaulle, isolé, voulait une Europe politique et intergouvernementale, c’est la vision des « pères fondateurs », supranationale et économique, qui l’emporte. Le marché intérieur est mis en place, suivi par l’union monétaire, sans harmonisation fiscale et aux conditions de l’Allemagne, comme le raconte de nombreux témoins, dont Jean-Pierre Chevènement, Édith Cresson, l’économiste François Morin,… Le rôle central de Tommaso Padoa-Schioppa, peu connu du grand public, est longuement présenté. La naissance de la BCE en juin 1998 marque le premier renoncement volontaire d’États à leur souveraineté monétaire.

De nombreuses confidences et analyses, outre qu’elles contribuent au récit en apportant des éclairages variés et rendent compte de la complexité des enjeux et des débats, révèlent souvent les véritables intentions des décideurs de l’époque. Ainsi Alain Minc confie que « la monnaie unique, c’est le point ultime qui permet d’encadrer la France dans un système l’obligeant à se réformer de l’intérieur ». Le juriste Alain Supiot explique que « le propre du système de croyance néolibéral, c’est qu’il prétend s’adosser à la science et échapper par conséquent au contrôle démocratique ». C’est d’ailleurs pour placer la science économique dans la position d’ « un dogme qui s’impose et qui est soustrait à la délibération démocratique », qu’a été créé le « faux prix Nobel » d’économie. Avec le Traité de Lisbonne, adopté en remplacement de la Constitution européenne rejetée par référendum en 2005, les politiques économiques ne peuvent plus varier en fonction des alternances mais sont prédéterminées. Comme le confie Jean Pisani-Ferry, coordinateur du programme économique d’Emmanuel Macron : « La France a fait jouer à l'intégration européenne le rôle que les pays mal gouvernés confient au FMI la Banque mondiale. L'Europe a été notre programme d'ajustement structurel. »

Le récit de la crise grecque est tout aussi édifiant. Contrairement à la version officielle qui dénonçait une dette publique générée par une population profitant d’un État trop dépensier et ne prélevant pas d’impôt, il s’agissait d’une crise de la dette privée et du commerce extérieur. En effet, comme l’explique Frédéric Farah : « les excédents allemands sont la conséquence des déficits des pays du Sud ». L’Europe, en détruisant les infrastructures de toute la société, a clairement voulu faire un exemple.





La réforme des retraites, la crise de 2008 pendant laquelle les quatre grandes banques françaises se sont retrouvées au bord de la faillite, sont également abordées, avec toujours autant de perspicacité. Le cynisme des logiques néolibérales est magistralement mis en lumière, par ses protagonistes même. En 1998, par exemple, le gouvernement Jospin autorise le rachat de leurs actions par les entreprises, confondant les intérêts de celle-ci avec ceux de ses actionnaires. Pour obtenir une rentabilité financière à tout prix, il est nécessaire d’économiser sur les coûts, en détruisant l’emploi là où il est le plus cher et en délocalisant. La répression est désormais la seule réponse apportée aux révoltes populaires engendrées par la violences économiques. Plusieurs interviewés pointent la menace d’une convergence des néolibéraux avec l’extrême droite. Bien d’autres faits, dont l’accumulation fait sens, mériteraient d’être ici rapportés et démontrent combien la violence économique est bel est bien un choix politique. Aussi ne pouvons nous qu’inviter fortement à la lecture de cette somme extrêmement documentée et dans laquelle on sera incité à se replonger régulièrement.

[page 265]



Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

 

LE CHOIX DU CHÔMAGE
De Pompidou à Macron, enquêtes sur les racines de la violence économique
Benoît Collombat et Damien Cuvillier
Préface de Ken Loach
288 pages – 26 euros
Éditions Futuropolis  – Paris – Mars 2021
www.futuropolis.fr/9782754825450/le-choix-du-chomage.htm

lundi 23 août 2021

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

« On n’a peut-être pas suffisamment montré que le colonialisme ne se contente pas d’imposer sa loi au présent et à l’avenir du pays dominé. Le colonialisme ne se satisfait pas d’enserrer le peuple dans ses mailles, de vider le cerveau colonisé de toute forme et de tout contenu. Par une sorte de perversion de la logique, il s’oriente vers le passé du peuple opprimé, le distord, le défigure, l’anéantit. Cette entreprise de dévalorisation de l’histoire d’avant la colonisation prend aujourd’hui sa signification dialectique. Quand on réfléchit aux efforts qui ont été déployés pour réaliser l’aliénation culturelle si caractéristique de l’époque coloniale, on comprend que rien n’a été fait au hasard et que le résultat global recherché par la domination coloniale était bien de convaincre les indigènes que le colonialisme devait les arracher à la nuit. Le résultat, consciemment poursuivi par le colonialisme, était d’enfoncer dans la tête des indigènes que le départ du colon signifierait pour eux retour à la barbarie, encanaillement, animalisation. Sur le plan de l’inconscient, le colonialisme ne cherchait donc pas à être perçu par l’indigène comme une mère douce et bienveillante qui protège l’enfant d’un environnement hostile, mais bien sous la forme d’une mère qui, sans cesse, empêche un enfant fondamentalement pervers de réussir son suicide, de donner libre cours à ses instincts maléfiques. La mère coloniale défend l’enfant contre lui-même, contre son moi, contre sa physiologie, sa biologie, son malheur ontologique. »

 

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

Série D

Troubles psychosomatiques

 

La guerre coloniale d’Algérie n’a pas seulement eu comme conséquence de multiplier les troubles mentaux et de favoriser l’éclosion de phénomènes morbides spécifiques. En dehors de la pathologie de la torture, de la pathologie du torturé et de celle du tortionnaire foisonne en Algérie une pathologie d’atmosphère, celle qui fait dire communément aux médecins-praticiens en présence d’un malade qu’ils n’arrivent pas à comprendre : « Tout cela finira avec, cette sacrée guerre. » Nous proposons de ranger dans cette quatrième série les maladies rencontrées chez les Algériens dont certains furent internés dans les camps de concentration. La caractéristique de ces maladies est d’être de type psychosomatique. On appelle pathologie psychosomatique l’ensemble des désordres organiques dont l’éclosion est favorisée par une situation conflictuelle. Psychosomatique, car le déterminisme est d’origine psychique. Cette pathologie est considérée comme une façon pour l’organisme de répondre, c’est-à-dire de s’adapter au conflit auquel il est confronté, le trouble étant à la fois symptôme et guérison. Plus précisément on s’accorde à dire que l’organisme (encore une fois il s’agit de l’unité cortico-viscérale, psychosomatique des Anciens) dépasse le conflit par des voies mauvaises, mais somme toute économiques. C’est le moindre mal que l’organisme choisit pour éviter la catastrophe. Dans l’ensemble, cette pathologie est très bien connue aujourd’hui, quoique les différentes méthodes thérapeutiques proposées (relaxation, suggestion) nous paraissent très aléatoires. Pendant la Seconde Guerre mondiale, en Angleterre au cours de bombardements et en Union soviétique chez les populations assiégées notamment à Stalingrad, les descriptions de troubles survenus se sont multipliées. Actuellement, on sait parfaitement qu’il n’est pas besoin d’être blessé par balle pour souffrir dans son corps comme dans son cerveau de l’existence de la guerre. Comme toute guerre, la guerre d’Algérie a créé son contingent de maladies cortico-viscérales. Si l’on excepte le groupe g ci-dessous, tous les troubles rencontrés en Algérie ont été décrits à l’occasion de guerres « classiques ». Le groupe g nous a paru spécifique de la guerre coloniale d’Algérie. Cette forme particulière de pathologie (la contracture musculaire généralisée) avait déjà retenu l’attention avant le déclenchement de la Révolution. Mais les médecins qui la décrivaient en faisaient un stigmate congénital de l’indigène, une originalité (?) de son système nerveux où l’on affirmait retrouver la preuve d’une prédominance chez le colonisé du système extrapyramidal 34. Cette contracture en réalité est tout simplement l’accompagnement postural, l’existence dans les muscles du colonisé de sa rigidité, de sa réticence, de son refus face à l’autorité coloniale.

TABLEAUX PSYCHIATRIQUES RENCONTRÉS

a) Ulcères d’estomac Très nombreux. Les douleurs sont à prédominance nocturne, avec vomissements importants, amaigrissement, tristesse et morosité, l’irritabilité étant l’exception. À signaler que la majorité de ces malades sont très jeunes : de 18 à 25 ans. En règle générale, nous ne conseillons jamais l’intervention chirurgicale. Deux fois une gastrectomie fut pratiquée. Il fallut dans ces deux cas réintervenir dans la même année.

b) Coliques néphrétiques Ici encore nous trouvons des douleurs à paroxysme nocturne. Évidemment, il n’y a presque jamais de calculs. Ces coliques peuvent survenir, ce qui est rare, chez des sujets de 14 à 16 ans.

c) Troubles des règles chez les femmes Cette pathologie est très connue, et nous ne nous y attarderons pas. Soit que les femmes restent trois à quatre mois sans règles, soit que des douleurs importantes se répercutant sur le caractère et sur le comportement accompagnent ces règles.

d) Hypersomnies par tremblements idiopathiques Il s’agit d’adultes jeunes, à qui tout repos est interdit à cause d’un tremblement généralisé, menu, évoquant un Parkinson total. Là encore, des « esprits scientifiques » pourraient évoquer un déterminisme extra-pyramidal.

e) Blanchissement précoce des cheveux Chez les rescapés de centres d’interrogatoire, les cheveux blanchissent subitement, par plaques, par régions ou totalement. Très souvent ces troubles s’accompagnent d’asthénie profonde avec désintérêt et d’impuissance sexuelle.

f) Tachycardies paroxystiques Le rythme cardiaque brusquement s’accélère : 120, 130, 140 à la minute. Ces tachycardies s’accompagnent d’angoisse, d’impression de mort imminente, et la fin de la crise est marquée par une importante sudation.

g) Contracture généralisée, raideur musculaire Il s’agit de malades de sexe masculin qui éprouvent progressivement (dans deux cas l’apparition est brutale) de la difficulté à l’exécution de certains mouvements : monter les escaliers, marcher vite, courir. La cause de cette difficulté réside dans une rigidité caractéristique qui évoque irrésistiblement une atteinte de certaines régions du cerveau (noyaux gris centraux). C’est une rigidité en extension et la démarche se fait à petits pas. La flexion passive des membres inférieurs est presque impossible. Aucune détente ne peut être obtenue. D’emblée contracturé, incapable du moindre relâchement volontaire, le malade semble fait d’une pièce. Le visage est fixe, mais exprime un degré marqué de désorientation. Le malade ne semble pas pouvoir « démobiliser ses nerfs ». Il est constamment tendu, en attente, entre la vie et la mort. Ainsi que nous e disait l’un d’eux : « Vous voyez, je suis déjà raide comme un mort. »

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

LOT Nº 4

Après lavage de cerveau

 

On a beaucoup parlé ces derniers temps de l’« action psychologique » en Algérie. Nous ne voulons pas procéder à l’étude critique de ces méthodes. Nous nous contenterons d’évoquer ici leurs conséquences psychiatriques. Il existe deux catégories de centres de torture par lavage de cerveau en Algérie.

I - POUR LES INTELLECTUELS

Le principe est ici d’amener le prisonnier à jouer un rôle. On voit à quelle école psychosociologique cela renvoie.

1.    Mener le jeu de la collaboration L’intellectuel est invité à collaborer en élaborant des justifications à cette collaboration. Il est donc obligé de mener une existence dédoublée : c’est un patriote connu comme tel qui, préventivement, a été retiré de la circulation. Le but de l’action entreprise est d’attaquer de l’intérieur les éléments qui constituent la conscience nationale. Non seulement il doit collaborer, mais la consigne lui est donnée de discuter « librement » avec les opposants ou les réticents et de les convaincre. C’est là une manière élégante de l’amener à attirer l’attention sur les patriotes, donc à servir d’indicateur. Si par hasard il affirme ne pas trouver d’opposants, on les lui désigne ou on lui demande de faire comme s’il s’agissait d’opposants.Faire des exposés sur la valeur de l’œuvre française et sur le bien-fondé de la colonisation Pour mener à bien cette tâche, on est largement entouré de « conseillers politiques » : officiers des Affaires indigènes, ou mieux encore : psychologues, psychologues de la vie sociale, sociologues, etc.

2.    Prendre les arguments de la Révolution algérienne et les combattre un à un L’Algérie n’est pas une nation, n’a jamais été une nation, ne sera jamais une nation. Il n’y a pas de « peuple algérien ». Le patriotisme algérien est un non-sens. Les « fellagas » sont des ambitieux, des criminels, de pauvres types trompés. Tour à tour, chaque intellectuel doit faire un exposé sur ces thèmes, et l’exposé doit être convaincant. Des notes (les fameuses « récompenses ») sont attribuées et totalisées à la fin de chaque mois. Elles serviront d’éléments d’appréciation pour décider ou non de la sortie de l’intellectuel.

3.    Mener une vie collective absolument pathologique Être seul est un acte de rébellion. Aussi est-on toujours avec quelqu’un. Le silence également est prohibé. Il faut penser à voix haute

TÉMOIGNAGE

Il s’agit d’un universitaire interné et soumis des mois durant au lavage de cerveau. Les responsables du camp, certain jour, le félicitent pour les progrès réalisés et lui annoncent sa libération prochaine. Connaissant les manœuvres de l’ennemi, il se garde de prendre cette nouvelle au sérieux. La technique est, en effet, d’annoncer aux prisonniers leur sortie et quelques jours avant la date fixée d’organiser une séance de critique collective. À la fin de la séance la décision est alors souvent prise de surseoir à la libération, le prisonnier ne paraissant pas présenter tous les signes d’une guérison définitive. La séance, disent les psychologues présents, a mis en évidence la persistance du virus nationaliste. Cette fois pourtant, il ne s’agit pas d’un subterfuge. Le prisonnier est bel et bien libéré. Une fois dehors, dans la ville et au sein de sa famille, l’ancien prisonnier se félicite d’avoir si bien joué son rôle. Il se réjouit de pouvoir reprendre sa place dans le combat national et tente déjà d’établir le contact avec ses responsables. C’est à ce moment qu’une idée lancinante et terrible lui traverse l’esprit. Peut-être n’a-t-il trompé personne, ni les geôliers, ni les codétenus, ni surtout lui-même.

Où devait finir le jeu ? Là encore, il faut rassurer, lever l’hypothèse de la culpabilité.

TABLEAUX PSYCHIATRIQUES RENCONTRÉS

a) Phobie de toute discussion collective. Dès qu’il y a rencontre à trois ou quatre, l’inhibition réapparaît, la méfiance, la réticence s’imposent avec une particulière densité.

b) Impossibilité d’expliquer et de défendre une position donnée. La pensée se déroule par couples antithétiques. Tout ce qui est affirmé peut, dans le même moment, être nié avec la même force. C’est certainement la séquelle la plus douloureuse que nous ayons rencontrée dans cette guerre. Une personnalité obsessionnelle est le fruit de l’« action psychologique » mise au service du colonialisme en Algérie.

 

II - POUR LES NON-INTELLECTUELS

Dans les centres comme Berrouaghia, on ne part plus de la subjectivité pour modifier les attitudes de l’individu. On s’appuie, au contraire, sur le corps que l’on casse, en espérant que la conscience nationale se démantèlera. C’est un véritable dressage. La récompense se traduit par l’absence de tortures ou par la possibilité de s’alimenter.

a) Il faut avouer que l’on n’est pas FLN. Il faut le crier en groupe. Il faut le répéter des heures durant.

b) Ensuite, il faut reconnaître qu’on a été FLN et qu’on a compris que c’était mal. Donc : à bas le FLN. Après cette étape, en arrive une autre : l’avenir de l’Algérie est français, il ne peut être que français. Sans la France, l’Algérie retourne au Moyen Âge. Enfin, on est français. Vive la France. Ici les troubles rencontrés ne sont pas graves. C’est le corps souffrant et douloureux qui appelle repos et apaisement.

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

LOT Nº 3

Après le « sérum de vérité »

 

On connaît le principe de ce traitement. Devant un malade qui semble souffrir d’un conflit intérieur inconscient que l’entretien n’arrive pas à extérioriser, on recourt à des méthodes d’exploration chimique. Le penthotal, par injections intraveineuses, est la substance la plus communément pratiquée dans le but de libérer le malade d’un conflit qui paraît dépasser ses possibilités d’adaptation. C’est pour libérer le malade de ce « corps étranger » que le médecin intervient 30. Toutefois, on s’est aperçu de la difficulté qu’il y avait à contrôler la dissolution progressive des instances psychiques. Il n’était pas rare d’assister à des aggravations spectaculaires ou à l’apparition de nouveaux tableaux absolument inexplicables. Aussi, d’une façon générale, a-t-on plus ou moins abandonné cette technique.

En Algérie, les médecins militaires et les psychiatres ont trouvé dans les salles de police de grandes possibilités d’expérimentation. Si, dans les névroses, le penthotal balaie les barrages qui s’opposent à la mise au jour du conflit intérieur, chez les patriotes algériens il doit pouvoir également briser le barrage politique et faciliter l’obtention des aveux du prisonnier sans qu’on ait besoin de recourir à l’électricité (la tradition médicale veut qu’on épargne la souffrance). C’est la forme médicale de la « guerre subversive ».

Le scénario est le suivant. D’abord : « Je suis médecin, je ne suis pas un policier. Je suis là pour t’aider. » Ce faisant, on obtient au bout de quelques jours la confiance du prisonnier 31. Ensuite : « Je vais te faire quelques piqûres, car tu es drôlement sonné. » Pendant plusieurs jours, on met en train n’importe quel traitement : vitamines, tonicardiaques, sérums sucrés. Le quatrième ou le cinquième jour, injection intraveineuse de penthotal. L’interrogatoire commence.

TABLEAUX PSYCHIATRIQUES RENCONTRÉS

a)    Stéréotypies verbales

Le malade répète continuellement des phrases du type : « Je n’ai rien dit. Il faut me croire, je n’ai pas parlé. » Ces stéréotypies s’accompagnent d’une angoisse permanente. Le malade en effet, très souvent, ignore si on a pu lui arracher des renseignements. La culpabilité envers la cause défendue et les frères dont on a pu donner les noms et les adresses pèse ici de façon dramatique. Nulle affirmation ne peut ramener le calme dans ces consciences délabrées.

b)    Perception intellectuelle ou sensorielle opacifiée

Le malade ne peut pas affirmer l’existence de tel objet perçu. Un raisonnement est assimilé, mais de façon indifférenciée. Il y a une indistinction fondamentale du vrai et du faux. Tout est vrai et tout est faux à la fois.

c)    Crainte phobique de tout tête-à-tête

Cette crainte dérive de l’impression aiguë qu’on peut à tout instant être interrogé de nouveau.

d)    Inhibition

Le malade se tient sur ses gardes : il enregistre mot après mot la question posée, élabore mot après mot la réponse projetée. D’où l’impression de quasi-inhibition, avec ralentissement psychique, interruption des phrases, retours en arrière, etc.

Il est clair que ces malades refusent obstinément toute injection intraveineuse.

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

LOT Nº 2

Après les tortures à l’électricité

 

Dans ce lot nous avons rangé les patriotes algériens torturés principalement à l’électricité. En effet, alors qu’auparavant l’électricité faisait partie d’un ensemble de procédés de torture, à partir de septembre 1956, certains interrogatoires auront lieu exclusivement à l’électricité.

TABLEAUX PSYCHIATRIQUES RENCONTRÉS

a)    Cénesthopathies localisées ou généralisées : trois cas

Il s’agit de malades ressentant des fourmillements dans le corps, impression de main qu’on arrache, de tête qui éclate, de langue qu’on avale

b)    Apathie, aboulie, désintérêt : sept cas

Ce sont des malades inertes, sans projet, sans ressort, qui vivent au jour le jour.  

c)    Peur phobique de l’électricité

Peur de côtoyer un interrupteur, peur d’ouvrir la radio, peur du téléphone. Impossibilité absolue pour le médecin d’évoquer seulement l’éventualité d’un traitement par choc électrique.

 

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

Série C

Modifications affectivo-intellectuelles et troubles mentaux après la torture

 

Nous grouperons dans cette série les malades plus ou moins graves dont les troubles sont apparus immédiatement après ou pendant les tortures. Nous décrirons des sous-groupes, car nous nous sommes rendu compte qu’à chaque méthode de torture correspondaient, indépendamment d’une atteinte grossière ou profonde de la personnalité, des types morbides caractéristiques.

LOT Nº 1

Après les tortures indifférenciées dites préventives

Nous faisons allusion ici aux méthodes brutales où il s’agit moins de tortures que de faire parler. Le principe qui veut qu’au-delà d’un certain seuil la souffrance devienne intolérable prend ici une singulière importance. Le but est donc de parvenir le plus rapidement possible à ce seuil. Le fignolage n’est pas pratiqué. Il y a attaque massive et multiforme : plusieurs policiers frappant en même temps ; quatre policiers debout, encerclent le prisonnier et jonglent avec lui à coups de poing, tandis qu’un policier lui brûle la poitrine avec une cigarette et qu’un autre lui frappe la plante des pieds à coups de bâton... Quelques-unes des méthodes de torture utilisées en Algérie nous ont paru particulièrement atroces, toujours en nous référant aux confidences des torturés.

a) Injection d’eau par la bouche accompagnée de lavement à forte pression d’eau savonneuse.

b) Introduction d’une bouteille dans l’anus. Deux formes de supplice dit « de l’immobilité » :

c) Le prisonnier est placé à genoux, les bras parallèles au sol, les paumes tournées vers le ciel, le buste et la tête droits. Aucun mouvement n’est permis. Derrière le prisonnier, un policier assis sur une chaise le ramène à l’immobilité à coups de matraque.

d) Le prisonnier est debout, la face contre le mur, les bras levés et les mains collées au mur. Ici également, au moindre mouvement, à la moindre ébauche de relâchement, les coups pleuvent.

Précisons maintenant qu’il existe deux catégories de torturés :

1) Ceux qui savent quelque chose.

2) Ceux qui ne savent rien.

 

1) Ceux qui savent quelque chose sont rarement vus dans les formations sanitaires. Certes, on n’ignore pas que tel patriote a été torturé dans les prisons françaises, mais on ne le rencontre pas en tant que malade.

2) Par contre, ceux qui ne savent rien, vont très fréquemment nous consulter. Nous ne parlons pas ici des Algériens frappés au cours d’un ratissage ou d’un bouclage. Ceux-là non plus ne viennent pas à nous en malades. Nous parlons expressément de ces Algériens, non organisés, arrêtés, conduits dans les locaux de la police ou dans les fermes d’interrogatoires pour y être soumis à la question.

TABLEAUX PSYCHIATRIQUES RENCONTRÉS

a)    Dépressions agitées : quatre cas

Ce sont des malades tristes, sans anxiété réelle, déprimés, confinés la plupart du temps au lit, qui fuient le contact, et qui, brusquement, vont développer une agitation très violente dont il est toujours difficile de comprendre la signification.

b)    Anorexie mentale : cinq cas

Ces malades posent des problèmes graves, car cette anorexie mentale s’accompagne d’une phobie de tout contact corporel avec autrui. L’infirmier qui s’approche du malade et tente de le toucher, de lui prendre la main, par exemple, est immédiatement rejeté avec rigidité. Il n’est pas possible de pratiquer une alimentation artificielle ou d’administrer des médicaments.

c)    Instabilité motrice : onze cas

Ici nous avons affaire à des malades qui ne restent pas en place. Continuellement solitaires, ils acceptent difficilement de s’enfermer avec le médecin dans son bureau. Deux sentiments nous ont paru fréquents dans ce premier lot de torturés : D’abord celui de l’injustice. Avoir été torturé pour rien, durant des jours et des nuits, semble avoir cassé quelque chose chez ces hommes. L’un de ces martyrisés avait eu une expérience particulièrement pénible : après plusieurs jours de vaines tortures, les policiers acquirent la conviction qu’ils avaient affaire à un homme paisible, totalement étranger à l’un quelconque des réseaux FLN. En dépit de cette conviction, un inspecteur de police aurait dit : « Ne le lâchez pas comme cela. Serrez-le encore un peu. Ainsi quand il sera dehors, il restera tranquille. »

Ensuite, une indifférence à tout argument moral. Pour ces malades, il n’y a pas de cause juste. Une cause torturée est une cause faible. Donc il faut s’occuper avant tout d’augmenter sa force, et ne pas se poser la question du bien-fondé d’une cause. Seule compte la force.

dimanche 22 août 2021

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

CAS NO 5

Psychoses puerpérales chez les réfugiées

On appelle psychose puerpérale les troubles mentaux qui surviennent chez la femme à l’occasion de la maternité. Ces troubles peuvent apparaître immédiatement avant ou quelques semaines après l’accouchement. Le déterminisme de ces maladies est très complexe. Mais on estime que les deux causes principales sont un bouleversement du fonctionnement des glandes endocrines et l’existence d’un « choc affectif ». Cette dernière rubrique, quoique vague, recouvre ce que le public appelle « grosse émotion ».

Sur les frontières tunisiennes et marocaines, depuis la décision prise par le gouvernement français de pratiquer sur des centaines de kilomètres la politique du glacis et de la terre brûlée, se trouvent près de 300 000 réfugiés. On sait l’état de dénuement dans lequel ils vivent. Des commissions de la Croix-Rouge internationale se sont à maintes reprises rendues sur les lieux et, après avoir constaté l’extrême misère et la précarité des conditions de vie, ont recommandé aux organismes internationaux d’intensifier l’aide à ces réfugiés. Il était donc prévisible, étant donné la sous-alimentation qui règne dans ces camps, que les femmes enceintes montrent une particulière prédisposition à l’éclosion de psychoses puerpérales.

Les fréquentes invasions des troupes françaises appliquant « le droit de suite et de poursuite », les raids aériens, les mitraillages – on sait que les bombardements des territoires marocains et tunisiens par l’armée française ne se comptent plus, et Sakiet-Sidi-Youssef, le village martyr de Tunisie, en est le plus sanglant exemple –, l’état de démembrement familial, conséquence des conditions de l’exode, entretiennent chez ces réfugiés une atmosphère d’insécurité permanente. Disons-le, il y a peu d’Algériennes réfugiées ayant accouché qui n’aient présenté des troubles mentaux.

Ces troubles revêtent plusieurs formes. Ce sont soit des agitations qui peuvent prendre quelquefois l’allure de furies, soit de grosses dépressions immobiles avec tentatives multiples de suicide, soit enfin des états anxieux avec pleurs, lamentations, appels à la miséricorde, etc. Pareillement, le contenu délirant est divers. On trouve soit un délire de persécution vague, qui intéresse n’importe qui, soit une agressivité délirante contre les Français qui veulent tuer l’enfant à naître ou nouvellement né, soit une impression de mort imminente, les malades implorent alors des bourreaux invisibles d’épargner leur enfant...

Ici encore il faut signaler que les contenus fondamentaux ne sont pas balayés par la sédation et la régression des troubles. La situation des malades guéries entretient et nourrit ces nœuds pathologiques.

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

CAS NO 4

Troubles du comportement chez de jeunes algériens de moins de 10 ans

Il s’agit de réfugiés. Ce sont des fils de combattants ou de civils tués par les Français. Ils sont répartis dans différents centres en Tunisie et au Maroc. Ces enfants sont scolarisés. Des séances de jeux, des sorties collectives sont organisées. Les enfants sont suivis régulièrement par des médecins. C’est ainsi que nous avons l’occasion d’en voir un certain nombre.

a) Il existe chez ces différents enfants un amour très marqué pour les images parentales. Tout ce qui ressemble à un père ou à une mère est recherché avec une grande ténacité et jalousement gardé.

b) On remarque chez eux, d’une manière générale, une phobie du bruit. Ces enfants sont très affectés dès qu’on les réprimande. Grande soif de calme et d’affection.

c) Chez beaucoup on trouve des insomnies avec somnambulisme.

d) Énurésie périodique.

e) Tendance sadique. Un jeu fréquent : une feuille de papier tendue est percée rageusement de multiples trous. Les crayons sont tous mordus, et les ongles rongés avec une constance désespérante. Des disputes sont fréquentes entre eux malgré un fond de grande affection.

Les damnés de la terre par Franz Fanon

 

CAS No 3

Attitude névrotique chez une jeune française dont le père, haut fonctionnaire, est tué dans une embuscade

 

Cette jeune fille de 21 ans, étudiante, me consulte pour de petits phénomènes de type anxieux qui la gênent dans ses études et dans ses relations sociales. Paumes constamment moites, avec des périodes véritablement inquiétantes où l’eau « lui coule des mains ». Oppressions thoraciques accompagnées de migraines nocturnes. Se ronge les ongles. Mais ce qui retient l’attention, c’est surtout la facilité du contact manifestement trop rapide, alors que se sent, sous-jacente, une angoisse importante. La mort de son père, récente pourtant d’après la date, est signalée par la malade avec une telle légèreté que nous orientons rapidement nos investigations sur ses rapports avec son père. L’exposé qui nous est fait, clair, absolument lucide, d’une lucidité qui frise l’insensibilité, va révéler, précisément par son rationalisme, le trouble de cette jeune fille, la nature et l’origine de son conflit.

« Mon père était un haut fonctionnaire. Il avait sous sa responsabilité une immense région rurale. Dès les événements, il s’est jeté dans la chasse aux Algériens avec une rage forcenée. Il arrivait à ne plus manger du tout, à ne plus dormir tellement ça l’excitait de réprimer la rébellion. J’ai assisté sans rien pouvoir faire à la lente métamorphose de mon père. À la fin, je décidai de ne plus aller le voir, de rester en ville. En effet, chaque fois que je me trouvais à la maison, je restais des nuits éveillée, car, venant d’en bas jusqu’à moi, les cris ne cessaient de me gêner : dans la cave et dans les pièces désaffectées, on torturait des Algériens afin d’obtenir des renseignements. Vous ne pouvez-vous imaginer ce que cela peut être affreux d’entendre crier ainsi toute la nuit. Des fois, je me demande comment un être humain peut supporter – je ne parle pas de torturer – mais simplement d’entendre crier de souffrance. Et cela durait. À la fin, je ne suis pas revenue à la maison. Les rares fois où mon père venait me voir en ville je n’arrivais pas à le regarder en face sans être horriblement gênée et effrayée. Cela me devenait de plus en plus difficile de l’embrasser.

« C’est que j’ai habité longtemps au village. J’en connais presque toutes les familles. Les jeunes Algériens de mon âge et moi avons joué ensemble quand nous étions petits. Chaque fois que je venais à la maison mon père m’apprenait que de nouvelles personnes avaient été arrêtées. À la fin, je n’osais plus marcher dans la rue tellement j’étais sûre de rencontrer partout la haine. Au fond de moi-même, je leur donnais raison à ces Algériens. Si j’étais algérienne, je serais au maquis. »

Un jour, cependant, elle reçoit un télégramme qui lui apprend que son père est grièvement blessé. Elle se rend à l’hôpital et trouve son père dans le coma. Il mourra peu après. C’est au cours d’une mission de reconnaissance avec un détachement militaire que son père a été blessé : la patrouille est tombée dans une embuscade tendue par l’Armée nationale algérienne.

« L’enterrement m’a écœurée, dit-elle. Tous ces officiels qui venaient pleurer sur la mort de mon père dont "les hautes qualités morales avaient conquis la population indigène" me donnaient la nausée. Tout le monde savait que c’était faux. Personne n’ignorait que mon père avait la haute main sur les centres d’interrogatoire de toute la région. On savait que le nombre de tués sous la torture atteignait dix par jour, et l’on venait réciter des mensonges sur le dévouement, l’abnégation, l’amour de la patrie, etc. Je dois dire que, maintenant, les mots pour moi n’ont plus de valeur, pas beaucoup en tout cas. Je suis rentrée immédiatement à la ville et j’ai fui toutes les autorités. On m’a proposé des subventions mais j’ai refusé. Je ne veux pas de leur argent. C’est le prix du sang versé par mon père. Je n’en veux pas. Je travaillerai. »

les damnés de la terre par Franz Fanon

 

CAS No 2

Délire d’accusation et conduite-suicide déguisée en « acte terroriste » chez un jeune algérien de 22 ans

 

Ce malade est adressé à l’hôpital par l’autorité judiciaire française. Cette mesure est intervenue après une expertise médico-légale pratiquée par des psychiatres français exerçant en Algérie.

Il s’agit d’un homme amaigri, en plein état confusionnel. Le corps est couvert d’ecchymoses et deux fractures de la mâchoire rendent toute absorption d’aliments impossible. Aussi, pendant plus de deux semaines, nourrira-t-on le malade à l’aide d’injections diverses.

Au bout de deux semaines, le vide de la pensée s’estompe ; un contact peut être établi et nous arrivons à reconstituer l’histoire dramatique de ce jeune homme.

Pendant sa jeunesse, a pratiqué le scoutisme avec une rare ferveur. Est devenu l’un des principaux responsables du mouvement scout musulman. Mais à 19 ans, il négligea totalement le scoutisme pour ne plus se préoccuper que de sa profession. Mécanographe, il étudie avec ténacité et rêve de devenir un grand spécialiste dans son métier. Le ler novembre 1954 le trouvera absorbé par des problèmes strictement professionnels. N’a sur le moment aucune réaction à l’égard de la lutte nationale. Déjà il ne fréquentait plus ses anciens camarades. Il se définira lui-même à cette époque comme « mobilisé pour approfondir ses capacités techniques ».

Pourtant, vers le milieu de 1955, au cours d’une veillée familiale, a soudain l’impression que ses parents le considèrent comme un traître. Après quelques jours, cette impression fugitive s’émousse mais il reste chez lui une certaine inquiétude, un certain malaise qu’il ne parvient pas à comprendre.

Il décide donc de prendre ses repas en vitesse, fuit le milieu familial et s’enferme dans sa chambre. Évite tous les contacts. C’est dans ces conditions que survient la catastrophe. Un jour, en pleine rue, vers midi et demi, il entend distinctement une voix le traiter de lâche. Il se retourne, mais ne voit personne. Il presse le pas et décide de ne plus aller travailler. Il reste dans sa chambre et ne dîne pas. Dans la nuit éclate la crise. Pendant trois heures, il entend toutes sortes d’insultes, des voix dans sa tête et dans la nuit : « Traître... lâche... tous tes frères qui meurent... traître... traître... »

Une anxiété indescriptible s’empare de lui : « Mon cœur a battu pendant 18 heures à la cadence de 130 à la minute. Je croyais que j’allais mourir. »

Dès lors, le malade ne peut plus rien avaler. Il maigrit à vue d’œil, se confine dans une obscurité absolue, refuse d’ouvrir à ses parents.

Vers le troisième jour, il se jette dans la prière. Il gardera, me dit-il, la position agenouillée de 17 à 18 heures par jour. Le quatrième jour, impulsivement, « comme un fou », avec « une barbe qui devait aussi le faire prendre pour un fou », sans veste et sans cravate, il sort dans la ville. Une fois dans la rue, il ne sait où aller ; mais il marche et se retrouve au bout d’un certain temps dans la ville européenne. Son type physique (il ressemble à un Européen) semble alors le protéger des interpellations et des contrôles des patrouilles françaises.

Par contre, à côté de lui, des Algériens et des Algériennes sont arrêtés, bousculés, insultés, fouillés... Or, paradoxalement, il n’a aucun papier. Cette gentillesse spontanée des patrouilles ennemies à son égard le confirme dans son délire : « Tout le monde sait qu’il est avec les Français. Les soldats eux-mêmes ont des consignes : ils le laissent tranquille. »

De plus, le regard des Algériens arrêtés, les mains derrière la nuque, attendant la fouille, lui semble chargé de mépris. En proie à une agitation incoercible, il s’éloigne à grands pas. C’est à ce moment qu’il parvient devant l’immeuble de l’état-major français. À la grille, plusieurs militaires, mitraillette au point. Il s’avance vers les soldats, se jette sur l’un d’eux et essaie de lui arracher sa mitraillette en criant : « Je suis un Algérien. »

Rapidement maîtrisé, il est conduit dans les locaux de la police où l’on s’obstine à lui faire avouer les noms de ses chefs et ceux des différents membres du réseau auquel il appartient. Au bout de quelques jours les policiers et les militaires s’aperçoivent qu’ils ont affaire à un malade. Une expertise est décidée, qui conclut à l’existence de troubles mentaux et prescrit l’hospitalisation. « Ce que je voulais, nous ditil, c’était mourir. Même à la police, je croyais et j’espérais qu’après les tortures ils me tueraient. J’étais content d’être frappé, car cela me prouvait qu’ils me considéraient moi aussi comme leur ennemi. Je ne pouvais plus entendre sans réagir ces accusations. Je ne suis pas un lâche. Je ne suis pas une femme. Je ne suis pas un traître. »