samedi 7 juillet 2018

Deuxième gauche, réformisme et lutte de classes de Daniel Poncet


L’union de la gauche : une stratégie opportuniste qui vient de loin…

Dans l’Humanité Rouge de décembre 1970 à janvier 1971, une série de cinq articles avait été publiée sous le titre « 50 ans après le congrès de Tours (1920 - 1970) » le sous-titre du n°86 -jeudi 31 décembre 1970-, précisait sous la plume d’Henri Jour : « Une vieille farce opportuniste : L’unité de " la gauche " »
La stratégie d’alliances électorales pour la signature du Programme Commun avec le P« C »F en 1972, s’inscrit bien dans l’optique de Mitterrand. C’est ce qu’il fait savoir le 27 juin 1972, quelques heures après avoir signé le programme commun. Il se rend à une réunion de l’Internationale socialiste à Vienne où il est interpellé par des représentants d’autres partis socialistes, qui sont surpris de la stratégie de Mitterrand. Lors d’une séance à huis clos, Mitterrand rassure ses amis et explique sa stratégie :
«Notre objectif fondamental, c’est de refaire un grand Parti socialiste sur le terrain occupé par le PC, afin de faire la démonstration que, sur les cinq millions d’électeurs communistes, trois millions peuvent voter socialiste.»
Georges Marchais, le 29 juin 1972 fait un rapport devant le comité central du P’C’F. Il indique le déroulement des négociations avec le PS, ses craintes. L’intervention de Marchais est intéressante à plus d’un titre, il ne fut pas reproduit dans l’Humanité, c’est seulement en 1975 que sa déclaration sera publiée dans une annexe du livre « L’Union est un combat : textes et documents de Maurice Thorez, Waldeck Rochet, Georges Marchais. Présentés par Etienne Fajon » aux Editions Sociales. Ce que dit Marchais dans ce rapport contient déjà non seulement tous les éléments qui aboutiront aux « querelles » avec le PS en octobre 1974, prémisses de la rupture de l’union de la gauche en septembre 1977, mais aussi de :
la stratégie qui renforcera le PS au détriment du P’C’F ;
l’impossibilité pour le P’C’F de faire autrement ;
Le rapport de Marchais devant le CC, montre l’ambiguïté, les illusions, les limites du Programme commun, des accords avec le PS. Il préfigure les relations avec Mitterrand en 1981 et après. L’échec de l’union de la gauche est inscrit dans ses gènes, c’est-à-dire dans la nature différente du PS et du P’C’F ainsi que dans la stratégie électoraliste de ces partis.
Marchais devant le CC, ce 29 juin 1972, fait un numéro d’équilibrisme, il alterne questions et affirmations, tout en maintenant la ligne « union de la gauche » en pressentant ses dangers. Mais, il ne peut aller au-delà, de ce que lui permet la ligne opportuniste et révisionniste du P’C’F allant de Thorez à Waldeck, ligne dont il a hérité et qu’il a contribué à développer.
Thorez, qui parlait déjà dans un discours devant le XVIIe Congrès le 17 mai 1964 de « Parvenir à l’entente avec le PS », de « L’unité en marche » car « L’élaboration d’un programme commun s’impose. » et que « Un projet de programme a été formulé par nous dès 1959 ».
-A la page 83 de « L’Union est un combat » , Marchais revient sur l’appréciation du congrès d’Epinay et il précise à la page 84 « nous avons considéré que le compromis réalisé entre Mitterrand-Defferre-Mauroy avait pour but de bloquer les discussions engagées, de faire du renforcement du Parti Socialiste l’objectif prioritaire, en vue de créer une situation où notre Parti serait contraint au rôle de force d’appoint. »
à la page 93, Marchais dit : « Le Parti Socialiste s’engage donc de la sorte et déclare qu’il s’engagera publiquement à rester fidèle au Programme commun, à ne pas participer à un de ces renversements de majorité dont toute son histoire est faite, ni même à permettre un tel renversement.
Que nous ne puissions nous en remettre à un tel engagement de sa part, cela est évident. Il serait dangereux de se faire la moindre illusion sur la sincérité ou la fermeté du Parti Socialiste à ce sujet. ».
Page 105, au sujet des nationalisations et plus particulièrement de la sidérurgie, Marchais avoue que
« La sidérurgie a été l’objet de la discussion la plus âpre de toute la négocia:tion. Le Parti Socialiste se refusait catégoriquement à la nationalisation de la sidérurgie et il était même prêt à faire de ce point un motif de rupture des négociations, de refus d’un Programme commun. ».
Pages 109-110, Marchais dans son appréciation globale de ce que représente le Programme commun, dit
qu’« il ne s’agit pas non plus d’une synthèse idéologique. Au contraire, l’accord n’a pu se faire que parce que, sur notre insistance, la confrontation idéologique en a été, si je peux dire, absolument « évacuée ». En effet, nous ne cherchons pas, nous ne souhaitons pas dans l’état actuel du Parti Socialiste le rapprochement idéologique. Quant au fond, l’idéologie qui anime aujourd’hui le Parti Socialiste est, et reste absolument réformiste ; quant au fond,
elle est totalement étrangère au socialisme scientifique ; quant au fond, elle récuse totalement la nécessité de placer en toutes questions du point de vue de la classe ouvrière. Nous avons donc fait admettre par nos interlocuteurs l’idée qu’il fallait systématiquement et exclusivement se placer y compris pour régler les points de divergence- dans l’optique d’une action gouvernementale commune. Autrement dit, élaborer un programme concret, précis et cohérent de gouvernement.»
Page 118, Marchais montre qu’il n’est pas dupe des intentions du PS :
« Au reste, au cours même de la discussion, François Mitterrand n’a pas fait mystère de l’intention du Parti Socialiste de se renforcer, y compris à notre détriment. ». Plus loin, Marchais poursuit en disant : « Il est clair que la conclusion d’un programme commun de gouvernement dans lequel le Parti socialiste jouerait un rôle important
donnerait à celui-ci des bases dans son effort pour se renforcer à notre détriment, si nous ne faisions pas ce que nous devons faire. ».

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