vendredi 30 septembre 2022

Défense d'écrire Livre d'entretiens entre Michel Surya et Mathilde Girard

 Une phrase d'Artaud dans une lettre adressée à Rivière:

"J'ai pour me guérir du jugement des autres toute la distance qui me sépare de moi".

Michel Surya la détourne pour écrire:

"J'ai pour me guérir de mon jugement sur moi toute la distance qui me sépare des autres". 


Rilke a dit aussi:

"L'art c'est l'enfance. C'est ignorer que le monde existe déjà, et en créer un. Ce n'est pas détruire ce que l'on trouve devant soi, mais n'y voir rien d'achevé [...] Au commencement, Dieu était trop vieux [...] C'est tout ce que je lui reproche: qu'il ait pu finir de se donner [...] Il n'est pas un artiste, et c'est bien là le plus triste. Qu'il n'ait pas malgré tout été un artiste, oui, on en pleurerait et on n'a plus le courage de rien".

jeudi 29 septembre 2022

La filouterie: Les mots perdus Décembre 2020 numéro 2

 How to turn a sphere inside out

Tout peut changer. A quiconque partagerait un élan de cette proposition: nous te saluons non pas une, mais trois fois.


Dans la chair d'une époque où les jours se ressemblent, par quelle pore respire encore la poésie? Quels miroirs faut-il traverser pour se retrouver face aux grandes révolutions des siècles? Certains, dans leur tentative de saisir l'inimaginable retour à tout, ont fait brûler la poésie comme une nécessité. Qui pourrait bien s'aviser d'avoir l'indécence de leur demander une justification? Quel homme a pu dire un jour: "Où s'arrête l'angoisse, commence la ferveur"? Il faut dire: toutes les traversées sont à rejouer, malgré et précisément  à cause de l'indifférence qui s'accroit de jour en jour, car nous avons soif d'un grand bouleversement. Ni les révolutions de palais, ni l'esthétisation d'un coin du désastre présent, ni les misérables techniques de la pseudo-élévation spirituelle de l'individu ne sauraient participer d'un quelconque étanchement  d'une telle soif. Il faut que le monde entier s'embrase: goutte par-ci, flamme par-là. Sommes-nous des fossiles si nous voulons l'épreuve au point de non-retour, des mystères? Nous ne voulons renoncer ni aux exigences du poète ni aux exigences du révolutionnaire. Et puis, si nous sommes capables d'imaginer des eaux fraiches comme le sourire de calcaire d'un alligator, c'est que pareilles choses doivent bien exister quelque part. Le passé à tête de sphinx sans cesse nous hante. Et nous voulons dire que c'est lâcheté que de ne point chercher ce que l'on aime, même si on ne l'a pas connu. Si nous ignorons comment, réellement, la poésie et la révolution peuvent se nouer comme un corps se mêle à un corps, nous savons pour le moins que, dans l'une comme dans l'autre, respirent d'autres hommes, et que ceux-là, certainement, sont nos frères.

"L'expérience même s'est vu assigner des limites. Elle tourne dans une cage d'où il est de plus en plus difficile de la faire sortir" (André Breton). Ce jugement porté il y a maintenant près d'un siècle vaut d'autant plus aujourd'hui; et il revient aux surréalistes d'avoir formulé, contre cette réalité et pour notre temps, une insurrection qui aurait la forme d'une expansion radicale de la sensibilité: "Le surréalisme" [...] est un moyen de libération totale de l'esprit et de tout ce qui lui ressemble", "un cri de l'esprit qui retourne vers lui-même et est bien décidé à broyer désespérément ses entraves, et au besoin par des marteaux matériels" ( Déclaration du 27 janvier 1925).

L'une des seules tâches qui nous semblent valables aujourd'hui, c'est de défaire le sort d'oubli jeté sur cette insurrection, et tout ce qui lui ressemble. Et cela, ce n'est pas un travail poussiéreux d'archiviste, mais l'épreuve même de notre vie, celle qui déplie tout le reste.

Dans cette quête pour recouvrer la mémoire des possibles enterrés sous le poids de ce qui s'est réalisé, nous devons beaucoup à notre lecture des poètes et révolutionnaires de Front noir, grands frères de la même soif. En 1962, alors que le surréalisme ne devait plus qu'un label artistique (dont l'enseignement scolaire hérite aujourd'hui), qu'une cohorte d'artistes de la même "tendance" s'était définitivement rangée du côté du marché des professionnels de la création, la revue Front noir publie sa "lettre ouverte au groupe surréaliste". Les exigences premières de la révolte surréaliste y sont rappelées: la poésie ne saurait se satisfaire de l'ensemble de l'ordre social. Or, après 1945, les membres du groupe surréaliste "officiel" se sont tant détournés de la question révolutionnaire qu'ils s'accommodent par opportunisme politique des révolutions nationales tiers-mondistes, c'est-à-dire aussi des perspectives politiques et des modes d'organisation que ces "révolutions nationales" portaient avec elles, au côté des intellectuels de gauche du communisme étatique.

Front noir, à rebours de la mise au pas de l'histoire révolutionnaire au sein de la vision officielle du communisme d'état et du parti autoritaire, réaffirme les principes internationalistes et anti-étatique de l'utopie socialiste, en s'appuyant sur les expériences ouvrières passées d'auto-organisation en conseils. La revue se situe ainsi à l'embouchure du grand oubli, se posant contre l'amnésie d'une histoire officielle: le surréalisme et le socialisme des conseils ouvriers sont deux promesses humaines qui s'opposent autant à l'art dominant qu'à la politique dominante.

Cinquante ans après, nous avons des mots perdus plein la bouche. Il faut sans cesse redoubler d'efforts pour affirmer que lorsque nous parlons de poésie, nous n'évoquons ni un sous-courant de la littérature, ni un passe-temps pour satisfaire quelques existences; et que lorsque nous parlons de révolution, nous ne parlons ni de l'URSS, ni de la volonté de transformer un morceau de territoire donné. Et puis, nous ne voulons pas non plus faire pousser des chrysanthèmes en perpétuant un mémorial distant...

"Les mots perdus", avant d'être le titre de ce numéro, c'est un poème que nous avons voulu vivre, écrit par Gaëtan Langlais et publié dans Front noir . On y trouve une incarnation gravée depuis lors dans la chair des filous: " Faites tourner votre mémoire à l'envers".

A l'échelle d'un jour, d'une nuit, d'une vie, comme à l'échelle de ce qui déborde dans l'histoire et dans l'univers, l'inversion de la mémoire vivante, ramenant les morts à la vie, ne se laissant plus mener par l'unique dimension résignée d'une temporalité passé-présent-avenir aux bornes claires - est une force capable de désenclaver ce qui est ici, maintenant, de sa prison de nécessité. "Ce que j'ai vécu, je le meurs encore": rien n'est perdu dans le temps qui passe et qui laisse des traces.


La Filouterie

mardi 27 septembre 2022

Pensées, essais et maximes de Joseph Joubert

 Nous avons reçu le monde comme un héritage qu'il n'est permis à aucun de nous de détériorer, mais que chaque génération, au contraire, est obligée de laisser meilleur à la postérité.


En politique, il faut toujours laisser un os à ronger aux frondeurs.


Les journaux et les livres sont plus dangereux en France qu'ailleurs, parce que tout le monde y veut avoir de l'esprit; et que ceux qui n'en ont pas, en supposant toujours beaucoup à l'auteur qu'ils lisent, se hâtent de penser ou de parler comme lui.


L'antiquité! J'en aime mieux les ruines que les reconstructions.


Quand je vois des jeunes gens tels que ceux de nos jours, je dis que le ciel veut perdre le monde


dimanche 25 septembre 2022

Je ne parlerai plus qu’à toi qui part Récit par M.A.

 


 

Discussion imaginaire avec M.               Partie I

 

M., cette discussion, nous ne l’aurons jamais…Elle est née morte dans mon rêve de la tenir…Tu as disparu parce que je t’ai fait disparaitre, j’ai créé la disparition de ma curiosité…

Je voulais te dire, j’aurai voulu te dire, j’aurais souhaité avoir le courage te l’impudeur de te dire : je t’ai connu et je vais être obligé d’arrêter d’écrire. J’en suis obligé car j’ai atteint la fin d’une ligne droite.

Elle a été rapide, directe, intransigeante, éprouvante, exigeante…mais tellement joyeuse.

Elle a été joyeusement captivante, désolante, irritante mais je ne pourrais plus jamais écrire sans penser que tu l’as déjà dit, écrit et tellement mieux.

Je ne vais plus écrire non parce que je n’aime plus écrire, non, au contraire, je ne vais plus écrire puisque tu as écrit mieux ce que j’aurais pu écrire si j’avais eu ton talent.

Je ne vais plus écrire, justement parce que je ne lirais plus ce que j’aurais pu écrire si j’avais eu un jour une parcelle de ta clairvoyance.

Je vais arrêter d’écrire pour arrêter de ne plus lire ce que je cherche mais lire ce que je vais découvrir.

Cette discussion, nous ne l’aurons pas, car tu es déjà parti…

Parti, par ma faute, parti, en tentant de te retourner, honnêtement, peut-être, sincèrement, sans doute, mais parti.

Tu m’es parti car je n’ai pas su te dire de ne pas partir.

Et pour te paraphraser : « Je ne vais plus écrire, non parce que je t’ai rencontré, mais parce que je n’ai plus à écrire que je t’ai rencontré ». 

M.A. 21/08/22



Discussion imaginaire avec M.    Partie II

 

M., tu dis, je le dis aussi parfois,  dans ton dernier roman de pensées, lorsque je ne vais pas bien, que la révolution, quelle qu’elle soit, est toujours trahie. Comme une conséquence évidente de son destin, la trahison est le destin de toute révolution. Mais je peux dire aussi, tu ne le dis pas, ou pas vraiment, ou peut-être le penses-tu sans le dire, sans l’écrire, seules les révolutions messianiques sont amenées à être victorieuses.

Pour le malheur de ceux qui n’en veulent pas de celles-là, pour ceux, à long terme, qui n’en veulent plus après les avoir amenées à gouverner.

Alors, peut-on encore en vouloir une ?  Cela reste un rêve que l’on peut avoir. Comme quelque chose qui peut nous aider à tenir, une sorte de béquille. Qui peut encore rêver d’une révolution alors qu’ils en craignent la trahison, qu’ils savent assurément que de toute façon la trahison en sera la conclusion ? Tu dis également, je le pense et je peux l’écrire dorénavant, « la politique est une malédiction et n’est que malédiction ». Je ne le pense pas parce que tu le penses, que tu l’écris ; je le pense également parce que je ne l’ai pas encore écrit mais que je le pense depuis bien longtemps.

M., tu dis que l’on ne peut être que déçu de la révolution car elle n’est jamais ce qu’on espère. Mais toute une population peut-elle vouloir la même révolution, sans croire au messianisme, sans ne plus croire au messianisme religieux ? Peut-on plus croire au messie de la politique qui est une malédiction ? Le messie de la malédiction, peut-il être le guide d’un peuple qui ne rêve plus que du malheur de peur de prendre en main son potentiel bonheur ?

M., tu dis, tu ne le dis jamais assez fort pour que quelqu’un puisse le croire, tu dis que tu fuis la politique, que la politique c’est fini pour toi. Pour ne pas le dire suffisamment fort, elle est dans ton métier, elle traverse tes écrits que tu ne veux plus écrire parce que tu dis ne plus croire en la politique, elle est dans tes relations, celles-là même que tu fuis sans les fuir puisqu’ils sont invités à écrire dans ta collection.

M., cette conversation ne pourra jamais existée, pour n’être que virtuelle. Je suis mon Dargerman, je suis mon M ;, je suis celui qui lis et que tu écris ; tu es celui qui écrit pour celui qui lis mais qui n’écrira plus.

 

M.A.  22/08/22


 

Discussion imaginaire avec M. partie III



Cher M.,



Tu me l’as écrit personnellement, et je le lis dans ton roman à penser.
A penser l’avenir ? A penser que la police est partout, même dans des relations qui sont nées, mortes, nées/mortes, sans conséquences, me laisser pantois de bêtise, seule avec ma bêtise.

« J’avais noté ceci à ton attention : le nom n’a rien d’intime puisque sa fonction est sociale. Mais le vérifier relève en principe de la police. »

Tu es tous ceux qui ont fui quelque chose ou quelqu’un.

Peut-être t’ai-je posé cette question parce que moi aussi je fuis ? Je fuis quoi ? Mais moi…Je me fuis depuis que je sais que je ne suis pas celui que je devrais être…Je suis devenu celui que les autres ont fait de moi, ont pensé que je devais être…

M., tu sais, tu le sais toi, que jamais tu n’arriveras à te fuir indéfiniment…Mais tu le sais…C’est pour ça que tu ne peux plus t’arrêter, te poser, et tu regardes tous ces chemins que tu as parcouru…sans te poser…avec la crainte de te poser…de poser tout ça…de te dire : « C’est bon, c’est fini…Je ne peux plus aller plus loin »

Et qu’est-ce qu’il adviendra ce jour-là ? M., feras-tu l’irrémédiable, l’as-tu déjà fait ? L’as-tu déjà préparé ? Tu n’as pas encore donné la date mais ce chemin, c’est celui que connaissent tous ceux qui fuient..

C’est pour cela M. que tu aimes l’horizon de la mer à F., parce qu’un horizon, on ne peut jamais l’atteindre. Alors, on peut le regarder, le scruter et se rassurer car, pour le rejoindre, on sait que la route est longue, inatteignable, comme le but de la fuite..

M., un nom, une histoire, celle de EUX, celle que l’on t’a obligé à porter, alors que c'est mort qu'il te "voulait".

Mais M., cher M., ta dernière fuite sera peut-être ton dernier choix...le plus dur…Le plus terrifiant…

Tu ne pourras jamais fuir ceux qui t’aiment, jamais.


M.A. 23/08/22


Discussion imaginaire avec M. partie IV



M. comme il est curieux, je me dis, que tu veilles à tel point disparaitre que tu ne veuilles que connaitre la vie de ceux qui t’interroge.

Qui interrogent ta fuite, nos fuites, et nous les aimons mystère, curiosité non révélée, accrue, ardente, frénésie…

M., ton nom comme une trace indélébile de ton passé. Tu connais les anecdotes des uns et des autres, tu es l’inspecteur de leurs morts, le biographe de leur disparition, tu l’exposes, tu expliques que toi tu ne veux pas que l’on connaisse, que tu refuses que l’on cherche.

M., tu portes fascination à la disparition brutale, comme celle que tu n’as pas faite, que tu n’as pas brutalement infligée, à toi, à ceux qui t’aiment, à ceux qui se posent question.

Tu as choisi la disparition lente de la fuite.

Tu dois l’entendre, je te l’écris, je te le dis, ta disparition est violence pour ceux qui t’aime, que tu n’aimes pas, pas forcément, pas forcément puisque pas de volonté d’attache, ou que tu t'efforces de ne pas aimer.

Tu fuis les attaches, toutes, les familiales, les amicales, celles que tu as choisi, à un moment, qui, aujourd’hui t’encombrent.

M., ta fuite est la vision, la trace, l’absence de ton égotisme. Et, de fait, M. , je te le dis, je te l’écris plus que je ne te le dis, puisque tu as fui ma question de par ma faute, tu m’as fui par mon propre choix de ne plus te voir, de te croiser, tu nous exposes à ce que tu détestes qui n’est pas toi, proche ou lointain.

Autre paradoxe M., pourquoi m’as-tu approché, parlé, jusqu’à la sympathie apparente, réelle ou feinte ? Toi qui fuis toute relation, toute relation amicale, et surtout familiale ?

Tu voulais te prouver (m’infliger) que tu étais encore en capacité de fuir de nouveau…Tu l’as dit, écrit, tu me l’as dit, tu me l’as écrit…

M., j’ai été, vis-à-vis de toi, le Dagerman de M., comme Dagerman réel ou double fut celui de Nietzsche. Tu es Nietzsche et je suis ta Lou ?

Quelle est donc cette construction de l’approche qui n’en était pas une, pas une réelle, une feinte, une approche esquive ?

Je te l’ai écrit, faute de te le dire, je ne connais ni légèreté, ni paix.

Je suis moi qui ait rencontré M., aimé M. et qui, déjà, depuis même le début, même peut-être avant que je te connaisse (reconnaisse ?) regrette M., la disparition de M., le regret peut-être même de t’attendre sans que tu viennes, sans que tu viennes, vraiment. Ou, que tu viennes mais que tu ne me reconnaisses pas, comme un qui aurait pu, qui aurait dû…

Peut-être celui qui aurait pu te faire douter, te faire remettre en cause la fuite, les fuites, toutes les fuites.

M., permets-moi d’avoir cette immodestie puisque nous ne l’avons jamais évoqué, nous ne l’avons jamais espéré, nous n’en avons peut-être jamais eu l’idée.

Je suis celui aussi qui fuit, qui ne veut s’attacher, qui ne s’attache pas, mais à quel prix ?

M.A. 24/08/22

Discussion imaginaire avec M. partie V

M., tu n’es que ce que tu écris ? Tu n’existes que parce que tu penses ? Par ce que tu penses ? Une pensée plus haute que la vie, plus haute que l’existence.

Mais M., tu existes déjà par tes fuites constantes, tu existes par tes absences auprès de ceux que tu as fuis, ceux qui, peut-être, espèrent un retour, et même ceux qui ne l’espèrent plus mais le souhaitent. Tu existes par ceux que tu vas bientôt fuir de nouveau, ceux qui désespèrent de t’aimer sans retour, ou alors, faussement, ou alors, ceux que tu aimes mais que tu vas fuir quand même car ton existence est la fuite. Tu l’écris, tu le dis, tu fuis, tu fuis, en désespoir de cause. Tu ne te fuiras jamais assez.

Il fut un temps où je ne pouvais plus te parler. Le monde dans lequel tu t’es enfermé pendant ces quelques pages m’asphyxiait. Je ne pouvais articuler une pensée et j’ai même eu le culot de penser que tu te trompais. Il ne pouvait pas être question dans un monde que j’avais désormais décidé de quitter, de fuir, pour le coup, de fuir définitivement pour justement penser te rejoindre mais hélas, te rejoindre, aller vers toi, semble me ramener vers mes démons. M., puis la fenêtre, l’ouverture, la lumière, il y a l’amour, toi qui ne croit plus en rien, qui semble ne plus croire en rien, dis-tu, écris-tu, mais toi qui aime l’amour, qui veut croire en l’amour, qui croit en l’amour mais, écris-tu, pas l’amour vulgaire, non, seulement celui qui rejoint l’universel. M. je pense que tu l’as trouvé, tu sais que tu l’as trouvé, ne l’écris tu pas comme pour conjurer un sort, l’écrire serait le perdre, pour le moins le montrer, le dévoiler, pour le mettre en péril, en lumière qui se ferait agressé. Tout cela se cache, se tait, tu l’écris pour un autre, celui que tu caches être, celui qui est ton double, celui à qui tu dis « tu »…Sans doute le dernier recours après la révolution, après la politique, ces désillusions, dis-tu, écris-tu, jusqu’à dire, sans hésiter, des malédictions, de réelles malédictions, que ce ne sont que ça…au nom de ceux qui en sont morts, ou mortellement affectés en ont-ils fait leurs raisons de suicides ? Ceux que tu as suivis, pas à pas, dans leur déliquescence, jusqu’à disparaitre de leurs vivants dans leurs morts, dans leurs inexistences de morts, ceux que l’on ne découvre que tard, par hasard, ou par erreur, de celles que l’on doit élucider…Cette limite en lame de rasoir que tu sembles enjamber comme pour une marelle endiablée jusqu’au soleil ? Ton soleil vers lequel tu sembles revenir à chaque fois, comme pour te ramener vers la vie, vers la lumière…celle qui te permet d’en apercevoir encore en toi.

M., je t’ai aperçu aujourd’hui, je le devais, c’était écrit, quelque part entre nous, un pacte silencieux et secret et j’ai souri, cet après-midi je souriais en te voyant, vivant, heureux parce que deux, heureux parce deux sans eux, ces ombres, ces nuages, ces obscurités jamais assez lointaines…

M.A. 02/09/22

 

 

 

 

Discussion imaginaire avec M. partie VI

 

Ma mère ne s’est jamais absentée de rien, jusqu’à ce qu’elle existe. Qu’elle existe dans le monde qu’elle traverse, le monde dans lequel je ne suis pas, pas plus qu’elle n’est mère.

 

Ma mère, à jamais ne la voir vraiment, elle n’a jamais perçu que la peur de ne pas comprendre ce que je suis et ce que je pense.

 

Ma mère, de ne pas vouloir aimer avant de comprendre, n’a jamais eu la force, la volonté, la force de la volonté, ou la volonté d’avoir la force d’aimer avant de comprendre, aimer pour comprendre.

 

Tu peux le comprendre, M., dans le monde des « Morts nés/eux », ce que tu décris est ce refus d’amour sans qu’il n’ait besoin de raison. Peut-on nommer ce qui ne ressemble à rien de ce peut ressentir un être humain pour un autre, étranger de par la volonté, étranger car sans volonté de chercher à aimer, aimer c’est s’encombrer, c’est alourdir le voyage auquel nous n’avons jamais eu le droit de participer. Nous ne faisions même pas office de bagages encombrants.

 

M. nous imitons si bien la vie qu’on arrive à se prendre au jeu.

 

M.A. 03/09/22

 

 

 

 

Discussion imaginaire avec M. partie VII

 

Si nous pouvions revenir à la première discussion qui n’aura pas lieu, qui n’a jamais eu lieu, que jamais je ne pensais que tu aurais pu être celui qui m’écoutera, comme tu écoutes, physiquement, complétement, dont il ne sera plus possible qu’elle existât un jour ou l’autre, je te lis. Je te lis comme si rien d’autre ne pourra être lu par moi, comme s’il m’était dorénavant interdit de lire, d’écrire, de penser même. Je te lis, M., comme la fin de la recherche, de ma recherche, sans vraiment chercher mais en l’espérant, le souhaitant. Je n’ai plus à rechercher, j’ai trouvé. Sans savoir qu’on le cherchait, on sait, on sent qu’on l’a trouvé, comme une plénitude. Mais y ai-je trouvé la paix ? Un apaisement même momentané ? Et de savoir que je ne devrais plus avoir à écrire, allait-ce être l’enfer ? Un désespoir insurmontable ? Comme une mission que je m’étais imposé que je n’aurais plus à subir, à m’imposer, comme l’on s’impose parfois des plaisirs malsains, sains, heureux, perturbants, savamment perturbants.

Non, j’étais apaisé, heureux que cela existât même si je n’en étais pas l’auteur, heureux peut-être parce que je n’en étais justement pas l’auteur.

Mais vas-tu aussi disparaitre M. ? Vas-tu aussi vouloir tout détruire comme Kafka ou ou ce fameux mystérieux Adler, qui a disparu au point de ne pas avoir existé, vraiment existé, que l’on doute qu’il existât tellement il disparut, comme le prétexte de ce que tu cherches à nous imposer, un jour, à un moment que tu choisiras ? Car tu es, malheureusement pour ceux qui veulent t’aimer en toute indiscrétion, comme un artiste qui peut penser, qui a le droit de penser, que rien ne doit lui survivre au-delà de notre affligeante présence. Comme tu dis, mourir entièrement, complétement, plus qu’assez, en tout cas. Rien ne fut, tout passe qui ne laisse pas d’empreinte.

Il y a des livres que l’on n’a pas envie de finir, pas le droit de finir, qui sont pleins, libres, aérés, denses. Des livres qui nous complètent, qui nous enveloppent, qui parcourent nos vies sans nous lâcher.

 

M.A.  10/09/22

 

 

Discussion imaginaire avec M.       Partie VIII

 

 

Tu sais M., cet après-midi, j’ai pleuré.

 

J’ai pleuré en passant devant le rideau fermé.

 

Définitivement fermé ? En tout cas pour moi, il l’est. De par ma seule volonté, de par ma seule erreur. De cette insurmontable erreur que j’endosse comme un costume trop serré qui m’étouffe, qui bloque mes mouvements, mes déplacements ; qui laissent des empreintes sur mes pensées, mes errances littéraires, poétiques ou insomniaques.

 

M., tu es parti, sans me laisser l’espoir de te revoir. Je pense que je ne te reverrais même plus.

Ne plus t’apercevoir marchant à côté de celle qui te côtoie, qui ne te pose plus de questions, (T’en a –t-elle déjà posé ?), de ne pas te connaitre, de ne pas chercher à te connaitre pour être encore à tes côtés, pour prévenir une fuite, la dernière avec elle, donc elle marche, en silence, non dans la confidence, elle t’aime donc elle n’ose plus te connaitre, ne te questionne pas, elle, elle aime dans l’ignorance comme tout être qui aime vraiment sincèrement.

 

Ne t’ai-je pas aimé ?

 

Non, je t’ai admiré, comme un fan, comme un groupie qui voulait faire croire à de l’intimité. Mais non M., ce rideau, ne s’ouvre pas, même ouvert.

 

Alors, simplement, sans m’y attendre, sans que l’instant soit issue d’une réflexion ou d’un chemin de réflexions dont la destination était cette pensée ; non, elle s’est imposée, une évidence, une fulgurance : et que vais-je devenir de ne plus te voir ? Que vais-je devenir de ne plus t’apercevoir dans cette petite ville F., devenue selon tes dires : « qui change trop et devient de plus en plus une sorte de parc d’attractions pour une population de touristes infantilisés ».

 

Et puis, l’instant d’après, lors d’un moment de paix et de silence, j’ai repris la lecture d’un de tes ouvrages qui ne parle que de disparition, mais pas forcément la mort, la disparition dans sa globalité : œuvre, histoire, nom et physique. La mort assez. On ne meurt jamais assez.

 

 

J’ai aussi cette envie que rien ne subsiste de moi, rien.

Mais, doit-on l’imposer à une famille que l’on s’est construite ? Doit-on ? Si cette famille l’accepte, peut-être. Mais encore faut-il avoir la vraie conscience d’un être qui disparait totalement, ce qu’il laisse comme empreinte de sa plus d’existence. Je vis, personnellement, depuis ma naissance, presque, avec un être qui a disparu, avec la construction matérielle de sa disparition : dans le langage, dans les preuves de son existence. De ne pas vouloir imposer les questions de la non existence, je m’en suis imposé un traumatisme, celui que je n’ai pas voulu imposer à ceux qui ont vécu cette disparition.

 

Pour conclure M., cet échange, que j’écris, car, de le dire, je n’en aurais pas le courage, ou le temps de trouver le courage de te le lire, de te l’imposer comme aujourd’hui, tu t’es imposé à moi, comme une partie de ma vie. De mon esprit.

 

M. , tu n’aurais jamais eu à parler de toi, puisque, de toi, je ressens ce que je veux de toi, et surement pas la vérité

 

M.A.  13/09/22

 

 

Discussion imaginaire avec M.       Partie IX

 

Mon cher M., que fut cette scène que nous vécûmes cet après-midi ? Cette étrange gêne de deux individus qui veulent s’éviter ; l’un peut être véritablement comme parce qu’il a accepté la décision de l’autre tout en tentant vainement de la contrer, d’y mettre un terme, de rassurer, d’exhorter à surseoir à cette décision, qui n’en n’était peut-être pas une, juste l’erreur d’un instant de tristesse infinie de s’être senti comme les autres personnes, celles que l’on méprise, qui jugent, qui enquêtent, ceux qui ne cessent de mettre des étiquettes, qui perforent les individualités, et qui s’immiscent dans les intimités.

Oui, tu fus celui-là, le temps d’une question. Mais tu l’as rejetée, sans attendre une réponse, sans attendre la sentence de ta punition, sans attendre un instant plus propice pour tenter de t’excuser, t’excuser de toi-même, cherchant dans quelques réponses celle qui te permettra de croire qu’il ne s’est rien passé. Mais il s’était passé cette chose étrange lors de laquelle tu t’es cru autorisé à poser cette question en forme de couperet.

Et l’autre, l’autre, qui a tenté vainement de marcher vers lui, ne sachant plus, n’espérant plus, n’y croyant plus et prenant de pleine face cette décision qui fut la tienne : celle de changer de route. N’as-tu pas profité que nos yeux se sont perdus pour faire ce choix, qui n’en était peut-être pas un à ce moment-là mais plus une instinctive décision, celle de respecter, de ne pas laisser de chance, de ne pas être celui qui revient, peut-être à tort en passant au-dessus de la décision de l’autre de ne plus se voir.

Mais tout s’est joué en quelques secondes, les seules secondes nécessaires pour faire ce choix, qui n’en fut peut-être même pas un puisque cette situation n’avait sans doute jamais été évoquée ni par l’un ni par l’autre : que ferais-je si nos chemins devaient se croiser dans cette ville ? Sans doute n’y avons-nous pas réfléchi car nous savions que nous déciderions sur l’instant. Ce fut ta décision, tu as été le seul à la prendre.

Mais qu’en a pensé C. ? Soumise, complice, elle t’a suivie. T’a-t-elle conseillée de ne pas faire ça et cette décision fut l’objet de la discussion qui suivie cette rencontre. Sans doute, M. as-tu su lui expliquer pourquoi il ne fallait jamais laisser de chance lorsqu’une personne blesse, se croit blesser, se sent rejeter. Ne l’as-tu pas été tant et tant qu’aujourd’hui, il est hors de question, ne serait-ce qu’une seconde, que ce soit toi qui soit rejeté une nouvelle fois. Chaque fois maintenant, tu rejetteras, ou tu fuiras. Mais le rejet est en soi une fuite.

 

M., lorsque je t’ai vu venir vers moi, j’ai reçu un double choc. Tu étais encore présent dans cette ville que tu voulais fuir de ne plus t’apporter le confort de l’anonymat, la sécurité de l’inexistence. Car, en fait, M., tu fuis la vie. Tu fuis tout ce qui constitue la vie. Tu marches, errance sans but, tu devises, face à un silence docile, tu ne peux pas t’arrêter, ne jamais s’arrêter.

Puis, moi, qui ne savait que faire, qui était presque à accepter de te reparler, c’est-à-dire, revenir lâchement sur ma décision, sans me préoccuper de ce que tu voulais toi, sans penser à ce que tu pourrais penser de moi, de ma lâcheté, de ma volonté de bafouer une décision prise. Presque heureux de ne pas tenir parole, cet engagement que j’ai pris avec moi-même, en t’excluant comme celui qui sollicite. Tu ne sollicites jamais, M., ou alors, si peu de temps, que tu ne laisses à l’autre aucune possibilité de revenir sur ce qui fut un mouvement d’humeur, de honte.

 

Tu as tourné dans la rue la plus proche pour que nos chemins ne se croisent pas. Ne se croisent plus.

M., cette fois-là, j’ai véritablement pris ma punition en pleine face. Avant, ce n’était moi-même qui me l’étais infligée, sans t’inclure. Mais, aujourd’hui, c’est toi qui me l’as infligé, en m’excluant.

Ce détour, me l’as-tu infligé car tu voulais respecter ce que je t’avais dit ? Te heurtant, tout en me heurtant ? As-tu fait ce choix car tu ne veux plus toi me voir ?
M., finalement, aujourd’hui, je sais que te voir me voir sans te parler, sans me parler, est une douleur que je ne peux que difficilement supporter. T’apercevoir à la dérobée, est une petite joie toute sensible mais te voir m’éviter volontairement m’est une agression que j’ai moi-même orchestrée sans vraiment en avoir conscience, au moment de la décision, de toutes les conséquences.

Peut-être que toi partant, toi parti, ces rues vont-elles redevenir ce qu’elles sont en vérité, des artères vides, ou presque vides puisque sans humanité.

Mais toi partant, parti, c’est savoir concrètement que, à ce moment-là, à ces instants où je ne t’apercevrais plus, ce sera ce définitif qui fait mal.

 

M.A.  14/09/22

 

Discussion imaginaire avec M.       Partie X

 

Je suis toujours dans la déshérence.

Je cherche à t’apercevoir sur les artères que je suppose que tu serais apte à arpenter. Celles qui te procureraient le moindre mal, qui t’éviteraient de croiser ces êtres qui t’insignifient. Qui te heurtent. Qui nous heurtent ; dont l’existence nous insupporte.

Pas leurs discours, pas leurs regards, non, plus ample, plus amplifié : leur simple existence, leur simple encombrement des espaces. De tous les espaces. Ils insupportent l’air, les paysages.

M., en te cherchant, je me disais, je l’écris, reconnaitrais-je C. si elle était seule à se promener ?

D’ailleurs, la laisses-tu seule dans ses rues, croiser ces personnes qui t’insupportent de par leur simple existence, l’occupation de quelque espace qu’ils utilisent de leurs présences ? Je ne te vois pas la laisser seule traverser cette ville quand tu penses ce que tu penses de l’amour ?

Elle aime parler, elle veut être celle que l’on écoute, enfin, définitivement. Elle veut être celle qui sera au centre des discours, des pensées, elle veut être C..

Comment je peux la définir ?

Comment je me la représente ?

Comment je veux qu’elle soit ?

Comment elle peut être pour pouvoir vivre à tes côtés ?

Comment je pense qu’elle devrait être pour être un minimum heureuse à tes côtés, dans ton ombre, dans tes pas ?

La vie près de toi, dans ton espace, dans celui que tu peux lui accorder pour qu’elle ne bloque pas une fuite, qu’elle ne puisse bloquer une pensée ? Sans qu’elle puisse te déranger ?

Peut-elle exister hors de ce que tu as envie qu’elle représente pour toi ?

N’existe-t-elle que lorsque tu as besoin d’elle, de son amour, de son oreille ? Qu’elle acquiesce à ce que tu dis. Qu’elle ne soit plus que celle qui t’admire, qui te comprenne.

Mais est-elle d’accord avec tout ce que tu dis ? Tout ce que tu penses ?

Tout ce que tu lui imposes. Et ces fuites, va-t-elle toutes les subir ? Va-t-elle être toujours à tes côtés ou cherches-tu à la dégoûter afin qu’elle parte, qu’elle te quitte pour te permettre enfin de dire : « elle ne m’aimait pas », pour qu’elle te justifie dans ce que tu penses être la vérité ?.

Et si un jour, elle te disait ce qu’elle pense réellement ?

M., as-tu toujours raison ?

Penses-tu toujours avoir raison ?

Veux-tu toujours avoir raison ?

As-tu toujours envie d’avoir raison ?

Pourtant peux-tu avoir toujours envie d’avoir raison ?

M., cette question que je ne te pose pas, que je ne te poserais pas, pas comme celle que je t’ai posée qui pourrait être plus importante que celle qui nous a séparé : aimes-tu C. ?

Je veux dire sincèrement, franchement, indéfiniment, comme je pense qu’elle t’aime, comme elle te prouve qu’elle t’aime.

Pourrais-tu lui prouver, si elle te demandait d’arrêter, de vivre, de ne plus fuir. Es-tu prêt à t’arrêter, à écouter, à l’écouter ?

 

M.A.  17/09/22

 

Discussion imaginaire avec M.       Partie XI

 

Il est étrange, je l’écris, il est étrange que tu ne sois plus que cet inconnu qui s’éloigne, celui que j’aperçois brièvement de dos. Aujourd’hui, comme pour me contredire, comme pour me rejeter, une fois de plus, tu tiens la main de C.. Et puis, tu ne la lâches pas malgré les embuches du quai.


Je me suis dit, cet après-midi, vais-je être l’accélérateur de ton départ ? Jusqu’à quel point, je peux en être le prétexte ?


Si oui, aurais-je été si important que ce soit, de quelque importance ai-je été. Qu’est-ce que mon contact aura déclenché en toi que la fuite ne soit plus non une décision, mais une opportunité ?

Ces instants, si courts, si fugaces, sont des traces indélébiles pour moi, uniquement pour moi. Pour toi, je n’ai été qu’un encombrement que tu peux contourner aisément, mentalement, physiquement, dorénavant. Ce que je n’arrive pas à me dire, à me convaincre, et pourtant je sais que je suis le seul responsable, que je ne suis pas que le seul responsable. Que tu étais en attente d’une opportunité, d’une faille qui te permette de te glisser dedans, un interstice dans lequel tu peux encore te faufiler pour t’extraire de ma vue, de ma vie, de toutes celles qui pourraient chercher à croiser la tienne, de toutes celles qui t’empêcheraient de marcher seul, toujours seul.

Et, encore, une fois, je me pose la question de savoir si C. partage toutes tes idées, toutes tes envies ? Et cette main que tu tiens, il me semble que c’est la première fois que je te vois ainsi, est-ce pour la retenir car elle veut s’éloigner, un peu, ou se retourner, ou prendre un élan ?

Parce que cette main tenue était de celle qui fait mal, qui ne semble pas une volonté mais une nécessité. Tu n’en a pas le choix. L’empêcher de pouvoir faire une fuite de tes fuites.

 

M.A. 20/09/22

 

Discussion imaginaire avec M.       Partie XII

 

Part !  Part M. !!

Je t’exhorte à partir le plus vite possible, ne reste pas là. A chaque moment si court, si limité, si fugace, la plaie s’ouvre, celle qui ne se ferme pas car le scalpel n’est jamais très loin, à portée de plaie sanguinolente.

Ce matin, je t’ai vu la regarder et dans tes yeux, il y avait l’amour, il y avait un sourire, il y avait la joie de la regarder sans rien espérer, sans rien attendre, juste la regarder car elle est regardable, aimable, belle encore, peut-être. Donc, de fait, tu étais beau également, fatigue partie, visage reposé. Je le dis autrement : la beauté que tu continues à voir chez elle se reflétait nécessairement, inévitablement sur ton visage.

Enfin, elle était l’intérêt, le centre de ton intérêt, à ce moment précis, puisqu’elle venait de souffrir, puisqu’elle sortait des mains d’un autre, de l’attention d’un autre qui aurait pu voir cette beauté, reconnaitre celle-ci, que peut-être tu vois moins car proche, si proche, mais tu ne la regarde pas.

Tu la regardais pour la récupérer, pour la reprendre, si elle avait cette envie de partir, de s’éloigner, de déplacer son centre d’intérêt, mais peux-tu comprendre qu’elle n’en avait pas nécessairement envie.

Ce visage souriant, ce sourire sur un visage qui ne sourit jamais, jamais.

 

Je te demande de partir, M.

Aujourd’hui, je mets fin à ce monologue, je ne te chercherais plus, je ne te verrais plus. Tu es parti. J’attends que tu partes, je veux que tu partes. Mais il a fallu un moment que tu sois là pour que je te rencontre, que je te découvre, que tu m’influences.

Je te souffrirais loin mieux que si je t’aperçois de loin en loin, de savoir que tu es là, ta présence invisible m’oppresse, me stresse. Peut-être est-elle cette source vive nécessaire à mes inspirations. Ta disparition va-t-elle la tarir ?

Je te dis adieu physiquement alors qu’intellectuellement, tu es en moi, ancré viscéralement. Tu es, pour le moment, l’ancrage de mes inspirations, de mes circonvolutions, je ne peux plus t’échapper. Je ne le cherche pas forcément.

Mais écrire, souffrir et ne plus respirer ; ne plus écrire, ne plus souffrir et respirer. De tout cela, qu’est ce qui m’est le plus vital ?

 

 

M.A. 22/09/22

vendredi 23 septembre 2022

Le livre à venir par Maurice Blanchot

 VI. La puissance et la gloire

Je voudrais résumer quelques affirmations simples qui peuvent aider à situer la littérature et l’écrivain. Il y eut un temps où l’écrivain, comme l’artiste, avait rapport à la gloire. La glorification était son oeuvre, la gloire était le don qu’il faisait et qu’il recevait. La gloire, au sens antique, est le rayonnement de la présence (sacrée ou souveraine). Glorifier, dit encore Rilke, ne signifie pas faire connaître ; la gloire est la manifestation de l’être qui s’avance dans sa magnificence d’être, libéré de ce qui le dissimule, établi dans la vérité de sa présence découverte.

A la gloire succède la renommée. La renommée est reçue plus étroitement dans le nom. Le pouvoir de nommer, la force de ce qui dénomme, la dangereuse assurance du nom (il y a danger à être nommé) deviennent le privilège de l’homme capable de nommer et de faire entendre ce qu’il nomme. L’entente est soumise au retentissement. La parole qui s’éternise dans l’écrit, promet quelque immortalité. L’écrivain a partie liée avec ce qui triomphe de la mort ; il ignore le provisoire ; il est l’ami de l’âme, l’homme l’esprit, le garant de l’éternel. Beaucoup de critiques, aujourd’hui encore, semblent croire sincèrement que l’art et la littérature ont pour vocation d’éterniser l’homme.

A la renommée succède la réputation, comme à la vérité l’opinion. Le fait de publier — la publication— devient l’essentiel. On peut le prendre dans un sens facile : l’écrivain est connu du public, il est réputé, il cherche à se mettre en valeur, parce qu’il a besoin de ce qui est valeur, l’argent. Mais qu’est-ce qui éveille le public, lequel procure la valeur ? La publicité. La publicité devient elle-même un art, elle est l’art de tous les arts, elle est ce qui est le plus important, puisqu’elle détermine le pouvoir qui donne détermination à tout le reste.

Ici, nous entrons dans un ordre de considérations que nous ne devons pas simplifier, par entrainement polémique. L’écrivain public. Publier, c’est rendre public ; mais rendre public, ce n’est pas seulement faire passer quelque chose de l’état privé à l’état public, comme d’un lieu — le for intérieur, la chambre close — à un autre lieu — le dehors, la rue — par un simple déplacement. Ce n’est pas non plus révéler à telle personne particulière une nouvelle ou un secret. Le « public » n’est pas constitué par un grand nombre ou par un petit nombre de lecteurs, lisant chacun pour soi. L’écrivain aime dire qu’il écrit son livre en le destinant à l’unique ami. Voeu bien déçu. Dans le public, l’ami n’a pas de place. Il n‘y a de place pour aucune personne déterminée, et pas davantage pour des structures sociales déterminées, famille, groupe, classe, nation. Personne n’en fait partie, et tout le monde lui appartient, et non seulement le monde humain, mais tous les mondes, toutes choses et nulle chose : les autres. De là que, quelles que soient les rigueurs des censures et les fidélités aux consignes, il y a toujours, pour un pouvoir, quelque chose de suspect et de mal venu dans l’acte de publier. C’est que cet acte fait exister le public, lequel, toujours indéterminé, échappe aux déterminations politiques les plus fermes.

Publier, ce n’est pas se faire lire, ni donner à lire quoi que ce soit. Ce qui est public n’a précisément pas besoin d’être lu ; cela est toujours déjà connu, par avance, d’une connaissance qui sait tout et ne veut rien savoir. L’intérêt public, toujours éveillé, insatiable, pourtant toujours satisfait, qui trouve tout intéressant tout en ne s’intéressant pas, est un mouvement qu’on a eu bien tort de décrire avec un parti pris dénigrant. Nous voyons là. sous une forme il est vrai relâchée et stabilisée, la même puissance impersonnelle qui, comme obstacle et comme ressource, est à l’origine de l’effort littéraire. C’est contre une parole indéfinie et incessante, sans commencement et sans fin, contre elle mais aussi avec son aide, que l’auteur s’exprime. C’est contre l’intérêt public, contre la curiosité distraite, instable, universelle et omnisciente, que le lecteur en vient à lire, émergeant péniblement de cette première lecture qui avant d’avoir lu a déjà lu : lisant contre elle mais tout de même à travers elle. Le lecteur et l’auteur participent, l’un à une entente neutre, l’autre a une parole neutre, qu’ils voudraient suspendre un instant pour faire place à une expression mieux entendue.

Evoquons l’institution des prix littéraires. Il sera facile de l’expliquer par la structure de l’édition moderne et l’organisation sociale et économique de la vie intellectuelle. Mais si nous pensons à la satisfaction qu’à peu d’exceptions prés l’écrivain ne manque pas d’éprouver en recevant un prix qui souvent ne représente rien, nous l’expliquerons, non par quelque plaisir de vanité, mais pur le fort besoin de cette communication d’avant la communication qu’est l’entente publique, par l’appel à la rumeur profonde, superficielle, ou tout se tient, apparaissant, disparaissant, dans une présence vague, sorte de fleuve du Styx qui coule en plein jour dans nos rues et attire irrésistiblement les vivants, comme s’ils étaient déjà des ombres, avides de devenir mémorables afin il être mieux oubliés.

Il ne s’agit pas encore d’influence. Il ne s’agit pas même du plaisir d’être vu par la foule aveugle, ni d’être connu par les inconnus, plaisir qui suppose la transformation de la présence indéterminée en un public déjà défini, c’est-a-dire la dégradation du mouvement insaisissable en une réalité parfaitement maniable et accessible. Un peu plus bas, nous aurons toutes les frivolités politiques du spectacle. Mais l’écrivain, à ce dernier jeu, sera toujours mal servi. Le plus célèbre est moins nommé que le parleur quotidien de la radio. Et, s’il est avide de pouvoir intellectuel, il sait qu’il le gaspille en cette notoriété insignifiante. Je crois que l’écrivain ne désire rien ni pour lui, ni pour son ouvrage. Mais le besoin d’être publié — c’est-à-dire d’atteindre à l’existence extérieure, à cette ouverture sur le dehors, à cette divulgation-dissolution dont nos grandes villes sont le lieu — appartient à l’oeuvre, comme un souvenir du mouvement d’où elle vient, qu’elle doit prolonger sans cesse, qu’elle voudrait pourtant surmonter radicalement et à quoi elle met fin, en effet, un instant, chaque fois qu’elle est l’oeuvre.

Ce règne du « public », entendu au sens du « dehors » (la force attractive d’une présence toujours là, ni proche, ni lointaine, ni familière, ni étrangère, privée de centre, sorte d’espace qui assimile tout et ne garde rien) a modifié la destination de l’écrivain. De même qu’il est devenu étranger à la gloire, qu’à la renommée il préfère une recherche anonyme, qu’il a perdu tout désir d’immortalité, de même — ceci à première vue peut paraître moins sûr — il abandonne peu à peu l’ambition de puissance dont Barrés d’un côté, dont M. Teste de l’autre, soit en exerçant une influence, soit en refusant de l’exercer, ont incarné deux types fort caractéristiques. On dira : « Mais jamais les gens qui écrivent ne se sont autant mêlés de politique. Voyez les pétitions qu’ils signent, les intérêts qu’ils montrent, l’empressement qu’ils mettent à se croire autorisés à juger de tout, simplement parce qu’ils écrivent. » Il est vrai : quand deux écrivains se rencontrent, ils ne parlent jamais de littérature (heureusement), mais leur premier mot est toujours de politique. Je suggérerai que, dans l’ensemble extrêmement privés du désir de jouer un rôle, ou d’affirmer un pouvoir, ou d’exercer une magistrature, au contraire d’une étonnante modestie dans leur notoriété même et très éloignés du culte de la personne (c’est même à ce trait qu’on pourra toujours distinguer, entre deux contemporains, l’écrivain d’aujourd’hui et l’écrivain d’autrefois), ils sont d’autant plus sous l’attrait politique qu’ils se tiennent davantage dans le frémissement du dehors, au bord de l’inquiétude publique et à la recherche de cette communication d’avant la communication dont ils se sentent constamment invités à respecter l’appel.

Cela peut donner le pire. Cela donne « ces curieux universels, ces bavards universels, ces cuistres universels, informés de tout et tranchant de tout sur-le-champ, hâtifs à juger définitivement ce qui vient à peine d’arriver, de sorte qu’il nous sera bientôt impossible d’apprendre quoi que ce soit : nous savons tout déjà », dont Dionys Mascolo parle dans son essai « sur la misère intellectuelle en France{93} ».

Mascolo ajoute : « Les gens ici sont informés, intelligents et curieux. Ils comprennent tout. Ils comprennent si vite toute chose qu’ils ne prennent le temps de ne penser à aucune. Ils ne comprennent rien… Allez donc faire admettre que quelque chose de nouveau a eu lieu à ceux qui ont déjà tout compris ! » On retrouvera exactement dans cette description les traits, seulement un peu accusés et spécialisés, détériorés aussi, de l’existence publique, entente neutre, ouverture infinie, compréhension flairante et pressentante où tout le monde est toujours au courant de ce qui est arrivé et a déjà décidé sur tout, tout en ruinant tout jugement de valeur. Cela donne donc, apparemment, le pire. Mais cela donne aussi une situation nouvelle où l’écrivain, perdant en quelque façon son existence propre et sa certitude personnelle, faisant l’épreuve d’une communication encore indéterminée et aussi puissante qu’impuissante, aussi complète que nulle, se voit, comme Mascolo le remarque bien. « réduit à l’impuissance », « mais réduit aussi à la simplicité ».

On peut dire que, lorsque l’écrivain s’occupe aujourd’hui de politique, avec un élan qui déplaît aux spécialistes, il ne s’occupe pas encore de politique, mais de ce rapport nouveau, mal aperçu, que l’oeuvre et le langage littéraires voudraient éveiller au contact de la présence publique. C’est pourquoi, parlant de politique, c’est déjà d’autre chose qu’il parle : d’éthique ; parlant d’éthique, c’est d’ontologie ; d’ontologie, c’est de poésie ; parlant enfin de littérature, « son unique passion », c’est pour en revenir à la politique, « son unique passion ». Cette mobilité est décevante et peut, une fois encore, engendrer le pire : ces vaines discussions que les hommes efficaces ne manquent pas de qualifier de byzantines ou d’intellectuelles (qualificatifs qui naturellement font eux-mêmes partie de la nullité bavarde, lorsqu’ils ne servent pas à dissimuler la faiblesse vexée des hommes de pouvoir). D’une telle mobilité — dont le Surréalisme, que Mascolo désigne et définit justement{94}, nous a montré les difficultés et les facilités, les exigences et les risques —, on peut seulement dire qu’elle n’est jamais assez mobile, jamais assez fidèle à cette angoissante et exténuante instabilité qui, croissant sans cesse, développe en toute parole le refus de s’arrêter en aucune affirmation définitive.

Il faut ajouter que l’écrivain, s’il est à cause de cette mobilité détourné de tout emploi de spécialiste, incapable même d’être un spécialiste de la littérature, encore moins d’un genre littéraire particulier, ne vise pas pour autant à l’universalité que l’honnête homme du XVIIIe siècle, puis l’homme goethéen et enfin l’homme de la société sans classes, pour ne pas parler de l’homme plus lointain du Père Teilhard, nous proposent comme illusion et comme but. De même que l’entente publique a toujours déjà tout entendu par avance, mais met en échec toute compréhension propre, de même que la rumeur publique est l’absence et le vide de toute parole ferme et décidée, disant toujours autre chose que ce qui est dit (d’où un perpétuel et redoutable malentendu, dont Ionesco nous permet de rire), de même que le public est l’indétermination qui ruine tout groupe et toute classe, de même l’écrivain, lorsqu’il entre sous la fascination de ce qui est en jeu par le fait qu’il « publie », cherchant le lecteur, dans le public, comme Orphée Eurydice dans les enfers, s’oriente vers une parole qui ne sera celle de personne et que personne n’entendra, car elle s’adresse toujours à quelqu’un d’autre, éveillant en celui qui l’accueille toujours un autre et toujours l’attente d’autre chose. Rien d’universel, rien qui fasse de la littérature une puissance prométhéenne ou divine, ayant droit sur tout, mais le mouvement d’une parole dépossédée et déracinée, qui préféré ne rien dire à la prétention de tout dire et, chaque fois qu’elle dit quelque chose, ne fait que désigner le niveau au-dessous duquel il faut descendre encore, si l’on veut commencer à parler. Dans notre « misère intellectuelle », il y a donc aussi la fortune de la pensée, il y a cette indigence qui nous fait pressentir que penser, c’est toujours apprendre à penser moins qu’on ne pense, à penser le manque qu’est aussi la pensée et, parlant, à préserver ce manque en l’amenant à la parole, fut-ce, comme il arrive aujourd’hui, par l’excès de la prolixité ressassante.

Cependant, lorsque l’écrivain se porte, avec un tel entraînement, vers le souci de l’existence anonyme et neutre qu’est l’existence publique, lorsqu’il semble n’avoir plus d’autre intérêt, ni d’autre horizon, ne se préoccupe-t-il pas de ce qui ne devrait jamais l’occuper lui-même, ou seulement indirectement ? Quand Orphée descend aux enfers à la recherche de l’oeuvre, il affronte un tout autre Styx : celui de la séparation nocturne qu’il doit enchanter d’un regard qui ne la fixe pas. Expérience essentielle, la seule où il doive s’engager tout entier. Revenu au jour, son rôle vis-à-vis des puissances extérieures se borne à disparaître, bientôt mis en pièces par leurs déléguées, les Ménades, tandis que le Styx diurne, le fleuve de la rumeur publique où son corps a été dispersé, porte l’oeuvre chantante, et non seulement la porte, mais veut se faire chant en elle, maintenir en elle sa réalité fluide, son devenir infiniment murmurant, étranger à toute rive.

Si aujourd’hui l’écrivain, croyant descendre aux enfers, se contente de descendre dans la rue, c’est que les deux fleuves, les deux grands mouvements de la communication élémentaire, tendent, passant l’un dans l’autre, à se confondre. C’est que la profonde rumeur originelle — là où quelque chose est dit mais sans parole, où quelque chose se tait mais sans silence — n’est pas sans ressembler à la parole non parlante, l’entente mal entendue et toujours à l’écoute, qu’est « l’esprit », et la « voie » publics. De là que, bien souvent, l’oeuvre cherche à être publiée, avant d’être, cherchant la réalisation, non pas dans l’espace qui lui est propre, mais dans l’animation extérieure, cette vie qui est de riche apparence, mais, lorsqu’on veut se l’approprier, dangereusement inconsistante.

Une telle confusion n’est pas fortuite. L’extraordinaire pêle-mêle qui fait que l’écrivain publie avant d’écrire, que le public forme et transmet ce qu’il n’entend pas, que le critique juge et définit ce qu’il ne lit pas, que le lecteur, enfin, doit lire ce qui n’est pas encore écrit, ce mouvement qui confond, en les anticipant chaque fois, tous les divers moments de formation de l’oeuvre, les rassemble aussi dans la recherche d’une unité nouvelle. D’où la richesse et la misère, l’orgueil et l’humilité, l’extrême divulgation et l’extrême solitude de notre travail littéraire, qui a du moins ce mérite de ne désirer ni la puissance, ni la gloire.