mardi 30 avril 2019

Risibles amours de Milan Kundera

Tiré de la nouvelle: " Le docteur Havel vingt ns plus tard":


Le docteur Havel parle à son ami le journaliste:

"Cher ami, ce que vous venez de me dire dépasse toutes mes espérances. Car il faut bien comprendre que les divertissements charnels laissés à leur mutisme sont d'une maussade monotonie, une femme imite l'autre dans le plaisir et toutes y sont oubliées dans toutes. Et pourtant, si nous nous précipitons dans les plaisirs de l'amour c'est pour nous en souvenir. Pour que leurs points lumineux joignent d'un ruban radieux notre jeunesse à notre grand âge Pour qu'ils entretiennent notre mémoire dans une flamme éternelle! Et sachez, mon ami, que seul un mot prononcé dans cette situation, la plus banale de toutes, peut l'éclairer d'une lumière qui la rende inoubliable. On dit que je suis un collectionneur de femmes. En réalité, je suis bien plutôt un collectionneur de mots. Croyez-moi , vous n'oublierez jamais la soirée d'hier, et vous en serez heureux toute votre vie!"

dimanche 28 avril 2019

Théâtre français du XVIII° siècles Voltaire


François Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris où il meurt le 30 mai 1778, est un écrivain et philosophe qui a marqué le XVIII° siècles et qui occupe une place particulière dans la mémoire collective des français. "On n'emprisonne pas Voltaire" dira de Gaulle en 1960 à ceux qui réclament l'inculpation de Sartre dans l'affaire du Manifeste des 121.

Symbole des lumières, chef de file du parti philosophique, son nom reste attaché à son combat contre "l'infâme" par lequel il termine ses lettres à ses intimes, nom qu'il donne au fanatisme religieux? Il n'en finit pas de dresser la liste des malheurs et des crimes qu'il engendre, et, pour lui, il ne peut y avoir de progrès de l'humanité et de la civilisation sans tolérance. Dans ce contexte, son grans ennemi est la religion chrétienne et l'Eglise catholique de son temps. Ses adversaires l'accuseront de saper les bases de la religion et par là même de la monarchie et de favoriser la dépravation des moeurs.

A près de 70 ans, exilé loin de Paris dans son château de Ferney, il prend seul la défense des victimes de l'intolérance religieuse et de l'arbitraire dans des affaires qu'il a rendues célèbres ( Calas, Sirven, chevalier de la Barre, comte de Lally) et met son immense notoriété auprès des élites éclairées de l'Europe des lumières à leur service. C'est ce Voltaire-là, "l'homme aux calas", le "don quichotte des malheureux" que le peuple de paris ovationne, à son retour dans la capitale en 1778. Il inaugure ainsi la figure de l'intellectuel engagé au service de la vérité, de la justice et de la liberté de penser.

De son oeuvre littéraire, on lit aujourd'hui essentiellement ses écrits philosophiques en prose: contes et romans (Candide est son ouvrage le plus célèbre), Lettres philosophiques, Dictionnaire philosophique) et sa correspondance ( 40000 lettres dont 15   retenues dans les 13 volumes de la Pléiades). Son théâtre ( René Pommeau a estimé à deux millions de personne l'affluence attirée par ses tragédies de son vivant), ses poésies épiques, ses oeuvres historiques, qui firent de lui l'un des écrivains français les plus célèbres du XVIII° siècles; sont aujourd'hui largement négligées ou ignorées. Peu d'écrivains ont écrit en français mieux que Voltaire: sa phrase est courte, simple, élégante, toujours précise. Son ironie - la fameuse ironie voltairienne- est mordante. L'audace, la verve, la causticité de sa prose donnent une idée de ce que devait être l'éclat de sa conversation.

Sa physionomie a souvent été dénaturé dans des intérêts de parti: Voltaire n'est pas, comme la majorité de ses contemporains, partisan de la République. Pour lui, le triomphe des Lumières passe par l'alliance avec la fraction éclairée des détenteurs du pouvoir. Son idéal reste celui d'une monarchie modérée et libérale. Il fréquente les grands et courtise les monarques, sans dissimuler son dédain pour le peuple. Il aime le luxe, les plaisirs de la table et de la conversation, qu'il considère, avec le théâtre comme l'une des formes les plus achevées de la vie en société. Il considère que l'aisance matérielle est pour l'écrivain la garantie de sa liberté et de son indépendance. Homme d'affaire doué, utilisant ses relations, il va acquérir une fortune considérable dans des opérations spéculatives, fortune qu'il investira ensuite en partie dans des rentes viagères sur de grands personnages. Chicanier, parfois féroce dans ses ressentiments, il s'entête dans des polémiques hargneuses mais il est aussi fidèle, dévoué et généreux avec ceux qu'il a choisi d'aimer: Thiérot, Cideville, Richelieu, d'Argental, Vauvenargues, Marmontel. De santé fragile, en proie à des affections et des malaises ( fortes fièvres, coliques, extrême faiblesse) sans doute largement psychosomatiques, il brilla toujours par son énergie et sa vivacité d'esprit et vivra jusqu'à 84 ans.

Considéré par la Révolution française - avec Rousseau, son ennemi - comme un précurseur  ( il entre au panthéon en 1791, le deuxième après Mirabeau), célébré par la III° république ( dès 1870 à Paris, un boulevard et une place portent son nom, puis un quai, une rue, un lycée, un métro...), il a nourri au XIX° siècles les passions antagonistes des adversaires et des défenseurs de la laïcité de l'Etat et de l'école publique, et au delà de l'esprit des lumières. Le mot "voltairianisme" apparaît dans le Littré de 1873 comme " esprit d'incrédulité railleuse à l'égard du christianisme". Depuis le ralliement progressif de la droite de gouvernement à l'idéal laique, il fait partie du patrimoine commun de la république.

Et aujourd'hui? "L'infâme n'est pas moins infâme qu'à la fin du XVIII siècle" écrit Pierre Lepape, "mais il a changé de costume et de masque (...) Le rire de Voltaire, pour peu qu'on fasse l'effort minime de mettre d'autres noms, d'autres superstitions sur ses victimes, n'a rien perdu de son formidable pouvoir prophylactique".

Origines: naissance et filiation contestée

François-Marie Arouet est né officiellement le 21 novembre 1694 à Paris et a été baptisé le lendemain à l'église de Saint-André des Arcs. Il est le deuxième fils de François Arouet ( 1647-1722), notaire au Châtelet depuis 1675, marié le 7 juin 1683 à Saint-Germain l'auxerrois avec marie-Marguerite Daumart ( 1661-1701), fille d'un greffier criminel au parlement qui lui donne cinq enfants ( dont trois atteignent l'âge adulte). Le père revend en 1696 sa charge de notaire pour acquérir celle de  conseiller du roi, receveur des épices à la chambre des comptes. Voltaire perd sa mère à l'âge de sept ans. Il a comme frère aîné, Armand Arouet (1685-1765), avocat du parlement, puis successeur de son père comme receveur des épices, personnalité très engagée dans le jansénisme parisien à l'époque de la fronde parlementaire et du diacre Paris. Sa sœur, marie Arouet ( 1686 - 1726), seule personne de sa famille qui ait inspiré de l'affection à Voltaire, épousera Pierre François Mignot, correcteur à la chambre des comptes et elle sera la mère de l'abbé Mignot qui jouera un rôle à la mort de Voltaire, et de Marie Louise, la future "Madame Denis" qui partagera une partie de la vie de l'écrivain.
Cependant, Voltaire a plusieurs fois affirmé qu'il était né le 20 février 1694 à Chatenay malabry où son père avait une propriété, le château de la petite roseraie. Ce fait semble confirmé par la personne devenue propriétaire du château, la comtesse de Boigne ainsi qu'elle l'écrit dans ses mémoires:"La naissance de Voltaire dans cette maison lui donne prétention à quelque célébrité". Il a contesté aussi sa filiation paternelle, persuadé que son vrai père était un certain Roquebrune:"Je crois aussi certain que d'Alembert est le fils de Fontenelle, comme il est sûr que je le suis de Roquebrune". Voltaire prétendit que l'honneur de sa mère consistait à avoir préféré un homme d'esprit comme était Roquebrune "mousquetaire, officier, auteur et homme d'esprit" à son père, le notaire Arouet dont Roquebrune était le client, car Arouet était, selon Voltaire, un homme très commun. Le baptême à Paris aura été retardé du fait de la naissance illégitime et d'un lien de sang avec la noblesse épée ne déplaisait pas à Voltaire.

Etudes chez les Jésuites

A la différence de son frère aîné chez les jansénistes, François-Marie entre à dix ans comme interne ( 400 plus 500 livres par an) au collège Louis-le-grand chez les jésuites. François-Marie y reste durant sept ans. Les jésuites enseignent le latin et la rhétorique, mais veulent avant tout former des hommes du monde et initient leurs élèves aux arts de société: joutes oratoires, plaidoyers, concours de versification, et théâtre. Un spectacle, le plus souvent en latin et d'où sont par principe exclues les scènes d'amour, et où les rôles de femmes sont joués par des hommes, est donné chaque fin d'année lors de la distribution des prix.

Arouet est un élève brillant, vite célèbre par sa ficilité à versifier, sa toute première publication est son Ode à Sainte Geneviève, imprimée par les pères, cette ode est répandue hors les murs de Louis-Le-grand à s'adresser d'égal à égal aux fils de puissants personnages, le tout jeune Arouet tisse de précieux liens d'amitié, très utiles toute sa vie: entre bien d'autres, les frères d'Argenson, René-Louis et Marc-Pierre, futurs ministres de Louis XV et le futur duc de Richelieu. Bien que très critique en ce qui concerne la religion en général et les écclésistiques en particulier. Il garde toute sa vie une grande vénération pour son professeur jésuite Charles Porée. Voltaire écrit en 1746 " Rien n'effacera dans mon coeur la mémoire du père Porée qui est également cher à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit létude et la vertu plus aimables. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses et j'aurais voulu qu'il eut été établi dans Paris, comme dans Athènes, qu'on pût assister à de telles leçons, je serais revenu souvent les entendre."
Etudiant en droit ou homme de lettres?
Il quitte le collège à 17 ans et annonce à son père qu'il veut être homme de lettres, et non avocat ou titulaire d'une charge de conseiller au parlement, investissement pourtant considérable que ce dernier est prêt à faire pour lui. Devant l'opposition paternelle, il s'inscrit à l'école de droit et continue de fréquenter les libertins du temple, prenant des goûts de luxe et de débauche. Son père l'éloigne un moment en l'envoyant à caen, puis en le confiant au frère de son parrain, le marquis de Châteauneuf, qui vient d'être nommé ambassadeur à la Haye et accepte d'en faire son secrétaire privé. mais son éloignement ne dure pas. A Noel 1713, il est de retour, chassé de son poste et des pays bas pour cause de relations tapageuses avec une demoiselle. Furieux, son père veut l'envoyer en Amérique mais finit par le placer dans l'étude d'un magistrat parisien. Il est sauvé par un ancien client d'Arouet, lettré et fort riche, M. de Caumartin, marquis de Saint-Ange, qui le convainc de lui confier son fils pour tester le talent poétique du jeune rebelle. Arouet fils passe ces vacances forcées au château de Saint-Ange près de Fontainebleau à lire, à écrire et à écouter les récits de son hôte qui lui serviront.
En 1715, c'est la Régence. Arouet a 21 ans. Il est si brillant et si amusant que la haute société se dispute sa présence. il aurait pu devenir l'ami du régent mais se retrouve dans le camp de ses ennemis. Invité au château de Sceaux, foyer d'opposition, où la duchesse du Maine, mariée au duc du Maine, bâtard légitimé de Louis XIV, tient une cour brillante, il ne peut s'empêcher de faire des vers sur les relations amoureuses du Régent et de sa fille. Le 4 mai 1716, il est exilé à Tulle. Son père use de son influence auprès de ses anciens clients pour fléchir le Régent qui, bon prince, remplace Tulle par Sully-sur-Loire où il s'installe dans le château du jeune duc de Sully, une connaissance du Temple, qui vit avec son entourage dans une succession de bals, de festins et de spectacles divers. A l'approche de l'hiver, il sollicite la grâce du Régent qui, sans rancune, pardonne. Le jeune Arouet recommence sa vie turbulente à saint-Ange et à Sceaux, profitant de l'hospitalité des nantis et du confort de leurs châteaux. Mais, pris par l'ambiance, quelques semaines plus tard, il récidive. Le 16 mai 1717, il est envoyé à la Bastille par lettre de cachet. Il a 23 ans. Il y restera 11 mois.
Succès littéraires: Oedipe et la Henriade
A sa sortie, conscient d'avoir jusque là gaspille son temps et son talent, il veut donner un nouveau cours à sa vie, et devenir célèbre dans les genres les plus nobles de la littérature de son époque, la tragédie et la poésie épique. Il adopte le patronyme de Voltaire, anagramme selon l'hypothèse la plus couramment admise, d'Arouet ( le jeune) la calligraphie de l'époque autorisant la transformation du u en v et du j en i. Le 18 novembre 1718, sa pièce Oedipe, obtint un immense succès ( 45 représentations plus 4 au palais-Royal, nombre de spectateurs évalué à 25000). Le public, qui voit en lui un nouveau Racine, aime ses vers en forme de maximes et ses allusions impertinentes au roi défunt et à la religion. ( "Nos prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense/ notre crédulité fait toute leur science" acte IV, scène I.) Ses talents de poètes mondain triomphent dans les salons et les châteaux. Il devient l'intime des Villars qui le reçoivent dans leur château de Vaux et l'amant de m. de Bernières, épouse du président à portier du parlement de Rouen. Après l'échec d'une deuxième tragédie, écrite pendant un bref exil à Sully ( on lui reproche à nouveau, mais cette fois à tort, de faire circuler une nouvelle satire contre le Régent.), il connait un nouveau succès en 1723 avec la Henriade, poème épique ( 4300 alexandrins) dont le sujet est le siège de paris par Henri IV et qui trace le portrait d'un souverain idéal, ennemi de tous les fanatismes: 4000 exemplaires vendus en quelques semaines ( soixante éditions successives du vivant de l'auteur.)

La querelle avec le chevalier de Rohan

En janvier 1726, il subit une humiliation qui va le marquer toute sa vie. Le chevalier Rohan-Chabot, jeune gentilhomme arrogant, descendant d'une des plus anciennes familles du royaume, l'apostrophe à la Comédie Française: "Monsieur de Voltaire, Monsieur Arouet, comment vous appelez-vous?". Sa répliqueest cinglante: "Voltaire! Je commence mon nom et vous finissez le vôtre." Quelques jours plus tard, on le fait appeler alors qu'il dîne chez son ami le duc de Sully. Dans la rue, il est frappé à coups de gourdin par les laquais du chevalier qui surveille l'opération de son carrosse. Blessé, humilié, il veut obtenir réparation mais aucun de ses amis aristocrates ne prend son parti. Le duc de Sully refuse de l'accompagner chez le commissaire de police pour appuyer sa plainte. Il n'est pas question d'inquiéter un Rohan pour avoir fait rouer de coups un écrivain. "Nous serions bien malheureux si les poètes n'avaient pas d'épaules." dit un parent de Caumartin. Le prince de Conti fait un mot sur les coups de bâton:" ils ont été bien reçus mais mal donnés." Voltaire veut venger son honneur par les armes mais son ardeur à vouloir se faire rendre justice indispose tout le monde. Les Rohan obtiennent que l'on procède à l'arrestation de Voltaire qui est conduit à la Bastille le 17 avril. Il n'est libéré, deux semaines plus tard, qu'à la condition qu'il s'exile.

L'exil anglais

Il choisit la Grande-Bretagne de 1726 à 1729, où il découvre la philosophie de John Locke, les théories scientifiques d'Isaac newton et la caractéristique de la monarchie britannique, dont il assurera la vulgarisation en France quand les Lettres philosophiques.
En 1730, poursuivi pour certaines de ses œuvres, il va chercher refuge en Normandie chez son condisciple et ami, l'académicien le Cornier de Cideville.

Vie de cour

Voltaire partage la vie d'Emilie du Châtelet au château de Cirey, il fait quelques passages à la cour de Lunéville sous le règne de Stanislas Leszczynski, duc de Lorraine, puis rentre à Paris, où il mène une carrière de courtisan avant de tomber en disgrâce.

Ce n'est qu'en 1750 qu'il se rend à la cour de Frédéric II à Berlin, où l'attend une position brillante, la clef de chambellan et un traitement considérable. Le roi et le philosophe se lient d'amitié, le premier pratiquement parfaitement le français. Mais les deux amis ne peuvent dissimuler longtemps leurs traits principaux, l'un son humeur altière et son habitude d'être obéi, l'autre sa supériorité intellectuelle et son esprit piquant. La brouille est inévitable, et , en 1753, une querelle de Voltiare avec Maupertuis, que soutient le roi, précipité la rupture, et Voltaire quitte la Prusse. L'ouvrage le plus important qu'il publie pendant son séjour à Berlin est Le siècle de Louis XIV.

De Genève à Ferney

En 1755, il s'installe aux "délices", près de Genève. Enfin, en 1758, il achète un domaine à Ferney, dans le pays de Gex, et Tournay, en territoire français, mais sur la frontière franco-genevoise ( Genève est alors un état indépendant). Il va aménager la région, bâtir, planter, semer et développer l'élevage. En compagnie de M Denis, sa nièce, gouvernant et compagne, il fait vivre un millier de personnes, se fait agriculteur, architecte, fabricant de montres et de bas de soie. Avec son sens de la formule, il résume l'entreprise: "Un repaire de 40 sauvages est devenu une petite ville opulente habitée par 1200 personnes utiles". Voltaire n'est plus seulement l'homme le plus célèbre de son époque: il est devenu un mythe. De Saint-Pétersbourg à Philadelphie, on attend ses publications comme des oracles. Artistes, savants, princes, ambassadeurs ou simples curieux se rendent au pèlerinage à Ferney chez cet "aubergiste de l'Europe".

En 1778, il revient à paris: le peuple de la capitale l'accueille avec un tel enthousiasme que certains historiens voient dans cette journée du 30 mars "la première des journées révolutionnaires".

Deux mois avant sa mort, le 7 avril 1778, il devient franc-maçon dans la loge parisienne des "neuf soeurs". Il est possible que Voltaire ait été franc-maçon avant cette date, mais il n'en existe aucune preuve formelle.

Il meurt à Paris le 30 mai 1778. Le 28 février 1778, quatre mois avant sa mort, il déclarait dans une lettre à son secrétaire Vagnière, qui l'a pieusement conservée:" Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition."

Ses cendres sont transférées au Panthéon de paris le 11 juillet 1791 après une cérémonie grandiose. Par un hasard de l'histoire, sa tombe se trouve en face de celle de jean-Jacques Rousseau, qu'il n'appréciait guère.

Voltaire et les femmes

La vie et l'oeuvre de Voltaire dévoilent une place intéressante accordée aux femmmes. Plusieurs de ses pièces sont entièrement dédiées aux vies exceptionnelles des femmes ( de pouvoir) de civilisations orientales. Cette vision des femmes au pouvoir peut éclairer l'attachement de Voltaire à une femme savante comme Emilie du Châtelet.

Les femmes dans la vie de Voltaire: une seule femme, il l'a dit lui-même, lui avait fait perdre quelques heures dans sa jeunesse: c'était M de Villars. Son amitié avec M du Châtelet ne fit que le pousser au travail: elle avait le goût des mathématiques, il se livra avec elle à l'étude des sciences, de l'astronomie...Ils s'enfermèrent ensemble dans une charmante vallée entre Lorraine et Champagne, au château de Cirey et y restèrent treize ans, c'est-à-dire jusqu'à la mort de M du Châtelet. Mais il y eut pour Voltaire plus que la mort d'une compagne: il sut à ses derniers moments qu'elle aimait Jean-François de Saint-Lambert ( in Voltaire à Ferney de Eugène Noel- imprimé par Brière à Rouen - 1867).

Les différentes périodes de la vie de Voltaire étaient plus ou moins rythmées par la présence des femmes. Voltaire a été pendant de nombreuses années l'amant d'Emilie du Châtelet. Puis, c'est sa nièce Marie Louise Denis qui l'accompagnait à Ferney.

Oeuvre


Voltaire a mené une carrière d'homme de lettres que ce soit dans le domaine de la poésie ou dans celui du théâtre. C'est d'ailleurs pour ses pièces qu'il souhaitait être reconnu de la postérité. Si aujourd'hui elles sont tombées dans l'oubli, elles ont toutefois fait partie du répertoire théâtral durant presque deux siècles. Parmi la soixantaine de pièces qu'il écrivit, l'histoire littéraire a retennu notamment Zaire ( 1732), Adelaide du Guesclin ( 1734 ) , Alzire ou les Américains ( 1736 ), Mahomet ou le fanatisme ( 1741 ), La Mérope francaise ( 1743 ), Sémiramis ( 1748), Nanine ou le préjugé vaincu ( 1749), Le duc de foix ( 1752 ), l'Orphelin de la Chine ( 1755), le café ou l'écossaise (1760), Tancrède ( 1760), Les scythes (177) ou encore les lois de Minos (1774). Les aspects exotiques de certaines pièces sont inspirés des lettres édifiantes et curieuses dont il était un lecteur avide. Il fut du reste consideré, en son siècle, comme le successeur de Corneille et de Racine, parfois même leur triomphateur; ses pièces eurent un immense succès, et l'auteur connut la consécration en 1778 lorsque, sur scène de la comédie-française, son buste fut couronné de lauriers, devant un parterre enthousiaste.

Voltaire a collaboré quelquefois avec Rameau pour des oeuvres lyriques: le projet commun le plus ambitieux ( l'opéra sacré Samson) finit par être abandonné sans être représenté, condamné par la censure ( 1733- 1736). Il y eut ensuite (1745) une comédie ballet, La princesse de Navarre et un opéra-ballet, le temple de la gloire de l'époque où Voltaire était encore courtisan.

La correspondance de Voltaire constitue une partie importante et conséquente de sa production écrite. Sont recensées 23 000 lettres et il est considéré comme l'un des épistoliers les plus prolifiques de son siècle. Sa correspondance révèle plusieurs facettes peu connues de sa personnalité. il entretenait de longues correspondances avec des contemporains, telle la salonnière du Deffand.

Voltaire est surtout lu aujourd'hui pour ses contes. Candide, Zadig, entre autre font partie des textes incontournables du XVIII° siècles et occupent une place de choix au sein de la culture française.

Sa morale:

Le libéralisme:

Dans la pensée du philosophe anglais John Locke, Voltaire trouve une doctrine qui s'adpate parfaitement à son idéal positif  et utilitaire. John Locke apparait comme le défenseur du libéralisme en affirmant que le pacte social ne supprime pas les droits naturels des individus. En outre, c'est l'expérience seule qui nous instruit; tout ce qui la dépasse n'est qu'hypothèse; le champ du certain coincide avec celui de l'utile et du vérifiable. Voltaire tire de cette doctrine la ligne directrice de sa morale: la tâche de l'homme est de prendre en main sa destinée, d'améliorer sa condition, d'assurer, d'embellir sa vie par la science, l'industrie, les arts et par une bonne "police" des sociétés. Ainsi, la vie en commun ne serait pas possible sans une convention où chacun trouve son compte. Bien que s'exprimant par des lois particulières à chaque pays, la justice, qui assure cette convention, est universelle. Tous les hommes sont capables d'en concevoir l'idée, d'abord parce que tous sont des êtres plus ou moins raisonnaibles, ensuite parce qu'ils sont tous capables de comprendre que ce qui est utile à la société est utile à chacun. La vertu, "commerce de bienfaits", leur est dictée à la fois par le sentiment et par l'intérêt. Le rôle de la morale, selon Voltaire, est de nous enseigner les principes de cette "police" et de nous accoutumer à les respecter.

Le déisme:

Etranger à tout esprit religieux , Voltaire se refuse cependant à l'athéisme d'un Diderot ou d'un Holbach . Il ne cessa de répéter son fameux distique:

"L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer
Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger."

Ainsi, selon Voltaire, l'ordre de l'univers peut-il nous faire croire à un éternel géomètre. Toutefois, s'il reste attaché au déisme, il dénonce comme dérisoire le providentialisme ( dans Candide par exemple) et repose cette question formulée dès saint Augustin et qu'il laisser sans réponse: " pourquoi existe-t-il tant de mal, tout étant formé par un Dieu que tous les théistes se sont accordés à nommer bon?"

On lui attribue par ailleurs aussi cette phrase: "Nous pouvons, si vous le désirez, parler de l'existence de Dieu, mais comme je n'ai pas envie d'être volé ni égorgé dans mon sommeil, souffrez que je donne au préalable congé à mes domestiques."

L'humanisme

Toute l'oeuvre de Voltaire est un combat contre le fanatisme et l'intolérance et cela dès la Henriade en 1723. "on entend par fanatisme une folie religieuse, sombre et cruelle. C'est une maladie qui se gagne comme la petite vérole." Dictionnaire philosophique, 1764, article fanatisme.

Il a en tout cas lutté contre le fanatisme, celui de l'église catholique comme celui du protestantisme, symboles à ses yeux d'intolérance et d'injustice. Tracts, pamphlets, tout fut bon pour mobiliser l'opinion publique européenne. Il a aussi misé sur le rire pour susciter l'indignation: l'humour, l'ironie deviennent des armes contre la folie meurtrière qui rend les hommes malheureux. Les ennemis de Voltaire avaient d'ailleurs tout à craindre de son persiflage, mais parfois les idées nouvelles aussi. Quand en 1755, il reçoit le "Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes de Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, qui désapprouve l'ouvrage, répond en une lettre aussi habile qu'ironique:

"J'ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je vous remercie. [...] On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes; il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi.[...](" Lettre à Rousseau, 30 août 1755)

Le "patriarche de Ferney" représente éminemment l'humanisme militant du XVIII° siècles. Comme l'a écrit Sainte-Beuve: "[...]tant qu'un souffle de vie l'anima, il eut en lui ce que j'appelle le bon démon: l'indignation et l'ardeur. Apôtre de la raison jusqu'au bout, on peut dire que Voltaire est mort en combattant."

Sa correspondance compte plus de 23 000 lettres connues tandis qu'il laisse à la postérité un gigantesque Dictionnaire philosophique qui reprend les axes principaux de son oeuvre, une trentaine de contes philosophiques et des articles publiés dans l'encyclopedie de Diderot et d'Alembert. De nos jours, son théâtre, qui l'avait propulsé au premier rang de la scène littéraire (Mérope, Zaïre et d'autres), ainsi que sa poésie (La Henriade, considérée comme la seule épopée française au XVIII siècles) sont oubliés.

C'est à Voltaire, avant tout autre, que s'applique ce que Condorcet disait des philosophes du XVIII siècle, qu'ils avaient " pour cri de guerre: raison, tolérance, humanité".

La Justice

Voltaire s'est passionné pour plusieurs affaires et s'est démené afin que justice soit rendue.
L'affaire Calas 1762
L'affaire Sirven 1764
L'affaire du chevalier de la Barre 1766
L'affaire Lally-Tollendal 1776

Ce combat est illustré par cette citation fameuse et pourtant apocryphe en 1906: 

"Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez droit de le dire."

A croire certains commentateurs ( Nobert Guterman, A book of french quotations, 1963), cette citation reposerait sur une lettre du 6 février 1770 à un abbé Le Riche où Voltaire dirait :"Monsieur l'abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire." En fait, cette lettre existe mais la phrase n'y figure pas, ni même l'idée.

En revanche, cette pseudo citation a sa source dans le passage suivant:

"J'aimais l'auteur du livre de l'Esprit Helvétius. Cet homme valait mieux que tous ses ennemis ensemble; mais je n'ai jamais approuvé ni les erreurs de son livre, ni les vérités triviales qu'il débite avec emphase. J'ai pris son parti hautement, quand des hommes absurdes l'ont condamné pour ces vérités même." (Questions sur l'encyclopedie, article Homme).

Son esthétique

La conception du goût en termes de sentiments a pu mener à une conception relativiste de l'art, légitimant l'adage populaire "des goûts et des couleurs, on ne discute pas". Cet adage signifie qu'une chose n'est jamais belle absolument ou selon des critères objectifs ( comme la symétrie ou les autres critères fondés sur les mathématiques, suivant la conception grecque de l'art et du canon), mais qu'elle est belle suivant la subjectivité toute personnelle de l'observateur. Il n'y a donc pas de débat rationnel et argumenté possible pour déterminer si une oeuvre d'art est belle ou pas. En effet, une émotion ou une sensation est toujours quelque chose d'intime, qui sera différent de l'émotion qu'un autre ressent. Si le "beau" se résume à un sentiment éprouvé face à l'oeuvre d'art ( ou face à une chose naturelle), le "beau" est une notion toute subjective.

Voltaire développe ce relativisme esthétique dans son article "Beau" du dictionnaire philosophique" (1764). Il s'en prend notamment à la conception platonicienne du Beau ( en termes d'intellectualité quasi-mystique). Il lui oppose une conception toute empirique et subjectiviste:

"Demandez à un crapaud ce qu'est la beauté, le grand beau, le tp kalon. Il vous répondra que sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez le diable; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l'archétype du beau en essence, au to kalon."

Il n'ya pas de plaisir artistique désintéressé, puisque l'on trouve beau ce que produit en nous du plaisir, y compris l'excitation sexuelle ( suivant l'exemple voltarien de l'attirance sexuelle entre le crapaud et sa femelle).

Le beau est donc un sentiment de plaisir, et non un concept intellectuel d'harmonie:

"[...] pour donner à quelques chose le nom de beauté, il faut qu'elle vous cause de l'admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c'était là le to kalon, le beau."

En conclusion, il est inutile de théoriser le beau comme si cétait un concept mathématique ou purement intellectuel ( à l'instar du nombre ou du triangle par exemple, qui sont des entités objectives et indépendantes de l'expérience: le beau est relatif, et le philosophe "[...]s'épargna la peine de composer un long traité sur le beau".


Aspects divers

Voltaire et l'argent

Voltaire est mort à la tête d'une immense fortune " un des premiers revenus de France, dit-on"

Il n'a guère abordé le sujet, et l'on considère qu'il a gardé le secret dans deux domaines: ses affaires, et ses amours avec sa nièce.

Voltaire et l'esclavagisme

Certains auteurs modernes, cherchant parfois à écorner l'image d'un Voltaire philanthrope et apôtre" des droits de la personne humaine désignent parfois Voltaire comme "esclavagiste". Ils s'appuient notamment sur le fait que Voltaire écrive, de manière ironique, dans son Essai sur les moeurs et l'esprit des Nations  :" Nous n'achetons des esclaves domestiques que chez les nègres; on nous reproche ce commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que l'acheteur. Ce négoce démontre notre supériorité; celui qui se donne un maître était né pour en avoir".

Cependant, Voltaire a fermement condamné l'esclavagisme. Le texte le plus célèbre est la dénonciation des mutilations de l'esclave de Surinam dans Candidemais son corpus comporte plusieurs autres passages intéressants. Dans le "Commentaire sur l'esprit des lois" en 1777, il félicite Montesquieu d'avoir jeté l'opprobre sur cette odieuse pratique.

Il s'est également enthousiasmé pour la libération de leurs esclaves par les quakers de Pennsylvanie en 1769. 

De la même manière le fait qu'il considère en 1771 que "de toutes les guerres, celle de Spartacus est la plus juste, et peut-être la seule juste", guerre que des esclaves ont mené contre les oppresseurs, plaide assurément  en faveur de la thèse d'un Voltaire antiesclavagiste.

Lors des dernières années de sa vie, en compagnie de son avocat et ami Christin, il a lutté pour la libération des "esclaves" du Jura qui constituaient les derniers serfs présents en France et qui, en vertu du privilège de la main-morte, étaient soumis aux moines du chapitre de Saint-Claude (Jura). C'est un des rares combats politiques qu'il ait perdu; les serfs ne furent affranchis que lors de la Révolution Française  , dont Voltaire inspira certains des principes.

A tort, on a souvent prétendu que Voltaire s'était enrichi en ayant participé à la traite des noirs. On invoque à l'appui de cette thèse une lettre qu'il aurait écrite à un négrier de Nantes pour le remercier de lui avoir fait gagner 600 000 livres par ce biais. En fait, cette prétendue est un faux.

Voltaire et l'Islam

Déiste, Voltaire était attiré par la rationalité apparente de l'Islam, "religion sans clergé, sans miracle et sans mystères". Reprenant la thèse déiste de Henri de Boulainvilliers, il apercevait dans le monothéisme musulman une conception plus rationnelle que celle de la trinité chrétienne.

Jusque dans le milieu des années 40, notamment dans sa tragédie, le Fanatisme ou Mahomet, Voltaire considère Mahomet comme "un imposteur", un "faux prophète" , un "fanatique" et un "hypocrite". Toutefois, selon Pierre Milza, la pièce a surtout été " un prétexte à dénoncer l'intolérance des chrétiens - catholiques de stricte observance, jansénistes, protestants- et les horreurs perpétrées au nom du Christ". Pour Voltaire, Mahomet "n'est ici autre chose que Tartuffe les armes à la main". Voltaire écrira aussi en 1742 dans une lettre de M de Missy: " Ma pièce représente, sous le nom de Mahomet, le prieur des Jacobins mettant le poignard à la main de Jacques Clément". Plus tard, après avoir lu Henri de Boulainvilliers et Georges Sale, il reparle de Mahomet et de l'islam dans un article " De l'alcoran et de Mahomet" publié en 1748 à la suite de sa tragédie. Dans cet article, Voltaire maintient que Mahomet fut un "charlatan" mais "sublime et hardi" et écrit qu'il n'était pas en outre un illettré.
Puisant aussi des "jugements assez favorable sur le Coran" ou il y trouve, malgré "les contradictions, les absurdités, les anachronismes", une "bonne morale" et "une idée juste de la puissance divine" et y "admire surtout la définition de Dieu". Ainsi il "concède désormais" que "si son livre est mauvais pour notre temps et pour nous, il était fort bon pour ses contemporains, et sa religion si simple et si sage, enseignée par un homme toujours victorieux, ne subjuguât pas une partie de la terre". Il considère que "ses lois civiles sont bonnes; son dogme est admirable en ce qu'il a de conforme avec le nôtre" mais que "les moyens sont affreux; c'est la fourberie et le meurtre".
Après avoir reconnu plus tard qu'il avait fait dans sa pièce Mahomet "un peu plus méchant qu'il n'était" , c'est dans la biographie de Mahomet rédigée par Henri de Boulainvilliers que Volteire puise et emprunte, selon René Pomeau, "les traits qui révèlent en Mahomet le grand homme". Ainsi, à partir des années 1750 st surtout dans l'islam, Voltaire "porte un jugement presque entièrement favorable" sur Mahomet qu'il qualifie de "poète" , de "grand homme" à l'image d'Alexandre le Grand qui a " changé la face d'une partie du monde" nuançant la sincérité du prophète qui imposa sa foi par "des fourberies nécessaires". Il considère que le législateur des musulmans, homme puissant et terrible, établit ses dogmes par son courage et par ses armes", sa religion devint cependant "indulgente et tolérante". La dernière phrase de Voltaire sur l'Islam se situe en 1772 dans "il faut prendre un parti" où il décrit la religion musulmane comme "sage", "sévère", "chaste", "humaine" et "tolérante".

FISC n. m. (du latin fiscus, panier) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Les anciens mettaient leur argent dans une sorte de panier appelé fiscus, de là l'origine du mot fisc, qui signifie maintenant : trésor. Le fisc est une des institutions de l'Etat. C'est l'appareil chargé de la perception des impôts votés par le Parlement ; c'est l'institution qui centralise les revenus d'une nation. Le fisc est l'organisme le plus important du ministère des finances, et par extension, le plus ferme soutien de l'Etat bourgeois, puisque en exécutant les lois financières, c'est lui qui assure les ressources d'une nation. Tyrannique et impitoyable, pour ceux qui ne peuvent se défendre, c'est-à-dire les petits, il est d'ordinaire assez indulgent pour les « gros », qui échappent assez facilement aux exigences de cette administration. Rien de plus naturel du reste, si l'on admet qu'en régime capitaliste, toutes les charges d'un Etat doivent retourner en fin de compte sur le dos des masses productrices. Les droits du fisc sont très étendus et ont été dénoncés par tous les hommes d'esprit libéral. J.-B. Say, le célèbre économiste français du XIXème siècle, disait : « C'est une chose toute naturelle que chaque homme prenne l'esprit de son état ; et c'est en même temps une chose assez fâcheuse quand ce même esprit pèse sur la société. La position des agents du fisc, depuis le ministre des finances jusqu'au dernier employé, les rend perpétuellement hostiles envers les citoyens. Tous considèrent le contribuable comme un adversaire, et les conquêtes que l'on peut faire sur lui comme légitimes. Il arrive même que les employés trouvent, à vexer le redevable, une certaine satisfaction d'amour-propre, un plaisir analogue à celui que ressentent les chasseurs, lorsqu'ils réussissent, par force ou par ruse, à se rendre maîtres du gibier. Cet esprit de fiscalité se traduit le plus souvent par l'interprétation judaïque des lois de finances dans les instructions ministérielles ou les règlements auxquels elles donnent lieu, de sorte que le législateur ne saurait trop bien préciser sa pensée. Il est, en outre, surexcité par le système qui proportionne tout ou partie du traitement des fonctionnaires au montant des recettes, et c'est un grand malheur ». J.-B. Say se trompe, lorsqu'il s'imagine que dans une certaine mesure, le législateur peut améliorer le régime fiscal ; il faut, pour cela, supposer un législateur libre, et indépendant, non soumis aux fluctuations de la politique et détaché de tout intérêt économique. Nous savons que c'est impossible. Les débats financiers d'une assemblée législative sont généralement les plus mouvementés, car ce sont eux qui déterminent les revenus nécessaires à l'Etat et répartissent les charges de chacun. Or, chaque législateur est l'agent indirect d'un groupe d'électeurs, et son mandat est subordonné à l'attitude qu'il prend en certaines circonstances. Si, politiquement, il est possible au député de biaiser, financièrement, cela lui est plus difficile, car, lorsqu'il est question d'argent, lorsqu'il faut ouvrir son portefeuille pour alimenter les caisses du fisc, le plus conciliant des électeurs devient rébarbatif et jamais il ne pardonnerait à son représentant de ne pas avoir tenté d'amoindrir ou d'alléger sa participation aux charges de l'Etat. Si l'on sait qu'un gouvernement est le représentant politique des puissances économiques, et que le Parlement n'est qu'un composé - à part de rares exceptions - d'hommes de paille de la bourgeoisie, on comprendra que ni le gouvernement, ni le parlement, ne veulent contrarier la classe dominante, dont ils sont chargés de défendre les intérêts, et que, sous forme d'impôts (voir ce mot) directs ou indirects, ils puisent leurs ressources là même où se trouve le moins d'argent : dans le peuple. C'est donc le peuple qui est la principale victime du fisc, bien que les apparences laissent croire que c'est la bourgeoisie qui est la plus touchée, car c'est elle qui reçoit généralement les feuilles du percepteur ; cela ne doit cependant pas nous tromper, puisque nous ne pouvons ignorer que tous les impôts directs sont répartis par le commerçant ou l'industriel à son compte frais généraux et que c'est le consommateur qui paie tout cela. Où le fisc se montre particulièrement avide, c'est lorsqu'il fait sévir contre les malheureux. Alors, il n'a plus de mesure. Qu'un travailleur se refuse à payer l'impôt sur le salaire, qu'il ne trouve pas de fonds pour payer une amende, et c'est la saisie ou la prison. Combien de pauvres bougres ont déjà vu vendre leurs quelques meubles aux enchères publiques, parce qu'ils ne pouvaient soustraire de leurs maigres salaires la forte somme exigée par l'agent du fisc? Combien de travailleurs n'ont-ils pas payé, par des jours de prison, le « crime » de n'avoir pas d'argent? Non seulement le régime fiscal est arbitraire, parce que c'est la classe productrice qui en fait tous les frais, mais le fisc est l'administration la plus cruelle à l'égard des infortunés. Et il ne semble pas que cela aille en s'améliorant, bien au contraire ; huit ans après la guerre, le fisc se montrait d'une cruauté sans précédent, au point de faire exercer la contrainte par corps à ceux qui ne pouvaient payer les amendes civiles ou politiques auxquelles ils avaient - à tort ou à raison - été condamnés. Nous ne croyons pas en conséquence, que le législateur puisse apporter un remède à cet état de chose. De tout temps, les lois fiscales ont avantagé les possédants, et il en sera ainsi tant qu'il y aura des lois, des impôts, des imposants et des imposés, des travailleurs et des parasites, des exploiteurs et des exploités, en un mot un régime capitaliste. Les démocrates, les socialistes, les libéraux, peuvent échafauder des monuments de lois fiscales, ils ne changeront rien, sinon les apparences ; car l'égalité économique ne peut sortir d'un parlement. Chaque année, la même comédie recommence dans les assemblées législatives ; chaque année les mêmes paroles sont prononcées et le peuple paie toujours au fisc, à la sueur de son front, pour entretenir le char de l'Etat. Et il en sera ainsi jusqu'au jour où il fera sauter et le char et le parlement.

FINANCIER n. m. (de finance) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Celui qui s'occupe de finance. Personne qui fait des opérations de banque, de bourse, qui spécule, qui traite des affaires d'argent. Un grand financier, un habile financier, un financier véreux, un riche financier. « Les financiers gouvernent la France, dit le Lachâtre. Il pourrait dire le monde. Et il ajoute : « La révolution a plutôt augmenté que réduit leur influence. Il n'y a plus de traitants, de fermiers, de maltôtiers ; mais il y a encore des capitalistes, des banquiers, des fournisseurs. C'est la haute finance et la grande propriété qui, à quelques exceptions près, occupent aujourd'hui, dans la hiérarchie sociale, la place de l'ancienne aristocratie ». Nous avons vu, d'autre part, (voir les mots : banque, capitalisme, finance), l'influence exercée par l'argent dans le monde moderne ; il n'y a donc pas lieu d'être surpris si les financiers sont si puissants et si ce sont eux qui dirigent toute l'activité économique et politique d'une nation. Responsable de toutes les plaies sociales dont souffre l'humanité, le financier est un parasite qui crée du parasitisme, car il traîne derrière lui toute une armée d'inutiles qui ne donnent absolument rien en échange de ce qu'ils reçoivent de la collectivité. A mesure que se développe le capitalisme, les gros financiers sont de moins en moins nombreux et l'on peut dire que toutes les finances publiques ou privées sont de nos jours gérées par une infime poignée de magnats, véritables despotes, détenant en leurs mains les destinées du monde et jouant sur la paix ou sur la guerre des peuples, selon les intérêts des groupes de commerçants et d'industriels auxquels ils appartiennent. Dans l'orbite de ces puissants seigneurs évolue toute une multitude de petits bourgeois, coulissiers, remisiers, etc..., véritables valets qui se contentent d'un os à ronger et sont toujours prêts à traiter les affaires plus ou moins louches qui n'intéressent qu'en second la haute finance. Les uns et les autres sont aussi néfastes, aussi dangereux. La vie du financier étant étroitement enchaînée à celle de l'ordre bourgeois, toute la gent financière est réactionnaire et conservatrice à l'excès. Malgré la hiérarchie qui existe dans le monde de la finance, un esprit de corps n'en existe pas moins au sein de cette horde, et si, parfois, par accident, un scandale éclate à la suite de l'abus d'un financier, trop rapace ou pas assez malin, immédiatement la solidarité joue, et l'impossible est fait pour étouffer ce scandale. Essayer d'affaiblir le financier serait peine perdue. Il est le maître, avons-nous dit, le maître absolu de tout ce qui se décide politiquement, socialement et économiquement sur notre terre. Pour que sa puissance s'écroule, il faut détruire la finance et ses causes, et c'est alors seulement que le travailleur pourra, sous son talon, écraser le financier.

FINANCE n. f. (du saxon fine, amende, et du vieux mot français finer, qui veut dire payer) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Se dit de l'état de ceux qui s'occupent des revenus d'une nation ou qui traitent des grandes affaires d'argent. Un homme de finance. Etre dans la finance. Les finances de l'Etat. Un ministre des finances. Gérer, administrer ses finances. Se dit aussi pour désigner l'état de fortune d'une personne. Somme d'argent, que dans le passé, on payait au roi pour la levée d'une charge. Bref, la finance est l'ensemble des questions et des opérations relatives à l'argent. Le culte de l'argent et de la propriété ont donné à la finance une puissance formidable. C'est elle qui dirige le monde, c'est elle qui, dans la société bourgeoise, est le moteur de toute l'activité sociale. Le développement du commerce et de l'industrie capitalistes, les progrès du machinisme, l'intensification de la production ont encore ajouté à sa force et à sa puissance, car son sort est intimement lié à celui de ces deux formes d'exploitation bourgeoise. La concentration du capital s'accentue chaque jour, car les moyens et les procédés de production modernes sont tels qu'il n'est pas permis à la petite industrie de lutter contre la concurrence des puissantes organisations industrielles et, tout naturellement, la petite industrie s'éteint avec rapidité. Il en est de même en ce qui concerne le petit et le gros commerce, ou plutôt la petite et la grosse entreprise commerciale. Mais aux vastes entreprises il faut de gros capitaux, et quelle que soit la richesse d'un groupe d'individus, elle ne suffirait pas aux nécessités du mouvement industriel et commercial des sociétés modernes. C'est alors qu'entre en jeu la finance. Son rôle est de fournir au capitalisme les capitaux nécessaires à ses exploitations. « Le développement de la production capitaliste, dit Karl Marx, enfante une puissance tout à fait nouvelle : le crédit, qui, à ses origines, s'introduit sournoisement comme une aide modeste de l'accumulation, devient bientôt une arme nouvelle et terrible de la guerre de la concurrence, et se transforme enfin en un immense appareil social destiné à centraliser les capitaux ». Afin de bien faire comprendre le puissant facteur qu'est la finance, dans la société capitaliste, il nous faut souligner le passage que nous citons ci-dessus. Avant que la finance ne fût puissamment organisée, le développement industriel et commercial était subordonné à l'accumulation. L'accumulation est « l'augmentation graduelle du capital » d'un individu ou d'un groupe d'individus. « Mais il est évident, dit encore Karl Marx, que l'accumulation, l'augmentation graduelle du capital, au moyen de sa reproduction sur une échelle croissante, n'est qu'un procédé lent, comparé à la centralisation, qui, en premier lieu, ne fait que changer l'arrangement quantitif des parties composant le capital social. Le monde se passerait encore du système des chemins de fer, par exemple, s'il eût dû attendre le moment où les capitaux individuels se fussent assez arrondis par l'accumulation, pour être en état de se charger d'une semblable besogne, que la centralisation du capital, au moyen des sociétés par actions, a accomplie pour ainsi dire en un tour de main » (Karl Marx, Le Capital). La finance est donc en un mot l'organisation du crédit en faveur du capitalisme. Aucun capitaliste, en effet, ou aucun groupe de capitalistes ne seraient susceptibles, comme le fait si judicieusement remarquer le grand sociologue allemand, de se livrer à de grandes entreprises industrielles et commerciales sans le concours de capitaux extérieurs. Les capitaux disséminés sont impuissants ; centralisés, ils sont une force, mais une force surtout pour ceux qui les gèrent, qui les administrent, et c'est la finance qui remplit ce rôle. Nous disons donc que plus une société est industrialisée, et plus son commerce est étendu, plus la circulation de l'argent est nécessaire, plus sa centralisation est indispensable et plus le règlement des affaires exige - en société capitaliste naturellement - le concours de la finance. Il fut un temps où le petit commerçant, le petit artisan, le petit paysan, qui avaient réalisé quelques économies, les conservaient jalousement au fond de leur « bas de laine ». Ce temps n'est plus. Aujourd'hui, et surtout depuis la guerre, chacun veut jouir brutalement, rapidement, et goûter les plaisirs que procure la richesse. C'est la course à l'argent, et la finance offre aux avides des possibilités de s'enrichir... ou de se ruiner. Avec l'espérance de toucher de gros dividendes, chacun se démunit de son pécule, le livre à la finance, qui en dispose, qui le gère, qui l'exploite. Du jour où l'individu s'est séparé de son argent pour le remettre entre les mains du financier, ce dernier devient à ses yeux un Dieu. Toucher à l'argent est un crime, toucher au financier en est un autre. Conçoit-on alors la puissance de cette organisation, qui est soutenue par tous ceux qui possèdent en leur portefeuille - et ils sont nombreux - une valeur de 100, de 1.000, ou de 10.000 francs? En 1896, Urbain Gohier écrivait un pamphlet sur l'argent, dont nous extrayons ces lignes : « Le Parlement peut tout ; mais il ne peut toucher à l'argent. Les citoyens soumettent à mille investigations humiliantes tous les actes de leur vie et toutes les parties de leur foyer ; mais ils dissimulent leur argent avec une indomptable énergie. Ils ouvrent leurs caves et leurs magasins aux gabelous, aux rats de caves ; leurs habitations, leurs meubles, aux juges et aux mouchards ; ils déclarent leurs mariages, la naissance de leurs enfants, le décès de leurs proches, leurs ventes, leurs achats ; ils énoncent leurs voitures, leurs chevaux, leurs chiens, leurs billards, leurs bicyclettes ; placés pendant vingt-cinq ans sous la surveillance de la haute police, et numérotés sur des registres, comme des forçats, ils ne peuvent quitter leurs maisons sans avertir les gendarmes ; ils écrivent sur les feuilles du recensement leur confession générale. Mais le chiffre de leur revenu doit demeurer impénétrable... ...On a pu violenter ce qui leur restait de cœur et de conscience ; outrager leur Dieu, traquer leur religion, détruire leurs libertés essentielles, décimer leurs enfants : ils n'ont rien dit ; on a voulu mettre un impôt sur la rente et connaître le chiffre des fortunes : ils ont résisté. Leur corps n'a point de pudeur, et leur âme point de dignité ; ils ne gardent le respect ni de leur personne, ni de leur foyer ; mais ils respectent leur argent ; la dignité de leur argent, la pudeur de leur argent ne sauraient souffrir une atteinte ». Et c'est, hélas, vrai. Or, tout cet argent, est entre les mains de la finance. Il n'est donc pas étonnant que la finance soit chose sacrée et qu'elle exerce une influence considérable sur la vie économique des sociétés. Nous avons dit plus haut que la finance était étroitement liée au commerce et à l'industrie. C'est elle, en effet, qui engage dans les entreprises industrielles et commerciales de haute envergure les capitaux qu'elle recueille en se réservant, naturellement, une part de bénéfice. Est-il utile d'ajouter que c'est la part du lion? D'autre part, la liaison est tellement étroite entre la finance, le commerce et l'industrie, que nous retrouvons à la tête de ces trois institutions les mêmes dirigeants, les mêmes groupes de capitalistes. Dans l'étude de J. Poirey Clément, sur Schneider et le Creusot, nous lisons ceci : « Les grands industriels de la sidérurgie française, les Schneider et les de Wendel, ont compris que, malgré leurs capitaux personnels, ils devaient, pour se garantir dans leurs entreprises et donner de l'extension à celles-ci, s'appuyer sur les financiers. C'est pourquoi ils s'allièrent à l'Union Parisienne, cette autre banque du Comité des Forges, qui permit à Schneider la mainmise sur les entreprises minières et métallurgiques de l'Europe Centrale et aux de Wendel, déjà propriétaires des « Steinhohlenzeche », de Ham (Westphalie), d'acquérir le contrôle de la Hohenlohe Werke A. C., située en Silésie, dans les districts Nord et Sud de Kattowitz et designer un contrat avec H. Stinnes, pour le coke. Ce qui se produit en France, se produit également dans les autres nations, sur la même échelle, car la finance n'a d'autre but que de centraliser, - nous l'avons déjà dit -, les capitaux, au profit et au bénéfice de certains groupes capitalistes. Comment s'opèrent ces bénéfices? Chacun sait ce qu'est une société par actions. Les sommes sont souscrites dans le grand public par les établissements financiers et la répartition des bénéfices se fait chaque année, chaque souscripteur recevant une somme de dividende relative au nombre d'actions souscrites. En soi, l'opération n'a rien d'irrégulier ni d'amoral - si nous nous plaçons sur le terrain de la bourgeoisie et serait honnête si elle s'accomplissait avec la simplicité signalée. Mais ce n'est pas ainsi que l'opération se traite. Toujours dans la brochure de Poirey Clément, nous puisons un exemple sur le trafic des requins de la finance : « Récemment, le capital des Etablissements Schneider et Cie, qui était de 50 millions, a été porté à 100 millions, par la création de 125.000 actions de 400 francs, dont une moitié est souscrite par divers groupes. (Lisez : réservée aux administrateurs et à certaines banques et firmes industrielles, qui recevront des titres, sans fournir de capitaux, et l'autre offerte aux actionnaires actuels à 1.150 francs, à titre irréductible ou à titre réductible, à raison d'une action nouvelle pour deux anciennes possédées, et ultérieurement, au public, à titre réductible, dans la mesure des disponibilités laissées par l'exercice des droits des actionnaires actuels). Ce qui revient à dire que l'augmentation de capital de 50 millions de francs équivaut à un apport de 25 millions de francs d'argent neuf, et qu'en réalité, si 50 millions de francs de titres ont été distribués, 25 millions de francs de ces titres ont été donnés à certaines banques ou à certains administrateurs, qui, sans avoir versé un sou, participeront à la répartition des bénéfices. C'est légal, c'est normal, il n'y a rien à dire, c'est l'escroquerie autorisée. Si le commerce et l'industrie ont besoin de la finance pour exercer leur exploitation, la finance n'a pas moins besoin du commerce et de l'industrie, pour se livrer à ses louches entreprises. Dans l'organisation du vol légal, ces éléments d'activité capitaliste se complètent. Il n'existe pas un individu, aussi dépourvu de bon sens, aussi naïf soit-il, qui consentirait, par exemple, à échanger un billet de 100 francs pour une somme de 50 francs. Pour faire accepter une telle opération à son client, la finance est obligée de se reposer sur le commerce et l'industrie et de faire entrer dans ses opérations le facteur marchandise. « Echanger, dit Karl Marx, 100 louis, je suppose, contre 100 louis, serait une opération assez inutile, le mouvement (argentmarchandise-argent) ne peut donc avoir une raison d'être que dans la différence quantitive des deux sommes d'argent. Finalement, il sort de la circulation plus d'argent qu'il n'en a été jeté ; la forme complète de ce mouvement est, par exemple (100 louis - 2.000 livres de coton - 110 louis) ; il aboutit à l'échange d'une somme d'argent, 100 louis, contre une somme d'argent 110 louis » (Marx, Le Capital). Ce principe élémentaire du commerce donne, par son développement, naissance à une foule de combinaisons d'ordre financier, dont le profane n'a aucune idée. Cependant, il ne suffit pas à la finance de trouver des capitaux ; encore faut-il, pour que le mouvement de circulation d'argent et de marchandise s'opère régulièrement et produise une plus value, que ces capitaux soient utilisés industriellement ou commercialement. « Le mouvement : vendre pour acheter, qui vise à l'appropriation de choses propres à satisfaire des besoins, écrit encore Karl Marx, rencontre, en dehors de la circulation, une limite dans la consommation des choses achetées, dans la satisfaction des besoins ». Ce qui revient à dire que pour vendre, il est indispensable que la production s'écoule indéfiniment, sans quoi la production s'arrête et les capitaux ne trouvent pas leur emploi. Et c'est alors que la finance, l'industrie et le commerce pénètrent dans le domaine politique, à la recherche de débouchés propres à satisfaire aux besoins d'écoulement des marchandises produites, lorsqu'il s'agit d'une surproduction nationale, ou encore pour acquérir des privilèges territoriaux dans des contrées possédant des richesses non encore exploitées. Nous savons que les puissances d'argent, pour se livrer en toute liberté à leurs manœuvres, dépensent des sommes formidables et que ce sont elles qui dirigent, par l'intermédiaire d'hommes de paille, les grandes institutions d'une nation. Nous avons démontré, d'autre part, (voir Capital, Capitalisme), que la plupart des parlementaires étaient des agents de la finance et de l'industrie, et personne n'ignore que toutes les élections législatives ou municipales sont subordonnées à la propagande dont l'argent est le nerf principal. Pourtant, il est une chose qui pourrait gêner, dans ses opérations, le monde de la finance : c'est l'opinion publique. On peut acheter 100, 200, 500, 1.000, 10.000 personnes, on ne peut acheter toute une population. Cette population, il faut donc la tromper, l'aveugler de façon qu'elle ne se rende pas compte comment on la dépouille. Pour accomplir cette œuvre, la presse était tout indiquée, et elle remplit son rôle à merveille. La publicité financière alimente les caisses des grands journaux, à condition que ceux-ci se taisent sur le dessous des opérations auxquelles se livre la finance. On peut dire qu'en 1927, il n'y a pas en France et de par le monde, un seul journal quotidien qui puisse vivre par les ressources qui proviennent de sa vente et qu'il est obligé d'avoir recours à la publicité. Vers la fin de 1926, une petite révolution de palais éclata au sein d'un grand quotidien parisien, et ce journal publia une petite brochure, dans laquelle il tentait d'expliquer ce qu'est la publicité financière. Nous en extrayons ces lignes : « Publicité financière », est une expression vague, qui, dans le monde des journaux, en est venue à englober toutes sortes de publicité, bien différentes les unes des autres. Le tarif que vous voyez figurer quelquefois à la sixième page des journaux, pour les coffres-forts que louent les établissements de crédit, on appelle cela de la publicité financière. Or, ces réclames n'ont rien de financier. Pas plus que le tarif des différents genres de parapluies que vend un marchand. Elles sont payées par les établissements financiers, qui les font insérer, voilà tout. L'annonce des assemblées générales des grandes sociétés anonymes, la liste des numéros gagnants dans les tirages de valeurs à lots, on appelle cela de la publicité financière. Mais, qu'y a-t-il là de spécifiquement financier ? Rien ... ...C'est que, voilà : ces réclames sont assez fréquemment le moyen par lequel certaines entreprises, certains services publics, essayent de se concilier la presse, de façon à ce qu'elle ne s'avise jamais de signaler leurs abus. Autre danger : les textes de cette publicité, publiés quelquefois en placard, dans les annonces, quelquefois dans le Bulletin financier, peuvent, en exerçant d'adroites pesées sur les esprits, créer des courants favorables aux pires opérations de finance ou de politique. Ceux qui dirigent un journal, quelque avisés et vigilants qu'ils soient, ne peuvent pas être toujours sûrs de discerner les idées de derrière la tête de ceux qui payent ces insertions ». Est-ce clair ? La finance, par le truchement de la publicité, asservit la presse. Mais cela ne lui suffit pas. Comme ce n'est pas une garantie suffisante, toutes les grandes entreprises de crédit ont leurs journaux à eux ; chaque groupe de gros financiers a son journal. Ayant dans des coffres l'argent de la population, ayant entre ses mains les principaux organes d'information et de propagande publique, est-il besoin de dire que la finance fait l'opinion publique, que c'est elle qui dirige la politique, et que les gouvernements, quelles que soient leurs couleurs ou leurs tendances, ne sont que les plats valets des puissants établissements de crédit et des vastes entreprises d'exploitation sociale? Comment s'étonner alors, qu'un ministère, qu'un gouvernement, qu'un parlement, soit par essence même conservateur et qu'ils agissent dans l'intérêt du Capital? Il fut des gouvernements qui tentèrent de résister à l'emprise de la finance sur la politique. Ils furent brisés. Même, s'il était possible de supposer qu'un gouvernement fût honnête, il serait dans l'incapacité absolue de faire quoi que ce soit ; car, immédiatement, se dresseraient contre lui toutes les forces coalisées du capital : finance, commerce et industrie, qui détiennent toutes les richesses économiques et actionnent tous les rouages de la machine sociale. Les conséquences de cet état de choses sont désastreuses pour les classes asservies, cela se conçoit. Toutes les actions politiques d'un Etat, sont orientées vers la conservation des privilèges à ceux qui les détiennent et à la poursuite de l'exploitation de l'homme par l'homme. Les finances d'une nation qui, si la démocratie n'était pas un trompe-l'œil, un mensonge, une erreur, devraient être alimentées par ceux qui détiennent la fortune, le sont par les misérables travailleurs, honteusement exploités par les forces de régression sociale (Voir impôt). L'argent que recueille un gouvernement, en pressurant la classe ouvrière, ne sert, en sa grande partie, à perpétuer des institutions susceptibles de défendre et de soutenir les privilèges acquis par la rapine, le vol et l'assassinat. C'est pour la finance que sont entretenues, dans tous les pays du monde, des armées colossales. C'est pour la finance que s'organisent les expéditions coloniales. C'est pour la finance que se font tuer, sur les champs de bataille, des millions de travailleurs. Monstre tricéphale qui a déjà englouti tant de générations d'êtres jeunes et forts, combien de temps encore le capital accomplira-t-il ses méfaits? Le peuple n'en a-t-il pas assez et ne se résoudra-t-il pas bientôt à mettre fin, par la révolution, à cette triple aberration que sont le commerce, l'industrie et la finance? Ce n'est, cependant, qu'à ce prix qu'il peut espérer vivre un jour libre et heureux au sein d'une société où le travail sera enfin libéré de tous les parasites inhérents au capitalisme.
- J. CHAZOFF

FINALITE n. f. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Doctrine philosophique qui reconnaît l'existence d'une cause finale et admet que tout ne se fait qu'en vue d'une fin voulue et déterminée. Sociologiquement, les anarchistes communistes ne peuvent pas, à notre sens, ne pas admettre une « cause finaliste », c'est-à-dire un but à atteindre. Pour nous, la finalité, sociologiquement, c'est la transformation, totale, complète, de la société moderne, et l'organisation d'une société nouvelle, élaborée sur les principes du communisme antiautoritaire. Considérant l'état d'évolution des sociétés modernes, et le temps nécessaire à réaliser une telle transformation, les négateurs de l'anarchisme communiste peuvent objecter que la vie humaine, que la vie d'une génération ne peut pas suffire à une telle entreprise, et que conséquemment une croyance finaliste est ridicule. Nous ne le pensons pas. L'individu a des besoins et des désirs immédiats, mais il a aussi des aspirations. La vie de l'homme est un tout ; elle ne se compose pas uniquement de nécessités matérielles, mais aussi d'espérances ; or, on peut considérer l'espérance humaine comme un voyage de l'esprit dans l'avenir. L'être imprécis, qui ne sait pas ce qu'il veut est aussi un être indécis dans la lutte, et si l'on juge que l'amélioration du genre humain ne peut être obtenue que par une lutte constante et méthodique, il est indispensable d'envisager un but, et de mener le combat pour essayer de l'atteindre et de s'en rapprocher. D'autre part, nous pensons que l'individu a besoin d'un idéal. Cet idéal est ce que l'on peut appeler « la finalité ». Est-il intangible? Ce n'est pas ce que nous affirmons, mais nous croyons que de cet idéal dépendent toute son action, toute son activité, et toute sa vie collective et sociale. Or, pour nous, anarchistes communistes, qui, sans nier la valeur individuelle, prétendons cependant que l'individu est le produit de la collectivité, qu'économiquement il sera toujours subordonné à cette collectivité, nous supposons que sa libération ne peut être que le résultat de 1a libération économique de toute la collectivité. De là à se tracer un but, il n'y a qu'un pas, et nous avons raison de dire que sans ce but la lutte est inexistante ou tout au moins différente. Et, en effet, l'individu estimant qu'il peut dans la société actuelle trouver un bonheur relatif mais satisfaisant, orientera son action autrement que celui qui juge différemment. L'homme guidé par un égoïsme particulier et personnel, qui n'envisage que le présent le plus immédiat, ne sera jamais un révolutionnaire, au sens que nous donnons à ce mot, mais un individualiste bourgeois n'hésitant pas à user de tous les moyens pour satisfaire aux besoins de son individu. En vérité, chacun conçoit une finalité, c'est-à-dire une cause finale, un but.
Un homme qui traverse la vie sans but est semblable à un animal dépourvu de toute intelligence. Selon nous, ce qui différencie l'homme de la bête, c'est justement que le premier se crée indéfiniment de nouveaux besoins matériels, intellectuels et moraux, et provoque ainsi l'évolution de l'humanité, alors que le second n'a apparemment que des besoins spécifiquement matériels. L'homme est sorti de la trivialité et de la bestialité parce qu'il a conçu une cause finale et que toujours il a cherché à l'atteindre. Plus cette cause finale, ce but, est généreux, plus il signale une conquête de l'esprit sur la matière, de l'intelligence sur la force brutale. Chimère, diront certains! Mais non. La civilisation marche à pas lents, mais elle marche, et il nous faut espérer qu'un jour, las de se déchirer, les hommes fraterniseront et tendrement unis, vivront en paix dans un monde harmonique. Poursuivront-ils un autre but, alors ? Qui sait !

FIN n. f. (du latin finis) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Terme, extrémité, bout. Le commencement est la partie que l'on considère comme la première, la fin, celle que l'on considère comme la dernière. La fin de la guerre ; la fin d'un voyage ; la fin d'un livre, la fin du jour ; la fin d'une conspiration ; la fin d'un discours. « En toutes choses, il faut considérer la fin » (La Fontaine). Au figuré : le but que l'on se trace. « La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont plus capables d'un grand effort que d'une grande persévérance » (La Bruyère). Proverbes : « La fin justifie les moyens. Qui veut la fin veut les moyens ». « La fin du monde ». D'après l'évangile, la fin du monde, c'est-à-dire la destruction de la terre et du genre humain surviendra à une époque indéterminée, et sera suivie par un jugement général et public. L'église avait déjà annoncé la fin du monde pour l'an 1.000, elle s'était trompée. Aussi, aujourd'hui est-elle plus sage et ne fixe-t-elle pas de date. De cette façon, elle ne craint aucune erreur et peut reculer cette fin du monde indéfiniment. L'homme est un animal paresseux. Une chose le frappe particulièrement : la mort ; et comme bien souvent il ne s'explique pas ce phénomène, il en conclut que tout doit mourir. L'homme a cru pendant des milliers et des milliers d'années que le monde avait été créé pour lui, et par conséquent il ne concevait pas que, lui ayant un commencement et une fin en tant qu'individu, le monde pût n'avoir ni commencement ni fin. Sur l'ignorance, il fut aisé de bâtir toutes les religions, et il n'est pas étonnant que durant des siècles l'humanité ait été aveuglément dirigée par un être supérieur, d'une puissance surnaturelle. Il coule de source que, si l'on accepte le principe de la création, on accepte forcément celui de la fin. Les deux n'en forment qu'un seul. Admettre un commencement, c'est prétendre qu'à une époque aussi lointaine que puisse la calculer l'imagination humaine, rien n'existait, et qu'un jour, une heure, de ce rien fut créé le tout, par la simple volonté d'un « Créateur ». « Avec rien, on ne fait rien, on ne peut rien faire, nous dit Sébastien Faure dans son Imposture religieuse ; de rien, on ne fait rien, on ne peut rien faire, et l'inoubliable aphorisme de Lucrèce : ex nihilo nihil, demeure l'expression d'une certitude indéniable et d'une évidence manifeste. Je pense qu'on chercherait en vain une personne douée de raison qui puisse concevoir et admettre que de rien on puisse tirer quelque chose, et qu'avec rien .il soit possible de faire quelque chose » (S. Faure, l'Imposture Religieuse, p. 22). Et, en effet, cela est inconcevable. Logiquement, raisonnablement, il faut donc conclure que si rien n'a été créé, il n'y eut pas de commencement, qu'il n'y aura pas de fin, que le monde a toujours existé, qu'il existera toujours, mais qu'il subira indéfiniment des transformations. L'espèce humaine n'est pas l'unique qui peuple la terre, et l'individu qui rapporte tout à soi et ne peut concevoir l'extinction de la race humaine sans y associer immédiatement la « fin du monde », ne se base pas sur la science et la raison, mais sur l'erreur et l’ignorance. Le globe a subi et subira encore des modifications. La forme de la vie n'a pas toujours été ce qu'elle est aujourd'hui, elle ne sera peut-être pas la même demain. « Il est difficile d'avoir toujours présent à l'esprit, écrit Darwin, le fait que la multiplication de chaque forme vivante est sans cesse limitée par des causes invisibles, inconnues, qui, cependant sont très suffisantes pour causer d'abord la rareté et ensuite l'extinction. On comprend si peu ce sujet, que j'ai souvent entendu des gens exprimer la surprise que leur causait l'extinction d'animaux géants, tels que le mastodonte et le dinosaure, comme si la force corporelle seule suffisait pour assurer la victoire dans la lutte pour l'existence. La grande taille d'une espèce, au contraire, peut entraîner dans certains cas, ainsi qu'Owen en a fait la remarque, une plus prompte extinction, par suite de la plus grande quantité de nourriture nécessaire. La multiplication de l'éléphant actuel a dû être limitée par une cause quelconque avant que l'homme habitât l'Inde ou l'Afrique » (Darwin, L'Origine des espèces, pp. 395, 396). L'homme qui prétend possible la destruction de la terre et du genre humain, raisonne comme aurait raisonné un mastodonte ou un dinosaure prétendant que tout allait finir parce que son espèce s'éteignait. Le mastodonte et le dinosaure ont disparu, le monde existe toujours, comme il existera encore si l'espèce humaine s'éteint à son tour. Il n'y a pas eu de commencement, il n'y aura pas de fin. Dieu n'a pas créé l'homme, il n'a pas créé la terre, il n'a rien créé, il ne peut rien détruire. Seule la nature indifférente, agit sans but, sans raison, parce que c'est sa nature d'agir, parce qu'elle est immense et que ce qui est immense n'a pas de but. « Si nos yeux, dit Guyau, pouvaient embrasser l'immensité de l'éther, nous ne verrions partout qu'un choc étourdissant de vagues, une lutte sans fin parce qu'elle est sans raison ; une guerre de tous contre tous. Rien qui ne soit entraîné dans ce tourbillon ; la terre même, l'homme, l'intelligence humaine, tout cela ne peut nous offrir rien de fixe à quoi il nous soit possible de nous retenir, tout cela est emporté dans des ondulations plus lentes, mais non moins irrésistibles ; là aussi, règnent la guerre éternelle et le droit du plus fort » (Guyau, Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction. p. 52). La vie de l'homme a un terme, comme elle a un commencement, mais la vie de la nature est éternelle et c'est parce que nous savons que la nature est infinie et indifférente, qu'après sa mort l'individu est entraîné, englouti par cette nature, que la mort de l'homme est la fin de « l'homme en soi », qu'il ne peut y avoir pour lui de jouissances ultra terrestres, de paradis ni d'enfer, qu'il entre dans le grand tout, que sa vie spirituelle est intimement liée à sa vie corporelle et matérielle, que nous voulons que durant son court passage sur le globe en tant que personnalité, en tant qu'individu fini, il partage avec ses semblables toutes les jouissances que peut procurer la nature. Incroyants, athées, nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas attendre l’illusoire jugement dernier, la fin du monde, pour gagner le paradis. La fin du monde ne vient jamais, ne viendra jamais, mais ce qui vient, c'est la fin de l'homme. Nous voulons qu'il goûte au bonheur durant sa vie, et à cette fin nous travaillons sans cesse pour voir se réaliser une société où l'humanité enfin rénovée sera infiniment heureuse

FILON n. m. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Nom que l'on donne à un amas de matières contenu entre les couches d'une nature différente. Un filon d'argent ; un filon de houille. Découvrir un filon ; exploiter un filon. Les deux faces du filon s'appellent des solbandes, et les parois se nomment les épontes. Au figuré, ce mot signifie avoir trouvé une combinaison agréable, avantageuse, sans danger. Avoir le filon ; c'est un mauvais filon. Il existe des gens qui sont toujours à la recherche du « filon ». Désintéressés de tout ce qui les entoure, agissant avec un égoïsme féroce, ils ne cherchent dans la vie qu'à satisfaire leur petite personnalité, même, s'il le faut, au détriment de leurs semblables. Il est évident que dans une organisation sociale basée sur l'autorité et sur le vol, il existe pour l'homme sans scrupule des filons à exploiter. On ne peut le faire sans nuire à son prochain. Tout se tient dans la société, et il est faux qu'un individu puisse se libérer, seul, de l'étreinte de celle-ci. Celui qui découvre un filon et qui, alors satisfait, se retire de la lutte constante, ininterrompue, que se livrent les exploiteurs et les exploités, prend consciemment ou inconsciemment position en faveur des premiers contre les seconds. On ne peut rester neutre dans la bataille sociale ; et, pour la classe ouvrière, pour le travailleur, il ne peut y avoir de filon, sinon celui de la Révolution sociale, qui assurera le bien-être et la liberté à tous les hommes.

FILM n. m. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Bande pelliculaire, en usage dans les appareils photographiques. Le film sur lequel s'enregistrent les vues prises par l'appareil est formé d'un support transparent, souple, résistant, généralement en celluloïd, et portant une couche sensible photographique. Ce support ayant l'inconvénient d'être inflammable et de présenter ainsi de graves dangers, peut se remplacer par des préparations dérivées de l'acétate de cellulose, beaucoup moins combustibles. On appelle film : le scénario photographique lui-même. Un beau film. Tourner un film, c'est-à-dire enregistrer une scène de cinéma. La représentation des images sur l'écran ; l'étude des mouvements, par le ralenti, la coloration et le relief des images, font du cinéma, un art beaucoup plus vivant et riche de promesses que le théâtre. L'art muet - ainsi qu'on le nomme - évolue sans arrêt et des expériences récentes permettent d'espérer la reproduction, non seulement de la voix - les personnages parleront - mais de tous les bruits, qui seront entendus des spectateurs. Les bruits seront enregistrés sur la bande pelliculaire comme sur un disque de phonographe, et répandus dans la salle par haut-parleurs. Ainsi, pour le plaisir des yeux, des oreilles, le film créera des chefsd'œuvre inouïs. Mais qui peut dire tout ce que nous réserve l'application rationnelle du cinéma à l'éducation de tous : enfants dans les écoles ou foules dans les salles de spectacles? Il y a beaucoup de réalisations dans ce sens déjà, mais les Etats sont toujours chiches de crédits pour l'enseignement. Seule une société qui aura tué la guerre et l'autorité sera assez riche pour mener cette œuvre jusqu'à ses ultimes limites.
-A. LAPEYRE

FILLE n. f. (du latin filia) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Enfant du sexe féminin. Nom que l'on donne à la femme qui n'est pas mariée ; une jeune fille, une vieille fille. Dans l'ordre familial : petite fille : fille du fils ou de la fille, par rapport à l'aïeul ou à l'aïeule. Belle-fille : bru ou fille née d'un premier mariage, par rapport à l'époux nouveau, lorsque l'un des premiers époux se remarie à la suite d'un décès ou d'un divorce. Qui est née à : les filles du désert ; les filles d'occident ; les filles de France. Fille-mère : nom que l'on donne à une femme non mariée et qui a un enfant non reconnu par le père. La lâcheté et la bêtise humaine rendent la vie difficile à la fille-mère. En vertu de préjugés stupides, on lui reproche d'avoir écouté son cœur et de s'être donnée sans préalablement en avoir informé un officier ministériel. C'est bien la honte d'une société ou tout n'est qu'hypocrisie, de faire grief à une femme d'avoir un enfant, alors que l'homme qui commet l'infamie d'abandonner la mère et le petit continue à jouir de l'estime de ses semblables. Fille publique ou fille de joie : femme qui s'adonne à la prostitution. N'estce pas une ironie d'appeler fille de joie ces malheureuses obligées de vendre leur corps et de se livrer au passant, quel qu'il soit, pour arriver à vivre? La prostitution est un vice qui découle directement de la mauvaise organisation sociale, et la fille de joie est une victime de la société bourgeoise. La fille de joie a servi de trame à des romans, à des pièces de théâtre, à des chansons, et elle fut exploitée dans son corps et dans son esprit. En termes sanglants, brefs et brutaux, le célèbre chansonnier populaire Jules Jouy a, dans un poème intitulé « Fille d'ouvriers », décrit le calvaire de ces malheureuses. Edmond de Goncourt, le grand romancier, a, dans sa « Fille Elisa », tracé l'histoire d'une fille publique qui, dans un élan d'amour et de pudeur, tue son amant. L'œuvre de Goncourt est une violente protestation sociale. Est-ce suffisant? Non. La prostitution, la vie de la fille publique sont étroitement liées à une société où tout se négocie, où tout s'exploite, même l'amour ; et ce n'est qu'en détruisant la cause du mal, que disparaîtront la prostitution et les filles publiques. Filles soumises : les filles soumises sont des prostituées inscrites sur les livres de la police, et astreintes à une visite médicale à périodes fixées. Exploitées par les souteneurs, elles le sont également par les agents des mœurs, qui sont les véritables rois de la rue et spéculent sur leur autorité pour leur arracher soit de l'argent, soit des faveurs. Aussi répugnant que soit le commerce de la prostituée, il l'est encore moins que celui de cette police des mœurs, vivant sur le dos de la fille soumise, et se livrant à son exploitation, à l'abri des lois et avec l'appui de toutes les institutions sociales de la bourgeoisie.

FILIERE n. f. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Instrument utilisé dans l'industrie métallurgique pour étirer les fils mécaniques. Outil d'acier servant à fileter en vis. Au figuré : suite d'épreuves à travers lesquelles on passe avant d'atteindre un certain but ou obtenir un certain résultat. Passer par la filière administrative. La filière judiciaire ; la filière parlementaire. La société capitaliste dans son organisation administrative, peut être comparée à un instrument percé d'un nombre incalculable de trous qu'il faut traverser avant de voir se réaliser ses désirs. Que ce soit pour obtenir un emploi ou une fonction administrative, judiciaire, diplomatique, il faut passer par la filière, et donner des preuves de respect pour tout ce qui compose la hiérarchie sociale. Elle est une garantie pour la classe bourgeoise qui évince, par les épreuves consécutives auxquelles elle soumet ses agents, tous ceux qui ne marquent pas des attaches profondes aux institutions modernes. La filière est un filtre qui éloigne de la direction de la chose publique toute individualité logique, intelligente qui ne veut pas se courber devant la routine monotone et stupide de l'administration. Seuls, peuvent passer à travers la filière les lâches et les pleutres, ou les hommes sans scrupules pour qui la fin justifie les moyens, et qui abandonnent leur personnalité pour satisfaire leurs ambitions.

FILIATION n. f. (du latin filiatio, de filius, fils) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Descendance en ligne directe de père en fils. On distingue trois espèces de filiations : la filiation légitime, la filiation naturelle et la filiation adoptive. La filiation est légitime lorsque l'enfant est né pendant le mariage, et qu'il a été régulièrement inscrit sur les registres de l'Etat-Civil ; dans tous les autres cas, la filiation est naturelle. La filiation des enfants naturels peut se justifier par l'acte de naissance ou par un acte de reconnaissance. Mais les enfants adultérins ne peuvent jamais se réclamer de leur ascendance paternelle. La filiation ne se justifie qu'au point de vue légal ; physiologiquement, qu'elle soit légitime ou naturelle, elle est aussi fictive que la filiation adoptive. Bien que pour l'homme sensé jugeant un individu sur sa personnalité et non sur son nom, la filiation soit de peu d'importance, le peuple est encore imbu de certains préjugés en ce qui concerne la reconnaissance légitime des enfants, et un bâtard est encore à ses yeux un être méprisable, comme s'il était responsable des actes de ceux qui lui donnèrent le jour. Ce préjugé disparaîtra avec l'éducation du peuple. Par extension, on emploie le mot filiation pour désigner la liaison, l'enchaînement d'une chose avec une autre. La filiation des mots ; la filiation des idées. « On voit chez les Grecs une belle filiation d'idées romanesques » (Voltaire).

FILATURE n. f. (de filer) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Etablissement où l'on transforme en fil, la soie, la laine ou le coton. Action de filer. La filature des textiles se divise en deux classes : celle de la laine et du coton, et celle de la soie. Avant d'être transformés en fil, la laine comme le coton doivent subir de nombreuses opérations. Le coton est d'abord soumis à l'action de certaines machines qui le débarrassent de ses impuretés ; il est ensuite étiré et transformé en ruban ; ce ruban est à nouveau étiré afin de l'amincir, et s'en va ensuite au métier à filer. La laine, elle, avant d'être livrée au métier à filer, doit être lavée, cardée et peignée. La filature de la soie est une industrie particulière. Tout d'abord, le cocon est plongé dans l'eau bouillante, puis battu avec des rameaux de bruyère, pour accrocher l'extrémité du fil. Ces fils sont ensuite passés à la filière et débarrassés de la gomme dont ils sont imprégnés en les plongeant dans des bains d'eau savonneuse. Ils subissent ensuite le cordage sur des machines appelées moulins à tordre, et enfin, les écheveaux sont livrés au teinturier et au tisserand. Chaque cocon donne environ 300 mètres de fil de soie. L'industrie de la filature entièrement liée à celle du textile, s'est formidablement développée depuis cent ans, grâce aux progrès du machinisme, et l'on est bien loin, aujourd'hui, de l'époque où l'on filait à la quenouille et au rouet. A présent, de puissantes usines se sont montées dans tous les pays, et plus particulièrement en France, en Angleterre, en Russie, dans lesquelles le coton, la soie et la laine sont traités mécaniquement et avec rapidité. Le développement de la filature et de l'industrie textile, comme du reste le développement de tout autre corps d'industrie a donné naissance à un prolétariat qui a à lutter contre les gros magnats de la laine, du coton et de la soie, qui entendent naturellement bénéficier de la plus grande partie - sinon de la totalité - des apports de la science ; et les grands centres textiles du Nord de la France, comme du Centre de l'Angleterre sont souvent agités par des mouvements qui dressent les travailleurs contre leur patronat. La filature, cette industrie si nécessaire, si indispensable à la vie de l'homme, ne sera vraiment prospère, elle ne répondra aux besoins de l'humanité, que lorsqu'elle sera entre les mains des travailleurs filant et tissant utilement pour le bien-être de tous. Au figuré : filature signifie suivre, espionner. « Prendre en « filature » un individu suspect ». La police prend généralement les individus en « filature » avant de les arrêter. Etre filé, c'est-à-dire être suivi. Faites attention, prenez garde, vous êtes filé ; vous êtes pris en filature.