Paris,
le 2 Avril 1871.
L’heure
n’est plus aux déclarations de principes. Depuis hier, la lutte
est engagée. Cette fois la guerre civile a été déchaînée par
ceux qui, pendant deux semaines, on donné un accent sinistre, une
portée sanglante à ces grands mots : l’ordre, la loi.
Eh
bien, même à cette heure terrible, la Révolution du 18 mars, sûre
de son idée et de sa force, n’abandonnera pas son programme. Si
loin que puissent l’entraîner les nécessités de la guerre, si
nouvelle que soit la situation où elle se trouve placée, la Commune
n’oubliera pas qu’elle n’a pas été élue pour gouverner la
France, mais pour l’affranchir, en faisant appel à son initiative,
en lui donnant l’exemple.
Mais
si la Commune de Paris entend respecter plus droit de la France, elle
n’entend pas ménager plus longtemps ceux qui ne représentant même
plus le despotisme des majorités, ayant épuisé leur mandat,
viennent aujourd’hui attenter à son existence.
Des
esprits impartiaux et neutres l’ont reconnu, Paris était hier, il
est aujourd’hui surtout à l’état de belligérant. Tant que la
guerre n’aura pas cessé par la défaite ou la soumission d’une
des deux parties en la défaite ou la soumission d’une des deux
parties en présence, il n’y aura pas à délimiter les droits
respectifs. Tout ce que Paris fera contre l’agresseur sera légitimé
par ce fait qui constitue un droit, à savoir : défendre son
existence.
Et
qui donc a provoqué ? Qui donc, depuis deux semaines, a le plus
souvent prononcé les paroles de violence et de haine ? N’est-ce
pas ce pouvoir tout gonflé d’orgueil et de raison d’Etat qui,
voulant d’abord nous désarmer pour nous asservir, et s’insurger
contre nos droits primordiaux, même après sa défaite, nous
traitait encore d’insurgés ? D’où sont venues, au contraire,
les pensées de pacification, d’attributions définies, de contrat
débattu, sinon de Paris vainqueur ?
Aujourd’hui
l’ennemi de la cité, de ses volontés manifestées par deux cent
mille suffrages, de ses droits reconnus même des dissidents, lui
envoie non des propositions de paix, pas même un ultimatum, mais
l’argument de ses canons ; ses gendarmes lèvent la crosse en l’air
en signe d’alliance, et lorsque nous avançons pour fraterniser,
ils nous fusillent à bout portant ; ses obus éclatent au milieu de
nous et tuent nos jeunes filles !
Voilà
donc enfin cette répression annoncée, promise à la réaction
royaliste, préparée dans l’ombre comme un forfait par ceux-là
mêmes qui, pendant de si longs mois, bernèrent notre patriotisme
sans user notre courage.
A
cette provocation, à cette sauvagerie, la commune a répondu par un
acte de froide justice. Ne pouvant encore atteindre les principaux
coupables dans leurs personnes, elle les frappe dans leurs biens.
Cette mesure de stricte justice sera ratifiée par la conscience de
la cité, cette fois unanime.
Mais
si les plus coupables, les plus responsables sont ceux qui dirigent,
il y a des coupables aussi, des responsables parmi ceux qui
exécutent. Il y a surtout ce parti du passé qui, pendant la guerre,
mettait sa valeur au service de ses privilèges et de ses traditions,
bien plus qu’au service de la France, qui en combattant ne pouvait
défendre notre patrie, puisque depuis 89 notre patrie, ce n’est
pas seulement la vieille terre natale, mais aussi les conquêtes
politiques, civiles et morales de la Révolution.
Ces
hommes loyaux, peut-être, mais fanatiques à coup sûr, se sont
réunis sans honte aux bandes policières. Ils sont atteints dans
leur parti d’après cette loi fatale de solidarité à laquelle nul
n’échappe. La mesure qui les frappe n’est d’ailleurs que le
retour aux principes mêmes de la Révolution française, en dehors
de laquelle ils se sont toujours placés. C’est une rupture qui
devait amener tôt ou tard la logique de l’idée.
Leur
alliance avec le pouvoir bâtard qui nous combat n’est, en effet,
au point de vue de leur croyance et de leurs intérêts, que le
devoir et la nécessité même. Rebelles à une conception de la
justice qui dépasse leur foi, c’est à la Révolution, à ses
principes, à ses conséquences qu’ils font la guerre. Ils veulent
écraser Paris, parce qu’ils pensent du même coup écraser la
pensée, la science libre ; parce qu’ils espèrent substituer au
travail joyeux et consenti la dure corvée subie par l’ouvrier
résigné, par l’industrie docile, pour entretenir dans sa
fainéantise et dans sa gloire leur petit monde de supérieurs.
Ces
ennemis de la Commune veulent nous arracher non seulement la
république, mais aussi nos droits d’hommes et de citoyens. Si leur
cause antihumaine venait à triompher, ce ne serait pas seulement la
défaite du 18 mars, mais aussi du 24 février, du 22 juillet, du 10
août.
Donc
il faut que Paris triomphe ; jamais il n’a mieux représenté
qu’aujourd’hui les idées, les intérêts, les droits pour
lesquels ses père ont lutté et qu’ils avaient conquis.
C’est
ce sentiment de l’importance de son droit, de la grandeur de son
devoir qui rendra Paris plus que jamais unanime. Qui donc oserait,
devant ses concitoyens tués ou blessés, à deux pas de ces jeunes
filles mitraillées, qui donc oserait, dans la cité libre, parler le
langage d’un esclave ? Dans la cité guerrière, qui donc oserait
agir en espion ?
Non
? toute dissidence aujourd’hui s’effacera, parce que tous se
sentent solidaires, parce que jamais il n’y a eu moins de haine,
moins d’antagonisme social ; parce qu’enfin de notre union dépend
notre victoire.
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