samedi 14 juillet 2018

Journal de la Commune


Paris, le 2 Avril 1871.

L’heure n’est plus aux déclarations de principes. Depuis hier, la lutte est engagée. Cette fois la guerre civile a été déchaînée par ceux qui, pendant deux semaines, on donné un accent sinistre, une portée sanglante à ces grands mots : l’ordre, la loi.
Eh bien, même à cette heure terrible, la Révolution du 18 mars, sûre de son idée et de sa force, n’abandonnera pas son programme. Si loin que puissent l’entraîner les nécessités de la guerre, si nouvelle que soit la situation où elle se trouve placée, la Commune n’oubliera pas qu’elle n’a pas été élue pour gouverner la France, mais pour l’affranchir, en faisant appel à son initiative, en lui donnant l’exemple.
Mais si la Commune de Paris entend respecter plus droit de la France, elle n’entend pas ménager plus longtemps ceux qui ne représentant même plus le despotisme des majorités, ayant épuisé leur mandat, viennent aujourd’hui attenter à son existence.
Des esprits impartiaux et neutres l’ont reconnu, Paris était hier, il est aujourd’hui surtout à l’état de belligérant. Tant que la guerre n’aura pas cessé par la défaite ou la soumission d’une des deux parties en la défaite ou la soumission d’une des deux parties en présence, il n’y aura pas à délimiter les droits respectifs. Tout ce que Paris fera contre l’agresseur sera légitimé par ce fait qui constitue un droit, à savoir : défendre son existence.
Et qui donc a provoqué ? Qui donc, depuis deux semaines, a le plus souvent prononcé les paroles de violence et de haine ? N’est-ce pas ce pouvoir tout gonflé d’orgueil et de raison d’Etat qui, voulant d’abord nous désarmer pour nous asservir, et s’insurger contre nos droits primordiaux, même après sa défaite, nous traitait encore d’insurgés ? D’où sont venues, au contraire, les pensées de pacification, d’attributions définies, de contrat débattu, sinon de Paris vainqueur ?
Aujourd’hui l’ennemi de la cité, de ses volontés manifestées par deux cent mille suffrages, de ses droits reconnus même des dissidents, lui envoie non des propositions de paix, pas même un ultimatum, mais l’argument de ses canons ; ses gendarmes lèvent la crosse en l’air en signe d’alliance, et lorsque nous avançons pour fraterniser, ils nous fusillent à bout portant ; ses obus éclatent au milieu de nous et tuent nos jeunes filles !
Voilà donc enfin cette répression annoncée, promise à la réaction royaliste, préparée dans l’ombre comme un forfait par ceux-là mêmes qui, pendant de si longs mois, bernèrent notre patriotisme sans user notre courage.
A cette provocation, à cette sauvagerie, la commune a répondu par un acte de froide justice. Ne pouvant encore atteindre les principaux coupables dans leurs personnes, elle les frappe dans leurs biens. Cette mesure de stricte justice sera ratifiée par la conscience de la cité, cette fois unanime.
Mais si les plus coupables, les plus responsables sont ceux qui dirigent, il y a des coupables aussi, des responsables parmi ceux qui exécutent. Il y a surtout ce parti du passé qui, pendant la guerre, mettait sa valeur au service de ses privilèges et de ses traditions, bien plus qu’au service de la France, qui en combattant ne pouvait défendre notre patrie, puisque depuis 89 notre patrie, ce n’est pas seulement la vieille terre natale, mais aussi les conquêtes politiques, civiles et morales de la Révolution.
Ces hommes loyaux, peut-être, mais fanatiques à coup sûr, se sont réunis sans honte aux bandes policières. Ils sont atteints dans leur parti d’après cette loi fatale de solidarité à laquelle nul n’échappe. La mesure qui les frappe n’est d’ailleurs que le retour aux principes mêmes de la Révolution française, en dehors de laquelle ils se sont toujours placés. C’est une rupture qui devait amener tôt ou tard la logique de l’idée.
Leur alliance avec le pouvoir bâtard qui nous combat n’est, en effet, au point de vue de leur croyance et de leurs intérêts, que le devoir et la nécessité même. Rebelles à une conception de la justice qui dépasse leur foi, c’est à la Révolution, à ses principes, à ses conséquences qu’ils font la guerre. Ils veulent écraser Paris, parce qu’ils pensent du même coup écraser la pensée, la science libre ; parce qu’ils espèrent substituer au travail joyeux et consenti la dure corvée subie par l’ouvrier résigné, par l’industrie docile, pour entretenir dans sa fainéantise et dans sa gloire leur petit monde de supérieurs.
Ces ennemis de la Commune veulent nous arracher non seulement la république, mais aussi nos droits d’hommes et de citoyens. Si leur cause antihumaine venait à triompher, ce ne serait pas seulement la défaite du 18 mars, mais aussi du 24 février, du 22 juillet, du 10 août.
Donc il faut que Paris triomphe ; jamais il n’a mieux représenté qu’aujourd’hui les idées, les intérêts, les droits pour lesquels ses père ont lutté et qu’ils avaient conquis.
C’est ce sentiment de l’importance de son droit, de la grandeur de son devoir qui rendra Paris plus que jamais unanime. Qui donc oserait, devant ses concitoyens tués ou blessés, à deux pas de ces jeunes filles mitraillées, qui donc oserait, dans la cité libre, parler le langage d’un esclave ? Dans la cité guerrière, qui donc oserait agir en espion ?
Non ? toute dissidence aujourd’hui s’effacera, parce que tous se sentent solidaires, parce que jamais il n’y a eu moins de haine, moins d’antagonisme social ; parce qu’enfin de notre union dépend notre victoire.

Aucun commentaire: