Numéro
Spécial Anti-Patriarcat
Christine
Delphy
« Une des phrases qu'on entend répéter depuis
des centaines d'années et à chaque fois qu'il y a une conférence
du gouvernement sur la famille : « 'La famille est la
cellule de base de la société. ». Avec cette analogie
finalement biologique : le corps est constitué de cellules, la
société est constitué de cellules, le parti communiste aussi est
constitué » de cellules...En s'additionnant, toutes ces
cellules forment des membres qui en les additionnant donnent aussi
des corps. Or, cette vision par addition de petites cellules de base
qui formeraient la société est complètement fausse. Il n'y a
jamais eu de cellules de base composées de papa-maman-bébé qui
parcouraient la savane et qui s'agglutinaient pour former de plus
gros groupes qui eux-même se rassemblaient pour former des
sociétés. »
« Quand on parle de la famille, ou des femmes ou
de n'importe quelle autre catégorie, je pense qu'il faut renoncer à
l'idée que l'on a un groupe préconstitué, et qu'ensuite des
pratiques s'appliquent à lui. Par exemple, il y des règles qui
s'appliquent aux enfants : on pourrait croire que les enfants
sont un groupe qui préexiste à ces règles. Je dirais au contraire
que les enfants sont d'abord des gens à qui s'appliquent ces
règles-là, et que ces règles les rendent enfants. Qu''est ce qu'un
enfant ? C'est, entre autres choses, quelqu'un qui va à l'école
et qui appartient à des parents. Ensuite, on peut le rationaliser en
disant : « il faut que ce soit comme ça, parce qu'un
enfant n'a pas suffisamment de compétences, etc. » mais il est
d'abord défini par toutes les interdictions et les contraintes qui
s'appliquent à lui et par le fait qu'il est un mineur. Et si on
regarde le sens de « mineur », cela signifie tout
simplement : qui n'est pas un sujet de droit. Les enfants ne
sont pas des citoyens, c'est la première chose qui les défini. Ils
n'ont pas droit aux protections usuelles de la loi. »
« Par rapport aux violences conjugales, il est
question du droit de la famille, ou plutôt du fait que l'entrée
dans des relations familiales ( ce qui ne veut pas dire dans un lieu
physique comme l'appartement familial) fait que les règles du public
sont suspendues. Je donne un exemple très simple : si on voit
dans la rue un homme gifler une femme, généralement, des gens vont
s'interposer après un temps d'arrêt, le temps de savoir si il y a
des relations de type marital entre eux. Et il suffit que l'homme
dise « c'est ma femme » pour que tout le monde s'arrête
comme s'il avait le droit de le faire. Donc, la question n'est pas
l'endroit où cela se passe puisque cela peut se passer dans un
endroit public, mais le type de relation. On s'aperçoit que la
relation qu'ils ont est sanctionnée par la société, pas seulement
par le droit mais aussi par les passants qui respectent d'habitude la
règle de non violence entre les gens, mais qui appliquent une autre
règle dès lors que les gens ont des relations conjugales. Au sens
de lieu sociologique, la famille est un endroit où le droit commun
qui régit les rapports de tout le monde avec tout le monde est
suspendu et où un autre droit s'applique. »
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