Edmond
S…, agent principal d’une compagnie d’assurances domicilié rue
Saint-Dominique, possède près de Ville-d’Avray une petite
propriété. Lorsqu’il s’y rendit après le départ de l’ennemi,
il fut satisfait de voir que la maison, qui avait été occupée par
un officier prussien, avait subi peu de dégâts. Plusieurs arbres
fruitiers et d’agrément avaient été coupés dans le jardin.
Dans
la chambre à coucher, la glace de la cheminée était brisée ; la
tenture gris-bleu avait été arrachée en maints endroits, notamment
dans l’alcôve, et avait laissé reparaître un ancien papier vert
velouté sur lequel elle avait été collée. Cependant, le lit avec
les rideaux étaient intacts, ainsi que les autres meubles. Après
avoir fait ces constatations, M. Edmond S…, revint à Paris. Il y a
deux jours, il s’en retournait à sa maison en compagnie d’un
maçon qu’il connaissait et de son ouvrier. Le temps étant
magnifique, les trois voyageurs s’attardèrent à examiner le
ruines du palais et de la ville de Saint-Cloud, puis dînèrent chez
un ami et se promenèrent tant et si bien, qu’il était nuit quand
ils arrivèrent à la propriété.
Il
fallut remettre au lendemain l’examen des réparations à faire. M.
Edmond S… gagna son lit ; ses compagnons s’installèrent comme
ils purent dans la pièce voisine de la chambre à coucher.
Vers
quatre heures du matin, ces derniers furent éveillés par les cris :
« Au secours ! à l’assassin ! à l’assassin ! » proférés
d’une voix étouffée par M. Edmond S… et suivis de profonds
gémissements. Après avoir inutilement frappé à la porte,
intérieurement fermée au verrou, ils l’enfoncèrent et trouvèrent
l’agent d’assurances étendu, presque mourant, sur son lit. Son
visage était contracté et offrait l’image de la plus profonde
terreur. Les volets étaient clos ; rien dans la chambre ne
paraissait dérangé. Lorsque les soins donnés au sieur S… lui
eurent rendu un peu de calme, il raconta qu’il avait été éveillé
par un sentiment de pesanteur sur tout son corps. Alors il aperçut
devant lui un monstre hideux, une sorte de grand singe verdâtre
accroupi, avec un oeil unique et rouge, le regardant d’un air
sinistre. Le fantôme s’était jeté sur lui, avait fouillé
longtemps au fond de sa poitrine en y enfonçant ses ongles aigus,
puis lui avait brûlé les yeux d’un fer rouge et aurait disparu
par une trappe enflammée. Le maître maçon envoya son ouvrier
chercher un médecin. Le messager fut obligé d’aller jusqu’à
Paris pour en ramener un. Le docteur examina le malade, visita sa
chambre et lui dit : — Vous avez été empoisonné par de
l’arséniate de cuivre. Le malade pâlit, ainsi que les deux hommes
qui craignaient d’être accusés de ce crime.
— Le
coupable, continua le médecin, n’est point justiciable des
tribunaux. C’est le papier de votre chambre, il a été préparé
avec du vert de Scheele, qui contient une forte quantité d’arsenic.
La tenture déchirée ayant mis à nu ce papier très ancien, on en
fait tomber, comme vous voyez, au moindre mouvement, une poussière
verte qui est empoisonnée. Pendant votre sommeil, cette poussière
presque impalpable s’est introduite par les narines, par les yeux,
par la gorge jusque dans les voies pulmonaires. La suffocation de
votre poitrine et la fièvre de votre cerveau ont enfanté le
cauchemar qui vous a obsédé.
Si
les secours eussent tardé, vous auriez été en danger de mort. Nous
allons voir à vous changer d’air en vous transportant dans une
maison voisine où je vous remettrai promptement sur pied. Dans
l’intervalle, on arrachera le papier vert qu’on brûlera et qu’on
remplacera par un autre, et vous pourrez sans crainte habiter votre
chambre. Une médication énergique a effectivement triomphé de
l’intoxication ; mais le médecin a déclaré au malade qu’il
aurait à souffrir pendant quelques mois d’une conjonction
palpébrale, sorte d’ophtalmie douloureuse et tenace, dont le temps
seul amènerait la guérison.
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