samedi 30 avril 2022

Chroniques politiques de 1931 - 1940 par Maurice Blanchot

 

"L’Histoire désarmée »

L’internationalisme s’occupe de l’histoire. La Conférence de La Haye pour l’enseignement des sciences historiques a constitué une première manifestation, d’ailleurs timide, de cet état d’esprit. À Genève, le comité du désarmement moral, suivant les indications de M. de Monzie, a pensé que son premier soin devait être de désarmer l’histoire, en veillant sur les publications scolaires et les manuels destinés à la jeunesse. La proposition anglo-américaine qui a été rendue publique hier s’inspire de considérations analogues et cherche à mettre les méthodes d’enseignement au service des idées nouvelles.

Ces initiatives ne sont pas surprenantes. Ce qui surprend davantage, ce sont les principes auxquels elles se réfèrent et dont le désordre a cessé de toucher les esprits. Il paraît naturel aujourd’hui que l’histoire subisse une mise au point pour se prêter aux ambitions pacifistes. On n’éprouve aucune gêne à la faire servir à des desseins qu’elle ignore et à la transformer pour la rendre profitable. C’est un progrès assez sensible dans l’usage des falsifications dont elle a été l’objet. Jadis, les contrefaçons se forgeaient en silence, opéraient avec les apparences engageantes de la bonne foi, rendaient hommage à la vérité en lui empruntant son masque. Ou bien ceux qui craignaient les séductions de l’histoire se contentaient, avec plus de profondeur ou plus de simplicité, de la déclarer inutile, ruinée par ses incertitudes, incapable de rien enseigné, parce que [in]accessible à toute démonstration.

Tant de précautions paraissent aujourd’hui bien superflues. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire la motion qui a été votée au comité du désarmement moral et qui reproduit les suggestions de M. de Monzie. Notre ministre de l’Éducation nationale a d’abord déclaré que la France était pour sa part à peu près en règle : « grâce à la coalition discrète des maîtres de l’enseignement, tout chauvinisme a été éliminé des manuels scolaires français ». M. de Monzie, qui a toutes les habiletés de langage, sait manier l’euphémisme : on ne connaît que trop dans quel esprit sont rédigés la plupart des manuels où les écoliers de France apprennent leur histoire ; un parti pris de dénigrement, les escamotages les plus audacieux en faussent les perspectives chaque fois que le sentiment national trouverait son compte à l’honnête récit des événements. Des préoccupations qui sont bien étrangères à tout souci d’objectivité et plus encore à tout chauvinisme les transforment en véritables instruments de propagande et justifient cette réflexion de l’historien belge Pirenne que rappelait M. Charles Delvert : « À lire vos livres d’histoire, on croirait qu’ils sont écrits par des ennemis de la France . »

Mais ces satisfactions données à l’internationalisme ne suffisent pas à M. de Monzie, qui a imaginé un plan d’une plus grande envergure : selon sa proposition, les jeunes Français devraient apprendre l’histoire de l’Allemagne dans des ouvrages rédigés par des Allemands, et vice versa 8. Cette suggestion est peu flatteuse pour les historiens des deux pays, jugés incapables de respecter une vérité qu’ils n’aiment pas ; elle est encore plus injurieuse pour l’histoire qui apparaît livrée aux passions non seulement de ceux qui la font, mais aussi de ceux qui l’écrivent. À vrai dire, les membres du comité du désarmement moral n’y regardent pas de si près : ils se contentent d’appliquer à l’enseignement des faits historiques les méthodes qui ont cours dans les conférences internationales et qui ont pour objet de découvrir coûte que coûte un compromis ; chacun doit y mettre un peu du sien : les historiens français céderont leur droit sur l’histoire de l’Allemagne, les historiens allemands, sur l’histoire de la France, l’histoire cédera ses droits sur la vérité, et tout sera pour le mieux.

Mais cela ne suffit pas encore : les manuels internationaux, selon la rédaction du comité de Genève, devront contenir un exposé objectif des thèses contradictoires relatives à l’interprétation des événements historiques. On prévoit donc le cas où, l’accord n’ayant pu se faire entre les savants, l’oeuvre de réconciliation devra être réalisée par les jeunes esprits dont le discernement et le sens critique seront mis à une rude épreuve. Il est inutile de souligner les rares imprudences de cette méthode, et les défaites, exactement la démission qu’elle exige de l’historien ; mieux vaut supprimer l’enseignement de l’histoire si elle ne peut proposer à l’enfant que les doutes et les incertitudes infinies auxquelles est exposée toute discipline de l’esprit humain ; mieux vaut supprimer les manuels, réduits à enregistrer mille voix opposées, l’ensemble cacophonique des témoignages contraires. Mais le dessein des rédacteurs de Genève, et, on regrette d’avoir à le dire, de M. de Monzie n’est point de mettre à la disposition des enfants les méthodes de la critique transcendante. Il s’agit surtout de désarmer l’histoire dont les contestations peuvent être gênantes pour les internationalistes germanophiles. On imagine sans peine quels avantages ils tireraient de cette méthode dans l’exposé de faits importants, par exemple, des origines de la guerre de 1914 : sous l’apparence redoutable de l’objectivité et du respect des jugements historiques, les interprétations tendancieuses, les allégations mensongères seraient accréditées et recevraient finalement un traitement de faveur. Il est naturel que ceux qui y ont intérêt cherchent à obscurcir les constatations historiques qui les gênent et à transformer l’histoire en un instrument de manœuvre contre le traité de Versailles. Ce qui l’est moins, c’est que nous y prêtions la main.

C’est là le signe d’un état d’esprit dont, en bien d’autres cas, nous avons vu les manifestations dangereuses. Pour arriver à leurs fins, les pacifistes et les partisans du désarmement à tout prix ne tiennent compte ni des faits, ni des exigences de la vérité ; quand celle-ci les gêne, ils y substituent d’un coeur léger des fictions menteuses sur lesquelles ils poursuivent librement leur rêve. Ils vivent ainsi dans un système de conventions et d’apparences au sein duquel ils échafaudent leurs constructions idéologiques. Aujourd’hui, ils pensent, en la truquant, faire servir l’histoire à la paix. On a honte d’avoir à leur dire que seule la vérité peut servir la paix, et que, en définitive, selon la parole de Fustel de Coulanges soucieux de marquer la dignité de cette science, l’histoire ne sert à rien.

 

Journal des débats, 21 juillet 1932, à la Une

Chroniques politiques des années 1931 - 194O par Maurice Blanchot

 "Le rajeunissement de la politique"    

On a affirmé souvent que les démocraties ne savaient pas intéresser le peuple à son destin et ne l'associaient qu'abstraitement à un pouvoir dont elles prétendaient lui réserver l'usage légitime. Beaucoup de braves gens, aujourd'hui encore, se refusent à participer même modestement à l'action politique. Ils voudraient bien que tout s'arrangeât. Ils ne voient pas ce que la vie politique gagnerait à leur intervention. Pendant très longtemps, cet état d'esprit a été partagé par les écrivains, les intellectuels, par les élites les plus diverses. Le dégoût que leur inspiraient les combinaisons politiciennes, la répugnance qu'ils montraient à mêler les idées aux intérêts, les exigences mêmes de l'action qui ne se conforme point aux préoccupations d'une pensée subtile et nuancée, semblaient les justifier de ne pas prendre part aux débats. 

Il y avait beaucoup de puérilité dans ces raisons. Il y avait surtout dans cette attitude un refus assez périlleux de s’engager et, pour chacun, une impuissance inquiétante à prendre mesure sur les événements de ses sentiments et de ses ambitions. On ne peut donc qu’accorder une grande importance aux signes d’un « rajeunissement de la politique » qui est annoncé d’abord par une renaissance de la politique. Dans un ensemble d’essais qu’ont réunis sous ce titre M. Pierre d’Exideuil et plusieurs jeunes écrivains 1, quelques témoignages sur ce sujet offrent un grand intérêt. La force d’une même conclusion donne sa consistance à un débat où sont intervenus des esprits assez divers qui n’ont pas eu le dessein d’atténuer leur diversité : il faut que la pensée vienne nourrir la vie politique. Pour M. Pierre d’Exideuil, cette conclusion exprime la nécessité d’une culture politique. Non seulement la nation est généralement tenue dans l’ignorance, mais elle est  incapable d’apprécier la réussite des gouvernements, leur échec ; elle est insensible à la leçon des événements. Elle ne peut échapper aux faux calculs des partis et aux incertitudes de son instinct qu’en appliquant à la politique un sens critique qui est, nous semble-t-il, le bon sens restauré et aidé par l’expérience. C’est la même idée que M. Daniel-Rops développe très fortement : le bilan qu’il dresse de notre situation n’est pas favorable aux intellectuels. Leur désintéressement en ces sortes de questions marque plutôt la démission d’une charge qu’ils ont craint d’assumer. Si la faillite de l’État est trop certaine, c’est que, trop souvent, le sentiment politique a manqué aux individus. La politique a sans doute trahi l’esprit. Mais l’esprit a commencé par trahir la politique. M. Daniel-Rops répond brillamment aux objections qu’on peut élever au nom d’une prétendue morale des clercs qui imposeraient à l’intellectuel de se désintéresser de la chose publique. Il peut lui arriver de s’en désintéresser : il lui arrivera difficilement de se soustraire aux conditions politiques que demande l’exercice désintéressé de sa pensée. Il lui faudra bien être sensible aux signes du désastre qui menace l’héritage de notre civilisation et qui le minerait, lui héritier privilégié, plus que tout autre. Telles sont également les conclusions de M. Jean Maxence, qui reprend ici des idées qu’il soutient depuis longtemps déjà avec courage et avec talent. Sans doute, dans le livre que nous signalons, le rajeunissement de la politique exprime surtout une nécessité, le besoin de rompre avec les explications conventionnelles, les formules toutes faites, les cadres ordinaires de l’action politique. Il nous semble que M. Pierre Cot se trompe, lorsque, dans le même livre, il ébauche « un plan de rajeunissement à l’usage du parti radical-socialiste ». C’est là une entreprise assez singulière, quoique l’ambition soit honorable. M. Cot admet que le parti radical a besoin d’être rajeuni. Il fait même un effort méritoire : il reconnaît que les luttes pour la laïcité sont périmées. Puis, il présente le programme pour lequel les jeunes générations sont appelées à s’enthousiasmer : le stade du patriotisme étant dépassé, la politique radicale ne sera ni une politique du prestige, ni une politique d’impérialisme ; elle combattra en faveur de l’organisation internationale de la paix et de l’école unique. Il annonce encore que les radicaux devront lutter contre le capitalisme et il affirme que, s’il faut absolument choisir entre Socialisme et Capitalisme, au nom de l’Individualisme il choisirait le Socialisme. En terminant sur ce sujet, M. Cot écrit enfin cette phrase qui est bien belle : « Les idées développées par Daladier ont fait le point et opéré ici le rajeunissement nécessaire. »Nous croyons que M. Cot se fait des illusions. Si la politique a besoin d’être rajeunie, c’est qu’elle est accaparée par les idées dont il tente l’émouvant sauvetage, et par d’autres du même genre. Toutes ces anciennes erreurs, ces programmes qu’épuisent les vieilles formules, ces combinaisons de mots fatigués ne représentent plus guère, pour les générations nouvelles, que des ambitions tenaces et des intérêts persévérants. Si jamais une réaction de jeunesse devient nécessaire, il y a vraiment bien peu de chances pour qu’elle se produise en faveur du radicalisme sénatorial et du jacobinisme sectaire. – M. BL.

Journal des débats, 2 mai 1932, à la Une

mardi 26 avril 2022

Bibliothèque Fahrenheit 451

 

LES JOURNÉES ROUGES

L’écrivain socialiste Thomas Bogen sacrifie tout à son idéal, jusqu’à sa compagne, qu’il néglige, jeune bourgeoise rejetée par sa famille pour l’avoir suivie, et leur enfant. Ils survivent, « réduits à crever de faim », jusqu’à ce que ses articles, véritables « professions de foi », attirent l’attention du chef du parti, qui lui octroie salaire fixe et responsabilités. Puis éclate la révolution.
Sans concessions, il vit dans « un monde qui reste encore à bâtir » mais sa conscience rechigne à se soumettre à la moindre discipline qui entraverait sa liberté : « Renoncer à ses idées, se compromettre ! Mentir ! Mais quoi qu’il fasse, il n’échapperait pas au mensonge : s’il entrait au parti, il y aurait là aussi de toute façon un fossé entre l’adhésion à la doctrine et l’esprit de celle-ci, que seul le mensonge pourrait combler. » Lorsqu’il cède pourtant, acceptant de modifier ses articles pour suivre la stratégie du parti, de renouer avec sa belle-famille qui va subvenir aux besoins de son foyer, les scrupules le rattrapent, le hantent et le torturent. On ne comptera pas le nombre de fois où il s’évanouit, terrassé par une disjonction cognitive. Pour être en paix avec lui-même, « pour accéder à la libération intérieure », il devancera son arrestation et acceptera la prison.
Quand le parti révolutionnaire triomphe, les conservateurs d’hier, comme la famille de sa femme et leurs proches, retournent leur veste pour défendre leurs intérêts. D’autres, comme le docteur Hablos, comprennent soudain : « Ce n'était pas pour l’or et les espèces sonnantes et trébuchantes, pas pour les billets de banque, les obligations, les actions et les titres que la masse du peuple se battait.
Le peuple se battait pour être éclairé ! Libéré des geôles de la misère intellectuelle !
Voilà le but qu'il poursuivait ! 
»

Pourtant, Thomas Bogen, encore et toujours, refuse le pouvoir et ses compromissions. Pour lui, « la révolution consiste à enflammer le peuple, à le purifier ! La révolution, c'est la destruction de ce qui existe. La renaissance ! ». Mais il perçoit chez ceux qui s’apprêtent à gouverner « l’avidité caractéristique du chef ». « Les convictions se négociaient… comme à la bourse ! » « Ses sentiments ardents se désagrégeaient dans la fange de la réalité. Rien n'avait changé. »

Au-delà de la personnalité de ce personnage, c’est toute une sociologie des coulisses du pouvoir qui est dévoilée. « Les hommes se distinguent uniquement par leurs actes. L’imbécile qui est entré en poste dans un ministère à la faveur de son arbre généalogique, qui charrie dans ses veines les péchés de ses ancêtres depuis des générations, ne vaut pas mieux que le maquereau qui cogne sa pute et boit ses gains. » « Des araignées, oui, les hommes étaient un genre d'araignée. Ils tissaient autour d’eux une toile de concepts imaginaires destinée à emberlificoter leurs congénères. Une fois pris au piège, ces derniers se trouvaient livrés, impuissants, à un prédateur avide d'assouvir ses pulsions. » Plus qu’une histoire de la révolution allemande vue par quelques uns de ses protagonistes, August Hermann Zeiz met en scène l’éternel conflit entre l’engagement idéaliste et la realpolitik, justification de toutes les compromissions.


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


LES JOURNÉES ROUGES
August Hermann Zeiz
Traduit de l’allemand par Élisabeth Willenz
210 pages – 17 euros
Éditions La Dernière goutte – Bordeaux – Avril 2018
www.ladernieregoutte.fr/livres/les-journees-rouges/
Titre original : Die roten Tage, Erich Reiss Verlag, Berlin, 1920

lundi 25 avril 2022

Demain les kids Thièfaine

 Les charognards titubent au-dessus des couveuses

& croassent de lugubres & funèbres berceuses
Kill the kid
Pendant que nos sorcières sanitaires & barbues
Centrifugent nos clones au fond de leurs cornues
Kill the kid
Dans les ruines de l'école où brûle un tableau noir
Une craie s'est brisée en écrivant : espoir
Kill the kid
Déjà les mitrailleuses ont regagné leurs nids
Seule une mouche bourdonne sur la classe endormie
Kill the kid .../... Kill the kid
Les guerriers de l'absurde & de l'enfer affrontent
Les délices de la mort sous le fer de la honte
Kill the kid
Beyrouth aéroport ou Mozambic city
Le sang des tout-petits coule aux surprises-parties
Kill the kid
Sacrifiez les enfants / fusillez les poètes
S'il vous faut tout ce sang pour animer vos têtes
Kill the kid
S'il vous faut tout ce sang pour jouir à vos fêtes
Sacrifiez les enfants / fusillez les poètes
Kill the kid .../... Kill the kid .../... Kill the kid
Quelque épave au regard usé par le délire
Poursuit dans sa folie le chant d'un enfant-lyre
Kill the kid
& dans ses yeux squameux grouillant de noires visions
Le désir se transforme en essaim de scorpions
Kill the kid
Petite poupée brisée entre les mains salaces
De l'ordure ordinaire putride & dégueulasse
Kill the kid
Tu n'es plus que l'otage la prochaine victime
Sur l'autel écoeurant de l'horreur anonyme
Kill the kid
Sacrifiez les enfants / fusillez les poètes
S'il vous faut tout ce sang pour animer vos têtes
Kill the kid
S'il vous faut tout ce sang pour jouir à vos fêtes
Sacrifiez les enfants / fusillez les poètes
Kill the kid .../... kill the kid .../... kill the kid
Les charognards titubent au-dessus des couveuses
& croassent de lugubres & funèbres berceuses
Kill the kid
Pendant qu'un Abraham ivre de sacrifices
Offre à son dieu vengeur les sanglots de son fils
Kill the kid
Mais l'ovule qui s'accroche au ventre de la femme
A déjà mis son casque & sorti son lance-flamme
Kill the kid
Attention monde adulte inutile & chagrin
Demain les kids en armes / demain les kids enfin
Demain les kids

dimanche 24 avril 2022

Le droit n'est pas un devoir

 "Le vote est un droit. Il devrait être respecter, mais ceux qui l'appellent "devoir " sont déjà ceux qui en pervertissent le pouvoir.

Il ne devient "devoir" que lorsqu'on adjoint à ce droit une force morale
que l'on s'impose à soi-même,
que l'histoire peut nous imposer,
que 'notre sexe" peut nous imposer quant à un hommage aux suffragettes,
comme un devoir que la presse nous impose subrepticement.
Nous constatons que la guerre sémantique se poursuit et les "élus" du second tour sont le symbole des amalgames, des mots dégager de leur réelle substance, de la sémantique qui s'appauvrit, du confusionnisme comme une réalité.
N'oublions jamais que ces personnes ne survivent que de ces instances en état de mort cérébrale.
Le vote obligatoire ne serait plus un droit et l'abstention politique deviendrait un délit.
Le vote obligatoire deviendrait, pour le fait, un véritable devoir, et l'abstention comme un abandon de poste.
Il est important de redonner aux mots, aux maux, leur véritable définition, leurs véritables responsables.

Le livre à venir Par Maurice Blanchot

 "Ce que la loi atteint ou proscrit ou pervertit, c'est la culture, c'est ce que l'on pense de l'art, ce sont les habitudes historiques, c'est le cours du monde, ce sont les livres et les musées, parfois les artistes, mais pourquoi échapperaient-ils à la violence? Ce qu'un régime a de dur pour l'art peut nous faire craindre pour ce régime, mais pas pour l'art. L'art est aussi ce qui il y a de plus dure - indifférence et oubli- pour ses propres vicissitudes historiques."


"Depuis la renaissance jusqu'au romantisme, il y a eu un effort impressionnant sublime pour réduire l'art au génie, la poésie au subjectif et donner à entendre que ce que le poète exprime, c'est lui-même, son intimité la plus propre, la profondeur cachée de sa personne, son "je" lointain, informulé, informulable. Le peintre se réalise par la peinture, comme le romancier incarne en des personnages une vision où il se révèle. L'exigence de l'oeuvre serait alors celle de cette intimité à exprimer: le poète a son chant à faire entendre, l'écrivain son message à délivrer. "J'ai quelque chose à dire", voilà finalement le plus bas degré des rapports de l'artiste avec l'exigence de l'oeuvre, dont le plus haut parait être la tourmente de l'impétuosité créatrice à laquelle on ne peut trouver de raison".



Bibliothèque Fahrenheit 541

 

PARIS, 1942

Le 16 juillet 1942, la famille de Maurice Rajsfus est victime de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Seuls, avec sa soeur, ils seront libérés. Ils ont quatorze et seize ans et vont devoir désormais grandir sans leurs parents qu’ils ne reverront plus. Chronique d’une « année terrible ». « Année de perte de toutes les valeurs. » Alors que « la masse apeurée préfère ne pas comprendre les enjeux », « les opprimés et les indifférents vivent désormais sur des planètes distinctes ». Survivant, « tel un animal blessé », il raconte cette période et ces épreuves dont il ne s’est « jamais remis totalement ».

Les rumeurs venues de « Radio-rue-des-Rosiers » annoncent sans cesse une rafle imminente. De nombreux Juifs étrangers ont déjà disparus depuis le printemps et l’été 1941. Élève en 5ème, Maurice reste indifférent aux leçons de chant avec Maréchal nous voilà ! et aux morales sur la régénérations de la France. Comme beaucoup, il souffre de malnutrition. La journée du 1er mai, qui coïncide avec la Saint-Philippe, célèbre désormais le Travail. À partir du 7 juin, il doit porter l’ « insigne spécial », comme tous les Juifs de plus de six ans de la zone occupée, et respecter le couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin. Le directeur du collège, décoré de la francisque, met en garde : « Laissez tranquilles vos malheureux camarades ! », prévenant une recrudescence de brimades et d’humiliation de la part d’un élève (sur 200 !) notamment, adepte de la Révolution nationale et membre des Jeunes du maréchal. Dés lors, sans doute pour ne pas risquer d’être exclus, les trois porteurs d’étoiles, sans concertation, ne participent plus aux jeux ordinaires. Ils ne peuvent plus aller au cinéma, au théâtre, à la piscine, au stade, au café, au restaurant, au square. Ils ont le droit de traverser le bois de Vincennes, mais sans stationner, d'effectuer des achats dans les magasins entre 15 et 16 heures.
Il reste extrêmement pudique sur la journée du 16 juillet. S’il raconte leur réveil à 4h30 et l’irruption des policiers, il n’évoque ensuite que brièvement l’opération et d’une manière très générale. Parti pris surprenant, alors que cet ouvrage est sûrement un de ses plus personnels. Dès lors, la survie s’organise. Il va entrer en formation et , après plusieurs essais infructueux, en apprentissage chez un sertisseur joailler. Le monde du travail lui offre un plus vaste terrain d’observation de la vie quotidienne sous l’Occupation. Les anecdotes les plus futiles côtoient de plus dramatiques. S’il parvient souvent à se faire très discret, il n’en subit pas moins régulièrement des humiliations. Un client empli de haine l’agresse, un officier allemand l'insulte et lui crache au visage en pleine rue, un « bon citoyen » lui faire remarquer qu’il n'est pas dans le bon wagon. « Je viens de découvrir les effets directs du racisme, expression de la haine ordinaire. Serrant les dents, je rejoins le ghetto qui m'est attribué : le wagon suivant. Je me raisonne, estimant qu'il y a plus grave, tout en maudissant ce salaud qui s'estime bien plus français que moi, même s'il vient de se conduire en auxiliaire des nazis. » « Il faut laisser passer l’orage, en espérant pour bientôt la fin du cauchemar. L'essentiel est de survivre le plus longtemps possible, alors que les rafles et les déportations se multiplient, pour connaître un monde meilleur. »

« En 1942, la France était un champ de ruines, un désert moral peuplé par une caricature d'héritiers du pays des droits de l’homme. » Maurice Rajsfus livre un portrait vivant et sensible de Paris cette année-là, avec son regard d’enfant juif, dont les parents viennent de lui être enlevés à tout jamais par la police. « La France des premières années de l'Occupation était-elle véritablement l'héritière de la Grande Révolution de 1789, de 1830, des barricades de juin 1848, de la Commune de Paris et du Front populaire de 1936 ?
Il est permis d'en douter. 
»


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


PARIS, 1942
Chroniques d’un survivant
Maurice Rajsfus
226 pages – 18,90 euros
Éditions du Détour – Bordeaux – Avril 2022
editionsdudetour.com/index.php/les-livres/paris-1942/

Earth Spirit Par Marc Authouart

 Sculptures par Christine Authouart                  Oeuvres protégées


Earth Spirit                              Par Marc Authouart

                                                                                                                A KriKri…



C’est trop tôt

Il sera trop tôt

Pour nous, d’échapper,

A ces matins.

Ils ne nous appartiennent pas encore.

Nous n’avons jamais ouvert

Nos souffles sur les brumes.

Nous sommes, l’un avec l’autre,

Et nous n’avons plus envie de nous retourner.





Confidences pour confidences

Je n’avais pas le droit de ne plus penser à toi.

J’avais décidé de parcourir tous les matins,

Main dans la main.

Je t’avais aperçu dans cette rue

Et l’enjeu était devenu inscription génétique.

Un jour, nous devions,

Un jour, nous pourrions,

Un jour, nous déciderions,

Que nos parcours devaient se faire

A partir des mêmes empreintes.

Nos sillons n’ont jamais été parallèles

Mais confondus.

Pour confidences,

Je t’ai dit mon amour ;

En confidences,

Je t’ai voulu épouse.



Dans ma lumière,

M’as-tu susurré.

Te suivre était devenu mon destin.

Mais je ne faisais que confirmer

Ce que j’avais déjà ressenti quelques années auparavant.

Dans ma lumière,

M’as-tu hurlé,

Je ne m’égarerais plus

Auprès de ces démons

Qui ont, pendant longtemps,

Eté le signe de ma mort.

Dans ma lumière,

M’ont dit tes yeux,

Lorsqu’ils souriaient

Au sentiment de l’amour.

Dans ma pénombre,

Ta lumière est venue me chercher

Et m’a séduit.

Je ne pourrais plus jamais vivre sans cette lumière.



Le baiser.

Est-ce la nymphe

Ou sa cabale

Que j'adopte

En cette voluptueuse

Cérémonie?

Une trace et un message

Se transmettent par ondes.

Le temps ne laisse plus

D'espace entre

La communion et l'innocence.

Le charme vient

De prendre congé.

Une histoire

Qui se déplace

Un peu plus loin

L'embarras chausse

Ses pantoufles.



Aimer jusqu'au bout

Au bout de mes vers existe un regard,

Au bout de ses mains se façonne ma beauté.

Au bout de ses yeux naît mon âme.

A l'écoute de sa grâce s'écoule ma faible inspiration.

J'aime mes mains dans son corps

Car elles se fondent et non se morfondent.

Courbes aériennes

Qu'auréolent mes soupirs.

J'élève un pied d'estale

D'où elle se jettera

Lorsque ma tête fléchira.

Le ciel rougit car le bonheur



Ailleurs et partout.

L'eau

A les reflets

De tes seins;

Mais possèdes-tu encore

La magie de tes mains?

Les cicatrices

Sont des nectars.

Bois!

La coupe déborde.

Au milieu des yeux.

J'ai hâte de partir,

Je pars.

Je regrette d'être parti,

Je reviens.

J'ai honte d'être revenu,

Je repars.

La ronde des visages

Alourdit

Mon regard.

Et si un seul?

Il n'y a plus

Assez de griffes

Pour l'oubli.



Dialogue pour aimer

«Rêvez-vous?

-Oui, je le pense.

-Pensez-vous?

-Oui, je le crois.

-Croyez-vous?

-Oui, je l'espère.

-Qu'espérez-vous?

-Un domaine où il n'y a pas d'illusions.

-L'illusion de beaux cieux bleus pour des matins de rêve?

-Des rêves qui courent après une croyance...Une croyance qui ne sert que de pitance à l'expérience...

-Qu'avez-vous appris de la vie?

-La vie?...des poings qui se crispent derrière des sourires blafards...Courir et ne jamais vieillir...Courir pour mourir...Mourir pour cueillir...Cueillir pour aimer...aimer à en mourir...»

Elle m'a souris, je l'ai aimée. Elle savait caresser mon esprit dans le bon sens, on s'est mariés...Et maintenant, nous nous reposons...Nous nous reposons enlacés...Enlacés sous ce bel arbre...




samedi 23 avril 2022

Le fascisme italien en couleurs 2 Mussolini au pouvoir ARTE 2006 TNTRip Fr

Le fascisme italien en couleurs 1 La conquête du pouvoir ARTE 2006 TNTRi...

École : la fabrique des crétins ? Avec Jean-Paul Brighelli

Les yeux plus grands que le ventre par François Cavanna

 "Et voilà qu'un matin on m'appelle. Elle se plaignait depuis deux jours, ne mangeait plus. Un interne futé avait trouvé: occlusion. Son éventration qui, après quarante-six ans de calme sournois, passait brusquement à l'attaque. On l'avait transportée aussitôt à la clinique même où avait été opéré son fémur, c'était fait, je pouvais aller la voir.

Le choc passé, elle était terrorisée.

-François!

-Oui maman.

-Ecoute.

-Oui?

-Plus près!

-oui!

-Tu sais ce qu'ils m'ont fait?

-Ils t'ont ôté le bout du boyau abîmé et ils ont recollé, c'est simple. Et ils t'ont rentré tes tripes à leur place, ce qui aurait d'être fait il y a longtemps. Tu vas être toute neuve, maintenant, le ventre plat comme une jeune fille.

-Mais tu sais pas - elle chuchotait , honteuse- je fais mes besoins par le côté.

Elle se mit à pleurer.

-Mais si, je sais, maman. Le chirurgien me l'a dit. Il faut bien que ton intestin cicatrice. On l'a mis en repos. C'est provisoire. Il m'a jur que dans deux mois tout serait de nouveau en ordre.

La peur était dans ses yeux.

-Mais c'est ce qu'ils ont fait à mon pauv'vieux! Tu te rappelles? Juste la même chose, et...et...

-Mais non maman! Rien à voir. Papa avait un cancer, il était perdu, on l'a su tout de suite. Toi, c'est rien du tout, comme une appendicite, pareil.

Elle voulait me croire, essayait d'être vaillante, mais elle n'en pouvait plus. Ses larmes coulaient toutes seules sur ses joues flétries, c'est épouvantable, une petite vieille qui pleure, c'est le désespoir absolu, absolu...Et c'était ma petite vieille à moi, que j'avais si mal aimée, si distraitement. Que j'avais tellement déçue. Que je venais voir en pestant pour le temps perdu, tout crispé d'avance par son sale caractère. Qu'il aurait été si facile de faire sourire, en se donnant un peu de mal, en étant un peu habile...Quel gâchis, une vie! Elle était posée sur l'oreiller, les larmes coulaient, sans un sanglot, sans une plainte. Son petit chignon perché, pas plus gros qu'une cerise, tirait vers le haut ce qui lui restait de cheveux. La peau de ses bras pendait sur l'os. J'ai pleuré aussi, je lui ai pris la tête, je lui ai dit ma petite beauté, ma petite chérie, ne pleure pas, ne pleure pas, c'est fini la misère, tu vas beaucoup mieux, ne pleure pas, ma petite maman, ne pleure pas...Mais c'était trop tard. J'avais eu cinquante ans pour lui dire tout ça. On ne rattrape pas cinquante ans pour lui dire tout ça. Elle a dit seulement: "Je voudrais bien être où qu'est mon pauv'vieux."


La France nationaliste fête Jeanne d'Arc / Paris - France 10 mai 2015



Les amis de Marine Le Pen.

Est ce l'image de la France que nous voulons?

Léo Ferré - L'affiche rouge - L'armée du crime




Bibliothèque Fahrenheit 451

 ASSIA


Au cours d’une manifestation, le narrateur rencontre une réfugiée syrienne. Les souvenirs surgissent et se mêlent, comme à travers un kaléidoscope. Les leurs, ceux de la révolution syrienne et de sa terrifiante répression, ceux, comme en écho, des insurrections passée et des émeutes d’aujourd’hui, la longue fuite d’Assia et les réminiscences de son enfance dans ce pays détruit. Puis naissent les sentiments.


« Depuis longtemps la haine de la police nous avait réconcilié avec la haine, depuis longtemps il nous fallait lutter avec nos mots contre ceux de l’État, depuis longtemps nous voulions en finir avec ce monde qui doit absolument être détruit. » Si l’évocation conjointe du cortège de tête ou des manifestations de Gilets jaunes, et de celles organisées contre le régime d’Assad, peut sembler quelque part indécente, il s’agit sans doute avant tout pour l’auteur d’une recherche d’expériences communes pour saisir l’indicible, pour signifier une parenté, une appartenance à une même fraternité des réprimés par-delà toutes les barrières et les frontières, à tous les degrés. De la même façon, lorsqu’Assia évoque ces tortures infligées par un policier auquel elle n’a pu que souffler « Vous ne pouvez pas me tuer », c’est le récit de Louisette Ighilahriz dans les mains de Bigeard en Algérie, qui surgit, dans sa recherche tenace de repères pour comprendre ce qui ne peut l’être. « La peur n'est pas une langue commune elle réunit et sépare, rassemble et isole pensai-je. »


Son arrestation en Syrie, son errance, la violence administrative, sont racontées par bribes, par vagues plutôt, qui saisissent avant de se retirer et de laisser place à une autre, plus douce ou plus brutale encore. « Tu dormais sur des cartons, enveloppée de vieux journaux, sur les bancs des jardins publics, dans le métro jusqu'à l’aube, sous les ponts aux jambes d'acier rouillé, dans des carcasses de voitures abandonnées, au milieu de terrains vagues où passaient des ivrognes dont les grognements faisaient craquer doucement le sable. » « Maintenant ta vie dépendait de décisions prises par des ministres au teint gris, aux costumes raides, aux visages flasques comme des serpillières, dont les discours formaient une pâte gluante qui collait aux oreilles et tournait en boucle dans les médias. »


On sent chez Alain Parrau une curiosité pour l’Histoire et les révoltes qui l’agitent, motivée certainement par ses engagements dont il parsème son récit de quelques allusions fugitives et enthousiastes : « Lamartine, le pisseur d’eau claire et son éloge du drapeau tricolore, le saule pleureur de la patrie, l’énamouré du lac, le branleur solitaire adoré des phtisiques. » « Pour la première fois, le 1er décembre, l'État avait tremblé sous les coups de boutoir des émeutiers. Le saccage de l’arc de triomphe, ce monument obscène érigé à la gloire d'un tyran, cette injure faite aux peuples et aux soldats massacrés par ce sinistre personnage, nous avait réjoui. » Assia, par mimétisme ou communes références, le suit dans la construction de cette généalogie : « Comment vivre après nous avons tenu un an disais-tu, nous avons réussi à construire une démocratie directe, des centaines de conseils locaux ont été créés dans tout le pays nous avons fait mieux que la Commune de Paris. Mais quand les milices iraniennes irakiennes et l'aviation russe sont intervenues, l'Armée syrienne libre devait aussi se battre contre Daech, les territoires libérés ont été perdus. »

Témoignage, récit, poème, ce bref texte inclassable est tout cela à la fois. Alain Parrau chante l’urgence d’une internationale sensible et révoltée : « Dans un éclair aveuglant la vie insurgée avait ouvert une brèche dans le temps de l'oppression, et nous étions, ensemble, au cœur de cette brèche. Jamais je n'avais à ce point senti qu'il ne pouvait y avoir de bonheur en dehors de cette fraternité, et qu'elle était bien ce que le pouvoir, ses larbins et ses chiens de garde, ses intellectuels recuits et ses primitifs corrompus, haïssaient le plus. »


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier




ASSIA

Alain Parrau

86 pages – 10 euros

Éditions On verra bien – Limoges – Avril 2022

onverrabien.com/assia/


vendredi 22 avril 2022

Ces gens sont dans les équipes de Marine Le Pen

Le fascisme c est ça

"L'affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras fait suite à la profanation de sépultures juives à Carpentras (Vaucluse) en 1990. L'affaire a été résolue six ans plus tard et elle a mené à la condamnation de quatre néonazis."

Le fascisme c est ca


Il y a dix ans, James Dindoyal, jeune Mauricien de 24 ans, était empoisonné par un mélange de bière et de produits toxiques ingurgité de force. Puis jeté à la mer du haut d'une digue. Ce matin, devant la cour d'assises de Rouen, deux des auteurs présumés du meurtre font leur entrée dans le box. Régis Kerhuel et Joël Giraud, anciens chefs skinheads du Havre, ont changé de look pour leur procès et gommé le racisme de leur lexique usuel. Les deux acolytes, familiers du kop de Boulogne, au parc des Princes, amis de Serge Ayoub alias Batskin, avaient même adhéré à son mouvement néonazi, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR).


Le fascisme c est ça :

Des attaques récurrentes. Des saluts nazis en pleine rue. Des cris de singes lancés au visage de commerçants noirs. Des militants de gauche traqués et agressés. À Lyon, depuis plusieurs mois, l’extrême droite se déchaîne dans la rue. Triste illustration le 29 septembre dernier, après une conférence sur cette même extrême droite animée par le chercheur Nicolas Lebourg. Des membres de la Jeune Garde Lyon, un groupe antifasciste local, tombent dans un guet-apens tendu par des militants de droite radicale en sortant de la conférence. Bilan : un militant de la Jeune Garde est blessé d’un coup de cutter. Nouvelle scène de violence le soir suivant. À l’occasion d’un match de football opposant l’Olympique lyonnais au club danois de Brondby, les ultras rhodaniens chargent les supporters de l’équipe adverse au cri de « White Power ».


Bastion historique de la mouvance, la capitale des Gaules est de longue date le théâtre d’agressions à caractère raciste ou politique, d’attaques de locaux de gauche ou de manifestations perpétrées par les militants de l’extrême droite locale. Depuis quelques mois, la situation semble même empirer. Selon un décompte du média libertaire Rapports de force, c’est à Lyon que les violences d’extrême droite sont les plus nombreuses et de loin avec une dizaine de faits. Toulouse, en deuxième position de ce classement, n’en compte que moitié moins. « Ceci tient à la prolifération et au nombre de groupuscules installés. Les militants d’extrême droite y ont plus de libertés pour y exercer leur violence de par leur nombre et du fait qu’ils bénéficient d’une certaine impunité depuis longtemps », explique à StreetPress Alain Chevarin, auteur de « Lyon et ses extrêmes-droites » (éditions de la Lanterne, 2020)."


Le fascisme c est ça:

"L’affaire Ibrahim Ali est une affaire criminelle française portant sur l'homicide volontaire d'Ibrahim Ali, âgé de 17 ans, par un colleur d'affiches du Front national, Robert Lagier, le 21 février 1995 à Marseille"


Le fascisme c est ça :

"1er mai 1995. Le défilé du Front National, alors présidé par Jean-Marie Le Pen, est en train de se dérouler dans l'entre-deux tours de l'élection présidentielle. En contrebas du Pont du Carrousel, un jeune Marocain attend son amie. Il est remarqué par quatre skinheads venus de Reims pour défiler avec le Front National. Une altercation a lieu entre ce jeune homme, Brahim Bouarram, et les militants. Ces derniers le poussent dans la Seine. Mais Brahim Bouarram ne sait pas nager. Il meurt noyé. L'accident dramatique va bouleverser la fin de la campagne présidentielle. Deux jours après l'accident, François Mitterrrand, encore Président de la République, vient se recueillir sur les berges de la Seine, à l'endroit où le jeune Marocain a été poussé dans le fleuve. Un moment fort qui constitue un de ses derniers actes en tant que Chef de l'Etat. "

 









jeudi 21 avril 2022

MAURICE BLANCHOT – Un siècle d'écrivains [1998]

Thomas l'obscur par Maurice Blanchot

 "Thomas demeura à lire dans sa chambre. Il était assis, les mains jointes au-dessus de son front, les pouces appuyés contre la racine des cheveux, si absorbé qu'il ne faisait pas un mouvement lorsqu'on ouvrait la porte. Ceux qui entraient, voyant son livre toujours ouvert aux mêmes pages, pensaient qu'il feignait de lire. Il lisait. Il lisait avec une minutie et une attention insurpassables. Il était, auprès de chaque signe, dans la situation où se trouve le mâle quand la mante religieuse va le dévorer. L'un et l'autre se regardaient. Les mots, issus d'un livre qui prenait une puissance mortelle, exerçaient sur le regard qui les touchait un attrait doux et paisible. Chacun d'eux, comme un oeil à demi fermé, laissait entrer le regard trop vif qu'en d'autres circonstances il n'eut pas souffert. Thomas se glissa donc vers ces couloirs dont il s'approcha sans défense jusqu'à l'instant où il fut aperçu par l'intime du mot. Ce n'était pas encore effrayant, c'était au contraire un moment presque agréable qu'il aurait voulu prolonger. Le lecteur considérait joyeusement cette petite étincelle de vie qu'il ne doutait pas d'avoir éveillé. Il se voyait avec plaisir dans cet oeil qui le voyait. Son plaisir même devint très grand. Il devint si grand, si impitoyable qu'il le subit avec une sorte d'effroi et que, s'étant dressé, moment insupportable, sans recevoir de son interlocuteur un signe complice, il aperçut toute l'étrangeté qu'il y avait à être observé par un mot comme par un être vivant, et non seulement par un mot, mais par tous les mots qui se trouvaient dans ce mot, par tous ceux qui l'accompagnaient et qui à leur tour contenaient en eux-mêmes d'autres mots, comme une suite d'anges s'ouvrant à l'infini jusqu'à l'oeil de l'absolu. D'un texte aussi bien défendu, loin de s'écarter, il mit toute sa force à vouloir se saisir, refusant obstinément de retirer son regard, croyant être encore un lecteur profond, quand déjà les mots s'emparaient de lui et commençaient de le lire. Il fut pris, pétri par des mains intelligibles, mordu par une dent pleine de sève; il entra avec son corps vivant dans les formes anonymes des mots, leur donnant sa substance, formant leurs rapports, offrant au mot être son être. Pendant des heures, il se tint immobile avec, à la place des yeux, de temps en temps le mot yeux: il était inerte, fasciné et dévoilé. Et même plus tard, lorsque, s'étant abandonné et regardant son livre, il se reconnut avec dégoût sous la forme du texte qu'il lisait, il garda la pensée qu'en sa personne déjà privée de sens, tandis que, juchés sur ses épaules, le mot il et le mot je commençaient leur carnage, demeuraient des paroles obscures, âmes désincarnées et anges des mots, qui profondément l'exploraient."

mercredi 20 avril 2022

bibliothèque Fahrenheit 451

 

TÉMOINS – Essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928

« L'homme s'est toujours glorifié de faire la guerre, il a embelli l'acte de la bataille, il a dépeint avec magnificence les charges des cavaliers, les corps-à-corps des soldats à pied, il a attribué au combattant des sentiments surhumains : le courage bouillant, l'ardeur pour la lutte, l'impatience d'en venir aux mains, le mépris de la blessure et de la mort, le sacrifice joyeux de sa vie, l'amour de la gloire. » Ancien combattant de la Grande Guerre, Jean Norton Cru a entrepris de juger à l’aune de son propre vécu plusieurs centaines de témoignages de ses camarades de tranchées. Avec ce travail, paru pour la première fois en 1929, il entendait faciliter le travail des historiens en séparant « le bon grain de l’ivraie », fort de son expérience de terrain. Passant à la loupe plusieurs centaines de récits personnels de soldats, il a traqué les légendes et les images d’Épinal, les effets de style et les tentations littéraires, les ragots colportés et les impostures, l’emphase patriotique, le pseudo-réalisme macabre et les surenchères épiques, les reconstructions ultérieures faute de notes suffisantes et l’influence des autres récits. Pour chaque témoin dont il a consciencieusement étudié les écrits, classés par genre (journaux, souvenirs, réflexions, lettres ou romans), il a produit, pour ce volumineux dictionnaire, une analyse critique, précédée d’une biographie, notamment avec les indications exhaustives de toutes les incorporations, ainsi que d’une description bibliographique. Outre les documents de soldats plus ou moins sincères donc, et sans pour autant remettre en cause le droit des écrivains à l’invention, il applique également sa grille de lecture aux oeuvres littéraires, toujours à la recherche de la seule vérité.

Dans une longue « introduction générale », il raconte comment il dévora les témoignages de combattants qui commencèrent à paraître dès la fin 1915 et pendant sept années, tout en commençant à évaluer leur sincérité et leur valeur documentaire. Il défend le point de vue des poilus : « Le soldat est un homme qui voit, qui pense, qui juge et qui souffre dans son esprit plus encore que dans son corps. », et l'importance des « faits psychologiques » qui sont « l'essence même de la guerre » et qui « démentent l’épopée, la gloire, l'enivrement de la victoire que les histoires d'aujourd'hui veulent encore peindre ». Explorant les conflits antérieurs, depuis l'Antiquité, il trouve bien par-ci par-là quelques souvenirs personnels, mais jamais avec la même profusion que pour « la Grande Guerre ». Il s'attarde en particulier sur l’ouvrage d’Ardant du Picq (1821-1870) : Études sur le combat, œuvre posthume inachevé, basée sur son expérience personnelle en Crimée et qui s’intéresse à la psychologie des combattants. Non seulement cet auteur nie la possibilité du choc, de la charge, mais il soutient qu’une troupe engagée « échappe totalement au chef qui commande de loin ». Il fustige l’esprit militaire et les fausses leçons des manœuvres. Émile Meyer (1851-1938), quant à lui, prévoyait dès 1889 « l'immobilisation des fronts dans la guerre moderne » à cause du perfectionnement des armes à feu. Jean de Bloch (1836-1902), conseiller technique du tsar, prédit avec vingt ans d’avance « la paralysie de l'offensive par suite de l'usage généralisé des tranchées et des réseaux de fils de fer ». Il doutait que les marches sous le feu en rangs serrés, les charges à la baïonnette, enseignées officiellement, aient jamais été possibles.

Impossible évidemment de rendre compte d’une telle étude dans son entièreté. Nous nous contenterons de rapporter quelques extraits d’analyses pour donner le ton et une idée de son l’ampleur.
Jean Norton Cru s’emploie avec une minutie impitoyable à relever les faux récits, truffés d’anecdotes fabriquées, arrangées ou répétées, de faits dénaturés, de formes de style exagérées, empruntées à la presse, de légendes, de tartarinades et de « folklore de l’arrière », plutôt qu’inspirés par des notes personnelles : « le berger qui paît ses moutons entre les lignes » chez Adrien Bertrand, le cadavre allemand enterré dans les haricots à la demande d'une paysanne chez Henry d’Estre, l'exagération du carnage et l'abondance du sang chez Adrien Bertrand, Léopold Chauveau, Henri Barbusse et tant d’autres. « Il est touché mortellement et chantent La Marseillaise pendant que la mort le gagne. » écrit José Germain qui n'a pas « su dépouiller ces habitudes d'écrivain lorsqu'il a voulu l'écrire sur la guerre ». « À certaines heures la chute des balle pouvait se comparer à une averse. »  et « Des couches superposées de cadavres boches nivelaient au raz du sol le carrefour qui, la veille, s'enfonçait dans la terre à près de trois mètres. » (Jacques Péricard). Etc. « Le vœu le plus cher des militaires c'est qu'une légende naisse de la guerre de 1914, toute une histoire légendaire, enrichie des petites légendes de détail telles que celle du “Debout, les morts !“ et celle de la Tranchée des baïonnettes. Il est certain que la guerre vue à travers la légende est une aventure splendide, la plus noble entreprise à laquelle on puisse se vouer. »

Outre ceux qui s’emploient à produire une telle « littérature », certains s’efforcent d’atteindre au contraire une vérité historique, impersonnelle, objective et froide, plutôt que de raconter ce dont ils ont été témoins. Si Alphonse Grasset, exemple parmi tant d’autres, « remplit son récit de sa présence, […] nous révèle ses sentiments, ses émotions, ses anxiétés comme cela doit se faire dans un récit personnel de témoin oculaire et agissant », il le charge tellement de faits que tous ne sont probablement pas issus de sa mémoire.

Ce qui marque avant tout, c’est la profusion de propos antimilitaristes et pacifistes : « Comment se croire à la guerre, à cette guerre stupide, que le progrès scientifique a rendu possible. » (Commandant Bréant), « Quiconque ne maudit point la guerre soit maudit ! Amen. » (Paul Cazin), « Tiens ! Je parie une chose : mets cent Boches d'un côté et cent Poilus de l’autre, y crieront tous sur le même ton : Vive la paix ! » (Robert Desaubliaux), « Oui, l’humanité est folle ! Il faut être fou pour faire ce que l’on fait. Quels massacres ! Quelles scènes d’horreur et de carnage ! Je trouve pas de mots pour traduire mes impressions. L’enfer ne doit pas être si terrible. Les hommes sont fous ! » (Alfred Joubaire), « Qui donc écrira un livre, non pas contre les horreurs de la guerre, mais contre la guerre ? » (Pierre Lelièvre), « Toutes mes idées enfantines sur la guerre, idées de convention des jours de paix et de mirages, me revinrent à l’esprit. Et je les maudissais. Des larmes me venaient d'avoir cru la guerre belle et rédemptrice, elle la destructrice gloutonne et sans cœur ! Aucun blasphème ne me semblait assez fort pour lui crier ma haine ! » (Paul Rimbault), « Tant de hardiesse, tant de science, tant de ruses pour le même but : tuer, tuer plus, tuer mieux, tuer plus vite ! » (Jules Henches), etc. La profusion est telle que nous pourrions poursuivre longtemps encore. Jean Norton Cru ne manque jamais une occasion d’en rajouter : « La guerre serait aussi facilement évitable que la fièvre typhoïde si elle n'était empêtrée dans une foule de mystiques. » Retenons également l’essai de Georges Bonnet, paru en août 1915 – « trois ans et trois mois avant l’armistice, quatre ans avant le traité de Versailles » – dans lequel il soutient que « tous les combattants abhorrent la guerre, que la guerre en a fait des pacifistes, qu’ils demandent un accord international pour empêcher les guerres ». Quelle que soit leur opinion politique, leur foi religieuse, la plupart, quand il sont sincères, s’accordent : « Le poilu ne connaît qu'un parti : celui du sens commun éclairé par une expérience aussi douloureuse que concluante. »

Il ne manque jamais de saluer la sincérité des témoins qui s'appliquent à décrire la peur qui les tenaille et ne les lâche jamais : « Mais aurais-je perdu tout courage ? Chaque obus me donne le frisson et je me blottis dans les tourments de la sape. – Marche donc, poltron ! J'ai une sueur froide, une peur nerveuse que je n'ai jamais éprouvée […] je me mets à trembler. J'aurais envie de me sauver en courant. » (Robert Desaubliaux), « Galops fous ; encore des paquets de fuyards qui nous arrivent dessus en trombe. Ces hommes puent la frousse contagieuse ; et tous halètent des bout de phrases, des lambeaux de mots a peine articulée. » (Maurice Genevoix), « L'usure des nerfs s’accentua ; bientôt elle fut extrême et, véritables loques, nous nous abandonnâmes ; désespérés de vivre sous une telle horreur, nous demandions à Dieu non pas de nous faire mourir – le passage est trop atroce – mais d'être morts ; nous n'avions qu’un désir : la fin ! » (Paul Dubrulle).

Certains, rares, évoquent les causes des mutineries de 1917 : « Ce sont les généraux Nivelle, Mangin et consorts qui sont les responsables de cet état d’esprit ; ils ne se sont pas préoccupés assez de ce que l'homme pensait ou ressentait ; pour eux, c'était un fusil, pas davantage. » (Henry Morel-Journel), « Un soir qu'on a bu plus que de coutume, pour s’étourdir, on est commandé pour la relève. Les fortes têtes disent : ”On n’ira pas”– Les autres suivent et voilà tout le bataillon en rébellion. » (Georges Murat), « C'est le despotisme, l'injustice et la tyrannie qui amènent la révolte et la révolution. Il ne faut pas chercher d'autre cause au bolchevisme, au désastre de Caporetto, aux révoltes du Chemin des dames, à la révolution allemande. » (Max Deauville).


Il voue une admiration dont il ne se cache nullement pour les cinq volumes de Maurice Genevoix, rédigés d'après son carnet de route : « Il a su raconter sa campagne de huit mois avec la plus scrupuleuse exactitude, en s’interdisant tout enjolivement dû à l’imagination, mais cependant en ressuscitant la vie des événements et des personnes, des âmes et des opinions, des gestes et des attitudes, des paroles et des conversations. » Il ne partage pas du tout cet enthousiasme pour des « littérateurs » à l’époque autrement adulés qui « ont failli dans la guerre aux promesses qu’ils devaient de peindre mieux que personne une période et des faits si extraordinaires ». Il accuse le talent de Jean Giraudoux d’être une faiblesse, presque une « infirmité » dans le genre « mémoires et souvenirs », et les « tableaux macabres et psychologiquement faux de Barbusse et Dorgelès » d'avoir, par leur immense succès public, entretenu des idées fausses.

Un travail monumental, qui se lit toutefois fort bien. Du tamis de l’analyse critique à travers lequel Jean Norton Cru fait passer ces centaines de témoignages, il ressort une vision humaine de la guerre, une multiplicité de regards à hauteur… de tranchée, qui racontent une peur démesurée, un profond mépris pour cette gigantesque immolation sur l’autel de la patrie et une vive appétence pour la paix, largement partagés.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier



TÉMOINS
Essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928
Jean Norton Cru
Édition établie et préfacée par Philippe Olivera
1128 pages – 23 euros
Éditions Agone – Marseille – Avril 2022
agone.org/livres/temoins

Première édition 1929

mardi 19 avril 2022

Article dans mediapart

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BILLET DE BLOG 18 AVR. 2022


Guillaume Goutte

L’abstention anarchiste ne peut rester indifférente face au fascisme

Alors que le premier tour de l’élection présidentielle a placé la candidate du Rassemblement national au second tour, face à Macron, les milieux révolutionnaires sont en émoi et les débats font rage sur l’attitude à adopter : faire barrage au fascisme dans les urnes ou conserver la pureté de sa ligne politique.

Certains appellent à ne donner aucune voix à Le Pen, voire à voter pour le président sortant, d’autres n’ont en bouche que le « Ni Le Pen ni Macron », tandis que des libertaires en profitent pour rappeler combien l’abstention pourrait être révolutionnaire en tant qu’outil de délégitimisation du pouvoir. Rien de bien nouveau sous le soleil politique, ces débats sont vieux comme le droit de vote… 


Sauf que, cette fois, la candidate fasciste est réellement en mesure de gagner l’Élysée, prospérant sur la colère sociale née des politiques du président sortant et profitant de l’incroyable audience qu’a connue la haine xénophobe, antisémite et islamophobe dans certains grands médias. Cela a de quoi changer la donne et d’obliger les abstentionnistes révolutionnaires, notamment anarchistes, à faire un pas de côté, à sortir de la doctrine pour inviter au débat stratégique, loin des postures individuelles et identitaires. 


L’abstentionnisme vaut bien l’électoralisme 

L’anarchiste italien Camillo Berneri (1897-1937) parlait de « crétinisme abstentionniste » pour évoquer la rigidité observée par certains militants libertaires sur la question des élections et du vote. De fait, le dogme abstentionniste ne vaut pas mieux que le dogme électoraliste : l’un comme l’autre empêche de penser en termes stratégiques, c’est-à-dire en fonction des intérêts de notre classe. Les anarchistes qui s’épuisent tous les cinq ans dans des campagnes abstentionnistes ne valent pas beaucoup mieux que les militants qui courent pendant des mois à travers la France à la recherche de signatures pour des candidats anticapitalistes qui ne seront jamais élus. Les deux sont prisonniers du calendrier électoral et de la vie parlementaire, quand bien même certains disent vouloir les défaire. 


Personne n’est dupe : l’émancipation intégrale des exploités et des dominés ne sortira jamais des élections parlementaires organisées par la démocratie bourgeoise. La révolution sociale, c’est-à-dire l’expropriation capitaliste par la grève générale et la construction d’un socialisme fédéraliste, ne viendra pas des Parlements, mais de notre capacité à bâtir l’autonomie ouvrière, à savoir une confédération syndicale de classe, organisée sur des bases industrielles, unifiée, débarrassée des carriérismes bureaucratiques – qu’ils se drapent de rouge vif ou des habits du réformisme bon teint. De ce point de vue, le grand jeu électoral qui vise à renouveler ou à conforter celles et ceux qui nous gouvernent n’a aucun intérêt : prendre ce pouvoir est illusoire, et, de toute façon, nous n’en voulons pas. Nous devrions donc observer à son égard une totale indifférence politique, laisser le train passer en le regardant, en se moquant des choix individuels que nous faisons à ces occasions : vote, vote blanc, abstention. Tout juste pouvons-nous en profiter pour imposer dans le débat nos revendications, la plupart des candidats se montrant, le temps de la campagne, particulièrement à l’écoute. 

L’abstentionnisme doit s’effacer devant le vote antifasciste 

Il existe néanmoins une situation dans laquelle une élection parlementaire ou présidentielle peut nécessiter que l’on s’y intéresse d’un peu plus près : quand le fascisme est en passe d’accéder au pouvoir. Le candidat du fascisme ne vaudra jamais celui d’un autre courant de l’échiquier politique : inutile de gloser, c’est le pire d’entre tous. Le fascisme, c’est la haine raciste et xénophobe institutionnalisée, la violence d’Etat poussée à son paroxysme, la division des exploités au service des intérêts capitalistes, la répression décomplexée des résistances du monde du travail, la destruction du tissu social, de nos organisations syndicales et associatives. 


Et face au pire, nous ne pouvons nous résigner à regarder le train passer avec la satisfaction de garder intacte notre pureté de révolutionnaire. D’autant qu’il ne s’agirait que de pure hypocrisie, puisque, le jour de l’élection, nous croiserions les doigts pour que l’extrême droite soit battue, pour que les autres soient allés se salir les mains à notre place… Le militant révolutionnaire, a fortiori anarchiste, est un militant responsable devant sa classe, qui doit parfois faire des choix qui enfreignent ses convictions les plus fortes. 


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Manifestation contre l’extrême droite, à Paris, le 5 décembre 2021, à l’initiative de la CGT 75 et de la Jeune Garde Paris.

Le Pen incarne un danger supérieur

Aujourd’hui, en 2022, l’élection présidentielle nous « offre » un énième duel entre la candidate du fascisme et le représentant du libéralisme républicain. Ce n’est pas la première fois, cette séquence ayant commencé en 2002, avec l’arrivée au second tour de Le Pen père. Sauf que, cette fois, l’écart entre les deux candidats n’a jamais été aussi faible. Après cinq années de destruction méthodique des acquis sociaux, la colère est grande et souvent déboussolée. Le vote Le Pen prend alors des airs de vote-sanction contre le président sortant, tandis que l’abstention s’impose en solution de facilité pour ceux qui veulent sanctionner sans voter fasciste. Dans cette situation , le 24 avril au soir, rien ne nous permet de penser que l’élection présidentielle ne débouchera pas sur une victoire de l’extrême droite. 

Qu’on se le dise, nous ne combattrons pas Le Pen comme nous pouvons combattre Macron. L’Etat de droit, même sérieusement abîmé et souvent dévoyé, garantit encore le droit de manifester et de faire grève. Avec Le Pen comme présidente, rien ne nous permet de dire qu’il en sera ainsi ; le Rassemblement national est un parti fasciste, qui ne se soucie pas de la légitimité du pouvoir et met donc au cœur de son projet politique un autoritarisme brutal, indispensable au maintien de l’ordre social d’un pays qu’il mettra à feu et à sang en répandant la haine et la division. Avec Le Pen au pouvoir, les organisations syndicales seront contestées et attaquées, voire dissoutes, pendant que des milices fascistes en roue libre s’en prendront impunément aux Bourses du travail et agresseront les cortèges de manifestants. Il suffit de voir le niveau de violence dont font preuve les groupuscules d’extrême droite ces derniers mois pour imaginer ce qui nous attend si leur candidate remporte l’investiture suprême. 


La Ve République est taillée sur mesure pour le fascisme, les pouvoirs confiés au président sont énormes. On a vu combien les Assemblées sont inutiles quand il s’agit de faire passer des lois fortement contestées : il suffit de dissoudre ou, mieux, de recourir au 49.3 pour mépriser la « représentation nationale ». 


Retrouver le débat stratégique, faire renaître la coutume ouvrière

Prendre le risque de voir le fascisme débouler à l’Élysée au nom de la préservation de son idéal révolutionnaire est irresponsable et dangereux. En cas de victoire des fascistes, ledit idéal serait piétiné et, surtout, bien en peine de résister. Car le fond du problème est là : face au fascisme, l’abstentionnisme révolutionnaire pourrait avoir du sens s’il était porté par un mouvement de classe réel, solide, organisé, susceptible de bloquer le processus électoral et de dégager les deux serviteurs de la bourgeoisie, mais il n’en est rien. Le mouvement de classe est dans un état de faiblesse inquiétant, nos organisations syndicales ne sont pas en mesure d’organiser demain une riposte d’ampleur contre Macron, et encore moins contre Le Pen. 


Nous sommes divisés, éparpillés, enlisés dans l’institutionnel, et parfois parasités par des guerres bureaucratiques déconnectées de l’urgence actuelle. Ce n’est pas une fatalité, le mouvement de classe peut se régénérer et nos organisations aussi. Mais ça ne se fera pas en une semaine… Nous avons fui le débat stratégique pendant des dizaines d’années au profit de logiques « identitaires » et affinitaires héritées de la culture de la gauche, alors la tâche qui nous attend aujourd’hui est énorme. Il s’agit de recréer de la sociabilité dans notre classe, de faire renaître une coutume ouvrière, de former une contre-société, car c’est de ces ferments profonds de la résistance que jaillira notre capacité politique à casser le vote fasciste et à faire la révolution. Attelons-nous-y ! Et, entre-temps, dimanche 24 avril, votons antifasciste, votons Macron. Ça fait mal de l’écrire, ça fera mal dans l’isoloir, mais ce sera toujours moins douloureux que l’arrivée du fascisme au pouvoir. Nous nous le devons, à nous-mêmes et surtout à tous ceux qui, demain, subiraient en premier, avec une violence inouïe, la politique raciste, xénophobe, antisémite et islamophobe du Rassemblement national. 


Guillaume Goutte

Bibliothèque Fahrenheit 451

 LE MONDE SANS FIN


Si nous défendons la bande dessinée comme arme d’instruction massive, elle peut aussi parfois, entre les mains de personnes mal intentionnées, devenir un puissant outil de désinformation, de propagande et de manipulation. Aussi nous devions-nous de mettre sérieusement en garde contre celle-ci.


Depuis quelques temps, les informations quotidiennes affectent le moral de Christophe Blain, illustrateur de BD. C’est pourquoi il contacte Jean-Marc Jancovici pour que celui-ci l’aide à comprendre le monde dans lequel nous vivons, à affronter la crise écologique qui vient en appréhendant ses mécanismes. Ces deux-là s’entendent si bien qu’ensemble ils entreprennent de réaliser une plantureuse bande dessinée de vulgarisation.


Leur présentation de l’évolution de la consommation de l’énergie et de l’utilisation des machines est très claire. Grâce à la métaphore de l’armure d’Iron Man, l’augmentation de ses usages est limpide. Aucune interrogation sur rapport des humains aux machines (et vice et versa) n’est abordée mais ce n’est pas leur propos. Il s’agit surtout de démontrer que tout est croissance : les nouvelles énergies ne remplacent jamais les précédentes mais s’ajoutent aux anciennes, l’augmentation de la productivité des machines ne réduit jamais leur nombre, etc. Car le modèle économique qui a été imposé à l’ensemble de l’humanité mise sur une croissance infinie… dans un monde fini. L’origine de cette croyance est clairement identifiée : Jean-Baptiste Say (1767-1832), un des premiers théoriciens de l’économie, affirma que les ressources naturelles étaient inépuisables. Charles Dupin (1784-1873) fit alors une toute autre analyse mais fut peu écouté. Depuis, tous les choix économiques, des retraites à la « croissance » verte, reposent sur ce credo car « nous avons bâti un système qui n’est stable que dans l’expansion ». Quand il se grippe, ce qui n’est pas rare, la dette permet de le relancer.


Si cet exposé synthétique force le respect, notons toutefois quelques petits raccourcis qui interrogent : la vulgarisation conduit-elle parfois à la caricature ou bien la démonstration est-elle délibérément biaisée ? « Sans énergie et sans machine, ce n’est pas que 3% de PIB que tu vas perdre. C’est la fin des banques, la fin du réseau d’eau, la fin des transports, des hôpitaux… Tout notre monde moderne en dépend… Tu meurs de froid, de faim, tu t’entre-tues avec tes semblables. » affirme, toujours péremptoire, Jean-Marc Jancovici. Les simplifications binaires, si elles sont percutantes, rendent-elles réellement compte de toute la complexité ? Des scénarios intermédiaires ne sont-ils pas envisageables ? Plus embêtant, il soutient que payer une personne au SMIC pour monter un sac de 10 kilos à 2 000 mètres revient à 200 euros/kWh mais que mettre de l’essence dans une machine coûte 500 fois moins, en oubliant tout de même de prendre en compte… le coût de celle-ci ! De même sa comparaison du prix de revient du kWh éolien avec celui de pétrole ignore les frais d’extraction (sans même parler de ceux de recherche) : « lorsque tu le sors de ton désert il constitue déjà un stock ». Bref, ça semble grouiller d’approximations et mériterait sans doute une lecture experte.

On apprend tout de même énormément de choses. Ainsi, la fabrication des véhicules GPL, présentés comme des améliorations environnementales, a été encouragée par les producteurs de pétrole qui ne savaient par quoi faire de ces résidus. 40% de l'électricité mondiale est faite avec du charbon. Etc.

La description des mécanismes du réchauffement climatique est tout aussi didactique. On comprend parfaitement les problèmes et les enjeux. Le lien entre abondance énergétique et alimentation bon marché est mis en évidence, tout comme l’importance de la part des services, notamment des transports, dans les prix. L’urgente nécessité de contrôler les émissions de gaz à effet de serre est démontrée avec brio.

Pourtant, de nouveau, des doutes surgissent. L’avion, par exemple, est certes présenté comme « le plus gros consommateur d’énergie par personne et par déplacement », avec un aller-retour Paris-New York équivalent à la consommation annuelle d'une automobile utilisée tous les jours. Le fait est donc établi mais la seule critique émise est la figure d’une jeune suédoise, même pas nommée, culpabilisant les usagers en les foudroyant du regard.





Tout aussi sournoisement, ce n’est jamais la consommation ostentatoire d’une classe privilégiée, modèle de réussite pour la classe dite moyenne, ou celle de l'industrie qui est dénoncée, mais, incidieusement, l’État-providence et sa prodigalité : les régimes de retraite et l’enseignement supérieur sont plusieurs fois pointé du doigt. Les émissions carbonées sont, à juste titre, pointées du doigt et toutes les autres rapidement évacuées car marginales. Nous avons pourtant appris récemment, grâce à Guillaume Pitron (voir L’Enfer numérique) que le méthane a un pouvoir réchauffant vingt-huit fois supérieur au CO2 sur un siècle, les gaz fluorés 2 000 fois plus en moyenne (17 000 pour le NF3 et et 23 500 pour le SF6), avec une durée de vie bien plus longue (le NF3 subsiste 740 ans dans l’atmosphère, le SF6 3200 ans et le CF4 50 000 ans), ce qui nous parait nullement négligeable. Certes, en 200 pages, on ne peut pas tout dire ni entrer dans les détails, mais certains « oublis » et certains angles de présentation semblent trahir une intention idéologique, plutôt qu’être justifié par une volonté de ne pas se disperser. En effet, les « énergies renouvelables » sont tout à coup renommées « énergies non carbonées », permettant d’y inclure… le nucléaire !



 


Les émissions de CO2 produites par la construction des centrales et l'extraction de l'uranium sont minimisées par la concentration de l'énergie produite : « au final, on émet très peu de CO2 par kWh produit ». Autrement plus grave, sont les présentations des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima. Affirmer que la première n’a causé que six morts relève tout simplement du révisionnisme, si ce n’est du négationnisme. Nous avons consulté les pages en français du site de l’UNSCEAR cité. On retrouve effectivement la prudence habituelle des scientifiques qui évitent de se mouiller (pour parler poliment) en évoquant des causes multiples, comme pour les pesticides, des symptômes constatés. Cette faculté est assez étonnante d’ailleurs, quand on sait que toute science repose justement sur une simplification du réel, sur une modélisation qui permet d’isoler quelques paramètres pour en saisir les fonctionnements : face à certains problèmes, la complexité et l’impossibilité d’établir une juste part des choses sont soudainement mises en avant. La page du site consacrée à la catastrophe, donc, évoque déjà 28 décès dans les trois mois qui suivent, uniquement parmi les 134 travailleurs fortement irradiés sur les 600 présents sur le site de la centrale le 26 avril 1986.

Tous les gimmicks de la propagande pro-nucléaire sont ensuite déroulés sans scrupule par un Jean-Marc Jancovici pour le coup peu inspiré :


Plus de morts en voiture chaque année ou à cause d’accidents domestiques : même en proportion du nombre de véhicules et de centrales ?

« La panique et la peur de la radioactivité ont fait plus de dégâts que la radioactivité elle-même. »

La vie sauvage qui retrouve ses droits autour de Tchernobyl : n’est-ce pas du à l’absence d’humains plutôt qu’à l’accident lui-même ?

etc…

Mais de qui se moque-t-il ? En terme de propagande, peut mieux faire.

Même mélange d’explications scientifiques sérieuses et crédibles, de promesses « rassurantes » qu’en France ça n’arrivera jamais et de pures malhonnêtetés à propos de la seconde catastrophe. Les auteurs d’Oublier Fukushima nous avaient pourtant expliqué comment, pour éviter d’importantes évacuations, le « taux de radiation acceptable » passe, dans les jours qui suivent le raz-de marée (terme employé pour donner une origine « naturelle » à l'accident) de 1 à 20 millisieverts par an, et sera adopté comme norme internationale par la Commission internationale de protection radiologue (CIPR), comment l’université médicale de Fukushima est chargée exclusivement de l’enquête sanitaire, comment les examens individuels sont remplacés par des évaluations, des « reconstitutions de dose » calculées à partir des informations recueillies, comment les évacués sont « dilués » dans tout le Japon pour compromettre la détection des effets à long terme, etc

Rassurant avec l’aplomb d’un démarcheur d’assurances, Jancovici nous jure que les déchets radioactifs produits depuis près de cinquante ans tiennent dans une piscine olympique. Dans ce cas, comment justifier la construction du site d'enfouissement de Bure et surtout ses dimensions : l'équivalent des galeries du métro parisien, construit 500 mètres sous terre ? Sans doute ne retient-il qu’une seule catégorie, celle des déchets hautement radioactif à vie longue, sans inclure les déchets issus de la recherche par exemple, alors que le rapport de l’ANDRA de 2018 parle d’1,5 millions de m3 au total, soit l’équivalent de 4 tours Montparnasse ou de 400 piscines !

Après ce chapitre digne d’une plaquette AREVA, sont évoquées avec un peu plus de sérieux certaines solutions possibles pour faire face au réchauffement : diminution de la consommation individuelle de viande et de produits laitiers, délocalisation de l’agriculture, isolation les logements et installation des pompes à chaleur, achat de moins d’objets et utilisation plus longue, réparations. Mais rapidement réapparait le nucléaire, seul capable de « rend[re] la décroissance acceptable ».


Pourtant, il vient de longuement démontré qu’aucune énergie, jamais, ne s’est substituée aux précédentes : développer le nucléaire ne permettra jamais que de consommer plus, parce que notre modèle économique, il l’a également bien précisé, repose sur la recherche infinie de profits et non pas sur l’intérêt général. Contrairement à ce que l’auteur prétend démontrer, il est idéologiquement impossible d’envisager de bifurcation sans changement de paradigme, c'est-à-dire, appelons les choses par leur nom : sans sortir du capitalisme. Ce que le docteur en biologie moléculaire Sébastien Bohler explique, et que Jean-Marc Jancovici reprend à son compte, à propos du stratium, cette partie du cerveau qui sécrète la dopamine, n'est certainement pas inexact, mais il permet surtout de stigmatiser les responsabilités individuelles tout en évacuant tout aspect politique. Le capitalisme exempté par cette hormone ?

Plus à une contradiction prêt, Jean-Marc Jancovici invite à la coopération : « Si la technique ne peut plus assurer notre sécurité, il faut la retrouver dans l'entraide. »


Il devrait au moins se plonger dans l’oeuvre de Günther Anders ou dans le percutant témoignage de Jérémy Désir-Weber qui, lui aussi, a choisi une autre voie que celle à laquelle ses brillantes études le destinaient, après une prise de conscience écologique. Et les 250 000 personnes qui ont déjà lu cette bande dessinée à ce jour, devraient aussi se procurer sans tarder Oublier Fukushima en guise de complément d’informations.

Christophe Blain réussit quant à lui à trouver en permanence des idées pour rendre accessible et digeste cette masse impressionnante de réflexions. Ses trouvailles sont bien souvent pertinentes. Il est drôle, inventif et efficace mais bon sang, qu’allait-il faire dans cette galère ?



Tout n’est bien sûr pas à jeter dans cet ouvrage mais les quelques erreurs grossières, voire malhonnêtes que nous avons pu relever laissent planer un sérieux doute sur l’ensemble des données avancées qui nécessiteraient une vérification minutieuse. C’est fort dommage d’autant que bien des passages sont forts éloquents et intelligemment bâtis. L’état des lieux est relativement juste, même si toutes les conclusions n’en sont pas tirées et qu’au contraire, plus ou moins adroitement, ce sont de fausses évidences qui sont avancées.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier




LE MONDE SANS FIN

Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain

218 pages – 27 euros

Éditions Dargaud – Paris – Octobre 2021


www.dargaud.com/bd/le-monde-sans-fin-miracle-energetique-et-derive-climatique-bda5378080