dimanche 27 février 2022

La notion d'accident en travail: un enjeu de luttes partie 2 Par Rémi Lenoir

 

La prévention des luttes

 

Seule la construction des médiations par lesquelles passent les luttes entre les classes pour l'imposition de la représentation légitime des causes des accidents du travail permettrait d'établir le système des relations entre l'état des rapports de force entre les classes et la définition des accidents du travail qui leur correspond. Néanmoins on peut noter les correspondances suivantes : avant 1898, c'est-à dire à un moment où ce rapport était nettement favorable au patronat, l'accident est imputé à l'imprudence» ou à «l'indiscipline» des ouvriers; à la fin du 19ème siècle, le rapport étant plus équilibré, l'accident est rapporté à des défaillances «mécaniques» ou «humaines» et, avec l'inversion momentanée du rapport de force à la Libération, il tend à être perçu comme le résultat d'un «ensemble de facteurs» que des mesures de prévention sont à même de maîtriser. En effet, la loi du 30 octobre 1946 qui porte, à la différence de la loi de 1898, sur la «prévention et la réparation des accidents du travail et les maladies professionnelles» marque le début d'une période pendant laquelle se mettent en place un ensemble d'institutions spécialisées dans la prévention des accidents du travail : en 1947 sont institués les Comités d'hygiène et de sécurité dans les entreprises industrielles de plus de 50 salariés en même temps qu'est créé l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics qui est à l'origine de nombreuses études sur les accidents du travail. En 1948 est ouvert l'Institut national de la recherche et de la sécurité (INRS). Sans doute la définition «pluraliste» des causes des accidents du travail tient-elle, avec la reprise de la gestion du risque professionnel par la Sécurité sociale, au développement d'un système d'agents (ingénieurs sécurité, psychologues, ergonomes, etc.) qui, en définissant les causes des accidents du travail, déterminent du même coup le ressort de leur intervention.

 

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C'est en effet la Sécurité sociale qui finance la plupart des centres de recherche sur les causes des accidents du travail(en 1977 le budget des organismes de prévention de la Sécurité sociale est de 253 millions de francs) : l'INRS, les laboratoires rattachés directement à des caisses régionales d'assurance maladie, les centres de mesure physique et des centres psychotechniques (19). En 1977, l'INRS compte 447 salariés, dont 280 à son laboratoire de recherche et d'essai, les comités techniques régionaux de recherche et d'essai des caisses régionales d'assurance maladie disposent de 164 ingénieurs et de 305 contrôleurs de sécurité qui travaillent dans des services de prévention ;l'inspection du travail est formée de 572 inspecteurs (moins de la moitié visitent effectivement les entreprises) et 1 272 contrôleurs, et le nombre de médecins du travail dépasse 5 000, dont près de la moitié exercent à plein temps (20). Entre 1945 et 1976 l'Association des industriels de France contre les accidents du travail voit le nombre de ses ingénieurs-conseils décuplé (250). En outre, dans un grand nombre d'établissements un ingénieur est chargé de la sécurité, fonction qui, autrefois généralement considérée comme une voie de garage, est de plus en plus recherchée.

En plus des formations spécialisées de l'INRS, du Conservatoire national des arts et métiers et de l'Institut de psychologie de l'université de Paris, il existe de nombreux stages de «formation-sécurité» à destination de toutes les categories de salariés.

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La prévention des accidents du travail à laquelle concourent ces organismes en proposant notamment, à partir des résultats de leurs recherches sur les causes de ce type d'accident, des programmes d'action de formation des travailleurs à la sécurité , des plans d'organisation du travail et des mesures d'hygiène dans les ateliers, constitue un terrain de rencontre entre les organisations patronales et syndicales. La formation des représentations des causes des accidents du travail passe désormais de plus en plus par l'institutionnalisation des conflits sociaux dans le cadre d'instances

de négociations collectives qui légalisent les catégories selon lesquelles est construite la notion d'accident du travail : au niveau de l'entreprise, les Comités d'hygiène et de sécurité (CHS) et les Equipes de recherche et d'intervention pour l'amélioration des conditions de travail (ERACT); au niveau national , l'Association nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) et les conventions collectives, comme par exemple l'accord-cadre du 17 mars 1975 sur l'amélioration des conditions de travail, etc. Seule l'observation des conditions dans lesquelles se déroulent ces confrontations, comme celle que Sami Dassa a faite sur l'élaboration et l'application des politiques de prévention et de sécurité dans six grandes entreprises, permettrait de décrire ce que la définition des accidents du travail doit à ces nouvelles formes d'organisation des confrontations entre les classes (21). De tels accords ne sont que des solutions momentanées de compromis entre des représentations qui, au-delà des positions et des oppositions de principe dont les formes et les formulations varient selon les terrains et les enjeux de la lutte (négociation collective, colloque, entreprise, tribunal), sont fondamentalement antagonistes, comme le rappellent les différences des interprétations des causes d'accidents du travail que de nombreuses études ont observées entre les employeurs (et le personnel d'encadrement) et les ouvriers. Ainsi M. Olivier constate à partir des fiches d'accidents survenus dans des mines de charbon que les chefs-porions imputent beaucoup plus fréquemment les accidents du travail à l'imprudence des porions, ces derniers, par contre, invoquant le plus souvent les mauvaises conditions de travail. Et il suffit de consulter certains des rapports qu'à la suite d'un accident, les responsables d'entreprise transmettent à l'inspection du travail et, en cas d'accident mortel, au greffier du tribunal, pour voir réapparaître les catégories de perception de l'accident qui stigmatisent la victime ou un collègue de travail, souvent considérés comme responsables de l'accident : «maladresse», «négligence», «désobéissance», «alcoolisme», etc. Tel ce manoeuvre qui évacue du haut d'un mur des déchets d'acier; une pièce tombe, son gant reste accroché aux aspérités de la ferraille, il est lui-même entraîné : « maladresse» et «précipitation» ; tel ce chauffeur de camion qui s'arrête dans une rue en pente pour venir en aide à un blessé; il laisse une vitesse enclenchée et met le frein à main, mais le camion en mauvais état s'emballe et écrase deux passants : «négligence», «imprudence». Enfin ce pontonnier qui, lors d'un transfert entre deux ponts roulants, tombe et se tue : «alcoolisme»... On peut aussi rappeler que dans l'état actuel de la jurisprudence sont exclus du champ d'application de la législation des accidents du travail tous les accidents intervenus en dehors des rapports de subordination entre l'employeur et l'employé : non seulement les accidents du travail dus à une faute intentionnelle de la

victime (mutilation volontaire), actes contraires aux conditions normales de travail (abandon de poste, plaisanterie et bagarres, méconnaissance des règlements intérieurs, etc.) mais aussi des accidents survenus au cours d'activités syndicales ou pendant une grève (22). Sans doute l'attention de plus en plus vive portée à la prévention et à la formation à la sécurité, dont la dernière loi sur les accidents du travail (6 décembre 1976) est un indice, témoigne-t-elle de la montée de ces spécialistes de la sécurité en milieu de travail qui, en produisant des définitions «scientifiques» des causes des accidents du travail, fournissent un terrain de rencontre à des points de vue objectivement antagonistes. Cette loi visait à répondre à l'émotion qu'avait suscitée, notamment dans les milieux patronaux, l'affaire Chapron. Mais cette mise en cause publique de la responsabilité personnelle du chef d'entreprise sur le plan pénal a abouti non pas à une extension de la prise en compte juridique de la responsabilité pénale de l'employeur mais au développement des mesures de prévention. Cette sorte de déplacement, voire de détournement des luttes, du terrain de la responsabilité de l'accident à celui de l'application des consignes de sécurité, c'est-à-dire du terrain de la politique à celui des techniques de prévention, suppose que les agents s'accordent sur l'idée qu'il puisse y avoir une étiologie objective des accidents de travail.

 

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Les accidents du travail : une question d'état d'esprit*

Un autre état d'esprit est nécessaire au développement de cette action collective : il faut changer les habitudes de penser, avoir une nouvelle vision des faits. Cette mutation est possible par un entrainement aux méthodes d’observation, par la connaissance des bases de l’ergonomie et de la physiologie, des exigences et des aspirations humaines. Mais celui qui veut s’engager dans ces voies nouvelles  doit, au-delà de ce qui est la connaissance matérielle, technique, scientifique, élever sa pensée pour mesurer sa faiblesse. La médiation, prélude et moteur de l’action, nous est ouvertement proposé dans l’ouvrage de Jean Girette : « Je cherche la justice » d’un humanisme émouvant et profond : « Rien n’est moins naturel que la connaissance objective de la réalité. L’esprit humain y répugne le plus souvent et il résiste difficilement aux excès de sentiment ou d’une raison inhumaine ».

 

C'est bien dans la conscience de cette difficulté qu'il faut puiser des forces pour agir. Toute tentative pour l'amélioration des conditions de travail doit être précédée d'une sorte de traitement de choc, d'une thérapeutique pour donner à l'homme cette capacité de perception des risques et des contraintes.

 

• On ne peut améliorer, supprimer, que ce qui est perçu, capté, compris. C'est autre chose que de rechercher ce que l'on a appelé « l'esprit de sécurité », expression dont

on a tellement abusé qu'elle est devenue banale.

 

• il est nécessaire ensuite de sortir de cette tradition lénifiante de la « méthode de sécurité », du spécialiste animateur de sécurité qui ne peut à lui seul, dans une entreprise, cerner le problème et faire « bouger » les hommes et les choses. Ceux qui depuis vingt ans ont consacré leur carrière à cet effort savent bien qu'un certain plafond, dans les meilleures conditions, ne peut être dépassé si on perpétue le système actuel. Il nous paraît donc évident qu'il est souhaitable de proposer une remise en question logique de l'action des uns et des autres dans ce domaine et de mettre en place des équipes de recherche d'amélioration des conditions de travail (ERACT), qui ne seront qu'un élément d'une action générale à reprendre en totalité. Pour tenter de « changer la vie » à l'intérieur de l'entreprise, la première difficulté et non la moindre sera la résistance au changement. La création des ERACT ne peut être une mode, un « truc » ou un alibi. Elle exige cet « autre état d'esprit » parce que, dans un tel système d'action, la remise en question des rôles de chacun devient impérative à tous les niveaux.

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Description scientifique et dénégation des luttes sociales

 

La plupart des travaux qui se réclament de la psychologie industrielle et de l'ergonomie et qui visent à établir le poids respectif des déterminants «technologiques» (ou «matériels») et des «facteurs humains» contribuent à la production des représentations des accidents du travail ayant toutes les apparences de l'objectivité (23). Cette étiologie technologique et psychologique des accidents du travail qui a pour effet d'évacuer les luttes sociales en tant que telles, aussi bien dans les explications qu'elle détermine que dans la définition qu'elle donne de son objet, apparaît comme le produit de «l'expression objective des faits» ainsi qu'on le voit dans tel manuel d'ergonomie qui énumère les facteurs qu'une «description exacte de l'accident» doit prendre en compte : en ce qui concerne l'objet lié à l'accident, identification et appréciation de son caractère dangereux (outil, machine, échafaudage, etc.), existence de protection, etc.; en ce qui concerne la victime, description de l'action dangereuse dont résulte l'accident et déduction de la cause qui l'a rendu possible (ignorance, jeu, précipitation, etc.) (24). Suffit-il d'augmenter le nombre des rubriques pour qu'une description soit plus objective, comme le font par exemple les méthodes d'investigation qu'a expérimentées l'INRS et qui élargissent la définition du champ d'observation des facteurs pertinents à l'extérieur même de l'entreprise (autobus en retard, pluie, enfant malade, etc.) (25) ? Le pré-supposé de telles enquêtes, quelle que soit la minutie de leur protocole d'observation, *est de prendre pour un donné ce qui est le résultat des rapports de force entre les classes (déclaration de l'accident et définition des catégories d'imputation). De sorte que cette «fidélité au réel», qui n'est d'ailleurs jamais aussi fortement proclamée que lorsque la définition des faits est un enjeu immédiat, si l'on peut dire, de la lutte entre les classes (ce qui est plus particulièrement le cas de tout ce qui relève des relations de travail), conduit à se laisser imposer une définition de l'objet plutôt qu'à prendre cette définition comme objet de l'étude. On le voit en particulier dans ces études qui s'appuient sur les statistiques des régimes d'assurance et notamment celles de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés; elles traitent ces «données» comme le produit d'un enregistrement automatique du réel, alors qu'elles résultent d'un processus de sélection qui tient en partie, comme l'ont remarqué certains spécialistes, aux fonctions assumées par les organismes qui les ont recueillies (26). Elaborées par les caisses d'assurance sociale qui, pour calculer les taux de cotisations et le montant des indemnités, font remplir aux employeurs des formulaires donnant des informations standardisées, elles sont nécessairement tributaires, quant à la définition du champ des accidents pris en compte, des mesures légales et judiciaires définissant l'accident du travail et des règlements qui fixent les conditions de la prise en charge.

 

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Ainsi ne sont retenus que les accidents déclarés, «survenus par le fait ou l'occasion du travail» (art. L 415 du Code de Sécurité sociale) et «caractérisés par l'action soudaine et violente d'un événement extérieur provoquant une lésion sur l'organisme humain» (Cass. soc, 16 oct. 1958), autant de termes qui délimitent, selon l'appréciation des parties en présence et, en cas de contestation, selon le juge, le nombre et le type d'accidents figurant dans les statistiques. Font partie de la définition statistique des accidents du travail les accidents qui se produisent sur les lieux et pendant le temps de travail ainsi que ceux qui surviennent pendant le trajet du domicile au lieu de travail et, inversement, en sont exclus ceux qui surviennent sur le lieu de travail mais après la résiliation ou la suspension (grève) du contrat de travail. En outre, afin d'alléger les

coûts d'exploitation, ne sont retenus dans le traitement informatique que les accidents ayant donné lieu à un arrêt de travail d'un jour au moins en plus du jour de l'accident,

ce qui représente un peu moins de la moitié des accidents déclarés (27). Quant aux catégories selon lesquelles sont caractérisés les employeurs (activité, taille de l'établissement), les victimes (sexe, âge, qualification professionnelle, nationalité), la nature et la gravité des blessures, leur choix et leur définition sont commandés par les nécessités de gestion des régimes d'assurance : évaluer le risque d'accident (fréquence et gravité) dans une entreprise de façon à calculer le montant de ses cotisations. Ainsi un accident «grave» est défini par son effet financier sur le taux de cotisation de l'employeur : c'est un accident qui donne lieu au versement d'une rente d'incapacité. Mais surtout l'accent mis sur les circonstances «matérielles», les seules qui sont prises en compte parce qu'à la différence des autres (i.e. sociales), elles sont,

comme l'écrit P. Jardillier, des «notions objectives» (op. cit., p. 293), tend implicitement à imputer l'origine de l'accident à une défaillance physique ou mécanique, une telle définition des causes de l'accident du travail n'étant pas sans affinité avec les représentations des organismes patronaux dont ces statistiques reprennent pour l'essentiel les catégories. En effet, le mode de dépouillement statistique des accidents adopté par la CNAM trouve son origine dans la pratique des compagnies d'assurances qui, jusqu'en 1946, ont géré le risque «accident du travail» et de l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) qui, en 1927, a créé un service de prévention (cf. P. Jardillier, op. cit.,

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Sans doute la recherche des «causes» des accidents du travail supposerait la prise en compte de facteurs supplémentaires relatifs à l'organisation du travail, à l'accidenté, à l'auteur de l'accident, à la politique de sécurité de l'entreprise, etc., que devraient permettre une observation plus précise des circonstances de l'accident et l'utilisation de nomenclatures plus détaillées, comme celles des qualifications professionnelles, des conditions de travail de la victime de l'environnement «matériel» de l'accident, etc. ; mais il reste qu'une telle approche présuppose qu'une description des circonstances des accidents du travail, si exhaustive soit-elle, puisse s'abstraire du point de vue à partir duquel elle est faite, les causes de l'accident étant en quelque sorte prédéterminées par les catégories de perception qui sont engagées dans l'observation.

On peut se demander si les études des causes des accidents du travail ne sont pas condamnées retrouver au bout de ce que certains ergonomes appellent «une chaîne de causalité», qui pourrait en l'occurrence ressembler à un cercle, les formes socialement déterminées de perception de l'accident qui sont au point de départ de leurs analyses. La plupart de ces études établissent que les catégories sociales dont le taux d'accidents du travail est le plus élevé sont celles qui sont les moins protégées contre les risques et les aléas de la condition ouvrière : travailleurs immigrés, ouvriers inexpérimentés, instables, etc. Mais une telle (re)découverte ne tient-elle pas au fait que ce sont les mêmes catégories qui se trouvent précisément affectées aux postes les plus dangereux, aux ateliers les plus malsains, aux secteurs d'activité les plus risqués ? N'est-ce pas parce que les spécialistes des «relations sociales au sein de l'entreprise» et les chefs du personnel se représentaient les victimes des accidents du travail comme «maladroits», «imprudents» et «indisciplinés» que les études «scientifiques» ont «découvert» chez les accidentés «moins de plasticité fonctionnelle» (J. M. Lahy et S. Kornfold), moins «d'intelligence concrète» (R. Bonnardel), plus de «gestes néfastes» (V. Raymond), plus de manifestations de «rébellion contre l'autorité» (A. Morali-Daninos), etc. (28)? Comme la docimologie qui attend d'une rationalisation des techniques de notation la disparition de toutes les imperfections de la sélection scolaire, l'ergonomie voit dans la définition et l'organisation scientifiques des postes et des rapports de travail le principe de la réduction des accidents du travail. Sans doute ces deux disciplines ont, si l'on peut dire, «la réalité pour elle», les catégories d'analyse qu'elles utilisent étant celles-là mêmes selon lesquelles leur objet est construit : pour la première, les critères inconscients qui orientent systématiquement les correcteurs sont repris inconsciemment par l'analyste, pour les seconds, la définition sociale de l'accident du travail commande à la fois le choix et le protocole de l'observation de l'accident. De ce point de vue les éléments constitutifs de l'accident du travail sont inscrits a priori dans

la catégorie qui le désigne comme tel, à la façon dont, pour B.L. Whorf, les circonstances dans lesquelles se déclarent les incendies accidentels peuvent être impliquées dans certaines expressions linguistiques (29). Mais ces constructions «scientifiques» ne font pas seulement «pléonasme avec le réel», c'est-à-dire avec les catégories selon lesquelles le patronat perçoit et construit la réalité sociale, elles fournissent aussi des descriptions «objectives», neutres et neutralisées des accidents du travail qui surviennent, comme l'écrit J. Zurfluh, «quelles que soient les formes d'exploitation de l'industrie» (op. cit., p. 61). Le plus souvent ces études réduisent l'accident à ce dont il est le produit immédiat, l'environnement matériel ou les caractéristiques psychologiques de la victime : pour les caractéristiques individuelles, ce sont l'âge, l'ancienneté dans le poste, l'expérience, l'état matrimonial, la «prédisposition», etc.; pour les facteurs ergonomiques, l'ambiance de l'atelier (température, éclairage, bruit, vibration), les «charges» musculaires, gestuelles et mentales du poste de travail; pour les conditions de travail, le type de salaire, les horaires, les cadences, les relations hiérarchiques, les changements de poste, les situations dites de «récupération», etc. (30). Le matérialisme sommaire et le behaviorisme expéditif qui caractérisent ces études, en ne reconnaissant que les déterminismes technologiques et les conditionnements psycho-physiologiques, dont le dernier avatar pourrait bien être la théorie des «systèmes hommes-machines», contribuent à l'imposition d'une représentation de rapports de travail totalement désocialisés : les descriptions des accidents du travail ne mettent plus en relation que des machines défaillantes, des automates détraqués, des programmes déréglés, bref un univers complètement mécanisé, fantasmatique dénégation des classes sociales.

samedi 26 février 2022

La notion d'accident en travail: un enjeu de luttes partie 1 Par Rémi Lenoir

Editions Persée  Actes de la recherche en sciences sociales

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encart d'un journal: Le Matin Février 1980:     Le suicide : un accident du travail ?

Sixième suicide au centre de tri de Trappes

La CGT et la CFDT refusent de les considérer comme des "drames individuels".

Un postier de vingt-deux ans, Imbert Ortega, s'est suicidé dans sa chambre du foyer PTT. Venu de sa Bretagne natale voilà deux ans, il travaillait au centre de tri de Trappes (Yvelines) en compagnie de plusieurs centaines d'autres jeunes provinciaux. Au-delà de ce drame personnel, les syndicats CGT et CFDT mettent l'accent sur les conditions de travail, de vie et d'hébergement de tous ces « déracinés ». C'est le sixième suicide qui intervient dans ce centre depuis quelques années. LE drame n 'est pas inexplicable, commente la fédération CGT des PTT. Il est la conséquence affreuse des conditions de vie et de travail du personnel de service. » En décembre dernier, un autre postier de Trappes s'était déjà donné la mort et, en six mois, il y a eu six tentatives de suicide. « Ces suicides ou tentatives sont trop nombreux, explique la CFDT dans un communiqué, pour n'être considérés que comme des drames individuels. II y a un lien entre le phénomène suicidaire et la situation faite aux jeunes postiers en région parisienne. » La vie de ces jeunes déracinés se résume ainsi : ils travaillent aux PTT, ils dorment et prennent leurs repas dans les foyers et cantines PTT. A cela s'ajoute le manque de rapports dans le travail, en raison de la répartition des tâches, et une vie affective quasi nulle du fait de l'isolement. Et la CFDT affirme : « Oui, l'univers postal pour ces jeunes contient la désespérance et alimente les tendances suicidaires. » Aussi ce syndicat conclut « 11 y a nécessité pour les responsables de l'administration de regarder lucidement ce fait. 

Le Matin, 15 février 1980.

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Une notion comme celle d'accident du travail est aujourd'hui d'une telle évidence que s'interroger sur la réalité à laquelle elle renvoie peut apparaitre comme un exercice quelque peu spécieux. Pour s'en assurer, il suffit de mentionner les institutions qui ont précisément pour vocation la prise en charge et la prévention des accidents du travail : les services spécialisés de la sécurité sociale qui enregistrent et traitent les 2,5 millions de déclarations d'accidents du travail par an, ceux du ministère du travail (sous-direction de la protection contre les risques du travail) , les associations de défenses des intérêts des victimes (la fédération des mutilés du travail), les instituts de recherche (institut national de la recherche et de sécurité), la législation, le contentieux et les traités de droit spécifiquement aux accidents du travail...Bref devant une telle accumulation de faits, le sociologue serait prêt à renoncer à toute réflexion sur les fondements de la définition des accidents du travail s'il ne trouvait dans les propos mêmes de ceux que son interrogation indignent, les indices du bien-fondé de sa démarche: la dénonciation des fraudes et des abus les plus patents et le décalage entre la définition juridique des accidents du travail et celle du sens commun suggèrent l'existence d'un écart entre la réalité et sa désignation.

Il va de soi aujourd'hui qu'un accident qui survient sur le lieu et dans le cadre d'une activité professionnelle est un accident du travail, mais il est peut-être moins évident qu'il en aille de même des accidents qui ont lieu entre le domicile et l'entreprise ou dans un café lors d'une interruption régulière du travail. Moins évident aussi que ceux qui surviennent aux grévistes sur les lieux du travail ou à des militants syndicaux au cours de l'exécution de leur mandat syndical ne soient pas traités  comme tels. La notion d'accident du travail est une catégorie de construction de la réalité sociale dont le contenu est un enjeu de luttes entre les classes. La reconnaissance d'un accident comme accident du travail n'est pas un simple acte d'enregistrement, elle résulte de l'action exercée par des agents qui interviennent tout au long du processus qui conduit à la déclaration de l'accident, l'accident, déclaration à partir de laquelle sont produites les «données» statistiques des accidents du travail. Cette note vise seulement à rappeler, en posant les premiers éléments d'une analyse, que l'objet de la recherche consiste à analyser le processus à travers lequel se constituent le signalement et la désignation de l'accident du travail, c'est-à-dire à construire le système des relations selon lequel est produit l'objet préconstruit. La sociologie des accidents du travail est un des cas où la sociologie de l'objet préconstruit est l'objet même de la recherche.

L'accident du travail : un enjeu économique

Qu'est-ce qui, dans la matérialité de l'accident, permet de reconnaître que la chute d'un salarié dans l'escalier de l'hôtel où il est hébergé pour des raisons professionnelles est un «accident du travail» ? Suffit-il de «constater les faits», à la façon des juristes, qui recourent à des indicateurs comme l'heure et la localisation de l'accident pour les qualifier ipso facto «d'accident du travail» (1) ? Si les questions que soulèvent systématiquement les magistrats pour déterminer si un accident peut être tenu pour un accident du travail rappellent opportunément que cette notion n'est pas une donnée immédiate, leur formulation sous-entend en revanche que la qualification de l'accident est une donnée de fait que le juge se borne à identifier afin de la classer dans la catégorie juridique correspondante. Or, comme en témoignent les fraudes en ce domaine, qui consistent surtout à jouer, en fonction de ses intérêts, sur la relative indétermination de la qualification juridique des accidents liés au travail, la reconnaissance parle droit de l'accident du travail constitue un enjeu qui oppose les intérêts respectifs des salariés et des employeurs, un de ses effets étant, pour les premiers, l'obtention d'une rente et, pour les seconds, une augmentation corrélative de leurs cotisations aux assurances sociales. C'est qu'en effet, à la différence des autres branches de la Sécurité sociale, le taux de cotisation aux assurances accidents du travail et maladies professionnelles est, pour chaque entreprise, proportionnel à la fréquence et à la gravité du risque qu'elle crée et des efforts qu'elle accomplit en matière de prévention. Qr ce taux est loin d'être négligeable : par exemple dans le bâtiment et les travaux publics, secteur dans lequel les accidents du travail sont les plus nombreux, il est en moyenne de 10 % des salaires et peut s'élever jusqu'à 15 % pour les entreprises de peinture extérieure et, même, à 25 % pour les activités de levage-montage.

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En 1977, pour l'ensemble des secteurs économiques, le montant des prestations servies au titre de l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles s'élevait à 1 1,8 milliards de francs soit 13,6 % de l'ensemble des allocations versées par les assurances sociales (maladie, maternité, décès), ce qui représente 20 % du budget du Ministère de l'Education nationale de la même année. Encore cette évaluation ne tient-elle compte que des dommages couverts par la Sécurité sociale, le coût réel étant, selon les spécialistes, deux à quatre fois plus élevé (paiement de la journée de l'accident, complément de salaire, dégâts matériels, frais d'enquête, mouvements de grève éventuels, etc.)(2). Quant à la victime d'un accident du travail, elle a droit à des soins gratuits et à une indemnisation proportionnelle au salaire, pour perte de sa capacité de travail : pour une incapacité provisoire, l'indemnité journalière était en 1977 de 280 F maximum et en cas d'incapacité permanente, le salaire annuel pris entièrement en considération pour le calcul de la rente se situait entre 30 085 F et 60 170 F. La même année et dans le cadre du seul régime général de la Sécurité sociale (80 % de l'ensemble des salariés), 113 812 rentes ont été attribuées, 1 360 588 ont été versées au titre de la législation sur les accidents du travail et, si' l'on ajoute les rentes allouées pour les accidents de trajet et les maladies professionnelles, les chiffres correspondants sont respectivement de l'ordre de 150 000 et 1 800 000. Ainsi plus de 12,7 % des 14 millions de salariés du régime général reçoivent une rente d'incapacité de travail, cette proportion étant évidemment plus élevée dans les catégories les plus exposées aux accidents du travail comme on le voit dans les variations des déclarations d'accident avec incapacité permanente selon les catégories socio-professionnelles : en 1977 les ouvriers qualifiés et les ouvriers spécialisés qui forment 41,7 % de la population des salariés du régime général de la Sécurité sociale, représentaient 68,8 % des bénéficiaires des rentes d'incapacité permanente (3).

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Pour diminuer le montant de leurs cotisations, les entreprises utilisent tous les moyens que leur offre le système des taux de cotisation qui varient non seulement selon le nombre et la gravité des accidents mais aussi selon le type, le secteur et surtout la taille des établissements. Ainsi certaines entreprises font-elles baisser artificiellement le nombre de leurs accidents du travail, en plaçant à des postes dangereux des travailleurs intérimaires ou des salariés d'entreprises sous-traitantes, ce qui leur permet, en cas d'accident, de ne pas le comptabiliser dans le calcul du taux de l'entreprise pour lequel le travail a été effectué mais dans celui de la société de travail temporaire ou de sous-traitance. Comme pour ces dernières, et sous certaines conditions précisées par le droit, le nombre d'accidents peut n'avoir qu'une faible influence sur le montant des cotisations, le coût global que représente la prise en charge des accidents du travail est de fait diminuée (4). Mais les stratégies patronales visant à diminuer le coût de la prise en charge des accidents du travail ne se limitent pas à de tels jeux avec la loi, elles ont essentiellement pour objet la réduction du nombre des accidents du travail ou mieux celle du nombre des accidents déclarés (5). C'est qu'en effet la déclaration d'un accident du travail ne se réduit pas à un acte administratif d'enregistrement, elle est l'objet d'un rapport de force entre la victime et son employeur, comme le montrent les variations des déclarations des accidents du travail selon la conjoncture économique et les pressions que les employeurs exercent sur les victimes et dont l'efficacité est d'autant plus élevée que la situation de ces dernières est précaire. Ainsi une monographie sur la sécurité dans les mines de charbon a établi que les mineurs déclaraient moins fréquemment les" blessures qu'ils subissaient dans le cadre de leur travail lorsque la conjoncture économique était défavorable et qu'ils craignaient pour leur emploi (6). On peut en voir également un indice dans le fait que les statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie enregistrent proportionnellement moins de déclarations d'accident du travail chez les manœuvres et les ouvriers spécialisés que chez les ouvriers qualifiés, alors qu'un grand nombre de monographies d'entreprise établissent que les ouvriers qualifiés sont moins fréquemment accidentés que les manœuvres et les ouvriers spécialisés (cf. Tableau 1) (7). En plus de la déclaration d'accident du travail, c'est l'évaluation du taux d'incapacité qui constitue un enjeu de lutte économique, les indemnités journalières et les rentes d'incapacité permanente représentant respectivement 19 % et 64 % du coût global des accidents du travail (CNAM, Statistiques de l'année 1977, op. cit., p. 55). Or, comme pour les déclarations d'accidents du travail, ce sont les catégories les plus protégées professionnellement et syndicalement et les mieux considérées socialement qui bénéficient le plus fréquemment de rentes d'incapacité permanente : au moins aussi exposés à des risques professionnels que les ouvriers qualifiés, les apprentis, les manœuvres et les ouvriers spécialisés sont cependant proportionnellement moins nombreux à bénéficier d'une rente d'accident du travail.

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les différentes catégories sociales de victimes d'accidents du travail et les médecins qui interviennent dans le processus d'attribution d'une rente, permettraient de décrire les médiations par lesquelles passe l'évaluation du taux d'incapacité. Cette évaluation est en outre surdéterminée par les rapports qu'entretiennent les médecins (ordonnateurs des dépenses) avec la Sécurité sociale (instance de contrôle) et les entreprises (organismes payeurs) ou encore par l'intensité de la concurrence sur le marché médical. C'est ainsi qu'on a pu montrer que la présence de plusieurs médecins dans une même localité tendait à élever le taux de fréquence et la durée moyenne des arrêts de travail (P. Jardillier, op. cit., p. 290). Mais quelles que soient les médiations par lesquelles passe l'appréciation, par les médecins, de la «gravité» des blessures ou des maladies professionnelles, il reste que l'enjeu est d'autant plus élevé que le taux d'incapacité «réelle» établi par le médecin avoisine 50 %, car au-delà de cette proportion le taux de la rente est majoré de moitié et, en-decà, il est au contraire diminué de moitié (art. L. 453 du code de Sécurité sociale).

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Mais si les déclarations des accidents du travail dépendent des pressions que peut exercer l'employeur sur l'accidenté, que ce soit directement sous la forme de menaces de diminution de salaire et de licenciement, ou indirectement par l'intermédiaire des collègues de travail, soucieux de ne pas se voir retirer leur prime de sécurité, on ne saurait oublier que la déclaration de l'accident dépend également de l'aptitude de l'ouvrier à établir une relation entre l'accident survenu et les conditions de travail, aptitude qui est inégalement distribuée dans les différentes fractions de la classe ouvrière. En effet la prise de conscience d'un accident en tant qu'il résulte de l'activité professionnelle n'est pas une donnée immédiate de la conscience ouvrière, elle est solidaire, et des conditions matérielles d'existence qui permettent à l'individu de «s'arracher au monde pour le considérer» (8) et de l'existence d'un système d'agents (syndicats notamment, mais aussi médecins, juristes, spécialistes du travail, etc.) qui, en constituant la définition de l'accident du travail selon des logiques et des intérêts qui leur sont propres, concourent à en diffuser la notion et, du même coup, contribuent à lui donner une réalité. On peut seulement noter ici que les notions d'accident du travail et de maladie professionnelle se sont constituées à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle avec la création et le développement des organisations syndicales, d'un corps d'inspecteurs du travail, de la médecine du travail, d'un droit du travail, etc. S'il est vrai que les premiers textes législatifs sur les accidents du travail doivent peu, comme l'ont montré nombre d'observateurs, à la pression directe des syndicats, il reste que la reconnaissance, par l'ouvrier, de la nature spécifique de l'accident du travail est solidaire d'une prise de conscience de l'ensemble des conditions de l'exploitation de la force de travail (9). Le passage d'une représentation archaïque et misérabiliste des causes de l'accident (ordre des choses ou ordre du patron) à l'élaboration complète du système dont l'accident est un des effets, résulte pour une part de l'action des syndicats qui ont trouvé dans l'organisation des luttes quotidiennes pour l'obtention et la valorisation des rentes d'incapacité de travail le moyen et la justification, voire dans certains casia fin de leur action.

La responsabilité de l'accident : un conflit politique

En 1975, un directeur général de société était inculpé et mis en détention préventive à la suite d'infractions répétées au code du travail ayant entraîné un accident mortel. Cet emprisonnement a provoqué à l'époque des réactions violentes et immédiates des cadres et des chefs d'entreprise mobilisés par la CGC et le CNPF qui, en manifestant (création d'une association de défense, occupation d'un palais de justice, etc.) pour que «les responsabilités qu'ils assument ne les fassent pas désigner a priori comme coupables», entendaient défendre un ordre dans lequel, comme le remarque François Ewald (10), le responsable de la mort de l'ouvrier n'est pas, par définition, un assassin (11). Cette incarcération remettait en cause, en effet, un des acquis de la première loi sur la réparation des accidents du travail, l'impunité personnelle de fait, sinon de droit, des chefs d'entreprise et du personnel d'encadrement, même en cas de faute grave de leur part (12). Si la notion d'accident du travail est aujourd'hui d'une telle évidence, on le doit sans doute pour une part au système juridique et financier mis en place par la loi du 9 avril 1 898 qui consacre la notion de responsabilité objective au nom du risque inhérent aux conditions matérielles du travail industriel (machine, outil, matière première, etc.), la responsabilité du chef d'entreprise devenant automatique et le montant de la réparation forfaitaire, sauf faute particulièrement grave de sa part ou de la part de la victime. Ce nouveau mode de règlement des réparations des accidents du travail tend à évacuer 1'« antagonisme du capital et du travail», pour reprendre l'expression d'un auteur de la loi, que toute action en demande de réparations renforçait nécessairement, puisque, comme il précisait lui-même, «le patron et l'ouvrier s'y efforcent de rejeter la responsabilité (de l'accident) l'un sur l'autre» (13). Aussi les procès mettant en cause la responsabilité personnelle du chef d'entreprise ou du salarié sont-ils aujourd'hui très rares puisqu'il suffit, depuis 1898, d'établir qu'un accident est un accident du travail pour que l'employeur soit ipso facto considéré comme juridiquement responsable; ils visent, lorsqu'une faute intentionnelle ou inexcusable est à l'origine de l'accident, à diminuer la charge des réparations qui revient de droit à l'employeur et à obtenir pour le salarié une réparation intégrale du préjudice qu'il a subi. 

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Ainsi en 1971, seules 255 actions en matière de faute inexcusable du patron ou de l'ouvrier ont été intentées, alors que la même année, les statistiques dénombraient plus d'un million d'accidents du travail ayant entraîné un arrêt de travail, 'près de 1 15 000 accidents ayant donné lieu au versement d'une rente d'incapacité et environ 2 400 accidents mortels (14).

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L'histoire du droit rappelle que la reconnaissance de l'accident comme accident professionnel est inséparablement un enjeu économique et idéologique de la lutte entre les classes dans la mesure où toute définition de l'accident du travail désigne nécessairement le responsable sur lequel pèsent le coût symbolique de l'imputation de la faute et le coût financier de la prise en charge de la victime. C'est en effet par les «causes» qui l'ont produit que l'accident du travail se distingue de l'accident de droit commun, comme le spécifie la loi de 1898 : est accident du travail tout accident qui a pour origine «le fait ou l'occasion du travail». Aussi la lutte entre les classes a-t-elle toujours pour enjeu d'imposer une représentation légitime des causes d'accidents du travail la plus conforme à leurs intérêts, en recourant notamment à des constructions juridiques ou à des théories scientifiques qui, en établissant les causes des accidents, définissent du même coup les responsabilités. Avant 1898 la victime d'un accident pendant son travail ne pouvait fonder une action en réparation contre son employeur que sur les articles qui fixent les règles générales de la responsabilité civile, le «contrat de louage» n'imposant pas au patron d'autres obligations que de payer un salaire, le salaire couvrant les risques encourus dans le travail (art. 1710). En effet rien dans le Code civil ne permettait de penser les accidents du travail comme une catégorie juridique distincte, tout acte étant constitué comme le produit de la volonté, ou comme l'effet du hasard («cas fortuit»), ou du destin («cas de force majeure»). Selon une telle conception des rapports de travail, toute idée de responsabilité patronale était quasiment exclue, les accidents qui survenaient lors d'une activité salariée ne pouvant être imputés qu'à la faute personnelle, celle d'un employé ou celle de la victime elle même(«imprudence», «négligence», «imprévoyance», etc.) ou encore au fait du hasard et de la fatalité. Ce n'est qu'à partir de 1841 que la cour de cassation (Cass. civ. 28 juin 1841) acceptera qu'une victime puisse obtenir une réparation en prouvant devant les tribunaux que l'accident résulte de la faute personnelle du chef d'entreprise (art. 1382) ou de son préposé (art. 1383), ce que les tribunaux reconnaîtront assez facilement. Mais outre les difficultés que rencontrait le salarié pour apporter la preuve de la culpabilité de son employeur , du fait de la disparition des indices et du silence des témoins, nombre d'accidents survenaient sans qu'il soit possible d'imputer une «faute» à quiconque, de sorte que la plupart des victimes étaient privées de toute espèce de réparation (15). S'il est vrai que ce que sanctionnait le juge était moins une faute moralement reprehensible qu'un manquement à l'obligation d'autorité qui obligeait tout employeur à assurer la sécurité de ses employés dans l'entreprise («subordination implique protection»), il reste que ce revirement de la jurisprudence revenait à admettre que puisse être contesté un des fondements de l'imposition de la domination patronale, l'infaillibilité, qui se traduisait juridiquement sous la forme d'une quasi-impunité (16). Mais plus que dans la reconnaissance de leur responsabilité par les tribunaux, c'est dans la conjonction de l'augmentation du nombre des accidents du travail irréparables selon la définition juridique de la responsabilité (accidents causés par des machines) et la montée syndicale et politique du mouvement ouvrier, qu'il faut voir le principe de la transformation des attitudes patronales (celles des patrons des grandes entreprises) face à la notion d'accident du travail et à la définition des responsabilités qui lui est liée. Lors des débats parlementaires sur les projets de loi relatifs à la réparation des accidents du travail qui se sont succédés entre 1880 et 1898, l'hostilité patronale n'a pas porté, en effet, sur le principe d'une indemnisation des victimes mais sur l'absence de toute prise en compte des fautes, commises par les ouvriers et sur le lien que faisaient certains projets entre la réparation et une présomption de faute de l'employeur. 

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L'instauration de ce mode d'indemnisation automatique des accidents du travail fondé sur le risque professionnel est solidaire de la constitution de la notion d'accident du travail comme catégorie juridique distincte et de la mise en place d'agents spécialisés dans la prise en charge des victimes et dans le contrôle et l'élaboration des règles de sécurité du travail : création des premières compagnies d'assurance d'accidents du travail (comme la Sécurité générale en 1865), fondation de l'Association des industriels de France contre les accidents du travail (1883), dont l'action porte sur le contrôle des machines et la protection matérielle des accidents, organisation d'un corps d'inspecteurs du travail (1874), chargés de la conception et de l'application des règles en matière d'hygiène et de sécurité du travail, naissance de la médecine du travail (1898), création du ministère du travail et de la protection sociale (1906), publication du code du travail (1911), etc. (17).

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A ce mode de gestion des accidents du travail correspond l'imposition d'une nouvelle représentation des causes des accidents du travail : l'accident n'est plus imputable à une faute mais il est la conséquence d'un risque, celui qui est inhérent à l'activité industrielle; l'accident est défini par des caractéristiques objectives et forme, pour reprendre une expression de Durkheim, une réalité sui generis. Cette conception objectiviste de l'accident du travail qu'on trouve à l'oeuvre aussi bien dans la production des premières statistiques en ce domaine que dans la mise en place des premiers contrôles de fiabilité des machines et des systèmes de protection mécanique, est au principe de la constitution d'un droit spécifique des accidents du travail. Si la loi de 1898 ne définit pas avec précision la notion d'accident du travail («accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail»), les tribunaux, conduits à construire dans chaque litige une relation de causalité entre le travail et l'accident, vont élaborer une sorte de casuistique dont les principes cardinaux évolueront peu mais dont le champ d'application tendra à s'élargir : aux indicateurs temporels et géographiques utilisés pour localiser l'accident («heure et lieu de travail»), la jurisprudence substitue, à partir de 1911,1e d'autorité entre l'employé et l'employeur et elle étend le bénéfice de la législation de 1898 aux accidents survenus sous l'effet de contraintes imposées par et dans le cadre de l'exercice d'un emploi, notamment et sous certaines conditions, à ce qu'on appellera les «accidents de trajet»; en 1921, elle renversera la charge de la preuve en faveur de la victime en présumant toute lésion survenue au temps et au lieu de travail comme un «accident» du travail, etc. (18). On peut se demander si l'effet de la loi de 1898 n'a pas été double : éliminer les occasions de luttes entre les classes auxquelles donnaient lieu les actions en réparation fondées sur la faute du patron, mais aussi contribuer à l'occultation du fait que la définition des accidents du travail et de leurs causes était l'objet d'une lutte entre les classes. 

Socialisme ou barbarie socialisme ou barbarie. Collectif. L'ouvrier américain par Paul Romero partie 17

Comme s'ils étaient quelqu'un

Un jour, durant le repas, les ouvriers discutaient et se lamentaient du peu de véritable amitié qui prévaut dans les relations entre les gens. L' un deux s'exprimait dans des termes qui, en fait, signifiaient non pas amitié, mais bien camaraderie. Il disait que c'était tragique que les relations entre les hommes n'étaient pas harmonieuses.

Tous les employés possède un matricule. Systématiquement, les numéro matricule remplacent les noms des ouvriers. Enveloppe de paie, bon de travail, et cetera sont tus adressés à un numéro matricule. Même les ouvriers commencent à se référer les uns aux autres comme à des numéros: "Le 402 a travaillé sur ma machine cette nuit. »

Il y a beaucoup des ouvriers dans l'usine qui cherche à trouver un moyen d'exprimer l'importance de la fonction qui est tienne en tant qu'individu. La compagnie qui en est consciente institua le port d'un certain type d'uniforme pour certaines fonctions. C'est une sorte de veste ou de manteau de travail léger, orné de l'insigne de la compagnie, habituellement porté par les règleurs, inspecteur etc. Je pris la peine d'observer les réactions des quelques ouvriers auquel cette petite ruse était destine. Au début et pendant quelques jours, il apparut qu'ils affichaient un air de supériorité, comme si maintenant il était quelqu'un. Quelques jours plus tard, l'uniforme était devenu sale et, de plus, les autres ouvriers, dès le premier jour, n'avait tenu aucun compte de cette nouvelle marque de distinction dans ce qui portait les vestes pense et être les bénéficiaires. La nouveauté perdit rapidement son attrait, d'autant plus qu'aucun changement réel n etait apporté au statut de ces ouvriers et que le travail continuait, aussi monotone qu'auparavant.

Les ouvriers porte parfois leur nom sur leur chemise. Très souvent, il est facile d'identifier les ouvriers d'après le genre et la couleur des vêtements pour lesquels ils ont une préférence.

J'ai précédemment rapporter les circonstances il est accompagné à l'introduction par la compagnie dans systèmes de convoyage des pièces usinées et souligner l'hostilité des ouvriers à l'égard de ce système.

Mais il y a d'autres raisons à cette hostilité. Avant l'introduction de ce système, les pointeau venait jusqu'au machine des ouvriers pour leur donner un reçu en échange de la livraison de leur piece. Maintenant, l'ouvrier place ses pièces sur le convoyeur qui les  centralise tout en un endroit donné de l'usine. À divers intervalle durant la semaine, on lui fait parvenir c'est reçu. Les anciens rapport d'homme à homme, entre le pointeau et l'ouvrier, sont ainsi supprimer ( ce qui est très avantageux pour le pointeau). L'ancien système donner aux ouvriers le sentiment d'un contact individuel avec les récipiendaires de son travail. L'ouvrier est très mécontent du nouveau système et demande que l'ancien soit rétabli. Il insiste pour que son travail soit comptabiliser à sa machine. Il donne pour justification de cette réclamation que, sans cela, on va le volet d'une partie de son travail. Mais ce n'est pas plus le cas maintenant que cela ne l'était avant et la compagnie multiplie les contrôles à l'extrême pour que personne ne soit volé. Le nouveau système, ainsi que nous l'avons déjà dit, se révéler à l'épreuve plus satisfaisant à bien des égards que l'ancien. Mais l'ouvrier ne veut rien entendre, pas même la voix de sa propre raison, et il est mécontent de voir s accentuer encore le divorce qui existent entre lui-même en tant qu'individu et les fruits de son travail, et de se sentir absorbé dans le processus d'automatisation de la production. . Il essaie de protéger son individualité il essaie de protéger son individualité et se rebelle devant une régimentation croissante de son activité qui le sterilise. aussi, ce n'est pas contre le fait qu'il est forcé de charger lui-même le convoyeur qu il proteste, mais à cause de la séparation croissante qui s'introduit entre son activité productive et le fruit matériel de ses efforts d'une part, et entre lui-même et les récipiendaires de son travail, d'autre part.

Coopération

L'organisation actuel de la production à l'usine temps à opposer le blanc au noir, le juif aux chrétiens, les ouvriers entre eux enfin. Maisl es éléments essentiels de cette division des ouvriers peuvent s'exprimer au niveau de l'activité productive elle-même. Ainsi que je l'ai dit précédemment les ouvriers ont un respect mutuel fondamental de leurs qualités professionnelles. La communauté ouvrière transforme ce respect en une sorte de fierté qui est profondément ancrée chez les ouvriers. Quels que soient les effets déformant de la production moderne, ce sentiment reste vivace chez les ouvriers. Il exprime une caractéristique universelle qui est au-dessus des barrières de race, de conviction, de religion. Mets, de nos jours cette solidarité ne retrouve pas la possibilité de s'exprimer sur le terrain de l'activité productive. Aussi tend elle à se manifester sur d'autres plans.

Parfois, on voit se développer une magnifique de camaraderie à l'usine entre les ouvriers. Habituellement, elle s'exprime dans quelques jeux bruyants et violent. Bien souvent aussi, les ouvriers chanteront en cœur pour égayer la journée de travail.

Parfois, on discutera interminablement des équipe de base-ball, de leur performance, de ce qui joue dedans. On donne des détails précis sur chaque joueur et nombreux sont ceux qui connaissent jusqu'à leur état de santé.

Les ouvriers s'empareront de tout sujet susceptible de servir de liens d'intérêts entre eux le base-ball, le jeu, les femmes.

Un bon ouvrier aime toujours garder sa place propre. la rigidité des catégories et les conflits qu'elles entraînent l'empêche souvent.

Un jour, le sol, le long des rangées de machines, étaient trempés d'huile. On avait répondu de la sueur de bois pour l'absorber. le résultat fut une sorte de gâchis épais et lourd à la place de l'huile. Bien qu'il en soit presque toujours ainsi, ce jour-là virgule les conducteurs aller rechercher un balai et nettoyeur autour de leurs machines. Ensuite, le ballet fut systématiquement passer de l'un à l'autre, le long des travées. La compagnie passe son temps à réclamer des hommes cet effort, mais il est très rare qu'il le fasse, malgré le fait qu'il désire beaucoup garder leur place propre. 

Un jour, la chaleur était telle que l'on aurait dit que les thermomètres allait éclater. On suffoque dans l'usine. La rangée supérieure des fenêtres est fermees. La chaîne est cassé et n'a pas été réparé. D un bout à l'autre de l'usine, les ouvriers ne cesse pas de se plaindre au contremaître. Pour une raison ou une autre, ils sont incapables d'y remédier et les fenêtres reste fermée. Personne ne pose de revendication officiel. Je cherche le délégué mais il n'est pas là. Je contacte alors un ouvrier et lui dit : "ouvront donc nous-même ces putains de fenêtres". Il répond: "allons-y".

Je fais la même proposition à quelque chose autres ouvriers qui acceptent. Deux d'entre nous monte jusqu'à la fenêtre de la salle de douche qui donne sur le toit, pour examiner la situation. Il se révèle qu'il est impossible de réparer les fenêtres par ce côté-là point nous redescendons et ça me force est de retourner à nos machines. Il mettait tout un coup devenu clair comme de l'eau de roche qu'une demi-douzaine d'ouvriers aurait immédiatement répondu à cet appel si on leur avait proposé d'aller chercher une échelle nous-mêmes et de monter réparer les fenêtres. Les ouvriers sont prêt à coopérer pour améliorer les conditions d'existence à l'usine.

Conclusions

la machine-outil de base dans l'industrie, c'est le tour. C'est au départ du premier tour élémentaire que l'outillage perfectionner de l'industrie moderne se développer. Presque tout l'outillage moderne dérive du principe du tour point la plupart des ouvriers qui connaissent quelque chose en mécanique savent cela. Ce que je veux souligner et plus particulièrement, c'est ceci la maîtrise de l'une quelconque de ces machines prépare automatiquement l'ouvrier à s'assurer facilement la maîtrise des autres point j'ai pu le constater des centaines de fois durant ces 7 dernières années. Moi-même, ainsi que d'autres ouvriers avons été, à un moment ou à un autre, mis sur des machines que nous n'avions encore jamais conduite. La plupart du temps, cela nous prenait une demi-heure pour nous mettre suffisamment au courant. C est ainsi que, d'ailleurs, les choses se passent couramment dans la plupart des usines. Lorsqu'il y a momentanément plus de travail sur une machine, on met l'ouvrier sur une autre point j'ai l'occasion d'en faire la constatation chaque jour à l'usine. Dans l'usine où je suis actuellement, durant les deux premiers mois, j'ai conduit une perceuse un tour une machine à fileter automatiquement et une presse. Pour deux de ces machines, il s'agissait de ma première expérience.

ça marche je me rappelle que pendant la guerre, c'était encore plus vrai. Un autre fait également révélé par la guerre, c'est la facilité avec laquelle les nouveaux venus à la mécanique pouvait se mettre au courant en un temps relativement court point j'en ai eu la preuve dans le fait que durant les trois premières années de la guerre, j'ai à moi seule forme et quelques vins ouvriers des plus disparates, blanc et noir, d'un âge variant entre 17 et 50 ans, à conduire détour à fileter et à charioter et des tours parallèle.

il est clair que l'organisation moderne de la production elle-même develop chez certaines aux couches d'ouvriers une multiplicité de capacité. Mais ce polymorphisme professionnel dans lequel ouvrier est dressé ne peut jamais développer toutes ses potentialités de nos jours, dans le cadre de ce que sont actuellement les usines.

L'ouvrier fait usage de ses cinq sens dans le travail quotidien à l'usine. Chacun de ses sens et déformé et mutilé. Les terribles aux attaques d'un appareil de production tyrannique d'un appareil de production tyrannique durant des années poussin Lhassa blement les ouvriers au renversement de cet appareil et à son remplacement par un système productif qui permettra à l'ouvrier le plein épanouissement de l'usage de ses cinq sens.

Dans le système moderne de production, l'ouvrier se trouve isolée sur une île qui serait environné d'une mer d'hommes et de machines point l'ouvrier est dans un sens devenu tellement étranger à lui-même qu'il est aussi entièrement coupée de ses camarades. Il ne peut supporter le bruit que font les hommes dans le restaurant express et ce sens plus à l'aise au sol devant sa machine. L'inquiétude de l'ouvrier est la proie viens de ce qu'il est éternellement prix dans la contradiction suivante donner libre cours à son désir de faire du bon travail et de rester en pleine communion avec ses camarades de travail, et se trouver dans l'obligation, un moment après, de faire le contraire.

Il existe un profond courant souterrain de révolte à l'usine qui, lentement mais sûrement, est en train de grossir. L'animosité profond des ouvriers et partout visible. On peut la voir dans l'affaissement des épaules de l'ouvrier qui déambulent tout le long de l'usine d'une démarche opposante, dans la manière dont un ouvrier va boire à une fontaine, se penchant avec lassitude pour rencontrer le jeu de l'eau qui surgit, on peut l'avoir aux environs de minuit dans les lèvres serrées et les traits tirés de l'ouvrier de la seconde équipe. Quelle expression plus profonde de tout celal'ouvrier x s'adressant à son contremaître

"Je croyais que Lincoln avait libéré les esclaves"

plus tard en présence de quelques camarades d'atelier, il exprimait l'idée qu'il était temps que quelqu'un vienne et nous libère des machines.

Ce que veulent ouvrier 

C'est cette vie qu'il vit à l'usine étude corompt sa vie privée qui engendre cette peine formidable de l'ouvrier. Il lut aveuglément pour se débarrasser du poids je fais posé sur lui un système de production dénaturé point son exaspération devant l'absence d'efficacité éclater à tout propos parce que ce sentiment est profondément enraciné en lui. Cette absence d'efficacité le fait souffrir intérieurement elogen. Jour après jour, ils essaient de tourner les méthodes bureaucratiques et les ordres venus d'en haut. Il enregistre le gaspillage continuel de la force de travail de la classe ouvrière, qui résulte résulte d'une utilisation défectueuse des ressources techniques ou d'une mauvaise administration. Ils tentent en vain de mener une lutte contre la paperasserie, le laisser-aller et la bureaucratie.

il voudrait que chaque homme qui participent à la production centre guide est indispensable d'accomplir sa tâche avec célérité et que chacun participe intelligemment à la tâche de remédier à tout les défectuosité technique et organisationnelles dans la sphère de la production.

l'ouvrier exprime sa haine des systèmes de salaire stimulant, en disant que c'est lui-même qui devrait rédiger les contrats syndicat patron. ce n'est rien moins là que dire que les relations industrielles existantes doivent être renversé. Mais c'est encore aussi beaucoup plus. Cela signifie qu'il veut arranger sa vie à l'usine de telle manière qu'il puisse satisfaire son désir de faire du travail bien fait, en sachant tout cela en vaut la peine, ainsi que son désir de vivre en bonne entente avec ses camarades de travail. Il a profondément ancré dans la mentalité de l'ouvrier que le travail c'est le fondement même de son existence. faire de son travail quelque chose qui est un sens dans son existence, un mode d'expression de l'ensemble de sa personnalité, voilà ce qu'il voudrait faire passer dans les faits.

ce n'est pas au dirigeant actuel de la société de résoudre un tel problème. Ils ont fait la preuve, aussi bien à l'usine qu'en dehors, de leur incapacité. c'est des ouvriers eux-mêmes que sortiront les hommes et les femmes tu dirigeront et guideront les freins ordinaire soulèvement à venir point aujourd'hui, dans l'usine, il s'est duc et se forme à entreprendre une complète réorganisation de la production qui soit basée sur la libération des capacités humaines dans le procès de production.

de puissantes forces se prépare aujourd'hui la réalité socialiste de demain. en tant que ouvrier et que militant révolutionnaire socialiste, je fais partie de ses forces. c'est cette conscience qui m'a permis d'apprendre à voir clair au sein de la confusion. je comprends qu'avec le socialisme, les ouvriers accéderont à la dignité que le capitalisme ne peut leur procurer et, en tant que révolutionnaire socialiste, j'ai été capable de rendre clair pour moi et les autres ouvriers ce que signifie la révolution montante au moyen de laquelle les ouvriers créeront un monde nouveau pour eux-mêmes et pour le reste de l'humanité.

Paul Romano

Fin.


















Socialisme ou barbarie Collectif L'ouvrier américain par Paul Romero Partie 16

 La spontanéité créative des ouvriers.

Lorsqu'un ouvrier trouve l'occasion de s'évader un moment, il en profite pour inspecter les autres départements de l'usine. Cela arrive rarement. Son désir d'accéder à une vision de cet ensemble dont il est une partie n'est jamais satisfait. Il n'arrive pas à connaitre les techniques et les pratiques des départements voisins dans leur totalité. Lorsqu'il le peut l'ouvrier s'arrêtera devant une machine qui l'intrigue, ramassera une pièce usinée et fera des commentaires. Il posera des questions concernant cette pièce à l'ouvrier travaillant sur la machine. On peut alors déceler une extraordinaire expression d'envie dans les yeux attentifs de ceux qui ont pour tache habituelle un travail de manœuvre ou un travail manuel et non qualifié. Il n'est pas rare d'entendre un ouvrier dire à un autre : "C'est un drôle de bon boulot que tu as là ."

Et pourtant lorsqu'un ouvrier monte en grade son nouveau travail lui parait rapidement routinier et une fois de plus il se trouve en proie à la même insatisfaction. De nombreux ouvriers expriment le désir d'étre affectés à l'atelier d'outillage, mais même dans cet atelier, le travail a été l'objet d'une telle division que les opérations exigées en sont devenues simples et routinières. L'un des ouvriers les plus qualifiés de mon département est un régleur. Il se consacre à une grande variété de travaux durant sa journée, réglant les machines, imaginant de nouveaux montages, etc. Cependant son travail l'assomme. Il dit :"Si tu trouves que c'est une si bonne place tu n'as qu'à la prendre. Moi j'en ai plein le dos".

Pendant la guerre s'est développé un genre de spontanéité créatives des ouvriers qui a reçu le nom de "commandes gouvernementales" Je ne pense pas qu'il existe un seul ouvriers qui, à un moment ou un autre, n'ait pas travaillé à ces "commandes gouvernementales". Il était devenu courant et même normal de voir un ouvrier fabriquer quelques pour lui durant les heures de travail. des centaines de milliers d'ouvriers ont fait des bagues, des cadenas, des outils, des bricoles. Si le contremaitre ou un chef survenait et demandait: " qu'est ce que vous êtes en train de faire?". La réponse était: " Commande gouvernementale". Beaucoup de jolies choses furent ainsi faites et les ouvriers se les montraient lus un les autres. Cette pratique se perpétua et il semble qu'elle doive rester acquise. L'expression de "commande gouvernementale" s'applique à tout travail que l'ouvrier peut faire pour son propre compte sur le temps de la compagnie. Il semble pourtant que les ouvriers aujourd'hui ne font pas preuve d'autant de patience qu'alors dans ce genre de travaux et qu'ils ont besoin de quelque chose de plus que ce dérivatif.

Ce n'est pas seulement pour le savoir faire que l'ouvrier désire être capable de faire beaucoup de choses. Un ouvrier parlera d'un autre en disant que celui là il sait faire de tout. Il aimerait bien être lui aussi en être capable mais même cela n'est pas suffisant.

A l'heure du repas on entend souvent les ouvriers discuter de la meilleure manière de faire un boulot de la première à la dernière opération. Ils parlent alors de la qualité de la matière qu'il convient d'utiliser, de comment faire telle ou telle opération sur telle ou telle machine plutôt qu'une autre, ainsi que des divers montages ou réglages. Mais jamais ils n'ont le pouvoir de décider du comment et du pourquoi de la production. Cependant s'ils ne peuvent pleinement utiliser les ressources de leur expérience le plus qu'ils peuvent.

Pour assurer la production, de nombreux ouvriers mettent au point des procédés ingénieux. Certains changent les jeux de roues lorsque le contremaitre n'est pas dans les environs. D'autres fabriquent des outils spéciaux ou font des montages particuliers sur leurs machines afin de se faciliter le travail. Ils gardent pour eux ces améliorations afin que la compagnie n'en profite pas. Parfois, ils s'entraident parfois ils ne le font pas.

L'autre jour mon voisin de machine imagina un système adroit permettant d'améliorer le rendement de sa bécane. Il tint à me le montrer et à m'expliquer ce qu'il avait fait. Il était satisfait de sa réussite et il était déçu que personne d'autre ne puisse l'admirer.

Les conducteurs de machines fonctionnant par coupement du métal ont souvent l'envie d'accélérer l'avancement et d'augmenter la profondeur des passes pour voir jusqu'où ils peuvent aller. Cela se passe couramment sur les tours, parallèles et verticaux etc. Moi-même j'ai bien souvent fait de même. Bien que l'on risque ainsi de casser quelque chose les ouvriers qui le tentent cherchent ce faisant à dominer leur machine. 

Etant donné que les ouvriers n'ont pas la possibilité de donner libre cours à leur spontanéité créative à l'atelier, c'est en dehors de l'usine, chez eux, qu'ils cherchent à la satisfaire.

Nombreux sont les ouvriers qui cherchent à oublier la tension de l'usine, durant leurs heures de loisir, en travaillant sur leurs voitures. Ils les nettoient, et les astiquent, raccommodent les moteurs et les divers autres organes mécaniques. Les ouvriers passent aussi leur temps à peindre et à réparer leur maison.

Mais ici aussi ils sentent qu'il leur manque quelque chose. Il leur arrive d'abandonner le travail entrepris durant des semaines entières parce qu'ils y ont perdu tout intérêt et, à moins qu'ils ne s'y forcent, il demeure alors inachevé. De nombreux ouvriers confient à leurs camarades d'atelier : "Lorsque j'ai fini ma journée à l'usine, c'est pour remettre ça que je rentre à la maison."

Lorsqu'un ouvrier voit un nouveau modèle de machine, il l'observe avec des yeux de connaisseur. "Quelle bécane!"  s'exclame-t-il . Son appréciation n'est pas fonction d'une évaluation monétaire,  mais il en juge d'après ce qu'elle pourrait donner sous sa conduite à lui.

La communauté ouvrière

Personne n'échappe à la vie misérable de l'usine. Aussi lorsque des ouvriers geignent et se plaignent continuellement auprès de leurs camarades de travail, ceux-ci s'énervent. Les pleurnicheurs ne sont pas appréciés et on les évite autant que possible. Les ouviers leur disent : "Si tu as des réclamations à faire ne t'adresse pas à moi. Adresse-toi au patron."

Tout ouvriers capable respectera un autre ouvrier qui fait du bon travail. C'est de cette manière que se créé un sentiment de respect mutuel et d'appréciation réciproque. C'est là pour la communauté ouvrière une sorte de code non formulé.

Les ouvriers ont des procédés pour se mettre les uns les autres à l'épreuve. Parfois, durant une journée, on cherchera à embêtre un ouvrier; par exemple, en mettant du bleu sur sa machine, en l'arrêtant continuellement, en foutant la pagaille dans sa boite à outils, en cachant ses outils. On fait cela pour voir s'il ira pleurer auprès des chefs et s'il est un bon gars qui comprend la plaisanterie. 

Souvent un ouvrier trouve satisfaction à venir travailler un jour où l'on s'attends pas à le voir venir. C'est de sont propre chef qu'il prend une telle décision, vu qu'il n'est pas tenu de venir ce jour-là. Ces ouvriers qui agissent ainsi prennent un certain plaisir à être venus spécialement s'il y a d'autres ouvriers qui, eux, sont absents. On remarque alors une certaine atmosphère de camaraderie et d'insouciance.

Dans chaque département, les ouvriers vont faire de temps à autre un tour aux lavabos pour fumer un peu ou se reposer un moment. Personne n'a jamais fixé une périodicité à ses déplacements, mets dans mon département, nous avons établi une sorte de tradition tacite en la matière. La journée est divisée en deux. Première cigarette à 10h du matin, seconde à 2h de l'après-midi. A de telles heures, on est sûr de trouver d'autres ouvriers et d'avoir de la compagnie pour qui parler avec. 

Lorsqu'un ouvrier change d'usine, il est temporairement envahi par le sentiment d'être perdu et doutes de sa capacité de bien remplir son nouveau travail. Après une journée passée dans la nouvelle usine, au milieu des ouvriers qui le retrouve, sa confiance en lui-même et en ses capacités renait d'un seul coup. 

Lorsqu'un malheur frappe en ouvrier : mort dans sa famille, maladie ou autre détresse personnelle, les ouvriers expriment leur compassion. Bien souvent, les mots seuls ne suffisent pas à apporter une consolation ; aussi l'ouvrier durant cherche à manifester la part qu il prend à ce malheur en aidant d'une manière ou d'une autre son camarade endeuillé. Lorsqu'un malheur frappe un ouvrier, il trouve un certain soulagement à l'usine loin de la tristesse de la maison.



 


vendredi 25 février 2022

Socialisme ou barbarie Collectif L'ouvrier américain par Paul Romero Partie 15

CHAPITRE VII

La baisse de la productivité du travail

J'ai eu plusieurs discussions avec différents ouvriers sur la baisse de la productivité du travail.

L'ouvrier R. convient d'une telle baisse. Spécialement en ce qui concerne le travail à la chaine. Les ouvriers, dit-il, ne veulent pas être transformés en esclaves. Il soutient que si l'on donnait carte blanche aux ouvriers la production pourrait être de 20 à 30% plus élevée. Il se plaint de la somme insurmontable d'entraves auxquelles l'ouvrier a à faire face dans son travail au cours d'une seule journée. Il affirme que si toute la paperasse et tous les contrôles tatillons étaient supprimés et que s'il était laissé libre cours à l'ingéniosité des ouvriers, la production pourrait être considérablement accrue. Il ajoute qu'il est extrêmement difficile de savoir ce que chaque ouvrier pense individuellement étant donné qu'à bien des égards l'ouvrier s'isole mentalement de ses camarades de travail et qu'il est rare qu'il fasse part de ce qu'il pense. Les ouvriers, dit-il enfin, freinent la production et ne donnent pas le meilleur d'eux-mêmes.

La norme, mais pas plus que la norme.

Je me suis entretenu du même sujet avec deux autres ouvriers. Le premier affirme que l'on pourrait doubler la production. Le second est plus sceptique. Il semble penser que cela ne pourrait se faire qu'en exigeant encore plus de travail  de la part des ouvriers. J'abordais alors la question sous l'angle de la journée de 4 heures, 5 jours par semaine et demandait s'ils pensaient qu'un tel objectif était réalisable. J'essayais de les convaincre en mettant en avant l'idée d'une coopération de tous les ouvriers à l'échelle de l'ensemble de l'usine. J'expliquais ce qu'était un véritable contrôle ouvrier. L'un de mes interlocuteurs rapporta alors que durant la guerre dans son département, les gars avaient pris l'habitude de délibérément abattre le travail le plus vite possible et utilisaient le temps qui leur restait de libre à jouer aux courses. Ainsi ils se distrayaient et le travail était quand même fait. Il soutient qu'à cette époque l'atmosphère morale était entièrement différents. Il n'est plus question que de respecter les temps et c'est tout. Il dit que lorsqu'il a rempli ses normes avant l'heure et qu'il flâne le contremaitre rapplique aussitôt et il n'aime pas cela. Il semble que le contremaitre ne puisse pas supporter de voir les ouvriers ne rien faire bien que les normes aient été remplies. (A ce propos le second ouvrier fit remarquer que les mineurs qui avaient débrayé une fois alors que la journée était déjà avancée et que leur quota avaient été remplis n'avaient pourtant pas eu leur journée entière de payée). La conversation tourna enfin de nouveau sur les combines astucieuses utilisées pendant la guerre par les ouvriers pour gagner du temps.

Une équipe de manœuvres a pour unique tâche d'alimenter les divers postes de l'usine en acier. La plupart du temps le travail consiste en ce que plusieurs ouvriers poussent de grands chariots chargés d'acier. Il est visible que le contremaitre de cette équipe estime que les manœuvres sont loin de donner leur pleine force. Il s'énerve et à tout instant il joint sa force à celle des ouvriers. Il est clair que ces derniers n'aiment pas cela. Ils n'ont rien à redire lorsque c'est moi-même qui leur donne un coup de main parce que je suis un ouvrier comme eux. Dès que je joins mon effort au leur, le chariot progresse rapidement. Peut-être que cela signifie seulement qu'un manœuvre de plus était nécessaire pour ce travail. Mais à voir l'expression de leur visage on peut tout aussi bien interpréter cela comme la preuve qu'ils ne font pas plus d'efforts qu'il n'en faut pour faire avancer le chariot à petite vitesse.

Un jour un manœuvre me confia son idée sur ce genre de travail non qualifié: " tu sais petit c'est tout un art que d'être manœuvre. Le truc c'est de ne pas être là lorsque l'on a besoin de toi il faut savoir y faire et un manœuvre qui s y connait ne se crève pas".

J'ajouterai que cela a probablement été beaucoup plus vrai durant la guerre. Il semble que depuis qu'il y a eu des licenciements dans leurs rangs, les manœuvres sont obligés de travailler plus dur. Mais dès qu'une occasion d'épargner ses efforts lui est offerte le manœuvre ne manque pas de la saisir comme avant. 

Alors que le rythme de travail s'accélère et que l'oppression des ouvriers devient plus grande il arrive un moment où cette évolution provoque un changement dans l'attitude de l'ouvrier. C'est justement lorsque la machine exerce sur lui le maximum de ses ravages et lorsque l'ouvrier touche au fond même de son désespoir il se sent envahi par un sentiment de liberté. Ce n'est que rarement que cela arrive mais aussitôt on constate une baisse automatique dans la productivité du travail dans le cadre de ce qu'est de nos jours l'organisation industrielle. 

Par contre j'ai vu des ouvriers se tuer de travail pour sortir le maximum possible 2 pièces uniquement parce qu'il voulait savoir quel niveau de production il pouvait t'avoir. Il s'agit ici deux cas dans lesquels il n'en tirait aucun profit supplémentaire. Inversement certains ouvriers se mettront juste avant de quitter le travail à tourner à sec, tout simplement Histoire de brûler leurs outils. Quelquefois pourtant, il s'agit de se venger d'une crasse faites un jour par l'ouvrier de l'équipe suivante. 

La division au sein de la classe

L'ouvrier dans son travail se heurte sans arrêt à des contradictions. Bien souvent, il pourra avoir l'envie de donner un coup de main à un ouvrier qui fait un autre travail que le sien, mais il s'abstiendra de le faire à cause de l'existence des catégories et de la crainte de mécontenter ce faisant ses propres camarades de travail.

De plus il risque toujours en agissant ainsi de donner à la compagnie un de ces prétextes qu'elle recherche toujours pour justifier l'extension du nombre des tâches qui sont exigées d'un ouvrier d'une catégorie donnée.

Salaires et catégories à l'usine sont multipliés à l'infini. C'est une lutte continuelle pour accéder à une catégorie supérieure et gagner plus d'argent, une lutte de chacun contre tous. Les questions d'avancement ou d'attribution de nouveaux emplois accumulent beaucoup de ressentiments aussi bien entre les ouvriers qu'à l'égard de la compagnie. Chaque fois qu'un nouvel emploi se trouve libre cela déchaine d'amères querelles. Ce n'est pas essentiellement la question des quelques francs à gagner qui est en cause, ainsi que les apparences pourraient le faire croire, mais le fait que chacun désire voir ses capacités reconnues et qu'il lui soit donné une chance d'exploiter ce qu'il a en lui.

Dans les usines où le système des catégories est largement appliqué les ouvriers se confinent aux tâches de leur catégorie. Par exemple un conducteur de machine fait marcher sa machine, le manœuvre balaye, nettoie, porte des charges etc. C'est en tout cas ainsi que cela se passe habituellement. J'ai pourtant considéré qu'il existait une tendance marquée de la part des ouvriers à briser les cadres rigides de leur qualification en faisant des travaux qui sortent pour ainsi dire de leur juridiction. Un conducteur fera aussi le travail d'un manœuvre, etc. C'est de leur propre initiative que les ouvriers enfreignent les règles. je veux dire qu'ils n'assument cette tâche supplémentaire qu'aussi longtemps qu'ils le font de leur propre chef. Que la compagnie leur donne l'ordre de remplir ces tâches et aussitôt les hommes se rebelleront et répondront par un refus. Par contre, il est pratiquement impossible de les en empêcher lorsque c'est eux-mêmes qui en ont pris l'initiative.

Les dispositions concernant l'ancienneté introduites par les syndicats ont très souvent pour effet d'empêcher des ouvriers faisant preuve de qualifications réelles de monter en grade. Il existe par exemple des ouvriers qui après seulement quelques années  de pratique surpassent de loin en intelligence et en imagination de vieux compagnons. Cela est essentiellement dû à la formation technique et générale qui leur a été dispensée dans les écoles modernes. J'ai même entendu dire par de vieux ouvriers que le système de l'ancienneté constituait un frein au développement de la production. Cela n'empêche pas qu'ils seraient quand même prêts à se battre si la compagnie tentait de violer les dispositions concernant l'ancienneté. Ils se trouvent placés dans un système contradictoire parce qu'ils se rendent compte que le système de l'ancienneté est nécessaire à leur défense et que cependant de telles mesures défensives constituent un obstacle à l'épanouissement des meilleurs facultés créatives de l'ouvrier. Les ouvriers disent que s'ils avaient la possibilité de décider eux-mêmes, à la base, quels sont ceux qui doivent bénéficier d'un avancements ils seraient en mesure d'opérer une meilleure sélection.

Durant ces derniers temps, les signes d'une évolution rapide des ouvriers sont discernables. Ils sont agités par une profonde insatisfaction. Ils veulent avoir une existence plus supportable à l'usine. Partout on sent chez eux le désir de résoudre les contradictions de la production qui les aliènent. C'est ainsi que l'ouvrier à qui l'odeur écœurante de sa machine soulève l'estomac, la stoppe tout à coup en s'écriant : " Qu'ils aillent se faire foutre avec leurs catégories. J'en ai plus que marre. Je vais la nettoyer moi-même cette putain de machine."







jeudi 24 février 2022

Socialisme ou barbarie collectif. L ouvrier américain par Paul Romero partie 14

 CHAPITRE VI

 LES DIVERSES CATEGORIES D'OUVRIERS 

 Les dernières années ont été fertiles en événements. Beaucoup d'ouvriers qui font le sujet de cette brochure ne sont rentrés dans cette usine qu'à la veille de l'entrée en guerre de l'Amérique. Certains travaillaient à leur compte avant ça. Ils rappellent souvent qu'à cette époque ils étaient leurs propres patrons. D'autres, qui entrèrent au début de cette époque à l'usine, furent quelques années plus tard appelés sous les drapeaux. Il y a de larges contingents d'ouvriers italiens, allemands et polonais. Bien que la plupart soient nés aux U.S.A., c'est avec le plus grand intérêt qu'ils suivaient les événements dont leurs patries d'origine étaient le théâtre. Il y a aujourd'hui à l'usine des ouvriers venant de tous les horizons sociaux et professionnels. Ainsi on dénombre des anciens instituteurs, des ex-mineurs, des ouvriers qui avaient de petites affaires, telles qu'un garage, une épicerie, un commerce de bonbons, une petite entreprise de camionnage, une ferme d'élevage de bêtes à fourrure, une ferme, enfin des ouvriers ayant tenu des emplois les plus différents, tels que vendeurs, ex,placeurs d'assurances, peintres en bâtiments et avocats. Bien d'autres encore que je ne cite pas. Rien que ceux que j'ai cités constituent chacun l'ancienne profession d'un ou même de plusieurs ouvriers dont j'ai maintenant fait la connaissance à l'usine. 

Le Noir à l'usine

La question noire à l'usine est une question vitale. Dans l'ensemble les ouvriers noirs sont demeurés tranquilles, sur leur réserve même, mais ils sont profondément affectés par la situation qui leur est faite à l'usine. L'ouvrier noir moyen se fait une opinion sur les autres ouvriers de l'usine. Il sait quels sont ceux qui sont dignes de confiance et ceux qui ne le sont pas. Il possède un don spécial pour détecter la duplicité. En présence des chefs et des jaunes il joue la comédie de la stupidité la plus crasse. Lorsque le patron essaie de tirer quelque chose de lui, il se donne le masque de celui qui ne sait rien et ne comprend rien.

 I. -LE NOUVEAU NOIR 

Il y a de nos jours à l'usine une génération de nouveaux et jeunes Noirs. Une jeunesse qui a été à la guerre, mais qui n'a comparativement passé que très peu de temps à l'usine. Ils s'emportent contre les avanies dont ils sont victimes. Ils ne sont pas le fruit d'une période de crise économique, mais constituent une jeunesse frais émoulue de l'armée, ayant gagné en maturité au cours. des six dernières années. Ces dernières années, il ont été accablés de propagande de guerre : égalité, démocratie et libération des hommes de la peur. Maintenant, ils veulent tout cela et ils sont prêts à se battre s'ils ne l'obtiennent pas. Ils ont fait des études primaire et secondaires et font preuve d'un niveau élevé d'intelligence. Ils sont hostiles à la mentalité de type Oncle Tom (1). La plupart des ouvriers noirs de l'usine sont des anciens combattants. Nombreux ont été au feu et ont voyagé à travers tous les Etats-Unis et dans les pays étrangers. Ce qu'ils ont vu  leur a fait une impression profonde et durable. Il est visible qu'ils sont prêts à se battre pour un rien. 

II. L'OUVRIER NOIR ET LES MACHINES 

L'ouvrier noir se tourne avec envie vers les machines. S'il est sur un travail qu'il n'aime pas, il dépensera des trésors d'adresse pour donner à la compagnie le moins de travail possible. Dans l'usine l'ouvrier noir est essentiellement utilisé à des travaux sales et pénibles et non qualifiés de manœuvre. Il n'eut jamais directement embauché pour servir une machine. Il doit d'abord rentrer à l'usine comme manœuvre et ensuite s'élever à la force des poignets. Un ouvrier noir me raconta que durant la guerre il conduisait une machine automatique à faire des écrous. La Compagnie qui l'a embauché depuis n'a jamais accepté de lui donner d'autres emploi que celui de manoeuvre. Si jamais un Noir voit ses efforts couronnés de succès et obtient finalement de travailler sur une machine, la Compagnie et aussi un grand nombre d'ouvriers blancs lui rendront la vie extrêmement difficile. Bien souvent, il sera forcé de préférer quitter l'usine plutôt que de continuer à supporter les avanies dont il sera l'objet. Seuls quelques Noirs sont sur des machines. Les autres ouvriers s'indignent chaque fois que de nouveaux ouvriers sont embauches dans un emploi pour lequel ils estiment qu'ils ont des droits prioritaires. Les discriminations de ce genre sont très répandues. Souvent, aux réunions syndicales, ces jeunes ouvriers prennent la parole pour dénoncer de telles pratiques discriminatoires et exigent l'égalité devant l'avancement. J'ai entendu des ouvriers noirs menacer de quitter le syndicat s'il ne faisait rien en leur faveur. Un ouvrier noir est obligé de faire du travail plus soigné que l'ouvrier blanc s il désire conserver sa place. Dans ce cas la concurrence est âpre et le Noir est certain de perdre s'il ne surclasse pas le Blanc. Il y a aussi les ouvriers blancs qui sont mécontents de voir un Noir toucher une bonne paie pour un travail qu'ils voudraient obtenir pour eux-mêmes. Il y a de nombreux Noirs dans l'usine qui ont la fierté de leur travail. Ils ont le désir sincère de donner le meilleur d'eux-mêmes et d'aider leurs camarades de travail. Mais les mêmes pressions qui poussent déjà l'ensemble des ouvriers à se sentir isolés du reste de la société, jouent doublement lorsqu'il s agit de Noirs. Ils sont profondément affectés par la situation humiliante qui est la leur dans la production, et l'incapacité où se trouve cette société de leur donner une égalité de chances a pour effet d étouffer chez eux les qualités qu'ils ont en propre et que pourtant les ouvriers dans leur ensemble reconnaissent et admirent. En conséquence, ils se sentent perplexes, changés et mal à l'aise. Ils aspirent à être intégrés dans le processus social. Ils désirent ne faire qu'un avec leurs semblables, les hommes. J'ai vu des ouvriers noirs se détourner délibérément d'un ouvrier blanc. En d'autres occasions ils auront pu avoir donné ce qu'ils avaient de meilleur. Le fait que le Noir fait tout ce qu'il peut pour diminuer son rendement doit être directement expliqué par l amertume de se voir confiner à des emplois subalternes dans la production. Il y a donc deux tendances en lui, entre lesquelles il a trouve déchiré. L ouvrier noir d'aujourd'hui suit avec passion les exploits professionnels de ses congénères de couleur. Il a tellement envie qu'Il soit donné aux siens l'opportunité de faire la preuve de leur talent et de leurs capacites que lorsque Jackie Robinson marque des points la vlg"'"' et la '''"'''' de le"" applaudissements rn/ surent leur joie.  Les ouvriers noirs ont l'étonnante capacité de dire au premier coup d'œil quels sont le modèle, la marque et l année de sortie de presque n'importe quelle voiture existante. A l'usine, le manœuvre qui tire les copeaux des machines en connaît plus long sur la qualité des aciers utilisés et sur le numérotage des pièces usinées sur les diverses machines que la plupart de conducteurs eux-mêmes. Ils sont capables d'identifier à vue d'œil un lot ou même plusieurs de pièces usinées de divers type et de dire la cote chiffrée qui leur est affectée. J'ai entendu dire qu'à Détroit les meilleurs conducteurs de voitures étaient les Noirs, et que les ouvriers étaient unanimes à le reconnaître. Le jour où la société donnera au Noir l'opportunité de développer tous ses talents, la communauté dans son ensemble en sera la première bénéficiaire.

III. -LE NOIR ET L'OUVRIER BLANC 

Les ouvriers ont un grand nombre de réactions confuses et contradictoires. Quand il s'agit des Noirs cela se manifeste sous les formes les plus diverses. Le résultat c'est que le Noir, à l'usine, se trouve soumis à une pression de tous les instants. Il ne sait jamais quand ni de qui il doit s'attendre à quelque réflexion humiliante. Voici quelques exemples de ces réflexions anti-noires. Il convient de remarquer qu'un même ouvrier pourra fort bien prononcer la totalité de ces jugements contradictoires dans une seule journée. Par exemple : « Les Nègres achètent tout ce qu'il y a de meilleur quand ils achètent quelque chose. -Les meilleurs voitures, le meilleur ameublement et les plus beaux habits », ou, au contraire : « Les Nègres n'ont jamais de freins ou de vitres à leur voiture », ou encore : « Les Nègres font baisser les loyers et ils sont sales ». A l'usine, les ouvriers blancs et noirs mangent dans le même Cafeteria (3). Hors de l'usine, lorsque certains de ces ouvriers blancs rentrent dans un restaurant où mangent quelques-uns de ces mêmes ouvriers noirs, ils en ressortent aussitôt. Dès que quelque chose est perdue ou volée, les premiers suspectés sont les portiers et les manœuvres noirs. Lorsque l'on ne retrouve pas quelque chose on peut être sur soit qu'il est tombé dans l'huile, soit qu'un conducteur de machine se l'est approprié. Cela n'empêche pas qu'aussitôt l'ouvrier blanc pense que c'est un Noir qui l'a pris. Des éléments antinègres hargneux exploitent de telles occasions à l'avantage de la Compagnie et essayent d'élargir le fossé entre les deux catégories de travailleurs. Périodiquement la tension raciale atteint son paroxysme. Un jour cela explosa dans une bataille entre un ouvrier blanc et un ouvrier noir. Le Blanc invectivait le Noir. Ils sortirent dehors et le Noir fut battu. De retour à l'usine l'ouvrier blanc continua à invectiver et pourchasser le Noir. Tout à coup le Noir s'arrêta net s'empara d'une barre de fer et assomma l'ouvrier blanc. Plus tard, au cours de l'enquête qui fut faite, l'ouvrier blanc reconnu tous ses torts et dégagea le Noir de toute responsabilité. Les jaunes à la solde de la Compagnie exploitèrent l'incident pour attiser tous les préjugés les plus arriérés des ouvriers blancs. Ce qui suit servira d'illustration de la manière dont s'expriment ces contradictions au sein du syndicat. Un bal était organisé par le syndicat. Le président du Comité d'organisation tenta délibérément d'éliminer les Noirs du bal en interprétant abusivement un arrêté local (qui de toute manière était anticonstitutionnel), suivant lequel les bals mixtes étaient interdits. Il était ainsi clairement signifié aux ouvriers noirs que l'on ne voulait pas d'eux. Plusieurs ouvriers prirent la parole pour condamner un tel bal et pour dire qu'il devait être ouvert à tous ou ne pas avoir lieu. Ils exigèrent que la question soit débattue dans le hall du bal devant tout le mondé. Un Noir paraissait avoir une attitude du type Oncle Tom. Il ne veut pas se battre sur la question en cause, mais demande que la réunion se tienne dans un autre local, quitte à ce que le syndicat prenne à sa charge les frais supplémentaires qui en résulteront. Il est prêt, quant à lui, à payer une quote-part de 15 dollars au lieu de la quote-part normale de 2 dollars pour compenser la perte du syndicat et propose que les autres Noirs en fassent autant. Un autre Noir se prononce contre toute discrimination. Le Noir qui avait adopté une attitude type Oncle Tom jouit d'une situation privilégiée dans l'usine. Il fait partie de la poignée de Noirs ayant un emploi qualifié sur machine, et il s'éleva dàns la hiérarchie professionnelle à la force des poignets durant la guerre. Une seule fille de couleur vint au bal, mais le quitta peu après, s'étant trouvée complètement isolée. Les ouvriers noirs ignorèrent délibérément ce bal. Ce fut leur manière à eux de préserver leur dignité. Le syndicat blanc estime que dans l'usine chacun a une place et une tâche qu'il doit accomplir. Chacun est embauché pour faire un travail déterminé, et c'est donc à ce travail auquel il doit s'atteler. Il estime que l'ouvrier noir devrait partager cette manière de voir. Cependant, il ne se rend pas compte que c'est précisément le fait qu'il échoit au travailleur noir tel emploi et pas un autre plus qualifié, qui explique la rancœur de l'ouvrier noir.

 IV.-LA DIRECTION NOIRE

 En dépit de la prédominance quasi-complète de l'esprit antinoir dans l'usine, un Noir posa sa candidature au poste de secrétaire adjoint du syndicat. Cet ouvrier était plus ou moins coupé de l'ensemble des autres ouvriers noirs, étant donné qu'il faisait partie des quelques rares Noirs qui étaient montés en grade durant la guerre. Le fait qu'il est employé à un travail quelque peu qualifié a développé en lui ce que certains autres Noirs appelaient un complexe de supériorité, et dont ils lui gardaient rancune. En dépit de tout cela, leur désir d'avoir une représentation qui leur soit propre était si fort qu'il réunit sur son nom la grande majorité des votes des Noirs. C'est d'un certain nombre d'ouvriers noirs que je tiens ce que je rapporte.  Un jeune ouvrier noir de l'usine m'apprit qu'il avait ete un dirigeant des Jeunesses Communistes, mais qu il avait ensuite donne sa démission. Il reprochait au communisme d'utiliser des hommes d'e paille pour les mettre à la direction du mouvement. Il est contre la constitution d'un troisième parti (4) et pour celle d'un parti ouvrier ! Il dit que toutes les organisations capitalistes noires ne valent rien. Le Noir n'accèdera jamais à la liberté sous le régime capitaliste. Il appartient à la N.A.A;C.P. (Association Nationale pour l'avancement des gens de couleur) (5). Il dit que les capitalistes s'intègrent les militants noirs dès qu'ils acquièrent une certaine notoriété. Il a le plus profond mépris pour les Noirs qui vendent ainsi les leurs. Il affirme que l'aristocratie noire profite de ségregation et s'efforce même de la promouvoir pour son plus grand avantage. Il dit que c'est aux Noirs eux-mêmes que revient la tâche de se diriger. La méfiance vis-à-vis des Blancs a fermé la porte â toute autre solution. La participation des Noirs aux Assemblées syndicales est réduite. On dirait que l'ouvrier noir a le sentiment que le syndicat est incapable de résoudre les problèmes autrement plus larges qui sont les siens : ceux de l'égalité et de la liberté universelle. C'est ce qu'illustre d'une manière frappante une discussion entreprise un jour entre quelques ouvriers noirs, un de mes amis et moi-même. Mon ami s'efforçait de maintenir la discussion sur le terrain syndical, mais les ouvriers noirs débordaient continuellement ce cadre, cherchant à porter la discussion sur le terrain des problèmes sociaux généraux en relation avec leur situation et les idées nouvelles qui étaient le fruit de leur expérience de guerre. Suivant mes observations faites à l usine sur les ouvriers noirs, il est clair qu'ils ont besoin de trouver dans leurs rangs des dirigeants dynamiques. Ils n'ont que peu de respect pour les syndicalistes blancs et ont le sentiment qu'on se sert d'eux. C'est de leurs rangs que doivent sortir leurs dirigeants et ils doivent posséder un programme qui vise loin et voit grand. Il règne une extraordinaire fermentation parmi les ouvriers noirs. Certains ouvriers blancs appréhendent confusément les réactions possibles les Noirs un autre côté de nombreux ouvriers blancs respectent les Noirs et comprennent aussi bien que les Noirs eux mêmes la particularité de leur situation à l'usine. L'ouvrier noir est conscient dé la menace de crise économique. Il brûle d'un feu intérieur. Il sait qu'il sera le premier à été placé sur la liste des réductions de personnel. Il sent que c'est maintenant le moment ou jamais de se défendre d'une manière ou d'une autre, au sein du mouvement ouvrier organisé. La menace de grèves imminentes est favorablement envisagée par lui. Moins que tout autre, il ne peut risquer un manque à gagner sur sa paie et pourtant il votera pour la greve le premier de tous. 

Le comportement des ouvriers conservateurs.

 Il y a de nos jours à l'usine une catégorie d'ouvriers qui ont accumulé de nombreuses années d'ancienneté. Ces ouvriers ont passé plusieurs années dans la même usine. Pendant ces années ils ont fait l'expérience de plusieurs régimes syndicaux et ont eu le loisir de les observer pleinement. Ainsi, beaucoup plus que n'ont pu le faire les ouvriers de passage, ils ont connu tous les genres de directions syndicales et connaissent les résultats auxquels elles sont arrivées. Ils n'ignorent rien de la politique de collaboration de classe des bureaucrates syndicaux. Le bureaucratisme leur a laissé une impression durable. Cette catégorie d'ouvriers qui représente une section importante du mouvement ouvrier américain a une conscience aiguë de la pourriture de la société actuelle. Ils portent, à la classe dominante des industriels une haine profonde et tenace. Ils n'ignorent rien des manœuvres et des ficelles utilisées contre, les travailleurs, ni des injustices dont ils sont victimes. D'autre part, ne possédant pas une vue d'ensemble des lois économiques fondamentales qui régissent la société, un grand nombre d'entre eux sont persuadés que la classe capitaliste est toute puissante. Ils penchent d'autant plus à cette conclusion qu'ils voient la bureaucratie syndicale aller de capitulation en capitulation  un ouvrier ayant dix années d'ancienneté soutenait que les ouvriers comme lui étaient contre la grève que l'on venait de faire. Nombre d'entre eux affirmaient que la direction de l'Internationale (6) avaient falsifié le vote et fait débrayé alors qu'ils n'auraient pas dû le faire. Un de ces ouvriers affirmait : « Ceux qui étaient pour la grève ce sont les nouveaux ouvriers de guerre qui n'avaient jamais été dans l'industrie avant. Ils ne savent ce qu'étaient nos conditions de travail avant la guerre. Je n'étais pas opposé à la grève en tant que grève, mais j'étais contre le fait de débrayer au moment où nous l'avons fait. La Compagnie était en pleine reconversion et bénéficiait de la part du gouvernement de remboursements d impôts. Nous étions liquidés d'avance, avant même d'avoir commencé. Nous avons épuisé toutes nos économies dans la grève et beaucoup s'endettèrent de nouveau. Cela avait été assez dur de nous être débarrassés de nos dettes d'avant-guerre. Il ne serait pas opposé à faire grève maintenant que la Compagnie a besoin de produire ce qu'elle ne bénéficie plus de ces remboursements d'impôts. Personne à l'époque n'a essayé de percer les piquets de grève parce que la compagnie elle-même au bout de quelque temps a fermé les usines. Si elles étaient restées ouvertes il y aurait eu de la bagarre et les ouvriers auraient tenté de liquider les piquets de grève. En fait il n'y a eu que très peu d'ouvriers pour participer aux piquets de grève.  On doit remarquer ici que suivant les statistiques concernant les votes d'ensemble durant la vague de grèves de 1946, l'immense majorite des ouvriers s'était prononcée pour la grève. 

On doit remarquer ici que suivant les statistiques concernant les votes d'ensemble durant la vague de grèves de 1946, l'immense majorité des ouvriers s'était prononcée pour la grève. 

I.- « SI JE TRAVAILLAIS ICI DEPUIS AUSSI LONGTEMPS QUE TOI .. "

Durant des années le procès de production a modelé ces vieux ouvriers et il s'est engendré en eux-mêmes une force explosive latente. Plus que pour toutes les autres catégories d'ouvriers, la production capitaliste les a constamment et systématiquement éduqués et formés. Leurs années de service dans une même usine leur ont donné le sentiment ou le comportement de gens qui auraient le droit de propriété sur l'usine. C'est ce qu'expriment les autres ouvriers de la manière suivante : "Si je travaillais ici depuis aussi longtemps que toi, je voudrais que l'usine m'appartienne. » La manière dont ces ouvriers se déplacent dans l'usine laisse transparaitre un sentiment de propriété. L'assurance avec laquelle ils circulent d'un département à l'autre est discernable ne serait-ce que dans leur manière de marcher. L'incapacité manifeste du syndicat de résoudre leurs problèmes l'énorme puissance apparente du patron, ont contribué à rendre ces ouvriers désabusés et conservateurs. Un grand nombre de ces ouvriers deviennent des hommes entièrement à la solde de la Compagnie. La Compagnie est obligée d'avoir, d'une manière; ou d'une autre, des égards vis-à-vis de ces ouvriers parce qu'ils connaissent l'usine à fond. Cependant cela n'empêche pas des explosions périodiques chez ces ouvriers.

Un ouvrier ayant 25 années de présence s'était cogné la tête sur un dispositif de sécurité. Dans un accès de rage il s'empara d'une scie à métaux et scia le dispositif. Dans sa colère il criait : "Qu'ils me mettent à la porte s'ils le veulent." Ensuite ce fut une cascade d'invectives et d'insultes à l'adresse de la Compagnie. C'est plutôt curieux parce que c'est un jaune au service de la Compagnie. Un après-midi où il faisait particulièrement chaud, un autre ouvrier ayant dix ans d'ancienneté dit· à un groupe de camarades : « Qu'ils aillent tous se faire foutre tant qu'ils sont. Ne retournons pas au travail.  Il ajouta alors d'un ton décidé : « Que diable pourront-ils nous faire ? » C'est alors que se produisit une scène extrêmement comique. Les ouvriers présents se mirent à imiter le contremaître les priant de retourner au travail. L'un d'entre jouant le rôle du contremaître disait : " S'il vous plaît, les gars. S'il vous plaît, au travail. S'il vous plaît. » L'assistance éclata aussi de rire. 

II.- DES GARS COMME NOUS EN CONNAISSENT UN BOUT DANS LA PRODUCTION

J'aimerais donner une illustration concrète de l'évolution de certains de ces ouvriers ayant accumulé des années d'ancienneté ainsi que j'ai pu les observer ou les écouter. c est un ouvrier qui est employé depuis 20 ans dans la Compagnie. Ces derniers temps il se livre à quelques manifestations particulièrement significatives. Il apparait clairement que durant toutes ces années il a fait à la Compagnie un grand nombre de précieuses suggestions concernant !a production, mais qu'il n'en a pas été récompensé par des gratifications satisfaisantes. Un soir, à l'heure du repas, il déclare devant une douzaine d'ouvriers environ : « J'ai une idée qui empêcherait les machines de caler et de se briser. Mais, ces enfants de putes ne l'auront pas pour leurs 50 dollars de radins. Ou ils me donneront 1.000 dollars ou ils pourront aller se faire foutre." Une autre fois le même ouvrier s'exclama avec colère : « Pendant que nous sommes ici à nous casser la téte, ces salauds de patrons sont en train de prendre des bains de soleil en Floride ". Il continue en disant : " Le superintendant de l'usine est sorti à 7 heures et il revient complètement plein. Si jamais cet enfant de pute m'avait dit quelque chose pendant que je prenais une douche la haut à 11 h. 30, il en aurait pris pour son grade. » Un jour un quotidien traînait sur un établi. Un article traitait du Plan Marshall. Un ouvrier ayant plusieurs années d'ancienneté le lisait. Prenant cet article comme point de départ nous engageons une discussion sur le problème européen. Voici en gros ce qu'il me dit : « Il est facile de voir que l'Europe doit être unifiée suivant un plan ou un autre. Ces pays qui se querellent les uns les autres depuis tant d'années n'ont fait qu'amener des guerres et accumuler des destructions. Ils sont fous d'essayer de détruire l'industrie allemande. Les ouvriers allemands comptent parmi les plus qualifiés et les plus versés en mécanique du monde entier. L'Europe ne se relèvera jamais si on ne remet pas les ouvriers allemands dans leurs usines. » 

De là nous entrons dans une discussion sur notre propre usine. Je lui posais des questions sur le rendement dans notre usine et lui demandais ce que lui et les autres qui avaient aussi de longues années d'expérience sur les machines pourraient faire s'il leur était donnée la liberté de mettre leurs idées à l'épreuve à leur guise. Il répondit : " Des gars comme moi, et les ouvriers X, Y et z, on en connaît un bout dans la production. Qu'est-ce qu'ils connaissent à la Compagnie de la production ? C'est de notre manière de faire qu'ils profitent, plus que de tout autre chose. Ces ingénieurs, assis dans leurs bureaux, essayent de faire des projets compliqués dans le but de garder leur emploi. Tu sais, eux aussi il faut qu'ils mangent. 

Ill. "POUR SUR, TOUT CELA EST VRAI "

Le « Saturday evening Post », du 19 juillet 1947 contenait un article appelé « Le Syndicat qui osa sortir des chemins battus . Il s'agissait dans l'article d'une usine qui était au bord de la banqueroute. Afin d'empêcher la mise à pied de centaines de travailleurs le syndicat et la Compagnie parvinrent à un accord suivant lequel les ouvriers assureraient la gestion entière de l'usine afin de développer 1a production jusqu'au niveau nécessaire pour que la Compagnie soit capable de rester en activité. Non seulement la production s'accrut, mais encore l'absentéisme tomba presque à zero et le gaspillage disparut quasi complètement Je donnais le magasin à l'un des ouvriers de mon usine pour qu'il le lise. Il travaillait dans l'industrie depuis 15 ans. 

Il fut spécialement frappé de voir comment les ouvriers avaient augmenté la production dès qu'ils avaient eu carte blanche. Voici le compte rendu approximatif de ses commentaires sur cet article : « Ce type-là fait preuve de beaucoup de bon sens. Dans une usine où je travaillais j'étais régleur. Je passais mon temps devant les machines, cherchant sans arrêt à imaginer de nouveaux montages ou de nouvelles combinaisons. J'avais des centaines d'idées. J'en ai des tas maintenant aussi, mais à quoi cela servirait-il de les essayer? Le premier type venu arriverait et changerait tout ce que j'aurais fait. Je connais maintenant certaines méthodes pour affûter les outils qui, j'en suis absolument certain, rendrait le travail plus facile et plus efficace, mais dans l'état où sont les choses à l'usine, si j'essayais de les appliquer, cela ne ferait qu'embrouiller les choses. Ce que ces ouvriers ont fait est rudement bien, mais je ne pense pas que l'on pourrait faire la même chose à l'usine. Ces ingénieurs ne sont pas toute la journée collés derrière le dos du gars qui travaille sur une machine. Comment pourraient-ils connaître ce que nous connaissons, nous qui passons des heures d'affilée sur la machine. Il y a des choses qu'i1 est impossible d'apprendre à moins que l'on y ait travaillé chaque jour durant plusieurs années. » Il conclua en remarquant que l'auteur de l'article était peut être communiste. Le 1 janvier 1947, juste après la grande vague de grèves qui suivirent la fin de la guerre, le « Collier's Weekly » donna un article de Peter Drucker appelé : « Que faire face aux grèves ? » J'amenais le numéro à l'usine et demandais il un ouvrier qui faisait partie de la Compagnie depuis dix ans de le lire. Il avait participé à la dernière grève et il était en mesure de comprendre ce que Drucker disait.

Il est d'accord pour dire que les grèves sont « essentiellement des révoltes ». Aussi que les ouvriers sont psychologiquement sans emploi alors même qu'ils sont employés. Il avait connu les années de crise et s'en souvenait bien. « Pour sûr, tout cela est vrai », me dit-il. Il n'ignore rien du profond et pénétrant sentiment d'instabilité qui ronge tous les ouvriers. 

Les réactions vis à-vis des ouvriers révolutionnaires

Les ouvriers se font l'idée suivante des partis révolutionnaires les adhérents d''un parti révolutionnaire s'assurent, par divers moyens, des positions dans la direction syndicale. Une fois là, ils font de l'agitation, etc ... , Leur conception, c'est que tout se passe dans les sommets. Il en résulte qu'il se cree un fossé entre les ouvriers révolutionnaires professionnels et la base. Pendant les élections syndicales des bruits coururent, accusant l'une des parties de faire usage de tactiques " rouges "pour s'assurer les bulletins de vote des Noirs. La propagande « antirouge » a atteint de nouveaux sommets ces dernières années. J'ai souvent entendu des ouvriers parler des communistes en ces termes : · « Les communistes sont des gars· qui ne veulent pas travailler. » 

L'ouvrier moyen pense que le communisme c'est l'enrégimentement. Tout 'le monde vit dans des maisons semblables et porte des vêtements identiques. li n'y a pas de place dans un tel régime pour l'individualité. Et puis, comment un type peut-il gagner un million de dollars s'il en a envie ? L'ouvrier moyen croit aussi que les communistes veulent la moitié de tout ce que l'on possède : la moitié de vos cigarettes, la moitié de tout ce que vous avez .. En dépit de tout cela, les ouvriers conviennent sans hésitation que le contrôle absolu de tout par les ouvriers c'est du communisme.

Un jour, parlant au délégué, je demandais que 1'on tienne des assemblées dans chaque département à travers toute 1 usine. J'expliquais que cela donnerait à chaque section de l'usine la possibilité de discuter à fond des problèmes qui les touchèrent le plus directement. Cela permettrait aussi aux ouvriers d'opérer un contrôle sévère sur les conditions qui sont les leurs et sur les décisions les concernant. Cela le rendit furieux et i1 s'écria que c'était du communisme. « On ne peut laisser la base décider de tout comme cela. ».  L'ouvrier Joe (7) est de nos jours un individu instruit , était donné qu'il a passé au moins douze ans à l'école primaire, plus secondaire. Ses connaissances embrassent un large domaine et il peut parler de mécanique, d'autos, de politique, du gouvernement, de cinéma, etc ... Suffisamment en tout cas pour pouvoir avoir une opinion quel que soit 1e sujet qui est une discussion. . ..Un jour j'étais assis avec des ouvriers. La discussion allait son train. Un ex-G.I. disait: « L'Amérique aurait besoin d'une médecine socialisée. L'armée assure les soins médicaux a des millions d'hommes. Pourquoi n'en ferait-on pas autant en temps de paix. La santé de la nation est une chose primordiale. Tous les docteurs devraient être mobilisés pour la santé de la nation. On devrait les payer suivant leur mérite. C'est-à-dire que les plus qualifiés seraient les mieux payés. » Un ouvrier dit : « Ça, c'est du communisme. » L'orateur répond : « Mais il y a du bon et du mauvais dans tous les systèmes politiques. Il y a beaucoup de bon dans le communisme. » Certains firent la comparaison suivante : « Puisque le gouvernement se charge de 1a sécurité avec 1a police, i1 devrait aussi se charger de protéger la santé des citoyens. » Tous les ouvriers assis autour de la table participèrent pleinement à la discussion. 1ls arrivèrent à la conclusion que ce que disait le jeune G.l. était rudement juste. 

Les anciens combattants à l'usine

Les anciens combattants de l'usine commencent à passer en revue leurs expérience de temps de guerre. Durant la première année ils n'en avaient que peu parlé. Maintenant le passé revient à la surface et ils se livrent à toute une réévaluation de la signification de leurs expériences. Lorsqu'ils rappellent des anecdotes guerrières les hommes se taquinent mutuellement en se traitant de héros. Bien des événements tragiques reviennent à la mémoire et les hommes rompent la consigne du silence. La discipline militaire était l'objet d'une haine tenace de la part des hommes. Toute mesure de caractère disciplinaire prise par la compagnie prête immédiatement à comparaison avec l'armée. « Je croyais que l'armée c'était fini pour moi » est la phrase qui revient toujours aux lèvres. Les anciens combattants retournèrent à l'usine profondément marqués par ce qu'ils avaient vécu. Les anciens de la Marine cherchent à faire connaissance avec d'autres vétérans de la Marine. Il en est de même pour les G.I. de l'Armée de terre. La grande majorité d'entre eux utilisent leurs uniformes à l'usine. Le prétexte qu'ils donnent est que « ce sont de bonnes tenues de travail ». En réalité il semble y avoir une raison plus profonde. On dirait que cela constitue un lien qui perpétue leur solidarité. Souvent ils utilisent des termes militaires pour décrire la vie d'usine. L'enrégimentement militaire est comparé avec celui de l'usine. La fatigue du combat est appelée fatigue de la machine ou fatigue « Acme » (1~ « Acme » est une machine automatique). Les bruits de l'atelier sont comparés à ceux de la vie militaire. Lorsque la sirène retentit, cela devient une alerte. L'heure du repas ou de la paie devient prétexte à siffler l'air des sonneries au clairon de la soupe ou du prêt . L'hostilité à l'égard de la caste des officiers renaît à l'usine sous la forme de l'hostilité vis-à-vis du patron et du personnel de contrôle.

L'usine est appelée la jungle d'acier afin d'évoquer d'une manière ou d'une autre les îles du Pacifique.

Les femmes à l'usine.

L'ouverture des hostilités jeta un grand nombre de femmes dans la production. J'en ai vu un grand nombre conduire des machines sur lesquelles j'avais travaillé moi-même. Une usine que je connais les utilisait comme conducteurs de grues. Ce genre de travail requiert une très grande délicatesse dans la manoeuvre d'énormes pièces d'acier à travers l'usine. Les femmes se révélèrent particulièrement adroites dans ce domaine. Je les ai vues transporter de lourds chargements d'acier d'un bout à l'autre de l'usine et les déposer avec dextérité à l'emplacement précis qui leur était destiné. Durant la guerre, il y avait beaucoup de femmes qui travaillaient dans mon usine actuelle sur des machines à affûter. De nos jours il n'y en a plus qu'une ou deux, à ma connaissance. L'usine semble avoir donné à de nombreuses ouvrières une certaine assurance. L'atelier neutralise dans une certaine mesure l'inégalité qui prévaut entre les hommes et les femmes dans la société prise dans son ensemble. Bien qu'il n'y ait que très peu de femmes qui assistent aux assemblées syndicales, celles qui le font manifestement de plus en plus la volonté de s'exprimer. Certaines estiment que le syndicat c'est l'affaire des hommes et n'osent pas s'en mêler. D'autres pensent que les femmes ne se tiennent pas entre elles comme le font les hommes. Un jour j'eus une conversation avec une ouvrière de l'usine. Elle manifestait un grand mépris pour les hommes travaillant dans les usines des Etats de la côte Est. Elle affirmait : « Ils sont chétifs, sans aucun doute à cause de la vie en usine et il n'y a pas de comparaison possible avec les hommes plein de santé des Etats du Sud-Ouest et qui vivent dans des grands espaces. Je suis capable de faire autant ou même deux fois plus que vous ne faites, vous autres les hommes. J'ai déjà tenu trois différents emplois en même temps. » Elle s acharnait a rétablir une égalité de statut entre les hommes et les femmes. Les relations entre les sexes sont complètement faussées par le régime capitaliste. Certaines femmes sont cataloguées à l'usine dans la catégorie de celles avec qui l'on peut coucher. Chaque fois qu'une femme circule dans les travées ce ne sont que sifflements, appels et réflexions à haute voix. A l'époque de la grève des Téléphones, les ouvriers furent étonnés de voir le militantisme dont faisaient preuve !es femmes dans cette grève. Les comptes rendus faits par les journaux des luttes soutenues par les piquets de grève étaient suivis par la grande majorité des ouvriers. Leurs commentaires étaient de ce type « Ces filles ont vraiment de l'estomac. Je ne m'attendais pas à les voir se mettre à bagarrer contre tout le monde, depuis la Compagnie jusqu'à l'Etat et aux gouvernements locaux. 

(A suivre.)