lundi 24 février 2020

Le mythe Bolchévik par Alexander Berckman



« Dans les cercles mencheviques , le sentiment envers les bolcheviques est très amer. L'opinion générale parmi eux est que les communistes, qui auparavant étaient des sociaux-démocrates, ont trahi Marx et discrédité le socialisme. R. les appelle « les révolutionnaires asiatiques » . Il n'existe pas de différence entre Trotski et le bourreau Stolypine , affirme-t-il, leurs méthodes sont identiques. De fait, il y avait plus de vie politique sous Nicolas II qu'il n'y en a aujourd'hui. Les bolchéviks, qui se prétendent Marxistes, pensent qu'ils vont changer la loi immuable de l'évolution sociale par des décrets et la terreur : qu'ils vont, pour ainsi dire, sauter plusieurs marches d'un coup sur l'échelle du progrès. La révolution de Février était essentiellement bourgeoise , mais Lénine a tenté par la violence d'une minorité insignifiante de la transformer en révolution sociale. Il en résulte la débâcle complète de tous les espoirs. R. pensent que les communistes ne pourront plus se maintenir longtemps au pouvoir. La Russie est au bord de l'effondrement économique total. Les anciennes réserves alimentaires sont épuisées, la production a quasiment cessé. La militarisation du travail a échoué. Les calculs de Trotski concernant l'augmentation progressive de la production sur le « front du travail » ont explosé comme l'ont fait les prophéties bolcheviques concernant la révolution mondiale. L'usine n'est pas un champ de bataille. Convertir le pays en camp de travaux forcés n'est pas propice à l'effort créatif Cela n'a fait que diviser le peuple en esclaves et esclavagistes, et a crée une classe puissantes de bureaucrates soviétiques. Encore plus important, cela a retourné les ouvriers les plus progressistes contre les communistes. Désormais, les bolcheviques ne peuvent plus compter ni sur le paysan, ni sur le prolétariat ; tout le pays est contre eux. Si il n'y avait pas la politique stupide des alliés, ils auraient été balayés depuis longtemps. Le blocus et les invasions ont joué en leur faveur. Les bolchéviks ont besoin de la guerre pour se maintenir au pouvoir, l'actuelle campagne en Pologne leur convient à merveille. Mais c'est la dernière goutte qui va faire déborder le vase. Il va se briser , et ce sera la fin de la sanglante expérience bolchevique. « L'histoire les retiendra pour avoir été les ennemis jurés de la révolution. » conclut R. d'un ton catégorique. » »

« La question reste ouverte de savoir si les bolchéviks avaient un accord officiel avec les voleurs, dit Z l'enquêteur littéraire. Mais nous savons tous qu'ils ont coopéré à un moment donné. Il faut dire qu'ils étaient aussi des prolétaires , ajoute-til d'un ton sarcastique. Plus tard, il est vrai, les communistes se sont retournés contre eux. Mais c'est le sort qu'ont connu la plupart d'entre nous. Les socialistes-révolutionnaires de gauche, les maximalistes et les anarchistes ne se sont-ils pas battus tous ensemble avec les communistes contre les blancs ? Et maintenant , où sont-ils ? Ceux qui ne sont pas morts au front ont été fusillés ou emprisonnés par les dictateurs rouges , à moins d'avoir été soudoyés ou intimidés pour servir la Tcheka. »

« La discussion la plus animée tourne autour de la dictature du prolétariat. C'est le problème fondamental , déterminé par la conception, que l'on se fait de la révolution, laquelle détermine à son tour l'attitude que l'on a vis-à-vis des bolchéviks. Les plus jeunes condamnent sans réserve la dictature du parti pour sa violence et ses effusions de sang , ses mesures punitives et ses effets contre-révolutionnaires en général. Les anarchistes sovietski , bien qu'ils regrettent le caractère impitoyable des manières communistes, estiment que la dictature est inévitable à certains stades de la révolution. La discussion se prolonge durant des heures, et la question essentielle est éclipsée par les affirmations théoriques. J'ai le sentiment que les années de tumulte et de contrainte ont entièrement déracinée les anciennes valeurs sans qu'aient été clarifiés de nouveaux concepts en terme de réalité et de vision. »
« Deux des soldats qui avaient participé à la campagne de Makhno racontaient ce qu'ils avaient vécu. Ils parlaient librement de ses exploits, des méthodes originales qui lui permettaient de vaincre des forces largement supérieures , et des multiples fois où, encerclé par les armées blanches ou rouges, il avait réussi à s'échapper , souvent d'une façon qui tenait du miracle. Ils admiraient la ruse habile avec laquelle Makhno avait pris Ekaterinoslav , alors aux mains de Petlioura. Une poignée de ses hommes , habillés en paysans, avaient traversé le pont qui menait à la partie inférieure de la ville, leurs armes dissimulées dans des charrettes. Arrivés de l'autre côté, ils avaient ouvert le feu de manière inattendue sur les hommes de Petlioura qui gardaient les approches . L'attaque soudaine avait semé la panique dans la garnison, et l'armée de Makhno s'était emparée facilement de la ville. »

« Tous les deux avaient été faits prisonniers par Makhno. Ils avaient cru leur dernière heure arrivée quand on les avait conduits avec d'autres captifs devant le redouté bat'ka. Un jeune homme élancé aux yeux vifs et perçants les avait regardés sévèrement en se mettant à les haranguer . Il disait que que les commissaires bolcheviques ne valaient pas mieux que les généraux blancs , que les uns comme les autres opprimaient le peuple et volaient les paysans. Lui, Makhno , défendrait la révolution contre tous ses ennemis. Il promettait que les prisonniers auraient le choix entre se rallier aux povstantsi ou rentrer chez eux, mais les soldats rouges avaient peur qu'il se moque d'eux. Cependant, il avait tenu parole. »

« Toutes les pensées se tournent vers la reconstruction économique. Les cercles communistes et la presse officielle sont perturbées par la discussion sur le rôle que doivent avoir les travailleurs dans la situation actuelle. Il est admis que la militarisation du travail a échoué. Ses effets, loin de se relever productifs, comme on l'avait prétendu, ont eu pour conséquence la désorganisation et la démoralisation. Le nouveau rôle à assigner au prolétariat est le problème brûlant mais il n'y a pas d'unité d'opinion parmi les dirigeants blochéviks . Lénine soutient que les syndicats ne sont pas préparés à diriger les industries : leur mission principale est de servir d' « écoles du communisme », en apportant progressivement une participation croissante dans le domaine économique. Zinoviev et ses partisans font cause commune avec Lénine et élaborent ses idées. Mais Trotski est en désaccord et insiste sur le fait que les ouvriers seront inaptes pendant encore longtemps à diriger les industries. Il réclame un « front ouvrier » , soumis à la discipline de fer d'une campagne militaire . Opposés à cette idée, les éléments ouvriers prônent la démocratisation immédiate du secteur industriel . Ils maintiennent que l'exclusion des syndicats d'un rôle décisif dans la vie économique est lé véritable cause de cette situation déplorable. Ils sont convaincus que le prolétariat révolutionnaire, qui a vaincu toute opposition armée, saura également surmonter l'ennemi dans le domaine économique. Mais il faut en donner la possibilité aux ouvriers : c'est en agissant qu'ils apprendront. »

Les événements de Kronstadt :

Message de radio Moscou :
« Petrograd est calme et en bon ordre , et même les quelques usines où avaient été formulées des accusations contre le gouvernement soviétique comprennent à présent que c'étaient l'oeuvre de provocateurs...Au moment précis où un nouveau régime républicain prend les rênes du gouvernement en Amérique et montre la volonté de rétablir des relations commerciales avec la Russie soviétique , propager des rumeurs mensongères et organiser des troubles à Kronstadt a pour seul but d'influencer le président américain afin qu'il change sa politique vis-à-vis de la Russie. Au même moment, , la conférence de Londres tient ses sessions et la propagation de rumeurs similaires doit également influencer la délégation turque pour la rendre plus soumise aux exigences de l'entente. La rébellion de l'équipage du petropavlosk fait indubitablement partie d'une vaste conspiration qui cherche à semer le trouble en Russie soviétique et à nuire à notre position internationale ...Ce plan est mené en Russie par un général et d'anciens officiers tsaristes , et leurs activités sont soutenues par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires. »

Une résolution a été votée par les marins de Kronstadt :

« Résolution de l'assemblée générale des équipages des I et II escadrons de la flotte de la Baltique tenue le 1 mars 1921 :

Ayant pris connaissance du rapport des représentants envoyés par l'assemblée générale des équipages des bateaux à Petrograd pour y étudier la situation , il a été décidé :

  1. au vu du fait que les soviets actuels n'expriment pas la volonté des ouvriers et paysans , de tenir immédiatement de nouvelles élections à bulletin secret, la campagne pré-électorale se déroulant dans une liberté totale parmi les ouvriers et les paysans.
  2. D'établir la liberté d'expression et de la presse pour les ouvriers et les paysans, les anarchistes et les partis socialistes de gauche ;
  3. de garantir la liberté de rassemblement pour les syndicats ouvriers et les organisations syndicales ;
  4. de réunir une conférence non partisane des travailleurs , de soldats de l'armée rouge et de marins de Petrograd , de Kronstadt et de la province de Petrograd , pas plus tard que le 19 mars 1921 ;
  5. de libérer tous les prisonniers politiques des partis socialistes, ainsi que tous les ouvriers, paysans, soldats et marins emprisonnés liés aux mouvements ouvriers et paysans ;
  6. d'élire une commission chargée de réexaminer les cas de ceux qui sont détenus en prison et dans les camps de concentration ;
  7. d'abolir tous les politodeli ( bureaux politiques) étant donné qu'aucun parti ne devrait bénéficier de privilèges spéciaux pour propager ses idées, ni recevoir de soutien financier du gouvernement dans ce but. A leur place , il faudrait établir des commissions éducatives et culturelles, élues localement et financées par le gouvernement ;
  8. d'abolir immédiatement tous les zagraditelniye otryadi (unités armées organisées par les bolchéviks dans le but d'éradiquer le trafic et de confisquer les denrées alimentaires et d'autres produits. Leurs méthodes irresponsables et arbitraires étaient proverbiales dans tout le pays);
  9. de rendre égales les rations de tous ceux qui travaillent, à l'exception de ceux qui sont employés dans des métiers nocifs pour la santé ;
  10. d'abolir les détachements communistes de combat dans tous les secteurs de l'armée, ainsi que les gardes communistes encore en service dans les fabriques et les usines. Si de tels gardes ou détachements militaires se révèlent nécessaires, ils doivent être désignés dans l'armée selon les grades, et dans les usines en fonction du jugement des ouvriers ;
  11. de donner aux paysans une totale liberté d'action par rapport à leur terre , et également le droit d'avoir du bétail , à condition que les paysans y pourvoient par leurs propres moyens , c'est-à-dire sans engager de main d'oeuvre
  12. de demander à tous les secteurs de l'armée, ainsi qu'à nos camarades , les kursanti militaires, de s'entendre sur nos résolutions
  13. de réclamer pour ces derniers la publicité dans la presse
  14. de désigner une commission de contrôle itinérante,
  15. de permettre la libre production kustarnoye ( individuelle et à petite échelle), par ses efforts personnels.
Résolution adoptée à l'unanimité par la réunion de brigade , deux personnes s'abstenant de voter.
Petrichenko président de la réunion de brigade
Perepelkine secrétaire

résolution adoptée à une majorité écrasante par la garnison de Kronstadt , Vassiliev Président
Kalinine et Vassiliev, votent contre la résolution. »

Trotski lance un ultimatum :

« Le gouvernement des travailleurs et des paysans a décrété que Kronstadt et les bateaux en rébellion doivent se soumettre immédiatement à l'autorité de la République soviétique. Par conséquent, j'ordonne à tous ceux qui ont levé la main contre la patrie socialiste de déposer les armes immédiatement. Ceux qui s'obstinent seront désarmés et remis aux autorités du soviet. Les commissaires et les autres représentants du gouvernement qui ont été arrêtés doivent être libérés sur-le-champ. Seuls ceux qui se rendront sans condition pourront compter sur la clémence de la république soviétique.
En même temps, je donne des ordres pour procéder à la répression de la mutinerie et soumettre les insurgés à la force des armes. La responsabilité pour le mal que pourrait subir la population pacifique retombera entièrement sur les mutins contre-révolutionnaires.
Cet avertissement est le dernier.

Trotski,
Président du soviet militaire révolutionnaire de la république
Kamenev,
Commandant en chef »

Les anarchistes proposent leur aide :

« Président Zinoviev,

Garder le silence est devenu impossible, voire criminel. Les récents événements nous poussent, nous les anarchistes, à prendre la parole et à déclarer notre position dans la situation présente.
L'effervescence manifeste parmi les ouvriers et les marins est le résultat de causes qui réclament une sérieuse attention de notre part. Le froid et la faim ont provoqué du mécontentement, et l'absence de toute possibilité de discuter et de critiquer oblige les ouvriers et les marins à faire connaître leurs doléances ouvertement.
Des bandes de gardes blancs veulent et pourraient tenter d'exploiter cette insatisfaction dans leurs propres intérêts. Se cachant derrière les ouvriers et les marins , ils lancent des slogans sur l'assemblée constituante , le commerce libre, et des exigences similaires.
Nous, les anarchistes, avons longuement fait valoir la fausseté de ces slogans, et nous déclarons au monde entier que nous combattrons par les armes toute tentative contre-révolutionnaire , en collaboration avec tous les amis de la révolution sociale et main dans la main avec les bolchéviks.
En ce qui concerne le conflit entre le gouvernement soviétique et les ouvriers et les marins, nous soutenons qu'il doit être réglé non par la force des armes, mais par un accord à l'amiable. Recourir à l'effusion de sang, de la part du gouvernement soviétique, étant donné la situation, n'intimidera pas et ne calmera pas les ouvriers. Au contraire, cela ne fera qu'aggraver les choses et renforcera l'emprise de l'entente et de la contre-révolution intérieure.
Plus important encore, l'usage de la force par le gouvernement des ouvriers et des paysans contre des ouvriers et des marins aura un effet démoralisant sur le mouvement révolutionnaire international et portera un tort incalculable à la révolution sociale.
Camarade bolchéviks , réfléchissez avant qu'il ne soit trop tard ! Ne jouez pas avec le feu : vous êtes sur le point de prendre une mesure importante et décisive. Nous vous soumettons par la présente proposition suivante : sélectionnez une commission constituée de cinq personnes, comprenant deux anarchistes. Cette commission se rendra à Kronstadt pour régler le différend par des moyens pacifiques . Compte tenu de la situation , c'est la méthode la plus radicale. Elle sera d'une portée révolutionnaire internationale.

Alexandre Berckman Emma Goldman, Perkus, Petrovski le 5 mars 1921 »

Le 6 mars Kronstadt lance un message à la radio :

« Notre cause est juste, nous sommes pour le pouvoir des soviets, non des partis. Nous sommes pour des représentants des masses laborieuses élus librement . Les soviets de substitution manipulés par le parti communiste sont toujours restés sourds à nos besoins et revendications ; la seule réponse que nous avons toujours obtenue a été de fusiller...des camarades ! Ils déforment délibérément la vérité et ont recours à la diffamation la plus ignoble...A Kronstadt, le pouvoir tout entier est aux mains des marins , des soldats et des ouvriers révolutionnaires - pas dans celles des contre-révolutionnaires menés par un certain Kozlovsky , comme la radio de Moscou qui ment essaye de vous le faire croire ...Ne tardez pas , camarades ! Rejoignez-nous, prenez contact avec nous : exigez que vos délégués soient admis à Kronstadt. Eux seuls vous raconteront toute la vérité et vous révéleront la calomnie diabolique au sujet du pain finlandais et des propositions de l'entente.
Longue vie au prolétariat et à la paysannerie révolutionnaires !
Longue vie au pouvoir des soviets élus librement ! »

« De sombres rumeurs circulent en ville . Trois cent détenus politiques auraient disparus de la Boutyrka. Enlevés de force pendant la nuit, certains auraient été exécutés. La tchéka refuse de donner des informations.
Plusieurs jours se passent dans les affres de l'incertitude – plusieurs de mes amis font partie des disparus. Les gens qui vivent à proximité de la prison parlent de cris effrayants entendus cette nuit-là , ainsi que des bruits d'une lutte désespérée. Les autorités affirment n'être au courant de rien. »

« Les détenus politiques n'ont pas participé à la manifestation. Isolés dans une aile à part, ils avaient obtenue certaines concessions grâce à une action collective. Leur situation était nettement plus tolérable que celles des prisonniers de « droit commun ». Toutefois, par fraternité humaine, ils ont décidé d'intervenir. Leurs récriminations ont incité la Tchéka à reconnaître que les revendications des grévistes de la faim étaient justes et à promettre une amélioration immédiate. De sorte que les droits communs ont mis fin à leur grève, et que l'incident semblait clos.
Cependant, quelques jours plus tard, dans la nuit du 25 avril, un détachement de soldats et de tchékistes a fait irruption dans la prison. Une à une, les cellules des détenus politiques ont été attaquées, les hommes battus et les femmes tirées par les cheveux dans la cour , la pluspart en chemise de nuit. Plusieurs des victimes , craignant d'être exécutées, ont résisté. Des coups de crosse de fusil et de revolver les ont réduits au silence. Maîtrisés , on les a forcés à monter dans des voitures pour les emmener à la gare. »


Communiqué des bolchéviks aux anarchistes emprisonnés :

« Camarades, au vu du fait que nous sommes arrivés à la conclusion que votre grève de la faim ne peut aboutir à votre libération , nous vous invitons par la présente à y mettre fin.
En même temps, nous vous informons que des propositions précises nous ont été faites par le camarade Lounatcharski , au nom du comité central du parti communiste : a savoir :
  1. tous les anarchistes détenus dans les prisons de Russie , et qui font actuellement la grève de la faim, seront autorisés à partir dans le pays de leur choix. Il leur sera procuré des passeports et des fonds.
  2. En ce qui concerne les autres anarchistes emprisonnés ou sortis de prison , le parti prendra demain des mesures définitives. Le camarade Lounatcharski est d'avis que la décision les concernant sera similaire à celle annoncé ci dessus.
  3. Nous avons reçu la promesse avalisée par Unszlicht que les familles des camarades qui partiront à l'étranger seront autorisés à les suivre si elles le désirent. Afin d'éviter toute conspiration, il devra s'écouler un certain temps avant que cela se fasse
  4. Les camarades partant pour l'étranger disposeront de deux ou trois jours de liberté avant leur départ de façon à leur permettre de mettre en ordre leurs affaires.
  5. Ils n'auront pas le droit de revenir en Russie sans le consentement du gouvernement soviétique.
  6. La plupart de ces conditions sont mentionnées dans la lettre que cette délégation a reçue du comité central du parti communiste par Trotski
  7. Les camarades étrangers ont été autorisés à veiller à ce que ces conditions soient appliquées en bonne et due forme.

Signatures : Orlandi (Espagne)
Leval ( Espagne)
Sirolle ( France)
Michel ( France)
A. Shapiro ( Russie)

Le communiqué ci dessus est validé signé Lounatcharski

Kremlin Moscou

Alexandre Berckman refuse de signer :
  • il est opposé par principe à l'expulsion
  • il considère que cette lettre est une réduction arbitraire et injustifiée de la proposition initiale du comité central selon laquelle tous les anarchistes étaient autorisés à quitter la Russie
  • Il demande que soit laissé plus de temps en liberté à ceux qui seront relâchés afin de leur permettre de récupérer avant d'être expulsés. »


« Aujourd'hui, à midi, les grévistes de la faim ont été relâchés de la Taganka , deux mois après que le gouvernement s'est engagé à les libérer. Les hommes ont l'air épuisés , vieillis, dépéris par l'angoisse et les privations. On les a placé sous surveillance et on leur a interdit de rencontrer leurs camarades. On dit qu'il se passera des semaines avant qu'on leur donne la possibilité de quitter le pays. Ils ne sont pas autorisés à travailler et n'ont aucun moyen de subsistances. La Tcheka annonce que les autres détenus politiques ne seront pas libérés. Des arrestations de révolutionnaires ont lieu dans tout le pays. »

« Les jours qui passent sont gris. Les braises de l'espoir se sont éteintes une à une. La terreur et le despotisme ont broyé la vie qui avait vu le jour en Octobre. On a abjuré les slogans de la révolution , étouffés ses idéaux dans le sang du peuple. Le souffle du passé condamne des millions d’êtres à la mort ; l'ombre du présent plane tel un voile noir au dessus du pays. La dictature piétine les masses populaires. La révolution est morte, son esprit hurle dans le vide.
Il est grand temps de dire la vérité sur les bolchéviks . Il faut démasquer le sépulcre blanchi, dévoiler les pieds d'argile du fétiche qui a entrainé le prolétariat international vers des feux follets fatals. Le mythe Bolchévik doit être détruit.
J'ai décidé de quitter la Russie. »


dimanche 9 février 2020

Le mythe bolchevik par Alexander Berckmann

Nadia a gardé son sens de l'humour, et son rire argentin ponctue fréquemment la conversation. Très inquiète du sort de ses amis dans le nord, elle est folle de joie d'avoir des nouvelles directes de Maroussia, colle elle appelle affectueusement Maria Spiridonnova . Elle écoute avec grand intérêt le récit de mes visites répétées à la célèbre chef de file des socialistes-révolutionnaires  de gauche qui se cache actuellement à Moscou. "Je l'aime et je l'adore! déclare-t-elle avec fougue. Elle est l'héroine de ma vie. Quand je pense que les bolchéviks la traquent! Ici dans le sud, poursuit-elle avec plus de calme, notre parti a été presque entièrement liquidé!. La persécution a obligé les plus faibles à faire la paix avec les communistes, certains ont même adhéré à leur parti. Ceux d'entre nous qui sont restés fidèles doivent demeurer "clandestins". La terreur rouge est telle qu'en ce moment il est hors de question d'agir. Depuis que le papier, les presses typographiques et tout le reste ont été nationalisés , on ne peut même plus imprimer un tract comme on le faisait au temps du tsar. De plus, les ouvriers sont tellement effrayés , et leurs besoins si grands , qu'ils ne vous écoutent que si vous êtes en mesure de leur donner du pain. En outre, on leur a empoisonné l'esprit en les montant contre les intellectuels. Ces derniers meurent vraiment de faim. Par exemple, à Kharkov , ils ne reçoivent que six ou sept mille . Un petit malin a calculé que, compte tenu du pouvoir d'achat actuel du rouble, le salaire soviétique de vingt des professeurs russes les mieux notés équivalait au montant que le budget de l'ancien régime allouait à la paye d'un gardien dans une institution gouvernementale."

"Les bolchéviks se plaignent de manquer de professeurs et d'éducateurs, dit N., mais, en réalité, ils ne permettent à personne de travailler avec eux s'il n'est pas communiste ou s'il ne s'attire pas les bonnes grâces de la "cellule" communiste. C'est cette dernière , l'unité du parti qui se trouve dans chaque institution, qui décide de la fiabilité et des compétences , y compris pour les professeurs et les instituteurs."
"Les bolchéviks ont échoué, me dit-il à une autre occasion, principalement à cause de leur totale barbarie. La vie sociale, pas moins que la vie individuelle, est impossible sans certaines valeurs éthiques et humaines . Les bolchéviks les ont abolies, et, à la place , on a seulement la volonté arbitraire de la bureaucratie soviétique et la terreur irresponsable."

N. exprime les sentiments du mouvement socialiste-révolutionnaire de gauche , et ses camarades partagent entièrement ses opinions. Tous sont d'accord pour dire que le gouvernement par une minorité est forcèment un despotisme basé sur l'oppression et la violence. C'est ainsi que 10000 spartiates ont gouverné 300000 hilotes , alors que, pendant la révolution française, 300 000 jacobins ont cherché à contrôler les 7 000 000 citoyens français. Et maintenant, par les mêmes méthodes, 500 000 communistes ont asservi la russie toute entière dont la population compte plus de 100 000 000 d'habitants. Un tel régime ne peut que devenir la négation de ce qu'il était à l'origine. Bien qu'issu de la révolution et résultant du mouvement pour la libération , il doit nier et pervertir les idéaux et les objectifs mêmes qui lui ont donné naissance. Par conséquent, il existe une inégalité criante entre les nouveaux groupes sociaux au lieu de l'égalité proclamée, l'étouffement de toute opinion populaire au lieu de la liberté promise, la violence et la terreur au lieu du règne attendu de la fraternité et de l'amour.
La situation actuelle, selon N., est la conséquence inévitable de la dictature bolchévique. Les communistes ont discrédité les idées et les slogans de la révolution. Ils ont déclenché au sein du peuple une vague contre révolutionnaire qui ne pourra que détruire les conquêtes de 1917 . La force des bolchéviks est en réalité insignifiante . Ils se maintiennent au pouvoir uniquement en raison de la faiblesse de leurs opposants politiques et de l'épuisement des masses. "Mais leur 9 thermidor viendra bientôt , conclut N., avec conviction et personne ne se lèvera pour les défendre!""



samedi 8 février 2020

Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Karl Marx

"Dans ces voyages, que le grand Moniteur officiel et les petits Moniteurs privés de Bonaparte ne pouvaient moins faire que de célébrer comme des tournées triomphales, il était constamment accompagné d’affiliés de la société du 10 décembre. Cette société avait été fondée en 1849. Sous le prétexte de fonder une société de bienfaisance, on avait organisé le sous-prolétariat parisien en sections secrètes, mis à la tête de chacune d’elles des agents bonapartistes, la société elle même étant dirigée par un général bonapartiste. A côté de « roués » ruinés, aux moyens d’existence douteux, et d’origine également douteuse, d’aventuriers et de déchets corrompus de la bourgeoisie, des forçats sortis du bagne, des galériens en rupture de ban, des filous, des charlatans, des lazzaroni, des pickpockets, des escamoteurs, des joueurs, des souteneurs, des tenanciers de maisons publiques, des porte-faix, des écrivassiers, des joueurs d’orgues, des chiffonniers, des rémouleurs, des rétameurs, des mendiants, bref, toute cette masse confuse, décomposée, flottante, que les Français appellent la « bohème ». C’est avec ces éléments qui lui étaient proches que Bonaparte constitua le corps de la société du 10 Décembre. « Société de bienfaisance », en ce sens que tous les membres, tout comme Bonaparte, sentaient le besoin de se venir en aide à eux-mêmes aux dépens de la nation laborieuse."

" Ce que les ouvriers nationaux avaient été pour les ouvriers socialistes, ce que les gardes mobiles avaient été pour les républicains bourgeois, la société du 10 Décembre, qui constituait son parti spécial, le fut pour Bonaparte. Dans ses voyages, les sections de cette société, emballés dans les wagons de chemins de fer, avaient pour mission de lui improviser un public, de simuler l’enthousiasme populaire, de hurler « Vive l’empereur ! (*) », d’insulter et de rosser les républicains, naturellement sous la protection de la police."

" Le bourgeois, et avant tout le bourgeois gonflé à la dignité d’home d’État, complète sa bassesse pratique d’une redondance théorique. En tant qu’homme d’État, il devient, comme l’État lui-même, un être supérieur, que l’on ne peut combattre que par des moyens supérieurs, consacrés."

" Et il leur fallait être atteints de cette maladie toute spéciale qui, depuis 1848, a sévi sur l’ensemble du continent, à savoir le crétinisme parlementaire, qui relègue dans un monde imaginaire ceux qui en sont atteints et leur enlève toute intelligence, tout souvenir et toute compréhension pour le rude monde extérieur ; il leur fallait être atteints de crétinisme parlementaire, alors qu’ils avaient détruit de leurs propres mains, comme ils étaient obligés de le faire dans leur lutte contre les autres classes, toutes les conditions du pouvoir parlementaire, pour pouvoir considérer encore leurs victoires parlementaires comme de véritables victoires et s’imaginer atteindre le président en frappant sur ses ministres. "

"Sous prétexte qu’aucun parti parlementaire n’avait plus la majorité au Parlement, comme le prouvait le vote du 18 janvier, ce fruit de la coalition entre la Montagne et les royalistes, et pour attendre la constitution d’une nouvelle majorité, Bonaparte nomma un prétendu ministère de transition, auquel n’appartenait aucun membre du Parlement, composé uniquement d’individus complètement inconnus et insignifiants, un ministère de simples commis et de scribes. Le parti de l’ordre pouvait désormais s’escrimer avec ces marionnettes, le pouvoir exécutif ne se donnait même plus la peine de se faire représenter sérieusement à l’Assemblée nationale. Bonaparte concentrait ainsi de façon d’autant plus apparente tout le pouvoir exécutif en sa propre personne et avait d’autant plus de possibilités d’exploiter ce pouvoir dans ces propres buts que ses ministres n’étaient que de simples figurants. "

"Le ministre de l’Intérieur, un certain Vaissé, n’eut qu’à venir déclarer que le calme n’était qu’apparent, qu’il régnait une grande agitation clandestine, que des sociétés s’organisaient en secret partout à la fois, que des feuilles démocratiques prenaient leurs dispositions pour paraître à nouveau, que les rapports provenant des départements étaient défavorables, que les réfugiés de Genève organisaient une conspiration qui s’étendait, en passant par Lyon, sur tout le midi de la France, que le pays était à la veille d’une crise commerciale et industrielle, que les fabricants de Roubaix avaient diminué la journée de travail, que les prisonniers de Belle-Isle s’étaient révoltés, etc., un simple Vaissé n’eut qu’à évoquer le spectre rouge pour que le parti de l’ordre rejetât sans discussion une proposition qui ne pouvait manquer de donner à l’Assemblée nationale une immense popularité et de rejeter à nouveau Bonaparte dans ses bras."

jeudi 6 février 2020

Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Karl Marx


"Le 2 Décembre les surprit comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, et les peuples qui, aux époques de dépression, laissent volontiers assourdir leur crainte secrète par les braillards les plus bruyants, se seront peut-être convaincus que les temps sont passés où le caquetage d’un troupeau d’oies pouvait sauver le Capitole."

" Le club de discussion au Parlement trouve son complément nécessaire dans les clubs de discussion des salons et des cabarets. Les représentants, donnent le droit de s’exprimer au moyen de pétitions. Le régime parlementaire remet tout à la décision des majorités, comment les grandes majorités en dehors du Parlement ne voudraient-elles pas décider, elles aussi ? Quand, au sommet de l’État, on –joue du violon, comment ne pas s’attendre que ceux qui sont en bas se mettent à danser ? 

Ainsi donc, en taxant d’hérésie « socialiste » ce qu’elle avait célébré autrefois comme « libéral », la bourgeoisie reconnaît que son propre intérêt lui commande de se soustraire aux dangers du self-government ; que, pour établir le calme dans le pays, il faut avant tout ramener au calme son Parlement bourgeois ; que, pour conserver intacte sa puissance sociale, il lui faut briser sa puissance politique ; que les bourgeois ne peuvent continuer à exploiter les autres classes et à jouir tranquillement de la propriété, de la famille, de la religion et de l’ordre qu’à la condition que leur classe soit condamnée au même néant politique que les autres classes ; que, pour sauver sa bourse, la bourgeoisie doit nécessairement perdre sa couronne et que le glaive qui doit la protéger est fatalement aussi une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête."

"Tandis que le ministère de Bonaparte prenait l’initiative de lois conçues dans l’esprit du parti de l’ordre, ou exagérait encore leur sévérité dans leur application et leur exécution, le président s’efforçait, de son côté, par des propositions d’une bêtise puérile, de conquérir de la popularité, de montrer son opposition à l’égard de l’Assemblée nationale et de laisser entendre par une secrète arrière-pensée que, seules, les circonstances l’empêchaient momentanément d’ouvrir au peuple français ses trésors cachés."

"L’Assemblée nationale s’indigna à différentes reprises de ces tentatives manifestes de se tailler une popularité à ses dépens, en présence du danger croissant d’un coup désespéré tenté par cet aventurier, aiguillonné par ses dettes, et que ne retenait aucune réputation acquise. "

"Le Parti social-démocrate, de son côté, ne semblait pressé que de trouver des prétextes pour remettre en question sa propre victoire et la diminuer. Vidal, l’un des députés de Paris nouvellement élus, avait été, en même temps, élu à Strasbourg. On le détermina à renoncer à son élection à Paris et à opter pour Strasbourg. Par conséquent, au lieu de donner à sa victoire électorale un caractère définitif et d’obliger ainsi le parti de l’ordre à la lui disputer immédiatement au Parlement, au lieu de forcer ainsi l’adversaire à la lutte au moment où le peuple était plein d’enthousiasme et où l’état d’esprit dans l’armée était favorable, le parti démocrate fatigua Paris pendant les mois de mars et d’avril par une nouvelle agitation électorale. Il laissa les passions populaires surexcitées se consumer ainsi dans ce nouvel intermède, l’énergie révolutionnaire se rassasier de succès constitutionnels et se dépenser en petites intrigues, en creuses déclamations et en une agitation illusoire. Il permit ainsi à la bourgeoisie de se regrouper et de prendre ses mesures. Enfin, il laissa fournir aux élections de mars un commentaire sentimental qui l’affaiblissait par l’élection complémentaire d’avril, celle d’Eugène Sue ! En un mot, il fi du 10 mars un poisson d’avril. "

"Nous avons vu comment, en mars et en avril, les chefs démocrates avaient tout fait pour embarquer le peuple de Paris dans une lutte illusoire, et comment, après le 8 mai, ils firent tout leur possible pour le détourner de la lutte véritable. Il ne faut pas oublier, en outre, que l’année 1850 fut l’une des plus brillantes au point de vue de la prospérité industrielle et commerciale, et que, par conséquent, le prolétariat parisien était complètement occupé. "

"En se laissant diriger, devant un tel événement, par des démocrates, et en allant jusqu’à oublier l’intérêt révolutionnaire de leur classe pour un bien-être passager, les ouvriers renonçaient à l’honneur d’être une classe conquérante, ils s’abandonnaient à leur sort, prouvant que la défaite de juin 1848 les avait rendus, pour des années, impropres à la lutte, et que le processus historique devait de nouveau se poursuivre par-dessus leurs têtes. Quant aux démocrates petits-bourgeois qui s’écriaient le 13 juin : « Mais qu’on essaye de toucher au suffrage universel, et nous verrons ! », ils se consolaient en pensant que le coup contre-révolutionnaire qui les avait frappés n’était pas un coup, et que la loi du 31 mai n’était pas une loi. Le 2 mai 1852, chaque Français ira aux urnes, tenant d’une main, le bulletin de vote et, de l’autre, le glaive. Cette prophétie suffit pour les contenter. L’armée, enfin, fut punie par ses supérieurs pour les élections de mars et d’avril 1850, comme elle l’avait été pour celles du 29 mars 1849. Mais, cette fois, elle pensa décidément : « La révolution ne nous dupera pas une troisième fois ! » "