vendredi 30 juin 2023

Fensh Valley Par Lavilliers

 Viens, petite sœur au blanc manteau

Viens, c'est la ballade des copeauxViens, petite girl in red blue jeanViens, c'est la descente au fond de la mineViens donc, grand, shooter du désespoirViens donc visiter mes laminoirsViens donc chevaucher les grands rouleauxEt t'coincer la tête dans un étauViens, petite femme de St-TropezNous on fume la came par les cheminéesEt si le bonheur n'est pas en retardIl arrive avec son gros cigare
Viens dans ce paysViens voir où j'ai grandiTu comprendras pourquoi la violence et la mortSont tatouées sur mes bras comme tout ce décorPour tout leur pardonner et me tenir tranquilleIl faudrait renier les couteaux de la ville
Viens petite bourgeoise demoiselleVisiter la plage Eau de WendelIci pour trouver l'EldoradoIl faut une shooteuse ou un marteauLa vallée d'la Fensch, ma chérieC'est l'Colorado en plus petitY a moins de chevaux, moins de condorsMais ça fait quand même autant de mortsMes belles femelles de métalJe t'invite dans mon carnavalIci, la cadence c'est vraiment tropIci, y a pas d'place pour les manchots
Viens, dans mon paysViens voir où j'ai grandiTu comprendras pourquoi la violence et la mortSont tatouées sur mes bras comme tout ce décorPour tout leur pardonner et me tenir tranquilleIl faudrait renier les couteaux de la ville
Tu ne connais pas, mais t'imaginesC'est vraiment magnifique une usineC'est plein de couleurs et plein de crisC'est plein d'étincelles, surtout la nuitC'est vraiment dommage que les artistesQui font le spectacle soient si tristesAutrefois y avait des rigolosIls ont tous fini dans un lingotLe ciel a souvent des teintes étrangesLe nom des patelins s'termine par "-ange"C'est un vieux pays pas très connuY a pas de touristes dans les rues
Viens, dans mon paysViens voir où j'ai grandiTu comprendras pourquoi la violence et la mortSont tatouées sur ma peau comme tout ce décorPour tout leur pardonner et me tenir tranquilleIl faudrait renier les couteaux de la ville
Viens, petite sœur au blanc manteauViens, c'est la ballade des copeauxViens, petite girl in red blue jeanViens, c'est la descente au fond de la mineViens, c'est la descente au fond de la mine
Source : LyricFind
Paroliers : Bernard Lavilliers

A dos de Dieu ou l'ordure lyrique Par Marcel Moreau

 

« Les hommes de cette ville font le moins de pas possible, observe beffroi. Ils semblent avoir peur de s’éloigner trop. « Ils battent la semelle », ils la battent. On dirait qu’ils cherchent désespérément à s’enraciner sur un lopin de trottoir. Ils s’enferment dans leur maison, croyant s’y enfoncer. En vain. Ils grattent le pavé dans l’espoir d’y trouver de la terre, un bon, un délicieux humus. Autour d’eux, ils tracent des cercles dont ils se proposent de ne point sortir. Quand ils en sortent, c’est chassé par la faim ou par un accident terrible qui vient de se produire un peu plus loin. Ou alors par les nécessités du métier, du coït. Ainsi donc tous ces gens qui vont, qui viennent, qui donnent à la ville son apparence de creuset tourbillonnant, de marmite d’agités, n’avancent guère. Ils font des ronds, des bulles dans l’espace étroit et sans chaleur qui leur est dévolu. Ils sont déracinés sans être nomades. Le mouvement leur est interdit. Ils vivent dans un brouillard d’échafaudages, de tubulures molles qui au moment où le citadin veut fuir se redressent et se pointent vers lui en baïonnettes strictes. Ce que Beffroi prenait pour de la fièvre n’est qu’une riposte épuisée à une agression sans visage. Sous la nervosité générale, les corps transportent leurs ressorts brisés. On m’avait dit que la vielle que la ville était trépidante, dante, qu’elle était pleine de démons marcheurs cheurs, et boxeurs xeurs. On m’avait donc menti ti. J’ai envie de gifler les monuments, ce gigantesque arrêt de toute vie. »

jeudi 29 juin 2023

Ma France saigne Par M.A.

 Ma France a perdu un enfant le sang coule si facilement L'intolérance frappe de nouveau

Ma France c'est celle de ces photos elle est belle elle est joyeuse
elle intègre elle danse elle rit elle chante
Ma France a perdu un enfant
je dis simplement cette phrase:
un enfant de 17 ans est mort d'une balle dans le corps tirée à bout portant.
Nous sommes passés de l'ordonnance de 1945 qui garantit à un enfant qui dévie une chance dans la République pour revenir dans la société à la peine de mort administrée sur la voie publique pendant qu'un autre policier répond à une femme de couleur je présue qui clame sa stupeur: "Toi, retourne en Afrique".
Cet homme en uniforme garant des lois de la République reprend une phrase que l'on a entendu il n'y a pas si longtemps dans l'hémicycle de l'assemblée nationale prononcer par un député du Rassemblement National. Pouvons-nous en conclure que ce brave policier qui fait "juste son métier" a voté pour un parti de la haine issu des idées les plus sombres de l'histoire de France?
Un jeune adolescent de 17 ans, quoiqu'il fasse, n'était pas un enfant perdu, n'était pas perdu pour la société, perdu pour sa famille, perdu pour ses amis, pour moi, car c'était surement mon frère, forcément mon frère. Inévitablement mon frère.
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La conquête du pain N2

 Bagne d'enfants

Du fond de la géhenne


Extrait du journal "l'œuvre"


J'ai maintenant 17 ans. Petit maigre à moitié fichu par la misère. On était 5 enfants. Je suis parti avant 12 ans de chez moi pour gagner mon pain. Et comme je ne gagnais que 10 francs par semaine pour m'habiller, j'ai pris à mon patron 700 francs sur mes tournées par petite sommes.

Je suis passé au tribunal correctionnel de Meaux. J'ai été acquitté et confié à la compagnie pénitentiaire de M... Je ne vous fais pas la confession qui suit pour vous apitoyer. Moi, au moins, j'avais fait quelque chose. J'étais un voleur. Mais hélas, combien de mes camarades de là-bas avait plutôt gagné le paradis que le bagne.

Je suis arrivé une après-midi a M et pendant qu'une espèce de dogue -pas un homme- me fouillait je voyais mes nouveaux camarades "faire la pelote' sous le soleil sans boire. J'en ai vu combien tomber depuis de soif et d'épuisement.

On m'a mis à la "famille" G. "Famille" veut dire "pavillon". Le chef m'a dit aussitôt les premiers principes. Le soir j'étais bleu.

Au bout de 3 mois après les corrections, j'avais une vraie tête de bagnard: la figure brûlée, les yeux enfoncés, et le nez cassé, rapport à un coup de trique.

En dessous du chef, il y a le colonel qui nous commande et qui a le joli nom de "frère aîné". Il est responsable.

"Démerde-toi pourvu que ça marche". Alors il cogne. S'il ne compte pas assez, c'est lui qui passe à la pelote. 

Après un an, j'ai lu mon galon rouge pour bonne conduite, et j'ai été "frère aîné". Les premiers jours ça allait. Je tapais bien avec le bois que l'on met à la tête du hamac. Mais au bout d'une semaine, j'ai été dégoûté. Alors les camarades me sont tombés dessus. Le chef aussi, parce que j'étais obligé de me battre avec tous les colons qui n'avait pas assez peur de moi.

Finalement on a mis la plus grosse brute de la famille et moi on m'a mis à la pelote.

C'était en juillet il faisait une chaleur de malade. Il faut tourner dans la cour qui est une étuve 55 minutes par heure avec des mouvements de gymnastique. Cela du matin au soir. Nourriture a midi: u. Peu de légume, un petit bout de pain, un quart d eau. Le soir: un peu de soupe, un petit bout de pain et un quart d eau.

Au bout de dix jours on n a plus que la peau et les os, mais c est la soif qui me torture et qui me rend fou. J'aurais donné 10 ans de ma vie bien des fois pour quelques gouttes.

Pendant que le bourreau avait le dos tourné, vite on se laissait tomber et on buvait de l'eau d egoûts qui avait servi à laver les cabinets où les cachots. Pire que des chiens.

Alors le bourreau se retournait et ils nous condamnait à ne pas boire notre quart d'eau réglementaire en nous le vidant sous le nez, par terre.


A suivre



BIBLIOTHÈQUE FAHRENHEIT 451

 


LES PENSÉES DE L’INDIEN QUI S’EST ÉDUQUÉ DANS LES FORÊTS COLOMBIENNES



Manuel Quintin Lame (1880-1967), « l’Indien-loup », responsable du premier et plus vaste soulèvement autochtone de l’ère républicaine en Colombie, passera dix-huit années en prison, tout en continuant d’inspirer et de soutenir les résistances autochtones. Ses Pensées, enterrées pendant trente ans, servent aujourd’hui encore « d’horizon pour les générations d’indiens qui sommeillent dans les champs immenses de la Nature divine », ainsi qu’il l’avait prédit.

Ce texte atypique, poétique, mystique et philosophique à la fois, mêle des éléments autobiographiques, une dénonciation constante des persécutions contre la « race guanahani » depuis le 12 octobre 1492, des revendications juridiques précises, des considérations religieuses associant christianisme et cosmologie casas : « Je veux démontrer au peuple indien colombien, en toute franchise, que ses droits et ses devoirs comme ses territoires sont aujourd'hui rongés et gangrenés par la morsure du serpent de l'ignorance, de l'incompétence ou de l'analphabétisme. »

Il se présente comme « cette abeille sentinelle qui, devant la porte de la ruche, repère les bourdons paresseux qui désirent manger sans travailler ; bourdons qui ressemblent à ceux qui sont arrivés le 12 octobre 1492 pour s'approprier nos richesses, nos droits et nos coutumes, ainsi que notre religion ». En même temps nationaliste – et ce n’est pas là son seul paradoxe –, il se propose aussi de « partir avec cinq mille indiens pour punir celui qui avait envahi [les] frontières amazoniennes », en 1932. Il incite aussi à ne pas « se soumettre à la cuisine électorale ».


Ses invocations, souvent empreintes d’un lyrisme déroutant, marquent par leur intense puissance évocatrice : « L'expérience a deux murs puissants, l’un visible, l'autre invisible ; murs qui m'ont servi de puissantes tranchées pour me protéger du feu de l'ennemi, sur le terrain matériel, civil et moral, où j'ai livré des combats acharnés. Mais pour cela, il faut une mémoire précise et juste. Le premier de ces murs est celui où ont été déposées les actions qui ont dansé devant l’homme depuis qu'il a l’usage de la raison : ainsi l’Indien n’oubliera jamais que le Blanc a exploité son père, son frère ou sa mère et les a outragés avec des mots. L’Indien ne dit mot, mais il nourrit en soi la pensée du coq de combat et se venge en provoquant un ulcère au Blanc, ou comme le diraient d'autres avec leurs mots, en lui jetant “un maléfice“. […] le second mur de l'expérience consiste à savoir dire ce que l'on s'est au moment juste, car il est plus sûre de se taire que de parler ; car la plaie qui est recouverte n'est jamais souillée par la mouche et cicatrise rapidement. »


Riche et déconcertant, ce texte original témoigne de la persistance pluri-centenaire de la résistance autochtone, et de sa ténacité. Laissons à Manuel Quintin Lame le mot de la fin : « Grâce à ma foi, que je laisse par écrit dans ce livre, une poignée d'hommes indiens se soulèvera demain et prendra les pupitres, les tribunes, les estrades et les tribunaux, car l'intelligence de la race indienne dépasse et dépassera très largement celle du Blanc, si elle s'appuie sur une foi fervente, comme il a été dit et démontré dans cet œuvre. »


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



LES PENSÉES DE L’INDIEN QUI S’EST ÉDUQUÉ DANS LES FORÊTS COLOMBIENNES

Manuel Quintin Lame

Traduit et présenté par Philippe Colin et Cristina Moreno

192 pages – 20 euros


mercredi 28 juin 2023

Manoukian Par Mélinée Manoukian

 "A la fin de juillet 1939, nous assistions Manouche et moi, à la célébration du 150° anniversaire de la révolution française, au stade Buffalo. Manouche défilait, un drapeau français à la main. A la fin de la cérémonie, il est venu s'assoir à côté de moi et m'entretint des pensées suscitées en lui par cette imposante manifestation. Nous nous souvenions avec fierté de l'activité des meilleurs fils du peuple arménien au cours de l'histoire de France. Que ce soit dans les domaines les plus divers, en politique ou en littérature, on trouve un nombre non négligeable d'Arméniens qui ont joué un rôle parfois de premier plan. Ainsi Stépan (Etienne) Voskan, étudiant au collège de France, qui participe à la révolution française aux côtés de ses amis français et qui fut jeté& en prison. Il devint plus tard l'objet et l'admiration d'écrivains ou d'hommes politiques tels que Victor Hugo, Léon Gambetta, Adam Mickiewicz, Beranger."


Manoukian:

"L'atmosphère est sombre, nous entrons dans une période d'affrontement. Notre génération va avoir à combattre le nazisme. cela risque d'être terrible, et nous en sortirons vainqueur..."

dimanche 25 juin 2023

Principes pour une littérature qui empeste de Michel Surya

Il y a quelques articles plus haut M.S. se plaignait que la "culture" utilisait les termes capitalistiques pour se défendre d'être considérée comme une denrée de seconde nécessité. 

Il développe ensuite 

Theordor W. Adorno, à propos précisément de la culture: 

"Celui qui parviendrait à se rappeler ce qui s'empara de lui lorsqu'il entendit les mots fosse à charogne et chemins aux porcs, serait certainement plus près du savoir absolu de Hegel [...] Ce qu'il faudrait désavouer théoriquement, c'est l'intégration de la mort physique dans la culture, non pas au nom de la pure essence ontologique de la mort, mais au nom de ce que la puanteur des cadavres exprime et sur quoi trompe leur transfiguration en dépouille mortelle. Le propriétaire d'un hôtel qui s'appelait Adam tuait à coups de gourdin, et sous les yeux de l'enfant qui l'aimait bien, des rats qui, par des trous, dévalaient dans la cour; c'est à son image que l'enfant s'est forgé celle du premier homme. Que ce soit oublié, qu'on ne comprenne pas ce qu'on a jadis éprouvé devant la voiture de la fourrière, est le triomphe de la culture et son échec. Elle ne peut supporter le souvenir de cette zone parce qu'elle ne cesse d'imiter le vieil Adam, et c'est là justement ce qui est incompatible avec le concept qu'elle a d'elle-même. Elle abhorre la puanteur parce qu'elle pue; parce que, comme le dit Brecht dans un extraordinaire passage, son palais est construit en merde de chien[...] Auschwitz a prouvé de façon irréfutable l'échec de la culture[...]"


La "culture" qui fait valoir pour elle des droits qu'à le commerce ne sait en effet pas qu'elle a échoué, et pue. Qu'elle n'est plus qu'un commerce comme n'importe lequel d'entre eux".

Principes pour une littérature qui empeste de Michel Surya

 Paul Thévenin, après avoir décrit l'arrivée d'Artaud à l'hôpital de Rodez, va décrire ses soins/


Paule Thévenin décrivant ensuite dans le détail l'opération, confirmant ainsi sa barbarie. Ce que je veux reproduire ici, c'est la note qu'appelle le mot "tortionnaire", note que Paule Thévenin a rédigée elle-même::

"L'idée de l'électrochoc est venue au docteur Ugo Cerletti après une visite aux abattoirs de Rome où la méthode était utilisée pour faciliter l'abattage des animaux."


Ugo Cerletti, dont les unités médicales portent encore le nom, qui l'empruntent par le fait à celui qui a eu l'idée de soigner des troubles mentaux au moyen de l'électrochoc, a été plusieurs fois candidat à l'obtention du prix Nobel de médecine. Paule Thévenin, prévenue par Artaud lui-même, ainsi qu'en tout cas l'a été Franco Bellucci, plasticien, sculpteur art-brutiste, mort le 30 aout 2020, dont on se demande à quoi a tenu la vie qu'il a menée jusqu'au bout? Qui a tenu à ce que les temps où Ugo Cerletti administrait les puissances thérapiques de l'électrochoc n'aient plus eu cours - que d'autres ont sauvé.

Antonin Artaud

Antonin Artaud  le théâtre et son double »  préface 1938

 

« Jamais, quand c’est la vie elle-même qui s’en va, on n’a autant parlé de civilisation et de culture. Et il y a un étrange parallélisme entre cet effondrement généralisé de la vie qui est à la base de la démoralisation actuelle et le souci d’une culture qui n’a jamais coincidé avec la vie, et qui est faite pour régenter la vie. Avant d’en revenir à la culture, je considère que le monde a faim, et qu’il ne se soucie pas de la culture ; et que c’est artificiellement que l’on veut ramener vers la culture des pensées qui ne sont tournées que vers la faim. Le plus urgent ne me parait pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim ».

 

« Il ne me faudrait qu’un seul mot parfois, un simple petit mot sans importance, pour être grand, pour parler sur le ton des prophètes, un mot-témoin, un mot précis, un mot subtil, un mot bien macéré dans mes moelles, sorti de moi, qui se tiendrait à l’extrême bout de mon être, et qui, pour tout le monde, ne serait rien . »

Antonin Artaud , cité par Jacques Prevel - En compagnie d’Antonin Artaud, Paris,

Antonin Artaud, 1926

 

 

 

Principes pour une littérature qui empeste de Michel Surya

 "Théâtres, opéras, musées et, un moment, librairies ont été fermées au nom de cette distinction soudain faite nécessité (distinction tout droit héritée de la vieille et envieuse vue de " l exception culturelle française" mais, cette fois, retournée contre elle . Leurs représentants s'en sont aussitôt saisis plaidant leurs intérêts respectifs. Piteuses plaidoiries! Lesquelles se sont aussitôt mises, signe d une époque décidément qui persiste, à ventriloquer le langage du capital, sans doute pour mieux rapporter les vues générales de celui-ci à leurs vues partielles, au lieu de parler un langage auquel le capital eut été incapable de se rapporter, le seul qui eût fait de la culture l'exception à laquelle elle prétend péniblement.

Langage qu'il a fallu à tous entendre, contents pour la plupart (qui se sentirent "représentés", honteux pour de rares. Contents les uns, honteux les autres des arguments de ce langage, lequel disait, ne disant rien du point de vue de la "culture", mais tout de celui de "l'industrie":

"La culture contribue 7 fois plus au PIB français que l'industrie automobile avec 57,8 milliards d'euros de valeur ajoutée par an" .

Il y a sans nul doute plus à craindre d'une culture qui se vante de sa "valeur ajoutée" - 7 fois supérieure à celle de "l'industrie automobile" - que du capital lui-même, qui ainsi enregistre sans bruit que la culture s'est mise à parler son langage, le seul qui reste, et qui s'emploie satisfaire à ses raisons. Association dont il a lieu de déduire que ses intérêts sont depuis longtemps maintenant les mêmes que ceux de la culture, et qu'il n'y a de prospérité possible pour chacun, capital et culture, qu'ensemble".

Principes pour une littérature qui empeste de Michel Surya

 "S il en résulte quelque chose, ce ne sera certe pas une révolution - en même temps, qui sait si le mot"révolution " dit rien encore  qui prédise ce qui peut arriver, encore moins qui le doit. Il y a si longtemps qu'on n'attend plus que rien n arrive qu on sait encore moins quel nom il conviendra de donner à ce qui arrivera- si quoi que ce soit arrive encore. Tout le temps qu on a donné un nom à ce que l on voulait qu il arrivât - " communisme" fut ce nom réflexe, le plus souvent -, on a empêché qu arrivât quoi que ce soit qui n eût pas de nom.  Or rien n arrive réellement qui ait un nom, tout ce qui a déjà un nom tout au plus "vient"-il, mais n arrive pas. C est le tort qu a Badiou de donner à ce dont il appelle la venue un nom connu ( communisme), nom par lequel il privé la venue attendue de son caractère, selon lui, d événement. Ce qui arrive, par définition, diffère de ce qui vient, qui ne vient que parce qu il est déjà venu. Par définition, il n a pas de nom connu."

BIBLIOTHÈQUE FAHRENHEIT 451

 


LA TENTATION ÉCOFASCISTE



Par l’association entre immigration, surpopulation dans les pays du Sud et réchauffement climatique, une partie de l’extrême droite défend aujourd’hui une certain vision de l’écologie. Pierre Madelin retrace une généalogie des idéologies nationalistes et identitaires, à la recherche des origines de cette convergence inattendue et saugrenue, d’autant que la crise structurelle du capitalisme et l’aggravation de la crise écologique s’avèrent propices aux évolutions autoritaires et à l’avènement d’états d’exception, favorisant l’apparition de nouvelles formes de fascisme.

Alors que, dans Le Feu vert, Bernard Charbonneau associait l’écologie politique à la nature et à la liberté, elle est souvent placée par ses détracteurs sous le signe exclusif de la nature. Dès 1992, Luc Ferry s’oppose à l’écologie radicale, refusant d’admettre l’anthropocentrisme, tout en considèrant l’humain comme seul dépositaire de valeurs morales capable de protéger la nature (dans son seul intérêt) et de préserver la beauté de certains sites naturels. Cette offensive, dont il fut le plus loyal serviteur, s’est attachée, tout au long des années 2000 et 2010, à relativiser le réchauffement climatique, mettre en doute la rigueur des travaux du GIEC et disqualifier les écologistes en les présentant comme des « Khmers verts », des gourous ou des Ayatollahs de l’écologie. Dans les années 1960 et 1970, l’extrême gauche dénonçait aussi l’idéologie réactionnaire, l’attachement à la terre de l’écologie. Quant aux préoccupations pour l’écologie de la part des milieux proches du pouvoirs, les militants et les théoriciens les plus radicaux les accueillaient avec méfiance, craignant l’instauration d’une « administration du désastre ». Certains évoquent alors la notion d’écofascisme (Illich, Gorz, Charbonneau), non pas dans le sens d'un hypothétique « retour des années 1930 », ni en référence à des écologies d’extrême droite alors quasi inexistantes, sans aucune dimension nationaliste, identitaire ou raciste, percevant « dans la dynamique de l'ordre stato-capitaliste lui-même, dès lors qu'il entend apporter des solutions à la crise écologique dans le cadre de ses appareils bureaucratiques et technologiques, un risque de dérive liberticide et écofasciste ». L’auteur identifie une troisième utilisation du terme, à propos de possibles politiques inspirées de l’éthique écocentrée définie en 1930 par Aldo Leopold, qui sacrifieraient les droits des humains ou non humains au nom de l'intérêt supérieur de la communauté biotique, inquiétude émise par Tom Regan en 1983. De ces différentes acceptations, Pierre Madelin écarte les plus diffamatoires pour ne retenir que la notion d’autoritarisme en vue de fonder l’ordre social en nature, de gérer la pénurie et la survie : « une idéologie selon laquelle il existe des êtres surnuméraires qui compromettent non seulement les capacités de régénération de la nature mais aussi le bien-être des autres membres de la société étant donné qu'il peut dès lors être nécessaire de s’en débarrasser au nom du “bien commun“ », selon des critères racistes et identitaires ». Parce qu'il estime que l'intégration fonctionnelle de certaines franges de la population placées en position subalterne n’est plus possible, l’écofascisme repose sur l’homologie entre ordre naturel et ordre social.


L’auteur fait remonter la généalogie de l’écofascisme au courant völkisch du XIXe siècle et au fascisme historique des années 1920-1940. Le nazisme fut « un régime naturaliste et biologisant dans ses fondements idéologiques » qui invoquait constamment la « loi de la nature » justifiant la guerre entre les races. Le fascisme italien considérait que l’identité ethnique d’un peuple dépendait des conditions extérieures de son milieu, et que la nature, plus que de protection avait besoin de « bonification ». Malgré ses accents agrariens, il demeurait profondément anthropocentriste. Quant au régime de Vichy, on connaît son soucis de l’enracinement : « la terre ne ment pas ». Mais cette politique agrarienne est plus productiviste qu’écologique, même si la confusion est bien souvent entretenue, d’autant que René Dumont, candidat écologiste à la présidentielle de 1974, était alors un fervent promoteur de cette frénésie agroproductiviste. La critique de la modernité industrielle affichée par ces trois courants ne résiste pas à l’étude des décisions prises une fois leur arrivée au pouvoir et de leurs bilans réels.


L’écofascisme aujourd’hui est principalement inspiré par Renaud Camus, lequel explique « le principal facteur de l’artificialisation foudroyante des sols, en France, c’est précisément le Grand Remplacement, l’afflux permanent de populations étrangères à fort taux de reproduction, autrement dit le génocide par substitution ». Le racisme biologique historique a été éclipsé, après son aboutissement logique à l’extermination des Juifs d’Europe. En France, une nébuleuse intellectuelle connue sous le nom de « Nouvelle Droite », organisée essentiellement autour du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), fondé en 1968, notamment par Alain de Benoist, et le Club de l’horloge, défend un européisme, au-delà du nationalisme traditionnel, et adopte un « ethnodifférentialisme » qui propose de « tracer des frontières étanches entre des “cultures“ ou des “civilisations“ homogènes ». Cette reformulation subtile du racisme, permet d’absorber les revendications antiracistes : ce sont les dominants dont l’identité serait menacée par la prolifération des minorités. L’immigration est assimilée à une colonisation. À partir du début des années 1990, les revues Éléments et Krisis publient des articles sur l’écologie qui accuse le christianisme, religion née en dehors de l’Europe, d’être responsable de l’instrumentalisation de la nature au profit de l’homme et propose de réhabiliter le paganisme antique. Le système capitaliste, né de la mentalité de la fin de la Renaissance, qui considère le monde comme un objet désenchanté que la maîtrise humaine peut arraisonner à sa guise, va intensifier le brassage des populations, portant à son paroxysme « un processus multimillénaire de déracinement des peuples et de destruction de la nature ». En associant préservation de la nature et préservation de l’identité, la Nouvelle Droite dénonce l’immigration qui contribue au réchauffement climatique, à l’artificialisation du territoire des pays d’accueil, à l’augmentation de la consommation des ressources, les migrants souhaitant adopter le mode de vie occidental. Si elle reste très marginale, son cadre idéologique s’est imposé progressivement à l’extrême-droite et à une large partie de la droite.

À l’inverse de ce long processus d’« écologisation du fascisme » en France, une « fascisation de l’écologie » s’est produite aux États-Unis. Au moment de la colonisation, les « nations sauvages » sont accusées, par le naturaliste français Buffon notamment, à la fois de ne pas suffisamment cultiver leur sol et d’y laisser une trace trop importante. À la fin du XIXe siècle, John Muir contribue à instaurer une politique de protection de la nature sauvage, en évacuant des territoires les populations qui y vivent. Dans le cadre de ce « racisme environnemental », wilderness et whiteness se soutiennent mutuellement, à côté d’autres conception de défense de la nature sauvage, celle de Thoreau par exemple, exempte de cette association. Dans les années 1920-1930, plusieurs figures majeures de l'eugénisme américain se sont engagées en faveur de la conservation de la nature, accusant les immigrés de venir détruire la nature. En 1941, le jeune Aldo Leopold défend dans un discours le concept de « capacité de charge », issu du lexique de la marine marchande, puis jusque-là utilisé dans la gestion du bétail et du pâturage. Dès lors, les néomalthusiens (William Vogt, Paul et Anne Ehrlich, Garrett Hardin, etc) imposent la question démographique au cœur des préoccupations du mouvement écologiste. Toutefois « si les écofascismes attirent presque toujours l'attention sur la surpopulation, les néomalthusiens ou les écologistes sensibles à la question démographique ne sont en revanche pas tous, loin s'en faut, disposés à adopter une conception rationalisée des populations considérées comme “surnuméraires“, ni à prôner des mesures autoritaires pour réduire la population mondiale. À la fin des années 1970, plusieurs militants anti-immigrationnistes fondent la Federation For American Immigration Reform (FAIR), « face la plus sombre du néomalthusianisme américain ». Leur « obsession pour la restriction des taux de natalité » les distingue considérablement des fascistes historiques, fortement natalistes. Edward Abbey a également tenu des propos racistes d'une grande violence contre les migrants, et Dave Foreman, cofondateur d’Earth First ! soutenait une réduction de la population mondiale à 2 milliards d’habitants, sans toutefois évoquer les méthodes à adopter, considérant que le mode de vie américain, basé sur « un gaspillage maximal d'énergie et de matières premières », n’est pas universalisable. Actuellement, certaines franges de la droite alternative (alt-right) états-unienne défendent un « séparatisme blanc », un biorégionalisme identitaire, affichant une détestation de l'État libéral « accusé d'utiliser son immense puissance coercitive pour promouvoir un égalitarisme social, racial et genré qui contrevient à la nature ».


Pierre Madelin explique comment « la raréfaction conjointe du travail et des ressources », entraîne logiquement :

la multiplication des êtres humains « inutiles » ou « non rentables » du point de vue de l’accumulation du capital,

le départ d’un nombre croissant de personnes de leur lieu de résidence à la recherche d’une place ou d’une utilité,

une crise de légitimité du néolibéralisme, soucieux de démanteler les anciens systèmes de redistribution des richesses et « condamné à laisser la place à une nouvelle manière d’organiser les rapports sociaux, qui le prolongera sous une forme radicalisée ou qui s’opposera au contraire à lui à tous niveaux », ne pouvant se maintenir par l’usage exclusif de la force.

Il identifie trois options dont dispose le capitalisme :


Le capitalisme vert, c’est-à-dire la relance d’un cycle de croissance en investissant massivement dans les énergies « renouvelables » et dans la rénovation. Cependant, les partisans du Green New Deal (frange radicale du Parti démocrate) comme ceux de la Planification écologique (France Insoumise) espèrent ainsi décarbonner l’économie dans les temps impartis, mais en ignorant l’extractivisme effréné sur lequel ils devraient s’appuyer, et ses conséquences.

Le carbofascisme, c’est-à-dire une fuite en avant à tous les niveaux. Au-delà des partis d’extrême droite, les institutions semblent déjà avoir intégré cette option puisque la présidente de la Commission européenne fraîchement nommée, Ursula von der Leyen, intitulait, à l’automne 2019, le portefeuille de son commissaire chargé des questions migratoires : « Protection du mode de vie européen » !

L’écofascisme qui consiste à maintenir les hiérarchies sociales au nom de la préservation du milieu naturel.


Un essai d’une grande clarté qui sème pourtant le trouble tant bien des argumentaires de l’écologie politique émancipatrice sont recyclés par différentes franges de l’extrême droite. Pierre Madelin, en établissant une généalogie de l’écofascisme dans toute l’étendu de son spectre, permet d’appréhender cette nébuleuse pour mieux la combattre.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



LA TENTATION ÉCOFASCISTE

Écologie et extrême droite

Pierre Madelin

272 pages – 18 euros

Éditions Écosociété – Collection Polémos – Montréal – Avril 2023

ecosociete.org/livres/la-tentation-ecofasciste



Du même auteur :


APRÈS LE CAPITALISME - Essai d’écologie politique

FAUT-IL EN FINIR AVEC LA CIVILISATION ? - Primitivisme et effondrement

LA TERRE, LES CORPS, LA MORT

CARNETS D’ESTIVES - Des Alpes au Chiapas

 

Voir aussi :

LA POSSIBILITÉ DU FASCISME - France, la trajectoire du désastre

BIBLIOTHÈQUE FAHRENHEIT 451

 


25 juin 2023

ENTRETIEN AVEC JEAN MORISOT, DES ÉDITIONS LA FABRIQUE

En 1998, Éric Hazan fondait, avec quelques ami·es les éditions La Fabrique. Jean Morisot, qui prend progressivement sa succession, avec Stella Magliani-Belkacem, a accepté d’évoquer, pour le numéro de juin 2023 d'Alternative libertaire, ces 25 années, les 225 livres parus et « la répression qui vient ».


Ernest London : Même si nous chroniquons très régulièrement vos ouvrages dans nos colonnes, pouvez-vous en quelques lignes, nous présenter la ligne éditoriale de votre catalogue  ?


Jean Morisot : On publie à raison d’une douzaine de titres par an des essais de sciences humaines, d’histoire, de philosophie, dont quelques traductions et rééditions, qui ont en commun de mettre les enjeux politiques au premier plan. Avec les années le catalogue s’est structuré autour de sujets qui nous sont chers (la Palestine, l’histoire des révolutions, Paris, l’antiracisme, la psychanalyse, le féminisme, les luttes décoloniales, etc.), d’autrices et d’auteurs fidèles qui nous confient leurs manuscrits et, plus généralement, élargissent notre champ de vision éditorial.


On constate d’ailleurs que ce catalogue a acquis une forme d’autonomie : certains livres ouvrent des pistes, des débats, préparent des livres futurs, d’autres en ferment car ils ont, à nos yeux en tout cas, fait le tour d’un sujet.


À « engagé » ou « militant », on préfère souvent l’épithète « subversif », s’il en faut un, pour qualifier notre position dans le secteur. Disons plus franchement qu’on essaye de faire des livres qui visent au cœur l’ordre établi et parlent à la gauche de la gauche, dans toutes ses composantes et traditions, en tentant parfois d’y faire bouger les lignes.


Ernest London : Le 17 avril dernier, le responsable des droits de la maison d’édition a été arrêté et longuement interrogé par la police britannique. Certains titres avaient-ils déjà fait l’objet de menaces, de censure, de débats houleux au moment de leur parution  ?


Jean Morisot : Des débats houleux oui  ! c’est même parfois le but. Pour ne prendre qu’un exemple assez récent, le livre d’Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous, a fait l’objet à sa sortie en 2016 de critiques particulièrement malhonnêtes et malintentionnées par des gens, y compris dans notre camp, qui ne l’avaient même pas lu. Il se trouve que le deuxième livre d’Houria qui vient de paraître en 2023, Beaufs et barbares, est un beau succès qui suscite beaucoup de rencontres et discussions en librairie et ailleurs. Preuve que par-delà certains désaccords, les choses ont évolué et que les idées qu’elle défend sont prises au sérieux. 


La censure est d’abord économique : des projets ne voient jamais le jour car ils sont jugés non rentables ou déplaisent au propriétaire. C’est pourquoi l’indépendance (des éditeurs, des libraires, des distributeurs-diffuseurs, des médias) est indispensable à la diversité et à la production critique. L’équilibre financier est une préoccupation quotidienne pour ces structures qui doivent aussi pouvoir rémunérer le travail correctement. Quant aux menaces, aux coups de pression, ils sont rares mais en quelque sorte latents, surgissant parfois quand on ne les attend pas – on vient d’en faire l’expérience.


Tout le monde se souvient de l’affaire Tarnac au cours de laquelle le livre L’Insurrection qui vient avait été versé au dossier d’instruction. C’était sans précédent mais le grossier montage policier s’est effondré sur lui-même et l’affaire s’est conclue par une relaxe collective (après quand même des années de procédures épuisantes pour les prévenu·es).


La criminalisation de la campagne BDS contre l’État d’Israël, à laquelle nous avons consacré deux livres (Boycott, désinvestissement, sanctions en 2010 et Un boycott légitime en 2016), est un autre exemple. Les livres ne sont pas inquiétés en tant que tels, mais celles et ceux qui mènent cette campagne contre la politique d’apartheid israélienne sont calomnié·es et trainé·es devant les tribunaux.


Ernest London : Que peut-on soupçonner derrière cette arrestation ?


Jean Morisot : Que le commerce du livre, et la circulation des idées, sont des activités surveillées qui ont toujours préoccupé les pouvoirs, d’autant plus quand ceux-ci sont aux abois. On voit bien l’état de panique dans lequel le gouvernement se trouve actuellement, qui renforce la tendance à la radicalisation autoritaire des institutions. Cet épisode, parmi tant d’autres, s’inscrit dans ce contexte de crise de légitimité du régime.


Ernest London : Pourquoi le pouvoir, selon vous, prend-il le risque de s’en prendre aussi ouvertement aujourd’hui à la liberté d’expression, sujet particulièrement sensible en France ?


Jean Morisot : La liberté d’expression est souvent brandie par des gens, principalement des hommes blancs bourgeois, qui disposent d’espaces de parole nombreux, pour continuer de pouvoir y déverser leur salmigondis réactionnaire. La macronie s’y vautre aussi régulièrement, mais clairement, on peut dire que défendre la liberté d’expression n’est pas sa préoccupation première. Cela dit, la liberté d’expression de l’extrême droite n’est absolument pas menacée. Pour le reste, les attaques ne sont pas frontales (contre la liberté d’expression elle-même), et ciblent des discours particuliers que le pouvoir ne peut pas assimiler et qu’il craint. Et quand il a peur, il frappe. On l’a vu avec la décision d’expulser l’imam Iquioussen  ; ou, dans un autre registre, avec les menaces envers la Ligue des droits de l’homme qui faisaient suite à une prise de position publique après le déferlement de violence policière à Sainte-Soline  ; ou encore avec l’usage juridico-policier de l’ « outrage » qui vient régulièrement pénaliser des actions satiriques, presque carnavalesques à l’encontre du pouvoir. Ce qui semble en jeu, c’est la défense d’une parole critique de l’État et de ses appareils, et c’est assurément une bataille importante dans laquelle doivent s’engager les éditeurs et éditrices, libraires, universitaires, intellectuel·les et journalistes, pour ne citer qu’elles et eux.


Entretien à retrouver ici.


samedi 24 juin 2023

Errico Malatesta dans "umanita nueva" du numéro 8 septembre 1920

"Si demain les industriels entrent en maîtres dans les fabriques, si le principe de la propriété est restauré, vous, les travailleurs vous ne devrez pas vous flatter d être sorti vainqueurs de la bataille, même si vous obtenez quelque augmentation de paye! Les capitalistes, la bourgeoisie demanderont au gouvernement des garanties pour la sauvegarde du capital, ils exigeront le ratablissement de l autorité de l etat, l obéissance aux lois, et, aujourd'hui, le gouvernement impuissant en présence de la prise de possession des établissements métallurgiques, encore plus impuissant si l expropriation pouvait s étendre a toutes les branches de la production, demain - si la lutte cesse- il interviendra et comment!"

La conquête du pain N1. 1934

 Le comité de rédaction


"Un journal qui n'est ni une affaire , montée ni une entreprise de publicité, qui n'a ni un financier pour appui, ni un parti politique pour pilote, qui ne se charge pas de liquider une marchandise, ni de fabriquer des valeurs d'opinion, qui ne recherche pas une clientèle parmi la foule, ce qui exclut le bluff et la flatterie démagogique; un « journal » qui s'adresse à l'homme, pour l'amener à voir clair dans la société et en lui-même, pour stimuler son libre examen, éveiller sa conscience, exalter ce qu'il y a en lui de noble; un " journal" qui sert un idéal encore lointain et imprécis peut-être et qui n'en est que plus beau, qui rassemble des matériaux pour des reconstructions à venir tout en s'attachant à détruire ce qui dans le présent doit être détruit, extirpé, jeté radine en l'air (parce que pourri et pourrisseur], et qui, dédaigneux des vains bavardages et des byzantines discussions, fait entendre dans la mêlée humaine la voix de la raison, mais aussi parfois le rude accent de la révolte : telle est, telle sera encore davantage demain qu'aujourd'hui de la Conquête du pain ». Mais il faut que nous disions que si, en tant que groupe initiateur, nous avons ce désir optimiste de faire de « la Conquête du pain » le meilleur instrument qui soit de la propagande anarchiste, et un instrument qui se perfectionne sans cesse, cela ne peut dépendre exclusivement de nous. Nous n'avons pas cette présomption de suffire à l'énorme travail qu'entraîne la confection d'un hebdomadaire comme celui-ci, dussions-nous y consacrer plus que nos loisirs. Nous serions vite épuisés. Il est donc indispensable, et c'est à cette condition seulement qu'en esprit comme en fait, « la Conquête du pain » deviendra ce qu'elle doit être, ce que nous comptons qu'elle sera, que des efforts divers de collaboration, soit écrite, soit matérielle, vienne se conjuguer à nos propres efforts. Ainsi, sur le caractère spécifique du journal viendra se greffer un autre caractère : celui d'une œuvre commune. Et si cette œuvre se bâtit, la démonstration sera faite que les anarchistes peuvent, quand ils le veulent, discipliner et coordonner leurs efforts pour une tâche efficace et durable . Alors notre besogne sera allégée dans toute la mesure où les collaborations seront plus actives; le journal sera plus complet, plus vivant ; il aura plus de chances de se diffuser. de remplir sa mission éducative, de répondre au but de propagande qui lui est assigné. Le rêve serait pour nous que les écrits de source diverse s'insèrent à leur place dans les colonnes et constituent un ensemble harmonieux, un bloc homogène ; mais ceci n'est pas réalisable d'emblée. Et nous savons tous combien le fait de laisser les textes prendre place pêle-mêle dans un journal nuit à sa qualité et à sa tenue et va à l'encontre de· l'objectif. Nous serons donc amenés, malgré que nous en ayons, à taillader, à retoucher, à élaguer des copies pour en approprier le contenu au cadre du journal et pour le rendre utilisable.

Nous nous en excusons à l'avance en souhaitant que cela se produise le moins souvent possible, car ce genre de travail n'est pas un plaisir et il peut nous prendre un temps précieux.

Aussi recommanderons=nous à nos collaborateurs de surveiller particulièrement leur plume, de dire ce qu'ils veulent dire de la façon la plus concise, de tenir compte qu'ils n'écrivent pas pour eux=mêmes mais pour des lecteurs qu'il faut traiter en amis et avec respect, de tenir compte également que la technique du journal auquel ils apportent leur collaboration peut etre influencé fâcheusement par le laisser aller d'une copie illisible ou mal présentée sur des feuilles écrites sur deux cotés, bref, de se pénétrer de l'esprit du travail en collectivité qui exige que la tache de l'un ne retombe pas sur l'autre. C'est une question de discipline individuelle.

Quant à nous qui assumons la tache ingrate de faire ce qu'en faire ce qu'en terme de métier on appelle la cuisine de du canard, nous croyons pouvoir compter sur l'esprit de camaraderie de tous et nous considérer comme à l'abri de ces crises d'amour=propre froissé, de ces mesquines critiques et de ces minables déblatérations qui nous laisseraient d'ailleurs tout à fait insensibles du moment que nous aurions la convictions de bien faire.

Mais par contre nous preterons l'oreille la plus attentive aux suggestions aux conseils, aux critiques mêmes, dès lors qu'ils seront l'indice sincère de bonnes volontés tendues vers le mieux.


Le comité de rédaction