Théâtre Français du XIX° Siècles : Victor Hugo Partie 4

 Une œuvre de combat

Le roman hugolien n'est pas un divertissement: il est presque toujours au service du débat d'idées. On l'a vu avec les romans abolitionnistes de sa jeunesse, on le voit encore dans sa maturité à travers de nombreuses et parfois envahissantes digressions sur la misère matérielle et morale dans Les misérables. Toutefois, dans ce dernier roman commencé en 1845 et 1848, on a détecté l'influence de Balzac, notamment celle du curé de village avec lequel Monseigneur Myriel a des points communs. Et la parenté entre Vautrin et Jean Valjean ( le second étant l'envers positif de l'autre) est assez évidente, le monde et les coutumes des bagnards étan t décrit dans splendeurs et misères des courtisanes. Ses héros sont, comme les héros de tragédie ( le dramaturge n'est pas loin), aux prises avec les contraintes extérieures et une implacable fatalité tantôt imputable à la société (Jean Valjean; Claude Gueux; le héros du Dernier jour d'un condamné), tantôt à l'histoire (quatrevingt-treize) ou bien à leur naissance (Quasimodo). C'est que le goût de l'épopée, des hommes aux prises avec les forces de la nature, de la société, de la fatalité, n'a jamais quitté Hugo; l'écrivain a toujours trouvé son public sans jamais céder aux caprices de la mode: qui s'étonnera qu'il ait pu devenir un classique de son vivant?


Le dramaturge

A vingt six ans, dans la célèbre préface de Cromwell, Victor Hugo jette les bases d'un genre nouveau: le drame romantique. dans ce texte, le jeune homme ambitieux remet en cause les règles bien établies du théâtre classique, et introduit les thèmes romantiques sur la scène: multiplication des personnages, des lieux, mélange des registres - le vulgaire et le recherché, le sublime et le grotesque - et met ainsi davantage de vie dans un théâtre trop compassé. revers de la médaille Cromwell, pièce aux 6000 vers et aux innombrables personnages n'est pas joué - injouables disent certains.

c'est grâce à hernani que le dramaturge accède véritablement, en 1830, à la célébrité et prend une place déterminante parmi les modernes. les années suivantes, Hugo se heurtera aux difficultés matérielles ( scène à l'italienne, peu propice aux spectacles d'envergure) et humaines ( réticences des comédiens français devant les audaces de ses drames). il alternera triomphes (Lucrèce Borgia) et échecs (Le roi s'amuse), avant de décider avec Alexandre Dumas, de créer une salle dédiée au drame romantique: ce sera le théâtre de la renaissance où il fera donner en 1838 Ruy Blas..

En 1843, l'échec des Burgraves l'affecte durement. Hugo désespère de parvenir à un théâtre à la fois exigeant et populaire. le dramaturge, frappé en outre par le deuil (Léopoldine meurt cette même année), délaisse la scène.

Victyor Hugo marquera son retour au théâtre avec l'écriture, à partir de 1866, de plusieurs pièces, dont la série du théâtre en liberté.


Le poète


Vers de jeunesse

A vingt ans Hugo publie les Odes, recueil qui laisse déjà entrevoir, chez le jeune écrivain, les thèmes Hugoliens récurrents: le monde contemporain, l'histoire, la religion et le rôle du poète, notamment. Par la suite, il se fait de moins en moins classique, de plus en plus romantique et Hugo séduit ler jeune lecteur de son temps au fil des éditions successives des odes ( quatre éditions entre 1822 et 1828).

en 1828, Hugo réunit sous le titre Odes et ballades toute sa production poétique antérieure. Fresques historiques, évocation de l'enfance; la forme est encore convenue, sans doute, mais le jeune romantique prend déjà des libertés avec le mètre et la tradition poétique. Cet ensemble permet en outre de percevoir les prémices d'une évolution qui durera toute sa vie: le catholique fervent s'y montre peu à peu plus tolérant, son monarchisme qui se fait moins rigide et accorde une place importante à la toute récente épopée napoléonienne; de plus, loin d'esquiver son double héritage paternel (napoléonien) et maternel (royaliste), le poète s'y confronte et s'applique à mettre en scène les contraires ( la fameuse antithèse hugolienne!) pour mieux les dépasser.

Puis Hugo s'éloigne dans son oeuvre des préoccupations politiques immédiates auxquelles il préfère -un temps- l'art pour l'art. il se lance dans les orientales ( l'orient est un thème en vogue) en 1829, l'année du dernier jour d'un condamné.

Le succès est important, sa renommée de poète romantique assurée et surtout, son style s'affirme nettement tandis qu'il met en scène la guerre d'indépendance de la Grèce (le choix de présenter l'exemple de ces peuples qui se débarrassent de leurs rois n'est pas innocent dans le contexte politique français) qui inspira également Lord Byron ou Delacroix.

Première maturité

Dès Les Feuilles d'automne (1832), Les Chants du crépuscule (1835) Les Voix intérieures (1837), jusqu'au recueil Les Rayons et les Ombres (1840), se dessinent les thèmes majeurs d'une poésie encore lyrique — le poète est une « âme aux mille voix » qui s'adresse à la femme, à Dieu, aux amis, à la Nature et enfin (avec Les Chants du crépuscule) aux puissants qui sont comptables des injustices de ce monde.

Ces poésies touchent le public parce qu'elles abordent avec une apparente simplicité des thèmes familiers ; pourtant, Hugo ne peut résister à son goût pour l'épique et le grand. Ainsi, on peut lire, dès le début des Feuilles d'automne, les vers :

« Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte »

Créativité et puissance littéraire

À partir de l'exil commence une période de création littéraire qui est considérée comme la plus riche, la plus originale et la plus puissante de l'œuvre de Victor Hugo. C'est alors que naîtront certains de ses plus grands poèmesp.

1856 est l'année des Contemplations. Hugo déclare : « Qu'est-ce que Les Contemplations ? [...] Les Mémoires d'une âme140. » A son éditeur Hetzel, il écrivait le 31 mai 1855 : « Il faut frapper un grand coup et je prends mon parti. Comme Napoléon (Ier), je fais donner ma réserve. Je vide mes légions sur le champ de bataille. Ce que je gardais à part moi, je le donne, pour que les Contemplations soient mon œuvre de poésie la plus complète. Mon premier volume aura 4 500 vers, le second 5 000, près de 10 000 vers en tout. Les Châtiments n’en avaient que 7 000. Je n’ai encore bâti sur mon sable que des Giseh ; il est temps de construire Chéops ; les Contemplations seront ma grande Pyramide141. »

Le succès est phénoménal. Le recueil sort le , tiré à 3 000 exemplaires. Dès le lendemain, Paul Meurice demande à Hugo l’autorisation de procéder à un nouveau tirage, ce qui se fait le 20 mai, à nouveau à 3 000. Entre-temps les premiers droits d’auteur permettent à Hugo d’acheter sa maison de Hauteville-House à Guernesey142.

Apothéose lyrique, marquée par l'exil à Guernesey et la mort (cf. Pauca Meae) de la fille adorée : exil affectif, exil politique : Hugo part à la découverte solitaire du moi et de l'univers. Le poète, tout comme dans Les Châtiments, se fait même prophète, voix de l'au-delà, voyant des secrets de la vie après la mort et qui tente de percer les secrets des desseins divins. Mais, dans le même temps, les Contemplations, au lyrisme amoureux et sensuel, contient certains des plus célèbres poèmes inspirés par Juliette Drouet. On y trouve également Demain, dès l’aube et les vers où il se représente en révolutionnaire de la littérature : « […] sur l’Académie, aïeule et douairière, / […] je fis souffler un vent révolutionnaire. / Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire143. » Les Contemplations : œuvre multiforme donc comme il convient aux « mémoires d'une âme »q.

Place à part dans son siècle

Tantôt lyrique, tantôt épique, Hugo est présent sur tous les fronts et dans tous les genres: il a profondément ému ses contemporains, exaspéré les puissants et inspiré les plus grands poètes.

Victor Hugo était convaincu que « l’élargissement de la civilisation » européenne au reste du monde amenait la littérature à s’adresser à tous les hommes et que donc « les conditions, jadis étroites, de goût et de langue » n’avaient plus de raison d’être. « En France, explique-t-il à l’éditeur italien des Misérables, certains critiques m’ont reproché, à ma grande joie, d’être en dehors de ce qu’ils appellent le goût français ; je voudrais que cet éloge fût mérité »144.

Ainsi que le rappelle Simone de Beauvoir : « Son 79e anniversaire fut célébré comme une fête nationale : 600 000 personnes défilèrent sous ses fenêtres, on lui avait dressé un arc de triomphe. L'avenue d'Eylau fut peu après baptisée avenue Victor-Hugo et il y eut un nouveau défilé en son honneur le 14 juillet. Même la bourgeoisie s'était ralliée […] »145.

Aucun commentaire: