On
connaît peu, même en France, l'histoire de « la Commune »,
En principe, et surtout dans les bourgades rurales, la population n'a
de « la Commune » qu'une vague impression d'insurrection, de
pillage, d'incendie, de violence meurtrière. Dans les centres
importants et dans les agglomérations ouvrières, où la propagande
socialiste, syndicale et anarchiste a plus ou moins profondément
pénétré, on parle de « la Commune » avec un certain respect et
l'opinion publique, longtemps égarée par la presse conservatrice,
est parvenue à une appréciation plus saine de ce grand fait
historique.
À
Paris, à l'exception des milieux qui, systématiquement et par un
instinct de classe, condamnent et haïssent tout ce qui vient du
peuple, de la démocratie ou des classes laborieuses, le souvenir de
la Commune provoque les plus ardentes sympathies et, dans le monde
socialiste et révolutionnaire, l'enthousiasme le plus vif.
Chaque
année, dans la seconde quinzaine de mai, le souvenir de « la
Semaine Sanglante » est commémoré et c'est par dizaines et
dizaines de milliers, que les manifestants défilent devant le Mur
contre lequel, adossés, acculés, brûlant leurs dernières
cartouches, tombèrent héroïquement les derniers combattants de «
la Commune ».
À
l'étranger, on connait moins encore cet événement de grande
importance et celui-ci n'évoque quelque intérêt et ne suscite
quelque émotion que dans les très grandes cités où les Partis
socialistes, les organisations syndicales et les groupements
anarchistes ont des adeptes assez nombreux.
L'existence
de la Commune fut extrêmement brève : elle naquit le 18 mars 1871
et mourut le 29 mai de la même année ; elle n'a donc vécu qu'un
peu plus de deux mois. Ce ne fut pas, à l'origine, un mouvement
révolutionnaire. Le peuple de Paris venait de subir un siège long
et douloureux. Toutes les privations, tous les deuils, toutes les
angoisses, toutes les souffrances que peut connaître une population
enfermée, durant plusieurs mois, dans un cercle de fer et de feu,
lui avaient été imposés par un gouvernement militaire dont
l'impéritie avait été si manifeste que, à diverses reprises, les
assiégés avaient eu l'impression qu'ils étaient trahis.
Profondément patriotes, les habitants de Paris avaient été
extrêmement mortifiés de la débâcle de l'armée française au
cours de la guerre de 1870-71, qui n'avait été qu'une série de
défaites à plate couture ; de plus, les mêmes individus :
généraux, diplomates, membres du Gouvernement, qui avaient
solennellement juré de mourir plutôt que de se rendre, venaient de
signer une paix que les patriotes estimaient honteuse ; enfin, il
était visible que le Gouvernement à la tête duquel était
l'exécrable Thiers, ancien ministre de la monarchie de juillet,
intriguait pour restaurer l'Empire, qui, le 4 septembre 1870, s'était
écroulé sous le mépris public. C'est dans ces conditions que
Thiers, chef du pouvoir exécutif, résolut et donna l'ordre de
désarmer ce Peuple de Paris qui paraissait déterminé à défendre
la République et dont l'irritation n'était pas sans lui inspirer de
vives inquiétudes. L'ordre fut donné de reprendre à la Garde
Nationale les quelques canons qu'elle avait encore sur la butte
Montmartre. Cet ordre mit le feu aux poudres en portant à
l'exaspération le mécontentement populaire. Le 18 mars, un combat
s'engagea entre la Garde Nationale et les troupes régulières. Pris
de peur, le Gouvernement quitta Paris et se réfugia à Versailles,
emmenant avec lui les troupes régulières et se plaçant sous la
protection de celles-ci. Aussitôt, le Comité central de la Garde
Nationale proclama l'indépendance de la Commune de Paris et lança
une proclamation invitant les autres villes de France à en faire
autant. Le 26 mars, le Gouvernement de la Commune fut élu et décida
de soutenir contre le Gouvernement résidant à Versailles, une lutte
sans merci. De son côté, le Gouvernement de Versailles prit ses
dispositions pour étouffer l'Insurrection. Tout d'abord, il
sollicita et obtint de l'état-major prussien l'autorisation de
porter à cent mille hommes, puis à deux cent cinquante mille, ses
effectifs militaires. Et, à partir du 2 avril, les hostilités
commencèrent et se poursuivirent, entre Paris et Versailles. Malgré
un héroïsme vraiment incomparable, les troupes parisiennes ne
cessèrent d'être défaites et décimées.
Le
21 mai, l'armée de Versailles entrait dans Paris, grâce à la
trahison. Quartier par quartier, rue par rue, et, on peut le dire,
mètre carré par mètre carré de terrain, les Fédérés
résistèrent à l'envahissement. Mais écrasés par le nombre,
l'outillage de guerre et les forces qui leur étaient opposés, ils
furent vaincus, en dépit d'une vaillance extraordinaire et d'un
combat grandiose. Ce fut, de la part des vainqueurs, le point de
départ de la répression la plus atroce, la plus implacable qu'eût
enregistrée l'histoire. Les documents officiels accusent trente-cinq
mille personnes fusillées sommairement. Des enfants, desfemmes, des
vieillards, furent sauvagement maltraités, sans interrogatoire , sur
un simple soupçon, une dénonciation, une parole, un geste, un
regard, pour l'abominable satisfaction de faire couler le sang,
d'exterminer une race de révoltés et de servir d'exemple. Ce fut
une incroyable orgie de meurtre, dont on ne peut, sans frémir, lire
le récit.
Telle
est, résumée dans ses grandes lignes, l'histoire de « la
Commune ». L'opinion la plus répandue et qu'ont tenté
d'accréditer les historiens bourgeois du Mouvement Communaliste de
mars-mai 1871, c'est que cette Insurrection a succombé sous le poids
de ses propres excès. De toutes les appréciations auxquelles
puisse donner lieu « la Commune », celle-ci est
incontestablement la plus inadmissible. Non ! Bien loin que ce soit
de ses excès, c'est, au contraire, de ses timidités, de sa
modération, de son manque de résolution, de fermeté et d'audace
que « la Commune » est morte.
Le
Gouvernement de « la Commune » voulut être un gouvernement
comme tous les autres : légal, régulier, respectant lui-même et
forçant le peuple à respecter les institutions établies. Il fit de
la générosité, de l'humanisme, de la probité. C'est ainsi qu'Il
fit porter à Versailles, c'est-à-dire chez l'ennemi, sous escorte
imposante, l'argent de la Banque de France. C'est ainsi qu'il
manifesta, en toutes circonstances, un respect inimaginable de la
Propriété et de tous les privilèges capitalistes. Il se flattait
de rassurer par cette attitude, le Gouvernement de Versailles et de
l'amener de la sorte à composition. Il est équitable de reconnaître
que le Gouvernement de « la Commune » était composé des
éléments les plus divers et que, exception faite d'une petite
minorité, représentant le Blanquisme et l'esprit de
l'Internationale des Travailleurs, les
membres
de ce Gouvernement étaient imbus des principes d'Autorité et de
Propriété et, au surplus, n'avaient aucun programme s'inspirant
d'une Idée maitresse, d'une Doctrine directrice. Pour tout dire, les
chefs de « la Commune » : tous d'un patriotisme ardent, la
plupart foncièrement républicains et quelques-uns seulement
socialistes, n'eurent pas conscience de ce qu'ils auraient dû faire
pour tenir tête à la racaille gouvernementale qui, de Versailles,
commandait à la France entière, après avoir eu soin d'isoler
Paris.
D'une
part, les insurgés du 18 mars perdirent un temps précieux au jeu
puéril d'élections régulières, alors qu'ils auraient dû
organiser, sans perdre un jour, la vie économique de la Capitale
dont la population était déjà épuisée par les rigueurs d'un
siège prolongé.
D'autre
part, ils auraient dû mettre la main sur le trésor enfermé dans
les caves et les coffres de la Banque de France, confisquer les biens
mobiliers et immobiliers des rentiers, propriétaires, industriels,
commerçants et autres parasites et cette confiscation eût été
d'autant plus facile, que la plupart de ces parasites, cédant à une
frousse intense, avaient fui précipitamment Paris tombé au pouvoir
des insurgés.
Ils
auraient dû, enfin, répondre coup pour coup aux attaques des
Versaillais, tenter l'impossible pour briser le cercle infernal dans
lequel Thiers s'efforçait de les emprisonner, prendre et appliquer
des mesures propres à semer la panique dans les rangs de la réaction
versaillaise et à faire naître l'enthousiasme et la confiance dans
la conscience des déshérités.
Malgré
ses erreurs et ses fautes, « la Commune » a laissé dans
l'histoire révolutionnaire de l'humanité une page lumineuse, pleine
de promesses et d'enseignements.
Diverses
décisions et plusieurs tentatives sont remarquables et à retenir
tant en raison de la pensée qui les a inspirées que des indications
qu'on en peut tirer. Je citerai deux de ces tentatives, empreintes
d'un caractère révolutionnaire. La première est du 20 mars 1871 :
c'est l'acte par lequel Paris s'affirme commune libre et convie les
autres villes de France à se constituer, elles aussi, en communes
indépendantes. Il faut voir là un premier jalon de la Révolution
future : l'abolition de l'État centralisateur et omnipotent, la
Commune devenant la base de l'organisation fédéraliste se
substituant au centralisme d'État.
La
seconde est du 16 avril. C'est un décret dont voici le texte : «
Considérant qu'une grande quantité d'ateliers ont été abandonnés
par ceux qui les dirigeaient, afin d'échapper aux obligations
civiques, sans tenir compte des intérêts des travailleurs, et que,
par suite de ce lâche abandon, de nombreux travaux essentiels à la
vie communale se trouvent interrompus, l'existence des travailleurs
compromise « la Commune » décrète que les Chambres
syndicales ouvrières dresseront une statistique des ateliers
abandonnés, ainsi qu'un inventaire des instruments de travail qu'ils
renferment, afin de connaître les conditions pratiques de la prompte
mise en exploitation de ces ateliers par l'association coopérative
des travailleurs qui y sont employés. »
On
a fait du chemin depuis le 16 avril 1871 et il est permis de taxer ce
décret d'excessive timidité et modération. Il est évident que de
nos jours, une insurrection victorieuse, disons mieux : la Révolution
sociale n'aura pas la naïve faiblesse de procéder par voie de
décret. Elle prendra possession brutalement et sans formalité des
instruments de travail, des matières premières et de tous les
moyens de production dont auront été dépossédés les détenteurs
capitalistes ou que ceux-ci auront eu « la lâcheté »
d'abandonner.
N'empêche
que, dans ce décret ― si modéré, si timide qu'on le trouve et
qu'il soit ― il y a la proclamation du droit ― et je dirai même
du devoir ― qu'ont les producteurs de s'emparer sans autre forme
de procès, de la terre, de l'usine, du chantier, de la
manufacture, de la gare, du bureau, du magasin, en un mot de tout ce
qui représente, à un titre quelconque, la vie économique dont ils
sont les animateurs, les facteurs et les auxiliaires indispensables
et souverains. Organisation politique ayant comme base le noyau
communal et comme méthode le fédéralisme.
Organisation
économique reposant tout entière sur la production assurée et
administrée par les travailleurs eux-mêmes, ayant mis la main sur
tous les moyens de production, de transport et de répartition. « La
Commune », il est vrai, n'a pas réalisé ces deux points
fondamentaux de toute transformation sociale véritable ; mais elle
en a donné l'indication précieuse, essentielle et elle a, de cette
façon, été une ébauche de ce que doit être, de ce que sera la
Révolution sociale de demain.
Je
ne veux pas terminer cet exposé trop court sans rendre hommage à la
vaillance héroïque avec laquelle, jusqu'à la dernière minute, se
sont battus les défenseurs de « La Commune ». Même à
l'heure où tout espoir de vaincre était perdu, même à la tragique
minute où ils savaient qu'il ne leur restait plus qu'à succomber,
ils ont fait le sacrifice de leur vie, sans hésitation et le front
haut, en regrettant la mort de « la Commune » plus que la leur. Si
les révolutionnaires et anarchistes se jettent, le jour de la
Révolution, au coeur de la lutte, avec la même ardeur, avec la même
farouche résolution, avec la même inébranlable détermination de
vaincre ou de mourir, il n'est pas douteux que rien ne leur
résistera.
― SÉBASTIEN
FAURE.
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