vendredi 27 juillet 2018

Journal de la Commune


Le tribunal correctionnel de Foix, vient de juger à l’audience de vendredi dernier, une affaire qui réveille de bien tristes souvenirs, car elle se rattache à la guerre désastreuse que la France vient de soutenir.
C’était dans le courant du mois dernier ; il s’agissait de chausser les mobiles de l’Ariège. Le temps pressait beaucoup, paraît-il, puisque partie de cette importante fourniture fut confiée à un homme tout à fait étranger au métier, M. Jourdy, marchand drapier à Foix.
Il paraît, du reste, qu’on s’occupait fort peu de la compétence et de l’aptitude des gens auxquels on avait recours pour l’équipement de nos troupes. Jourdy raconte, en effet, qu’indépendamment des fournitures considérables qu’il a soumissionnées pour capotes et souliers, il avait été sur le point, à un moment donné, de fournir des mitrailleuses au département de l’Ariège.
Il y a mieux encore : lorsque M. le président du tribunal lui demande quel traité est intervenu entre lui et l’administration, quelles conditions lui ont été imposées, quel type lui a été remis, Jourdy répond qu’aucun traité n’a été passé, qu’aucun type ne lui a été donné, et qu’il avait été purement et simplement convenu, et sans écrit, qu’il fournirait cinq cents paires de chaussures à raison de 9 fr. 50 l’une.
Là-dessus, Jourdy se met immédiatement en campagne, et va frapper à toutes les portes, afin de se procurer des chaussures dans le plus bref délai possible. Après en avoir commandé un certain nombre à Toulouse, il fait une descente à Chalabre, chez les nombreux cordonniers dont la principale industrie consiste à fabriquer pour les vendre en foire, ces souliers dits de pacotille, que le paysan achète à des prix très modérés.
Chaque cordonnier est mis en demeure de tirer de ses vitrines ou de ses malles tout ce qui lui reste en fait de souliers d’hommes, le tout est acheté, sans marchander, au prix de 8 fr. la paire. On était au mardi, et Jourdy avait besoin de compléter sa fourniture pour le dimanche suivant. Il fait appel à la bonne volonté des cordonniers de Chalabre, qui promettent de fabriquer chacun un certain nombre de souliers, au prix de 8 fr. 50 au jour indiqué, le dimanche deux ou trois délégués des cordonniers de Chalabre apportent à Foix cent vingt-sept paires de chaussures.
La marchandise est déballée au lieu de la réception. Jourdy range ses chaussures par ordre de mérite, mettant à l’avant-garde ses meilleures troupes réservant aux autres une place plus modeste et moins en évidence. Précautions bien inutiles : quand le moment de la vérification et de la réception fut arrivé, les cordonniers de Chalabre ouvraient de grands yeux pour voir l’accueil qu’on allait faire à leurs chaussures ; mais elles furent, comme toutes les autres, reçues le mieux du monde. La personne chargée de ce soin se contenta de les compter rapidement avec sa canne, et, quand les paires de souliers furent comptées, tout fut dit. Plus tard, lorsque les chaussures eurent été distribuées, ceux de nos mobiles qui avaient trop rapproché leurs pieds des feux de bivouac ne tardèrent pas à constater qu’entre la semelle intérieure et celle de l’extérieur, on avait mis du carton. Vérification faite, on découvre qu’un certain nombre de souliers fournis par les cordonniers de Chalabre avaient été faits dans des conditions défectueuses. Justement émue des réclamations que cette découverte avait suscitées, la justice avait dirigé des poursuites tant contre le sieur Jourdy que contre un certain nombre de cordonniers de Chalabre. Les uns et les autres avaient été assignés devant le tribunal correctionnel de Foix pour répondre du délit de tromperie sur la nature de la marchandise. Mais aux débats, la bonne foi des prévenus ayant été suffisamment établie, le tribunal les a tous renvoyés des fins de la plainte. Joursy a établi que, ne connaissant absolument rien à la fabrication des chaussures, il avait tout pris de confiance, et qu’il n’avait péché que par ignorance et par excès de précipitation, ajoutant que ses souliers ayant été reçus par la commission d’examen, ils les avaient crus recevables.
De leur côté, les six cordonniers de Chalabre ont parfaitement établi que les souliers par eux vendus à Jourdy n’étaient autres que ceux qu’ils ont, de tous les temps, vendus dans les foires, et qui renferment indistinctement de vieilles savates ou des cartons entre les deux semelles. A qui la faute ? Le tribunal a décidé que ce ne pouvait être ni aux cordonniers, ni à Jourdy.

Aucun commentaire: