Le
tribunal correctionnel de Foix, vient de juger à l’audience de
vendredi dernier, une affaire qui réveille de bien tristes
souvenirs, car elle se rattache à la guerre désastreuse que la
France vient de soutenir.
C’était
dans le courant du mois dernier ; il s’agissait de chausser les
mobiles de l’Ariège. Le temps pressait beaucoup, paraît-il,
puisque partie de cette importante fourniture fut confiée à un
homme tout à fait étranger au métier, M. Jourdy, marchand drapier
à Foix.
Il
paraît, du reste, qu’on s’occupait fort peu de la compétence et
de l’aptitude des gens auxquels on avait recours pour l’équipement
de nos troupes. Jourdy raconte, en effet, qu’indépendamment des
fournitures considérables qu’il a soumissionnées pour capotes et
souliers, il avait été sur le point, à un moment donné, de
fournir des mitrailleuses au département de l’Ariège.
Il
y a mieux encore : lorsque M. le président du tribunal lui demande
quel traité est intervenu entre lui et l’administration, quelles
conditions lui ont été imposées, quel type lui a été remis,
Jourdy répond qu’aucun traité n’a été passé, qu’aucun type
ne lui a été donné, et qu’il avait été purement et simplement
convenu, et sans écrit, qu’il fournirait cinq cents paires de
chaussures à raison de 9 fr. 50 l’une.
Là-dessus,
Jourdy se met immédiatement en campagne, et va frapper à toutes les
portes, afin de se procurer des chaussures dans le plus bref délai
possible. Après en avoir commandé un certain nombre à Toulouse, il
fait une descente à Chalabre, chez les nombreux cordonniers dont la
principale industrie consiste à fabriquer pour les vendre en foire,
ces souliers dits de pacotille, que le paysan achète à des prix
très modérés.
Chaque
cordonnier est mis en demeure de tirer de ses vitrines ou de ses
malles tout ce qui lui reste en fait de souliers d’hommes, le tout
est acheté, sans marchander, au prix de 8 fr. la paire. On était au
mardi, et Jourdy avait besoin de compléter sa fourniture pour le
dimanche suivant. Il fait appel à la bonne volonté des cordonniers
de Chalabre, qui promettent de fabriquer chacun un certain nombre de
souliers, au prix de 8 fr. 50 au jour indiqué, le dimanche deux ou
trois délégués des cordonniers de Chalabre apportent à Foix cent
vingt-sept paires de chaussures.
La
marchandise est déballée au lieu de la réception. Jourdy range ses
chaussures par ordre de mérite, mettant à l’avant-garde ses
meilleures troupes réservant aux autres une place plus modeste et
moins en évidence. Précautions bien inutiles : quand le moment de
la vérification et de la réception fut arrivé, les cordonniers de
Chalabre ouvraient de grands yeux pour voir l’accueil qu’on
allait faire à leurs chaussures ; mais elles furent, comme toutes
les autres, reçues le mieux du monde. La personne chargée de ce
soin se contenta de les compter rapidement avec sa canne, et, quand
les paires de souliers furent comptées, tout fut dit. Plus tard,
lorsque les chaussures eurent été distribuées, ceux de nos mobiles
qui avaient trop rapproché leurs pieds des feux de bivouac ne
tardèrent pas à constater qu’entre la semelle intérieure et
celle de l’extérieur, on avait mis du carton. Vérification faite,
on découvre qu’un certain nombre de souliers fournis par les
cordonniers de Chalabre avaient été faits dans des conditions
défectueuses. Justement émue des réclamations que cette découverte
avait suscitées, la justice avait dirigé des poursuites tant contre
le sieur Jourdy que contre un certain nombre de cordonniers de
Chalabre. Les uns et les autres avaient été assignés devant le
tribunal correctionnel de Foix pour répondre du délit de tromperie
sur la nature de la marchandise. Mais aux débats, la bonne foi des
prévenus ayant été suffisamment établie, le tribunal les a tous
renvoyés des fins de la plainte. Joursy a établi que, ne
connaissant absolument rien à la fabrication des chaussures, il
avait tout pris de confiance, et qu’il n’avait péché que par
ignorance et par excès de précipitation, ajoutant que ses souliers
ayant été reçus par la commission d’examen, ils les avaient crus
recevables.
De
leur côté, les six cordonniers de Chalabre ont parfaitement établi
que les souliers par eux vendus à Jourdy n’étaient autres que
ceux qu’ils ont, de tous les temps, vendus dans les foires, et qui
renferment indistinctement de vieilles savates ou des cartons entre
les deux semelles. A qui la faute ? Le tribunal a décidé que ce ne
pouvait être ni aux cordonniers, ni à Jourdy.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire