lundi 25 mai 2020

Traité theologico-politique Par Spinoza Partie 1




« Si les hommes étaient capables de gouverner toute la conduite de leur vie par un dessein réglé, si la fortune leur était toujours favorable, leur âme serait libre de toute superstition. Mais comme ils sont souvent placés dans un si fâcheux état qu’ils ne peuvent prendre aucune résolution raisonnable, comme ils flottent presque toujours misérablement entre l’espérance et la crainte, pour des biens incertains qu’ils ne savent pas désirer avec mesure, leur esprit s’ouvre alors à la plus extrême crédulité ; il chancelle dans l’incertitude ; la moindre impulsion le jette en mille sens divers, et les agitations de l’espérance et de la crainte ajoutent encore à son inconstance. Du reste, observez-le en d’autres rencontres, vous le trouverez confiant dans l’avenir, plein de jactance et d’orgueil. »

Quinte Curce (liv. VI, ch. 18) :  "Il n’y a pas de moyen plus efficace que la superstition pour gouverner la multitude."

A propos des croyants :
« Il ne leur a pas suffi de donner dans les rêveries insensées des Grecs, ils ont voulu les mettre dans la bouche des prophètes ; ce qui prouve bien qu’ils ne voient la divinité de l’Écriture qu’à la façon des gens qui rêvent ; et plus ils s’extasient sur les profondeurs de l’Écriture, plus ils témoignent que ce n’est pas de la foi qu’ils ont pour elle, mais une aveugle complaisance ».

« Par conséquent, ceux qui occupent le pouvoir ont un droit absolu sur toutes choses ; eux seuls sont les dépositaires du droit et de la liberté, et les autres hommes ne doivent agir que selon leurs volontés. Mais comme personne ne peut se priver du pouvoir de se défendre soi-même au point de cesser d’être homme, j’en conclus que personne ne peut se dépouiller absolument de son droit naturel, et que les sujets, par conséquent, retiennent toujours certains droits qui ne peuvent leur être enlevés sans un grand péril pour l’État, et leur sont toujours accordés par les souverains, soit en vertu d’une concession tacite, soit en vertu d’une stipulation expresse ».

« …je sais qu’il est également impossible de délivrer le vulgaire de la superstition et de la peur ; je sais enfin que la constance du vulgaire, c’est l’entêtement, et que ce n’est point la raison qui règle ses louanges et ses mépris, mais l’emportement de la passion ».

« ll résulte du chapitre précédent que des prophètes n’eurent pas en partage une âme plus parfaite que celle des autres hommes, mais seulement une puissance d’imagination plus forte. »

« Je remarque enfin que la liberté une fois donnée aux hommes, il est extrêmement difficile de la leur reprendre. Voici maintenant la conclusion où j’en veux venir. Premièrement, le pouvoir doit être, autant que possible, entre les mains de la société tout entière, pour que chacun n’obéisse qu’à soi-même et non à son égal ; ou si l’on donne le pouvoir à un petit nombre, ou même à un seul, ce dépositaire unique de l’autorité doit avoir en lui quelque chose qui l’élève audessus de la nature humaine, ou du moins il doit s’efforcer de le faire croire au vulgaire. En second lieu, les lois doivent être, dans un État quelconque, instituées de telle sorte que les hommes y soient contenus moins par la crainte du châtiment que par l’espérance des biens qu’ils désirent avec le plus d’ardeur ; car de cette façon le devoir est pour chacun d’accord avec ses désirs. Enfin, puisque l’obéissance consiste à se conformer à un certain ordre en vertu du seul pouvoir de celui qui le donne, il s’ensuit que dans une société où le pouvoir est entre les mains de tous et où les lois se font du consentement de tout le monde, personne n’est sujet à l’obéissance ; et soit que la rigueur des lois augmente ou diminue, le peuple est toujours également libre, puisqu’il agit de son propre gré, et non par la crainte d’une autorité étrangère. C’est justement le contraire qui arrive dans un gouvernement absolu : tous les citoyens y agissent en effet par l’autorité d’un seul ; et s’ils n’ont pas pris dès l’enfance l’habitude de cette dépendance, il sera difficile au souverain d’introduire de nouvelles lois et de reprendre au peuple la part de liberté qu’il lui aura une fois accordée. »

« Or on sait que pour réussir à la guerre il faut plutôt encourager les soldats que les effrayer par des menaces et des supplices ; car alors chacun a plus de zèle pour faire briller son courage et sa grandeur d’âme qu’il n’en aurait pour éviter un châtiment. C’est pour cela que Moïse, par vertu divine et par ordre divin, introduisit la religion dans le gouvernement ; de cette façon le peuple faisait son devoir, non par crainte, mais par dévotion. »

« Enfin, pour que le peuple, qui était incapable de se gouverner par lui-même, fût dans une dépendance étroite de son chef, il ne laissa aucune des actions de la vie à la discrétion de ces hommes qu’un long esclavage avait accoutumés à l’obéissance ; si bien qu’il leur était impossible d’agir un seul instant sans être obligés de se souvenir de la loi et d’obéir à ses prescriptions, c’est-à-dire à la volonté du souverain. »

dimanche 24 mai 2020

Les mots par Jean-Paul Sartre Partie "Lire"





« Il n'y a pas de bon père, c'est la règle ; qu'on n'en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité qui est pourri. Faire des enfants, rien de mieux ; en avoir, quelle iniquité ! Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m'eût écrasé. Par chance, il est mort en bas âge ; au milieu des Énées qui portent sur le dos leurs Anchises, je passe d'une rive à l'autre, seul et détestant ces géniteurs invisibles à cheval sur leurs fils pour toute la vie ; j'ai laissé derrière moi un jeune mort qui n'eut pas le temps d'être mon père et qui pourrait être, aujourd'hui, mon fils. Fut-ce un mal ou un bien ? Je ne sais ; mais je souscris volontiers au verdict d'un éminent psychanalyste : je n'ai pas de Sur-moi ».

« Mon père avait eu la galanterie de mourir à ses torts : ma grand-mère répétait qu'il s'était dérobé à ses devoirs ; mon grand-père, justement fier de la longévité Schweitzer, n'admettait pas qu'on disparût à trente ans ; à la lumière de ce décès suspect, il en vint à douter que son gendre n’eût jamais existé et, pour finir, il l'oublia. Je n'eus même pas à l’oublier : en filant à l'anglaise, Jean-Baptiste m'avait refusé le plaisir de faire sa connaissance. Aujourd'hui encore, je m'étonne du peu que je sais sur lui. Il a aimé, pourtant, il a voulu vivre, il s'est vu mourir ; cela suffit pour faire tout un homme. Mais de cet homme-là, personne, dans ma famille, n'a su me rendre curieux. Pendant plusieurs années, j'ai pu voir, au-dessus de mon lit, le portrait d'un petit officier aux yeux candides, au crâne rond et dégarni, avec de fortes moustaches : quand ma mère s'est remariée, le portrait a disparu ».

« Dans une passion si publique, j'ai peine à distinguer la sincérité de l’artifice : je ne crois pas qu'il ait témoigné beaucoup d'affection à ses autres petits-fils ; il est vrai qu'il ne les voyait guère et qu'ils n'avaient aucun besoin de lui. Moi, je dépendais de lui pour tout : il adorait en moi sa générosité ».

« Ma vérité, mon caractère et mon nom étaient aux mains des adultes; j'avais appris à me voir par leurs yeux; j'étais un enfant, ce monstre qu'ils fabriquent avec leurs regrets. »

Eugène varlin partie 1




 Texte de la grève des relieurs :
« 26 août 1864 Paris, le 26 août 1864 M. Les Ouvriers Relieurs désirent depuis longtemps la réduction de la durée du travail. Le progrès moral et matériel de notre société, ainsi que le besoin de conservation, font de cette réduction une nécessité de jour en jour plus impérieuse. Le développement de l’industrie doit avoir pour résultat l’augmentation du bien-être de tous. La  production  augmentant chaque jour, par l’extension de l’emploi des machines, le riche ne suffit plus à la consommation ; il faut donc que l’ouvrier devienne consommateur, et pour cela il lui faut un salaire assez élevé pour acquérir, et le temps nécessaire pour pouvoir posséder, ou que l’industrie arrête ses progrès. Ce qui est vrai pour l’industrie en général est particulièrement vrai pour notre métier ; pour qu’il prospère, il faut que l’instruction soit répandue à flots et que l’ouvrier ait le temps nécessaire pour la recevoir et la développer. Quand les millions de prolétaires auront le temps de lire et les moyens d’avoir des livres, alors la reliure prendra une extension considérable et atteindra une prospérité dont elle est loin actuellement. Puisque l’avenir de la reliure est dans l’amélioration du sort des masses, les relieurs devraient donner l’exemple. Malheureusement il n’en est pas ainsi et, tandis que dans la plupart des autres métiers la journée des ouvriers a été réduite à dix heures de travail, elle est encore de douze heures dans le nôtre. Cependant la reliure aussi a pris sa part dans la marche du progrès en activant sa production ; pourquoi donc ne la compléterait-elle pas en réduisant la durée de travail de ses ouvriers ? Le fait matériel de l’augmentation du labeur, par l’emploi de nouvelles machines et de moyens plus expéditifs de travailler, suffirait pour demander une réduction de travail nécessaire au repos du corps ; mais l’esprit et le cœur en ont surtout besoin. L’instruction nous est rendue impossible par la longueur de notre journée ; cependant notre état exige que nous soyons instruits. Notre industrie, par ses besoins de perfectionnement, nous rend l’éducation aussi nécessaire qu’elle nous rend l’ignorance pénible en nous mettant chaque jour tant de livres entre les mains. De tous côtés des hommes instruits se groupent et s’offrent à nous  communiquer la science, mais leur dévouement est inutile pour nous, étant dans l’impossibilité d’en profiter. La famille, pour nous, aurait aussi ses charmes et sa puissance moralisante ; mais nous sommes privés de ses caresses qui font oublier les fatigues et donnent du courage pour le lendemain. Les devoirs du père de famille, les besoins du ménage, les joies de l’intérieur nous sont impossibles et inconnus, l’atelier absorbant nos forces et toutes nos heures. Nous demandons aussi une augmentation de salaire pour les heures supplémentaires, non dans le but de gagner davantage, mais d’empêcher qu’on abuse du travail de nuit qui n’est jamais lucratif et qui est toujours nuisible à la santé. C’est, nous le croyons, le plus sûr remède au chômage. Nous gémissons de voir que beaucoup d’ouvriers sont sans ouvrage et souvent sans ressources une grande partie de l’année. Avec ces nouvelles propositions, ces bras inoccupés travailleront, et nous pourrons arriver à supprimer les heures de nuit, si nuisibles à la bonne exécution des travaux et si peu profitables à tous. Nous insistons beaucoup sur cette réforme qui est pour nous le plus sérieux progrès. Nos propositions devant avoir pour résultat la régénération de notre métier, patrons et ouvriers sont également intéressés à en discuter les moyens d’application. Nous vous prions donc de bien vouloir venir à la réunion qui aura lieu à cet effet le dimanche,11 septembre, à 9 heures du matin, rue de Cluny, 11, salle Gesell.
Au nom de tous nos camarades : Lancelin Auguste, Marsille Amédée, Varlin Eugène, Lemettais Benjamin, Barrier Élie, Bouvinet Charles, Billard Eugène, Chevraud Jules, Clerambeau Henri, Dumont Eugène, Faciot Marius, Frenoir Alexandre, Gouet Léon, Paucheville Achille, Provenat Pierre, Thomelin Just, Vavasseur Adrien, Viard Louis, Vigny Louis. bnf Vp 29229

11 septembre 1864 Monsieur, La réunion que nous devions avoir le 11 courant pour nous entendre entre patrons et ouvriers n’ayant pu avoir lieu, il ne nous a pas été possible de débattre ensemble les conditions d’application de nos demandes. Nous nous sommes consultés entre nous et nous avons l’honneur de vous soumettre les conditions que nous avons arrêtées définitivement : 1. Réduire la journée de 12 heures à 10 ; 2. Fixer le salaire de la journée de 10 heures à un taux équivalent à celui de 11 actuellement ; 3. Augmenter le salaire des heures supplémentaires ; 4. Cette augmentation fixée à un quart en plus, c’est-à-dire 1 heure payée comme une heure 1/4, 2 heures comme 2 heures 1/2, et 8 heures comme une journée de 10 heures. Nous demandons que ces propositions soient réalisables au 25 courant, et nous attendons votre réponse pour cette époque. Paris, le 11 septembre 1864.

À la fin du mois de septembre, la majorité des patrons cède, les relieurs ont gagné. »


Lors d’un congrès des ouvriers en 1866 :  le citoyen Varlin : « Comme vous tous, je reconnais que le travail des femmes dans les manufactures, tel qu’il se pratique, ruine le corps et engendre la corruption. Mais partant de ce fait, nous ne pouvons condamner le travail des femmes d’une manière générale ; car vous qui voulez enlever la femme à la prostitution, comment pourrez-vous le faire si vous ne lui donnez le moyen de gagner sa vie. Que deviendront les veuves et les orphelins ? Elles seront obligées ou de tendre la main ou de se prostituer. Condamner le travail des femmes, c’est reconnaître la charité et autoriser la prostitution. »

« 29 juillet 1865 Messieurs, Qu’il me soit permis, tout d’abord, de remercier la Société typographique parisienne de sa bienveillante et fraternelle invitation*. Mes camarades et moi, nous sommes heureux de saisir cette occasion pour témoigner
 publiquement de notre gratitude à nos confrères typographes et leur assurer que désormais la solidarité est établie entre nous. La solidarité depuis quelques années était dans toutes les bouches ; aujourd’hui elle pénètre dans les cœurs, elle s’établit dans les mœurs. Les ouvriers comprennent enfin qu’elle seule peut les affranchir de cette lutte incessante produite par l’individualisme ; lutte qui n’a d’autre règle que le hasard et qui réussit plus souvent à la ruse qu’au courage, au vice qu’à l’intelligence. Ceux-là méritent toute notre estime, toute notre reconnaissance, qui en ont jeté les premiers jalons. Elle a grandi depuis, et les ouvriers, après s’être solidarisés par groupes de profession ou d’affinité, ont cherché à relier ces groupes entre eux. Déjà on ne s’en tient plus aux groupes avec lesquels on se trouvait en contact, et les bases d’une vaste association internationale ouvrière ont été posées dans le but d’établir la solidarité universelle. Il ne faut cependant pas s’illusionner, il y a encore de grandes difficultés à vaincre, de nombreux obstacles à surmonter pour compléter notre œuvre ; et il n’y aura pas trop des efforts de tous les hommes de cœur. Ce que nous devons surtout combattre de toutes nos forces, c’est l’ignorance, la routine et les préjugés ; car ce sont là les plus grands obstacles que nous rencontrons sur la route du progrès. Ce qu’il faut, pour les combattre, c’est le développement de l’éducation des masses. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît la nécessité de l’instruction et discute les moyens de la répandre ; mais, en attendant, un grand nombre de nos camarades en sont privés et la génération future, même, n’est pas assurée d’en posséder les éléments indispensables. Des professeurs, des hommes instruits, se sont courageusement dévoués à l’instruction des ouvriers ; nous devons profiter de toutes occasions pour les remercier de leurs efforts. Mais, ce qu’il faut surtout aux ouvriers, c’est plutôt une éducation pratique qu’une instruction théorique ; celle-ci n’offre pas à beaucoup d’entre eux, privés des premières notions indispensables à l’étude froide et théorique de la science, assez d’attraits pour qu’ils s’y livrent après un labeur journalier souvent pénible. L’éducation est plus accessible à tous, elle demande moins de travail, d’assiduité, d’efforts intellectuels ; et si, comme Jean-Jacques Rousseau, nous lui proposons pour but de former le cœur, le jugement et l’esprit, nous pourrions nous estimer heureux de la voir se répandre partout. Pour que l’éducation soit pratique, elle doit être l’œuvre de tous. Chacun de nous doit faire participer ses camarades aux avantages qui résultent pour lui de son expérience et de ses observations. Mais le moyen d’appliquer ce genre d’éducation mutuelle ? me direz-vous. Le moyen ! Gutenberg ne l’a-t-il pas trouvé ? L’imprimerie n’est-elle pas là ? Des ouvriers ont créé la Bibliothèque nationale. Des ouvriers vont faire paraître un journal : La Presse ouvrière. Que chacun de nous veuille concourir à ces tentatives, et nous aurons résolu le problème de l’éducation mutuelle. Messieurs, l’émancipation matérielle des travailleurs ne peut exister sans leur émancipation morale et intellectuelle ; c’est pourquoi je vous propose ce toast : À l’émancipation intellectuelle des travailleurs ! »

« Les délégués français et quelques Suisses demandaient que, pour être admis, il fallût justifier de sa qualité de travailleur manuel afin de tenir à l’écart tous ces soi-disant amis du peuple qui n’ont d’autre but que de le tromper, en le caressant, que de se servir de lui, pour atteindre ce but à la satisfaction de leurs intérêts ou de leur amour-propre… »

« 20 octobre 1867 Commission ouvrière M. Varlin, relieur, croit que la femme doit travailler et doit être rétribuée pour son travail. Il croit que ceux qui veulent lui refuser le droit au travail veulent la mettre pour toujours sous la dépendance de l’homme. Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre. Elle doit se suffire à elle-même, et comme ses besoins sont aussi grands que les nôtres, elle doit être rétribuée comme nousmêmes. Que le travail soit fait par un homme, qu’il soit fait par une femme : même produit, même salaire. Par ce moyen, la femme ne fera pas baisser le salaire de l’homme, et son travail la fera libre ! »

«Janvier 1868 Aux ouvriers ! Aux ouvrières ! Aux consommateurs ! Appel pour la formation d’une cuisine coopérative.
Depuis quelques années les ouvriers ont fait de grands efforts pour obtenir l’augmentation de leurs salaires, espérant ainsi améliorer leur sort. Aujourd’hui les spéculateurs prennent leur revanche et font payer cher les aspirations des travailleurs en produisant une hausse excessive sur tous les objets de première nécessité et particulièrement sur l’alimentation. On a proclamé la liberté du commerce ; la spéculation en use pour nous exploiter à merci. Travailleurs ! consommateurs ! ne cherchons pas ailleurs que dans la liberté le moyen d’améliorer les conditions de notre existence. L’association libre, en multipliant nos forces, nous permet de nous affranchir de tous ces intermédiaires parasites dont nous voyons chaque jour les  fortunes s’élever aux dépens de notre bourse et souvent de notre santé. Associons-nous donc, non seulement pour défendre notre salaire, mais encore, mais surtout pour la défense de notre nourriture quotidienne. Déjà, des sociétés d’approvisionnement de denrées de consommation se sont formées et fournissent à leurs membres des denrées alimentaires de bonne qualité et à prix de revient ; une vaste Société coopérative s’organise pour fabriquer et fournir à ses sociétaires du bon pain, à bon marché ; mais les gens de ménage seulement peuvent profiter des avantages de ces sociétés. Une nombreuse population d’ouvriers, d’ouvrières, absorbée par un travail journalier incessant, ne peut s’alimenter qu’au dehors, dans des établissements publics où l’on trouve le luxe avec la cherté, ou bien, avec un bon marché relatif, une nourriture malsaine ou un service malpropre. C’est à cette nombreuse population de travailleurs, c’est à vous tous, ouvriers, ouvrières surtout qui voyez disparaître si vite le modique salaire de vos laborieuses journées que nous faisons appel. Unissons-nous. Formons une société coopérative d’alimentation. Quelques cotisations nous permettront facilement l’achat d’ustensiles de cuisine et la location d’un logement où quelques employés, travailleurs comme nous et nos associés, nous prépareront une nourriture saine et abondante que nous pourrons, à notre gré, consommer dans notre établissement ou emporter chez nous. Point de luxe, point de dorures ni de glaces, mais de la propreté, mais du confortable. Nous réaliserons là des avantages que n’obtiennent pas les ménages : économie de temps, car il n’est pas plus long d’approvisionner et de faire cuire pour cinquante personnes que pour deux ou trois ; meilleure cuisine, car une personne de métier y consacrant son temps et son savoir doit faire mieux qu’une ménagère sans instruction culinaire et souvent pressée par le temps. Nous obtiendrons même, pour nos approvisionnements, des conditions meilleures que la plupart des gargotiers, en nous unissant, pour nos achats, avec les Sociétés de consommation existantes. Que tous les consommateurs soucieux de leur bienêtre se joignent à nous et bientôt nous ouvrirons un premier établissement dans le sixième arrondissement, où réside le groupe d’initiative, puis successivement, au fur et à mesure que nos ressources le permettront, nous en ouvrirons dans tous les quartiers où nous aurons réuni un nombre suffisant d’adhérents. On peut adhérer dès maintenant et se procurer gratuitement le projet de statuts : Au siège de la Société civile de consommation La  Ménagère, rue Saint-Jacques, 21, tous les soirs, de 8 à 10  h., et le dimanche toute la matinée ; et chez MM.  Loiseau, menuisier, rue Hautefeuille, 20 ; Rifflet, relieur, rue Grégoire-de-Tours, 42.
Une assemblée générale aura lieu dimanche prochain, 19 janvier, à 1 heure et demie précise dans le petit amphithéâtre de l’École de médecine.
Ordre du jour : Discussion des statuts et constitution immédiate de la société. Les adhésions ne seront définitives qu’aussitôt l’adoption des statuts ; jusque-là les adhérents conservent la faculté de se retirer si quelques dispositions adoptées par l’assemblée ne les satisfaisaient pas. Le comité d’initiative du conseil de la société La Ménagère et du conseil de la Société de crédit mutuel des ouvriers relieurs
Varlin, Eugène, relieur ; Bourdon, Antoine, graveur ; Gouet, Léon, relieur ; Boullet, Just, relieur ; Delacour, Alphonse, relieur ; Lemel, Nathalie, relieuse ; Varlin, Louis, expéditionnaire ; Lagneau, gainier. On est prié de faire circuler. »

« C’est d’une question de solidarité qu’il s’agit. Les patrons genevois refusent de traiter avec l’Internationale ; ils veulent, disent-ils, traiter avec leurs ouvriers personnellement. Nous savons ce qu’il en coûte, à l’ouvrier, de traiter seul avec ses patrons. Que tous les travailleurs y songent bien, la cause qui s’agite à Genève aujourd’hui, s’agitera ici demain ; ce n’est que par l’union que les travailleurs peuvent défendre leur salaire. »

« La grève, pour nous, n’est qu’un moyen barbare de régler les salaires ; nous ne l’employons jamais qu’à regret ; car il est toujours pénible pour l’ouvrier de se priver, lui et sa famille, pendant plusieurs semaines, plusieurs mois quelquefois, pour n’obtenir jamais qu’un salaire inéquitable. »

« L’Antiquité est morte d’avoir gardé dans ses flancs la plaie de l’esclavage ; l’ère moderne fera son temps si elle ne tient pas plus compte des souffrances du grand nombre, et si elle persiste à croire que tous doivent travailler et s’imposer des privations pour procurer le luxe à quelquesuns, si elle ne veut pas voir ce qu’il y a d’atroce dans une organisation sociale dont on peut tirer des comparaisons comme celle-ci »

Les latins I




Lucrèce :  De la nature

Et en effet combien de rêveries  peuvent-ils imaginer capables de bouleverser la conduite de ta vie et de troubler par la crainte toutes tes prospérités ! Et ce n’est pas sans cause. Car si les hommes voyaient qu’il est un terme fixé à leurs misères, ils pourraient de quelque façon tenir tête aux superstitions et aux menaces de  prophètes. Mais aujourd’hui il n’y a nul moyen, nulle faculté de résister, puisque ce sont des peines éternelles qu’il faut craindre dans la mort. »

« Car les sots admirent et aiment de préférence tout ce qu’ils croient distinguer dissimuler sous des termes ambigus, et ils tiennent pour vrai ce qui toucher agréablement l’oreille, et se présente tout farder de sonorités plaisantes. »

Juvénal   Satire VI
« Renonce à la paix du ménage, tant que vivra la mère de ta femme ; c’est elle qui lui apprend l’art divertissant de te dépouiller, de te ruiner ; c’est elle qui lui prend  à répondre avec tendresse et rouerie aux billets doux dépêchés par un séducteur, c’est elle qui trompe les gardiens ou qui les gagne à prix d’argent. »

« Le lit conjugal est continuellement le théâtre de querelles et de reproches réciproques : impossible d’y dormir. Jamais la femme ne se montre plus odieuse à l’égard de son mari que quand, pire qu’une tigresse privée de ses petits, elle dissimule sous de feints gémissements quelque secrète perfidie qui la travaille. Elle s’emporte contre les mignons, pleurniche à propos d’une maitresse imaginaire. Elle a toujours une provision de larmes toutes prêtes qui attendent à leur poste qu’elle leur prescrive de quelle façon couler. Tu prends cela pour de l’amour, tu te rengorges, et de tes lèvres tu sèches ces pleurs

jeudi 21 mai 2020

INTUITION 3 encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure





Au sens le plus large, appliqué aux événements de la vie, l'intuition est une notion spontanée des faits, affranchie des chemins ordinaires de la connaissance. Elle accompagne ainsi le caractère, plus subjectif et limité, que lui donne la philosophie et qui a rapport à une « connaissance des vérités à la fois claire, immédiate et indépendante de tout raisonnement ou démonstration ». Ici, d'ailleurs, non seulement son importance et son rôle, mais sa définition varie avec les écoles, et Platon ou Malebranche, Locke ou Schelling, Kant ou Bergson n'ont pas pour elle le même regard ni ne lui accordent un prestige égal et des vertus identiques. Quant à la théologie, toujours excessive, elle la poursuit au-delà des facultés humaines et en fait, par une fusion anticipée de la substance et un acte de foi en l'identité, la « vision de Dieu » … L'intuition parait être davantage des premiers temps de nos acquisitions et tenir, comme l'instinct, plus aux fibres qu'à l'intellectualité, restant entendu que celle-ci ne se conçoit pas sans le support des sens. L'intuition est plutôt du domaine des natures impulsives, frustes ou sentimentales, que du jeu des esprits positifs, des analystes et des froids érudits. Elle est plus propre - éducation ou prédisposition - en raison de l'étendue de sa zone sensible, à l'élément féminin. A elles semblent se rattacher certains dons de prescience ou de prophétie et elle est regardée comme le caractère du génie. Elle semble ainsi suppléer et devancer provisoirement les moyens nés du développement intellectuel et propres à la culture, et devoir peu à peu céder le terrain à la cérébralité à mesure que se rétrécit le champ de la connaissance confuse et que la science intensifie ses méthodes d'investigation et de contrôle. Il serait absurde, cependant, de lui tracer des frontières aussi précises et de prédire son recul obligé, de même que d'affirmer tantôt la prédominance, voire la souveraineté, et tantôt l'inanité de ses apports. Plus rationnel est-il d'en éclairer l'essence et les manifestations par des interrogations toutes scientifiques. D'ailleurs, la science elle-même pénétrant et, par la suite, régularisant, favorisant même le commerce encore mystérieux des êtres et nos réactions sur les choses, découvrant peut-être, par analogie, le secret de certains phénomènes troublants (comme la télépathie) dans des ondes que propage aussi l'éther et dont certains sujets particulièrement doués sont les pôles émetteurs et récepteurs, la science peut amplifier sa puissance, en l'appelant au renouveau. Et l'instrument rudimentaire d'un obscur savoir se muerait ainsi en prospecteur discipliné au service d'une intelligence chaude et éveillée. Le sensible - encore impénétré dans sa vastitude parfois inquiétante - n'a pas dit son dernier mot. Il n'a pas fourni son dernier document ni projeté son dernier rayon d'art. Et les concentrations nerveuses clairvoyantes - dont certains hommes marquent le privilège, constituent sans doute des armes préhensives précieuses pour les conquêtes humaines. Sentant le passé par transposition sympathique - et assez lucide pour coordonner et situer son butin - un artiste pourra, jusqu'en histoire, apporter le bénéfice de sa faculté prolongatrice à la réduction de nos prodigieux inconnus. D'autre part, l'accroissement des régions intellectuelles - vouées, semble-t-il, à l'hypertrophie et peut-être au déséquilibre commandé par la logique et soumises aux rigueurs du raisonnement, risque çà et là, un seul chaînon défaillant et parfois les prémices, de nous entraîner dans l'absurde et de nous faire répudier l'évidence. Il y a, dans la sécheresse où se lient les propositions et se débattent les théorèmes épurés, des quintessences arbitraires qui dépouillent la vérité des faits générateurs ; et le grossissement de l'abstrait dévoyé aux poursuites aveugles cèle un péril syllogistique. Pour y ramener l'impalpable souvent décisif de la vie, le contrôle intuitif est plus d'une fois l'inconscient redressement de nos spécialisations spéculatives... L'amour, du plus impérieux des instincts aux plus éthérées des attractions artistiques, apparaît comme l'atmosphère propre aux intuitions d'envergure. Les frémissements amoureux - que le sexe les ébranle ou la passion artistique - leur offrent des facteurs décuplés de puissance et des voies de pénétration qui déconcertent la sérénité normale. Sans chercher ni des formes ni une source divine à l'intuition, et loin de la soustraire au regard curieux et à la surveillance de la science, on peut caresser en elle des espérances qu'un avenir toujours plus lumineux pourra servir et l'envisager comme une des forces enfin comprises et connues de la connaissance. Nous nous inclinerons s'il arrive aux événements de démentir ces perspectives.
- Stephen MAC SAY.


Au sens le plus large, appliqué aux événements de la vie, l'intuition est une notion spontanée des faits, affranchie des chemins ordinaires de la connaissance. Elle accompagne ainsi le caractère, plus subjectif et limité, que lui donne la philosophie et qui a rapport à une « connaissance des vérités à la fois claire, immédiate et indépendante de tout raisonnement ou démonstration ». Ici, d'ailleurs, non seulement son importance et son rôle, mais sa définition varie avec les écoles, et Platon ou Malebranche, Locke ou Schelling, Kant ou Bergson n'ont pas pour elle le même regard ni ne lui accordent un prestige égal et des vertus identiques. Quant à la théologie, toujours excessive, elle la poursuit au-delà des facultés humaines et en fait, par une fusion anticipée de la substance et un acte de foi en l'identité, la « vision de Dieu » … L'intuition parait être davantage des premiers temps de nos acquisitions et tenir, comme l'instinct, plus aux fibres qu'à l'intellectualité, restant entendu que celle-ci ne se conçoit pas sans le support des sens. L'intuition est plutôt du domaine des natures impulsives, frustes ou sentimentales, que du jeu des esprits positifs, des analystes et des froids érudits. Elle est plus propre - éducation ou prédisposition - en raison de l'étendue de sa zone sensible, à l'élément féminin. A elles semblent se rattacher certains dons de prescience ou de prophétie et elle est regardée comme le caractère du génie. Elle semble ainsi suppléer et devancer provisoirement les moyens nés du développement intellectuel et propres à la culture, et devoir peu à peu céder le terrain à la cérébralité à mesure que se rétrécit le champ de la connaissance confuse et que la science intensifie ses méthodes d'investigation et de contrôle. Il serait absurde, cependant, de lui tracer des frontières aussi précises et de prédire son recul obligé, de même que d'affirmer tantôt la prédominance, voire la souveraineté, et tantôt l'inanité de ses apports. Plus rationnel est-il d'en éclairer l'essence et les manifestations par des interrogations toutes scientifiques. D'ailleurs, la science elle-même pénétrant et, par la suite, régularisant, favorisant même le commerce encore mystérieux des êtres et nos réactions sur les choses, découvrant peut-être, par analogie, le secret de certains phénomènes troublants (comme la télépathie) dans des ondes que propage aussi l'éther et dont certains sujets particulièrement doués sont les pôles émetteurs et récepteurs, la science peut amplifier sa puissance, en l'appelant au renouveau. Et l'instrument rudimentaire d'un obscur savoir se muerait ainsi en prospecteur discipliné au service d'une intelligence chaude et éveillée. Le sensible - encore impénétré dans sa vastitude parfois inquiétante - n'a pas dit son dernier mot. Il n'a pas fourni son dernier document ni projeté son dernier rayon d'art. Et les concentrations nerveuses clairvoyantes - dont certains hommes marquent le privilège, constituent sans doute des armes préhensives précieuses pour les conquêtes humaines. Sentant le passé par transposition sympathique - et assez lucide pour coordonner et situer son butin - un artiste pourra, jusqu'en histoire, apporter le bénéfice de sa faculté prolongatrice à la réduction de nos prodigieux inconnus. D'autre part, l'accroissement des régions intellectuelles - vouées, semble-t-il, à l'hypertrophie et peut-être au déséquilibre commandé par la logique et soumises aux rigueurs du raisonnement, risque çà et là, un seul chaînon défaillant et parfois les prémices, de nous entraîner dans l'absurde et de nous faire répudier l'évidence. Il y a, dans la sécheresse où se lient les propositions et se débattent les théorèmes épurés, des quintessences arbitraires qui dépouillent la vérité des faits générateurs ; et le grossissement de l'abstrait dévoyé aux poursuites aveugles cèle un péril syllogistique. Pour y ramener l'impalpable souvent décisif de la vie, le contrôle intuitif est plus d'une fois l'inconscient redressement de nos spécialisations spéculatives... L'amour, du plus impérieux des instincts aux plus éthérées des attractions artistiques, apparaît comme l'atmosphère propre aux intuitions d'envergure. Les frémissements amoureux - que le sexe les ébranle ou la passion artistique - leur offrent des facteurs décuplés de puissance et des voies de pénétration qui déconcertent la sérénité normale. Sans chercher ni des formes ni une source divine à l'intuition, et loin de la soustraire au regard curieux et à la surveillance de la science, on peut caresser en elle des espérances qu'un avenir toujours plus lumineux pourra servir et l'envisager comme une des forces enfin comprises et connues de la connaissance. Nous nous inclinerons s'il arrive aux événements de démentir ces perspectives.
- Stephen MAC SAY.

INTUITION 2 encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




L'intuition, qu'elle soit intellectuelle ou sensible, s'oppose à la pensée discursive ; elle implique perception immédiate d'une vérité qui n'a pas besoin du raisonnement pour être connue. En géométrie, la formule permettant de calculer la surface d'une circonférence n'apparaît pas évidente de prime abord ; je dois décomposer cette surface en triangles dont la base est infiniment petite ; et ces triangles je les rattache à des parallélogrammes, réductibles à des rectangles qui se ramènent eux-mêmes au carré. Grâce à une série de substitutions j'arrive à déterminer de façon certaine la surface de figures successives. Les vérités ainsi obtenues sont essentiellement discursives, médiates ; elles découlent de jugements logiques. Mais lorsque je déclare : « deux quantités égales à une même troisième sont égales entre elles » ou « les sommes de quantités égales sont égales », j'énonce des propositions, qui n'ont besoin de nul raisonnement pour être évidentes, et dont je ne puis fournir aucune démonstration rigoureuse. Ces vérités primordiales - on les appelle axiomes commandent toute la série des déductions mathématiques, rendant possible les substitutions de nombres en arithmétique, de lettres en algèbre, de figures en géométrie. Dans l'ordre expérimental, connaissances immédiates de la vue, du toucher, etc., ainsi que de la conscience constituent des intuitions de genre différent. Mais à ces données primitives se surajoutent bientôt, par suite d'habitudes acquises, des souvenirs, des idées, des jugements qui s'incorporent à la perception et la modifient. D'où erreurs fréquentes, imputables aux activités imaginatives et intellectuelles, qui brodent à leur fantaisie sur le canevas fourni par l'expérience. Evaluer la distance d'une cloche d'après le son qu'elle émet, la chaleur d'un poêle d'après sa couleur, résultent ainsi d'une interprétation toute mentale ; la distance n'étant directement perçue que par la sensibilité musculaire et tactile, peut être aussi par la vue, la chaleur ne l'étant que par le toucher. Observer un objet qui tombe sera une intuition sensible, alors que conclure à la chute de cet objet, en vertu de la pesanteur, si je l'abandonne dans le vide, sera une certitude déductive. Et quand je dis : « la même chose ne peut pas à la fois être et ne pas être » ou « tout a une cause », je suis en présence de vérités intuitives, évidentes avant d'être confirmées par l'expérience. Elles constituent l'ossature de la raison, puisque sans le principe d'identité nulle pensée logique n'apparait possible et que la causalité sert de fil d'Ariane au savant pour se guider dans le labyrinthe des faits. Force est à l'esprit de s'arrêter quelque part dans la série régressive de ses démonstrations ; c'est aux certitudes intuitives, soit de l'intelligence, soit de la perception consciente ou sensible, qu'il demande la base indispensable aux constructions de la pensée.
Bergson et ses disciples rabaissent la connaissance discursive au profit de l'intuition. Mais cette intuition, vue directe du réel, ils la supposent relevant des sens ou de la conscience, pas du tout de la raison ; de plus, loin de consister dans un enregistrement passif des données expérimentales, elle impliquerait effort méthodique et prolongé pour se déprendre des habitudes acquises. Une perception directe des pulsations intimes de la matière, toujours en mouvement et non figée en formes immuables, serait possible aux sens ramenés pour un moment à leur virginité première. Les couleurs apparaitraient à nos yeux éblouis, animées d'éternels remous aux nuances innombrables, les lignes droites perdraient de leur précision, tous les objets particuliers, que nous découpons dans l'espace, fusionneraient en une sorte d'aurore boréale, aux lumières de contours indécis. Avec ses instruments, ses mesures, le savant, qui convertit la qualité en quantité, s'avère incapable de saisir les faits en profondeur ; il n'en perçoit que la surface. Quand j'entends sonner une cloche, c'est arbitrairement que j'en découpe les coups pour les nombrer : chacun d'eux à sa nuance particulière et leur totalité engendre une phrase musicale, un rythme inanalysable. Même déformation spatiale dans la connaissance des sensations corporelles ou des sentiments moraux. Si je ferme le poing et presse les doigts de plus en plus, j'éprouve un sentiment d'effort qui croît mais reste identique, semble-t-il ; en réalité le nombre des muscles intéressés à mon action se multiplie, gagnant toute la main, le poignet, l'ensemble du bras, l'épaule même, et ce n'est pas d'une sensation d'intensité variable que j'ai conscience, mais d'une série de sensations hétérogènes, qualitativement distinctes et qui résultent de l'extension prise par les contractions musculaires. L'aggravation continue d'une douleur mentale ne consiste pas, comme on l'admet de prime abord, dans le grossissement progressif d'un sentiment de même nature. Elle implique une succession de sentiments différents, étrangers les uns aux autres, dont l'intensité répond uniquement à la quantité d'états psychiques teintés de sa couleur. Ces analyses bergsoniennes sont ingénieuses, mais la perception du monde extérieur, qu'elles supposent, répond surtout à des troubles de la vue, et la notion d'intensité psychologique subsiste dans l'immense majorité des cas. Sur le tombeau scellé des doctrines irrationnelles, la science peut dès aujourd'hui chanter alléluia. Une autre intuition, morte depuis longtemps, c'est celle dont nous gratifièrent Malebranche, les Ontologistes, et d'autres disciples plus ou moins fidèles de Platon : l'intuition de Dieu. Dès ici-bas notre intelligence communiquerait avec l'Etre suprême, nous verrions Dieu, selon une expression chère à Malebranche, sinon dans son essence infinie, du moins en tant que réceptacle des Idées. Doctrine si fragile que l'Eglise a condamné ses défenseurs. Elle s'inspirait de l'argument ontologique, invoqué par Saint Anselme et Descartes en faveur de l'existence de Dieu. L'idée de Dieu, disaient ces derniers étant celle d'un être parfait, implique nécessairement l'existence qui est une perfection ; de même qu'un triangle suppose trois angles par définition. Et de conclure : donc Dieu existe puisque nous le pensons. Ils passaient ainsi faussement de l'ordre idéal à l'ordre réel, oubliant que si un triangle suppose bien trois angles, il faut des preuves nouvelles pour démontrer que ce triangle et, par conséquent, ses trois angles existent en fait. De même si Dieu avait toutes les perfections, il aurait sans conteste l'existence ; mais rien ne prouve que ce Dieu existe effectivement en dehors de notre esprit. Une montagne implique des vallées ; par contre, si la montagne est imaginaire, les vallées aussi le sont. En admettant une perception directe de Dieu, Malebranche et les Ontologistes croyaient échapper à toute objection ; malheureusement pour eux la psychologie expérimentale a définitivement classé l'intuition divine parmi les mythes sans fondement. Historiquement, l'intuition, une fausse intuition, a donc servi de base à des doctrines hautement fantaisistes. Ajoutons que certains principes de la raison ont perdu le caractère d'évidence immédiate qui fut leur autrefois. Ainsi la finalité nous semble illusoire quand il s'agit du monde physique : son domaine se restreint à la vie, peut-être à la pensée. Principes de causalité, d'identité même, pourraient bien n'avoir qu'une valeur relative ; ce sont des hypothèses commodes et largement probables, mais dont la rigueur n'est sans doute pas absolue. Les postulats de la géométrie euclidienne se volatilisent aux yeux des métagéomètres. Et nous ne parlons pas des hallucinations pures où le cerveau fait tout, sans rien demander aux sens. Facilement reconnues dans le délire et la folie ordinaires, elles sont prises pour des visions célestes dès qu'il s'agit d'hallucinations religieuses : témoin celles de Marie Alacoque à Paray-le-Monial, de la petite Soubirous à Lourdes, des deux frères Barbedette - mes homonymes et peut-être lointains parents, car nous sommes de la même région - à Pontmain. L'Eglise, défiante, réduisit au silence ces visionnaires : des habitants de Nevers, sa résidence, me l'ont certifié pour la Soubirous, et l'un des Barbedette, un naïf, m'a déclaré, à moi-même, que les chefs ecclésiastiques lui firent promettre de ne narrer à personne comment la Vierge lui était apparue. Pour lever cette défense on attendit qu'il eût pris de l'âge et qu'aucune imprudence ne fût à craindre de sa part. Mais à Pontmain, comme à Lourdes, comme à Paray-le-Monial s'élèvent de magnifiques églises où des croyants simplistes laissent des millions, chaque année. Que ces exemples nous servent de leçons ; défions-nous même des certitudes, car beaucoup ne résistent pas à l'épreuve d'une critique serrée ! De ce nombre sont les intuitions mystiques, les rêveries à la Bergson et les prétendues évidences rationnelles que les traditionnalistes voudraient mettre à l'abri de toute discussion.
- L. BARBEDETTE.

INTUITION n. f. (du latin intuitio ; de in, dans et tueri, voir) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Connaissance claire, directe et immédiate des choses, sans le secours du raisonnement ; perception directe de vérités qui, pour être saisies par l'esprit, n'ont pas besoin de l'intermédiaire du raisonnement. En philosophie, l'intuition est un mode de connaissance immédiate et directe, qui ne s'embarrasse ni du raisonnement, ni de l'expérience, ni de l'observation des faits. Elle a son origine dans le sentiment. Elle considère comme de secondaire importance les conflits qui peuvent mettre aux prises le sentiment et le raisonnement basé sur l'observation. Elle tente de concilier, quand faire se peut, celui-ci et celui-là ; mais, quand l'expérience contredit le sentiment, c'est celui-ci qui l'emporte, le sentiment intime, la conscience et autres lumières subjectives étant un guide plus sûr, mieux éclairé que l'expérimentation. L'école positiviste (voir positivisme) n'admet comme certains que les faits vérifiés et contrôlés ; elle ne reconnaît que les vérités qui se meuvent dans le cadre de l'observation. Sans faire complètement fi de ces vérités et de ces faits, l'Ecole qui s'édifie sur l'intuition émet la prétention d'aller directement à la vérité, de franchir le cadre qui limite le domaine de l'expérimentation et du connu et de conclure, sans hésitation, dût la conclusion être en désaccord avec les connaissances acquises par l'observation. On conçoit l'empressement sympathique avec lequel les Ecoles spiritualistes et, plus encore, les chapelles religieuses ont accueilli les théories émises par « l'Intuitionnisme ». Dans l'ardente lutte engagée contre le matérialisme et la philosophie qui en découle, ces théories trouvaient droit de cité. Le philosophe Henri Bergson, auquel de brillants auditoires, en majeure partie composés de snobs et de dilettantes, firent, ces temps derniers, un bruyant succès, a développé la doctrine de l'Intuition dans quelques études psychologiques dont les plus connues ont pour titre : Essai sur les données immédiates de la conscience ; Matière et mémoire ; L'Evolution créatrice. L'Intuitionnisme - qu'on nous pardonne ce néologisme - ne possède aucun caractère scientifique. Il repose tantôt sur des lieux communs et des traditions discutables, tantôt sur de fragiles rapprochements, de douteuses comparaisons ou des exemples suspects. Selon les lieux, les temps, les circonstances et les individus, le système philosophique qui en est l'expression officielle conduit à des conclusions que leur diversité, voire leur opposition condamnent à l'incertitude. Le mot « Intuition » est pris aussi dans le sens de pressentiment (Voir ce mot). Exemple : « J'avais l'intuition du malheur qui m'est arrivé. J'ai l'intuition que mes démarches n'aboutiront pas. Mon intuition ne me trompe jamais. Dès que j'ai vu telle personne, j'ai eu l'intuition que nous nous lierions d'amitié ».
- S. F.

INTRINSEQUE adj. (du latin : intrinsecus, intérieur) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Qui est au-dedans d'une chose, à l'intérieur de celle-ci, qui lui est inhérente, qui fait corps avec elle, qui ne peut pas en être séparé, qui lui est propre et essentiel. La valeur intrinsèque d'un objet est indépendante de toute convention. La valeur intrinsèque d'un billet de banque, d'une action ou obligation, d'une pièce de monnaie est souvent très différente de sa valeur conventionnelle. Si je fais fondre de la monnaie d'or ou d'argent, par la quantité de métal pur que j'en extrais, je puis déterminer sa valeur intrinsèque. Si je livre aux flammes un billet de banque, il ne reste de celui-ci que de la cendre. Les mots, les idées possèdent une valeur intrinsèque. C'est celle qui s'y attache, abstraction faite de toute considération à côté ou extérieure.

INTRIGUE n. f. (lat. intricare, embarrasser ; de trica, entraves) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Réunion d'événements ou de circonstances qui se rencontrent dans une affaire ; complication, embarras ; machinations secrètes dans le but d'obtenir quelque avantage ou de nuire à quelqu'un : « La récompense due au mérite est souvent accordée à l'intrigue ». Voltaire disait : « Ce qu'un savant gagne en intrigues, il le perd en génie ; de même qu'en mécanique ce qu'on gagne en temps on le perd en forces ». Beaumarchais soulignait ainsi l'étendue de la ruse et la dépense de basse ingéniosité qu'appelle l'intrigue : « Dans le vaste champ de l'intrigue, il faut savoir tout cultiver, jusqu'à la vanité d'un sot ». La cour des rois était un foyer d'intrigues perpétuelles. Autour des puissants jouent, en enveloppements incessants, les intrigues de la vanité et de l'ambition. Les milieux dirigeants des régimes dits démocratiques les voient se nouer sans relâche autour des faveurs, des places, des honneurs, des prébendes et des sinécures. Elles sont le chemin sinueux des appétits et l'argent n'est pas l'enjeu le moins convoité... Dans le domaine de la politique internationale, la diplomatie est la terre d'élection de l'intrigue, et la sécurité des peuples y succombe. Parlements, chancelleries pullulent d'intrigants dont le scrupule est bien le dernier embarras. Le mystère qui enveloppe, au grand dam des gouvernés, les affaires publiques, fournit aux aventuriers l'ombre propice aux intrigues qu'une organisation claire et loyale déjouerait. On appelle intrigue en littérature et dans l'art dramatique, le nœud secret de l'action des personnages, le processus des conflits et des oppositions qui acheminent, dans un intérêt qui doit être à point soutenu et croissant, vers le dénouement. L'intrigue, habile avant que d'être vraie, est plus ou moins heureuse, et le métier, les ficelles d'un Scribe y obtiennent plus en réussite que le génie. A celui-ci, plus droit, plus naturel, le temps rend cependant peu à peu son succès, au niveau de sa maîtrise. L'intrigue est, au théâtre surtout, particulièrement artificielle. Elle atteint, dans le roman-feuilleton et dans le scénario des films « à l'américaine », son maximum de fantaisie et aussi d'incohérence...
- L.

INTRANSIGEANCE n. f. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Système de ceux qui ne transigent pas, qui ne veulent faire aucune concession. Qualité ou défaut, selon l'objet. Dans un monde où tout est relatif, il paraît absurde de parler d'absolus. Sans cesse, dans l'univers, tout change, tout se modifie, les végétaux et les minéraux, comme les animaux, comme les idées, comme les sociétés. Ne pas transiger demande une certitude que seuls les sots affirment immuable. La certitude que l'on détient une règle de conduite parfaite, ne saurait être que momentanée. S'attacher à un dogme, à une loi, à une idée, définitivement ; être intransigeant avec soi-même, ne pas tenir compte ni des faits nouveaux, ni des contingences sociales, c'est œuvre de sectaire. Cela nie la liberté de l'individu et affirme l'impuissance de la raison. Que le pape, prétendant parler au nom d'un Dieu éternel, immuable, ne transige pas, cela se conçoit ; de ce Dieu et la réalité du lien qui, dit le pape, les unit tous deux, - hors cette démonstration il n'y a qu'imposture. Mais qu'un autre individu soit intransigeant sur une quelconque question, cela ne saurait s'admettre que jusqu'à preuve qu'il erre. Cette preuve fournie, l'homme se doit de modifier l'objet de son intransigeance. En outre et quand il s'agit de passer de la théorie à la pratique, c'est folie que de ne pas tenir compte des résistances à combattre, des possibilités de réalisation. Si tous se cantonnent dans leur intransigeance, toute mesure est la force. Le sectaire est presque toujours un fripon ou un ignorant, il est dangereux pour tous et doit être sévèrement écarté des compétitions sociales. Il y a en lui, à l'état latent, un dictateur, un maître. Or, « notre ennemi c'est notre maître ». Les anarchistes, destructeurs impitoyables des fausses valeurs sociales ou individuelles, ne sauraient être des sectaires. Intransigeants avec leur conscience, oui, certes, mais toujours prêts à se rallier au point de vue qui, après mûre réflexion, leur paraît le meilleur.
- A. LAPEYRE.

INTOLÉRANCE n. f. (du latin intolerentia) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




L'intolérance est assurément une des tendances les plus autoritaires et les plus oppressives de la nature humaine. Elle semble aussi vieille que la société. Jamais les hommes n'ont pu supporter qu'on ne pense pas ou qu'on n'agisse pas comme eux. Depuis le conformisme étroit de la tribu sauvage, jusqu'aux formes les plus odieuses du dogmatisme religieux, jamais les sociétés n'ont reconnu le droit individuel à la liberté. Et, dans notre monde « civilisé » et « démocratique », ce droit est encore excessivement restreint. On pourrait objecter que cet état de choses répondait à d'impérieuses nécessités sociales et je suis trop déterministe pour nier que toutes les institutions qui ont existé, toutes les idées qui ont régné, toutes les méthodes qui ont prévalu à un moment quelconque, n'ont pas eu leur raison d'être et ne correspondaient pas à un besoin vital des sociétés - qui n'ont pu durer, pendant des siècles nombreux, qu'à la condition de subordonner étroitement l'individu. Retenons simplement cet enseignement que l'intolérance grégaire, la prépondérance du collectif sur l'individuel, ont été les moyens d'action des sociétés barbares, Mais, une fois l'existence de l'organisme social assurée, il ne doit pas rester stationnaire et se cristalliser. Pour se perfectionner, il faut qu'il évolue, qu'il change, qu'il se renouvelle. Les sociétés progresseront donc dans la mesure où elles seront parvenues à refouler conservatisme et misonéisme, dans la mesure où elles permettront aux initiatives de s'exercer librement, dans la mesure où elles auront toléré de nouveaux modes de penser et d'agir. Prêtres, rois, chefs guerriers, politiciens ou tyrans économiques, font évidemment passer le souci de leurs ambitions et de leurs privilèges avant l'intérêt de la collectivité. Peu leur importe que la société s'engourdisse dans la torpeur, qu'elle végète ou rétrograde. Au contraire, cette tyrannie ne peut être que favorable à l'épanouissement de leur despotisme. On criera donc « haro » sur le chercheur, le novateur, l'indépendant. On étouffera, par tous les moyens, même les plus violents, la pensée libre, l'effort vers le changement, l'expérimentation, vers plus de justice et d'égalité. Toute idée subversive sera qualifiée de chimère dangereuse et d'utopie irréalisable. Au nom de la routine, on refusera de s'écarter des sentiers battus, car l'intolérance va de pair avec l'étroitesse d'esprit, la paresse et la routine. Les gouvernants et les prêtres ont particulièrement abusé de l'intolérance et ont persécuté atrocement tous les chercheurs et tous les précurseurs. Il est inutile de donner ici des exemples de l'intolérance de l'Eglise. C'est toute son histoire qu'il faudrait refaire, car elle a toujours gouverné avec absolutisme. Aujourd'hui encore, en dépit de certaines affirmations libérales (?), les religions sont foncièrement intolérantes. Elles ne peuvent supporter les dissidences, les libres interprétations, les recherches des penseurs désintéressés. Elles ont leur Credo, leur Evangile, leurs formules, - et il faut accepter tout cela, en bloc, les yeux fermés. Si l'on permettait à chaque fidèle de choisir librement, de rejeter ce qui lui déplaît, d'étudier sans parti-pris les doctrines adverses, d'écouter loyalement tous les sons de cloche, tous les systèmes dogmatiques seraient condamnés à s'écrouler plus ou moins rapidement. Ils ne subsistent que par la Foi, la Croyance, le Dogme - et l'Intolérance. Pour combattre l'intolérance au point de vue social, il faut donc lutter contre le dogmatisme et contre l'autoritarisme. Mais cela ne suffit pas : il faut aussi combattre l'intolérance au point de vue individuel. Combien de personnes, en effet, se croient libres, se déclarent attachées aux partis d'avant-garde et conservent, malgré tout, une mentalité intolérante ! Avouons-le : les esprits vraiment tolérants sont très rares, - rarissimes même. Il faut nous habituer pourtant à considérer la pensée d'autrui (fût-elle très différente de la nôtre) avec sympathie, avec compréhension. Nous sommes persuadés de posséder la vérité, mais qui nous prouve que nous ne nous égarons pas ? Qui sait si notre antagoniste n'a pas raison contre nous ? Il nous est pénible d'en convenir, parce que nous sommes égoïstes et dominés par un individualisme absurde, fait de vanité bien souvent. On peut être tolérant, avoir des idées très larges et travailler néanmoins de toutes ses forces à la propagation de la vérité. C'est précisément en diminuant l'ignorance que l'on arrivera à rendre l'homme meilleur et à élever sa mentalité. « La diversité de nos opinions, disait Descartes, ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses ». L'éducation élargira les horizons de la pensée humaine et fera fleurir l'amour de la liberté, - ce qui est le seul moyen de mettre fin au règne des intolérants et aux violences barbares qui sont la honte et le malheur de l'humanité.
- André LORULOT.

INTIMIDATION n. f. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Action d'intimider, c'est-à-dire d'inspirer de la crainte, de l'appréhension. L'intimidation ne porte que sur les êtres hésitants et faibles. Plus l'individu manque de résolution et de volonté, et plus agit sur lui le système d'intimidation. Quand un individu flotte entre des déterminations différentes ou contradictoires, il est facile de lui faire accepter, par voie d'intimidation, celle qu'on désire ; et, s'il manque de volonté, il est également facile de l'éloigner, par le même procédé, de la décision qu'il a prise. Parce qu'ils sont généralement de faible volonté, les vieillards, les enfants et les femmes se laissent aisément intimider. Il en est de même des peuples, à l'égard desquels les Gouvernants usent fréquemment de l'intimidation érigée en système. En matière de gouvernement, ce système se décompose pratiquement en deux temps : le premier temps, c'est l'avertissement, la menace ; le second temps, c'est, dans le cas où la menace demeure inopérante, la répression. La loi est une application de ce système d'intimidation. La formule bien connue : « Sera puni…etc. » contient l'avertissement, exprime la menace. Elle sert de gendarme préventif, en inspirant la crainte du châtiment à ceux qui éprouvent la tentation de contrevenir à la loi. Cette appréhension possède une force qui, bien souvent, suffit à empêcher l'action délictueuse ou criminelle. Mais tous ne sont pas arrêtés par la peur du châtiment ; il en est qui passent outre et font ce que la loi interdit. C'est, alors, le second temps du système d'intimidation : le châtiment, la répression, dont le but est moins de punir le « coupable » que d'intimider les personnes qui formeraient le dessein de suivre son exemple. La pratique de l'intimidation sévit tout aussi sévèrement dans les relations entre patrons et ouvriers. Les travailleurs s'avisent-ils de se montrer mécontents des conditions de travail ou de salaires qui leur sont imposées ? L'employeur s'empresse de faire savoir qu'il ne s'inclinera devant aucune réclamation et que ceux qui ne sont pas satisfaits n'ont qu'à chercher du travail ailleurs. C'est le premier temps du système : l'avertissement, la menace. Si la crainte d'être congédiés et de se trouver sans travail n'empêche pas les salariés de maintenir leurs revendications, le patron n'hésite pas à renvoyer les « meneurs », dans l'espoir que cette mesure décidera les autres à abandonner, si justes soient-elles, leurs réclamations. Ce système d'intimidation qui, jusqu'à ce jour, a si bien réussi aux Gouvernements et aux Patrons, se brisera devant la ferme volonté des gouvernés et des travailleurs, quand ceux-ci sauront clairement ce qu'ils veulent et le voudront énergiquement

INTERVIEW n. f. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Ce mot anglais est entré dans le vocabulaire français. Il est fait un usage fréquent de l'interview dans le journalisme. Un événement se produit, un drame éclate, une menace, un danger ou un espoir prennent consistance ; aussitôt un spécialiste de l'interview rend visite à une ou plusieurs personnes qui, par leur situation sociale, leurs relations ou leur documentation présumée exceptionnelle, peuvent avoir à exprimer une opinion intéressante ou sont susceptibles de fournir des renseignements de quelque importance. Pour un journal ou une revue, le système de l'interview est un moyen commode de se procurer à bon compte de la copie et d'intéresser le lecteur. Une foule d'enquêtes portant sur des questions d'un vif intérêt ou d'une grande portée sont entièrement menées par voie d'interviews. Des écrivains s'offrent le luxe facile de publier sous leur signature : des livres dont toutes les pages sont dues à des personnes interviewées. L'unique travail de l'auteur consiste à classer et à reproduire dans un ordre qui donne l'illusion d'un plan méthodique les opinions ainsi recueillies et dont l'expression est, du commencement à la fin, due aux personnages consultés. Quand un reporter ne parvient pas à joindre la personne qu'il se propose d'interviewer, il arrive assez souvent que, plutôt que de renoncer à la publication de l'article projeté, il imagine de toutes pièces une conversation qui n'a pas eu lieu. Il arrive enfin que, recueillies en vitesse et sous forme de notes rapides, les déclarations de l'interviewé soient inexactement rapportées. Ces circonstances valent au reporter des démentis ou des rectifications, dont il n'a cure : l'essentiel, pour ce porte-plume, étant de publier l'interview que lui a demandée le directeur du journal. Très souvent, la personne consultée demande au journaliste de rédiger par écrit et de lui remettre les diverses questions qu'il se propose de lui poser. Ces réponses, écrites aussi, sont communiquées au reporter, et il est convenu qu'elles paraîtront littéralement. Ce procédé évite les inventions et les altérations dont il est question ci-dessus.

INTERVENTION n. f. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Action d'intervenir, de s'ingérer, de se mêler d'une affaire, de prendre parti dans un conflit, dans une discussion, dans un différend. Intervention armée : action par laquelle un Gouvernement interpose sa médiation, défend ses intérêts ou impose sa volonté, par le recours aux armes. La non-intervention est un système politique par lequel les gouvernements s'abstiennent dans les affaires intérieures des autres gouvernements.

INTERRUPTION n. f. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




En rhétorique, figure par laquelle on suspend le développement d'un ordre d'idées, pour aborder un ordre d'idées différent. Action d'interrompre, d’arrêter l'exécution d'un travail quelconque ; se livrer à de fréquentes et maladroites interruptions. A chacun de nous l'occasion s'est, maintes fois, présentée d'assister, au sein de réunion publiques, à l'exposé d'une thèse qui ne recueillait point l'unanimité des suffrages et pour laquelle d'ailleurs, bien souvent, l'orateur n'usait pas que d'arguments empreints d'une parfaite loyauté. D'autres fois, il s'agissait simplement d'un sujet dont le développement allait absolument à l'opposé du but que nous nous sommes assignés et dont les conclusions se heurtaient à celles que nous tirons habituellement de nos propres théories. Avouons-le : il faut, dans ces circonstances, un certain courage et une grande maîtrise de soi pour que, dès que retentit à nos oreilles le son de cloche différent de celui dont nous avons peut-être trop tendance à nous bercer, l'interruption, parfois brutale et rarement réfléchie, ne jaillisse pas de nos lèvres ! Trop d'individus, hélas, sont dogmatiquement imbus de leurs idées et, sans doute, par une survivance, même chez les plus apparemment affranchis, de l'esprit religieux, intolérant par essence, ils ne sauraient admettre qu'une idée contraire, par conséquent au premier abord hétérodoxe et condamnable, naisse dans le cerveau d'autrui. Ce travers, - disons-le : cette tare, - nous la rencontrons tout naturellement et au plus haut degré de virulence chez les partisans des doctrines autoritaires, chez ces individus qui, une Bible blanche, tricolore ou rouge en mains, se croient autant de papes détenant, à eux seuls, la totale Vérité que leur a révélée l'Eglise dont ils sont les dociles et farouches fidèles !... Malheureusement nous devons à la vérité de déclarer que cette détestable intolérance, ce répugnant sectarisme, si nuisible à notre propagande et dont eurent à souffrir quelques-uns de nos meilleurs militants, n'est pas absolument banni de nos milieux libertaires et, trop souventes fois, il nous fut pénible de constater, dans certaines assemblées, l'hostilité irraisonnée et systématique de camarades à l'égard de conférenciers qui, pour être en désaccord profond avec la grande Doctrine de Vie qui est nôtre, n'en méritaient pas moins, parce que courtois et sincères, d'être entendus jusqu'au bout. Nous éviterons donc, en toute occasion et étant entendu que nous aurons devant nous un contradicteur loyal, l'interruption intempestive et grossière, toujours impuissante à traduire un sentiment noble, une idée saine et juste et, même en présence du plus insipide des rhéteurs, du plus agaçant des verbomanes, sachons faire montre d'indulgence et de dignité en écoutant, avec calme, la démonstration de l'adversaire. Nous aborderons ensuite la tribune avec la ferme volonté de nous faire respecter, à notre tour, et d'autant plus conscients de la noblesse de notre tâche que pour la vulgarisation de l'Idéal dont nous sommes pénétrés point ne nous est besoin de recourir à l'obstruction et à la violence.
-A. BLICQ

INTERPOLATION n. f. Encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Action d'interpoler, c'est-à phrase, d'un passage. Les œuvres des auteurs anciens ont, pour la plupart, été interpolées ; les manuscrits des auteurs profanes n'ont pas été plus respectés que ceux des écrivains sacrés. Si l'on peut appeler interpolations les variantes introduites dans les anciens poèmes grecs, avant l'invention de l'écriture, l'Iliade et l’Odyssée en fourmillaient, et la critique moderne est d'avis que des épisodes et des chants entiers de l'Iliade sont de vastes interpolations. « Chez les premiers chrétiens, dit M. Alfred Maury, l'habitude d'altérer les écrits des auteurs, d'en supposer même qui leur étaient étrangers, fut générale ». L'ancien et le nouveau Testament sont remplis d'interpolations. Dans l'ancien, les prophéties ne sont guère que des additions faites après l'événement. Dans les Evangiles, on ne compte plus les interpolations, tant elles sont nombreuses et, parfois, maladroites. Ces livres n'ont, pour ainsi dire, été composés qu'à l'aide de retouches et modifications successives. Dans les Antiquités Judaïques, l'historien Flavius Josephe n'avait pas fait mention de Jésus-Christ. Comme il était extraordinaire que Josephe, si parfaitement au courant de tout ce qui concernait la Judée, à l'époque du Christ et presque contemporain de ces événements n'eut pas parlé de Jésus, de sa mission, ni de sa mort, les chrétiens du IIème et du IIIème siècle ont intercalé, au Livre XVIII des Antiquités Judaïques tout un paragraphe d'une dizaine de lignes, destiné à combler cette lacune. C'est un exemple, entre cent autres, des audacieuses interpolations qu'ont subies les œuvres sur l'autorité desquelles l'Eglise catholique s'appuie et fait reposer sa doctrine.

INTERPELLATION n. f. (du latin interpellare) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Action d'interpeller. Question que pose un parlementaire à un ministre. Le droit d'interpellation existe dans tous les pays où fonctionne le régime représentatif. Dans les pays de Dictature ou de Gouvernement absolu, dans ceux où, par suite des circonstances, les garanties dites constitutionnelles sont suspendues, ce droit est aboli ou provisoirement supprimé. Il arrive fréquemment que, loin d'être gêné par une interpellation, un Gouvernement provoque lui-même le dépôt d'une demande d'interpellation, soit pour se débarrasser d'une campagne de presse, soit pour calmer un commencement d'agitation, soit pour couper court à une information de nature à indisposer contre lui ses partisans ou ses adversaires. Dans ce cas, le vote est acquis d'avance, conforme aux désirs et aux intérêts du Pouvoir existant. Par contre, lorsqu'une interpellation est embarrassante pour le Gouvernement en exercice, quand elle est susceptible d'aboutir à un vote hostile de nature à mettre en minorité le Ministère, celui-ci a coutume de recourir, pour éviter sa chute, à une série d'expédients et de manœuvres bien connues, tels que l'ajournement sine die de l'interpellation, son inscription à la suite, sa discussion après enquête administrative ou judiciaire, son renvoi dans l'attente de renseignements précis. L'interpellation est, pour les parlementaires, qui n'en ignorent pas l'inutilité, un moyen d'attirer sur leurs personnes et de gagner au Parti dont ils sont membres la sympathie des électeurs. Comme tout ce qui fait partie du mécanisme parlementaire, l'interpellation n'est qu'un des multiples rouages de l'appareil gouvernemental. Ce rouage ne vaut ni plus ni moins que les autres. Quand elle concerne un événement important, quand elle est appelée à engager lourdement la responsabilité des Gouvernants et lorsque, par voie de conséquence, elle risque de compromettre le prestige des Maîtres, d'ébranler la solidité du régime ou de soulever la conscience populaire contre les agissements criminels de la classe dirigeante, l'interpellation aboutit, neuf fois sur dix, à la nomination d'une Commission d'Enquête, chargée de faire la lumière, d'établir les responsabilités engagées et conclure à des sanctions. Il arrive, alors, que ladite Commission, après avoir constitué son bureau, fasse mine de se mettre sérieusement à la besogne. Elle paraît, les premiers jours, animée des intentions les plus louables et résolue à poursuivre activement le cours de ses travaux ; puis, de jour en jour, son zèle se ralentit, ses séances s'espacent, le silence se fait ; on n'en entend plus parler : d'autres événements font perdre de vue ceux qui ont motivé l'enquête ; c'est ce qu'on appelle : « un enterrement de première classe ». Au surplus, tous les travaux parlementaires n'aboutissent-ils pas au même résultat ?...

INTERNEMENT n. m. Encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Fait d'interner une personne. Se dit spécialement des asiles d'aliénés. La loi de 1838 a eu pour but de protéger les personnes contre les internements arbitraires. Elle le fait mieux que la loi de 1790, mais elle remplit encore très mal son but et il a été souvent question de la réviser. L'internement arbitraire dans les asiles publics d'aliénés est rare. Ces établissements sont gratuits et réservés en principe aux indigents ; personne n'a donc intérêt à y séquestrer des gens dont l'état de folie est contredit par les observations. Cependant, de temps en temps, il y a des affaires d'internement de personnes qui ne sont pas folles ; du moins au sens littéral du terme, car il n'y a pas de frontière très nette entre la raison et la folie. De la raison absolue à la folie pure, il y a toute une gamme d'états intermédiaires. Lorsque le demi ou le quart de fou se tient tranquille et garde pour lui ses impressions, il reste en liberté, s'il n'a pas d'argent ; il faut ajouter cette restriction. S'il s'attaque à des gens du commun, il pourra encore rester libre ; car il est assez difficile de faire intervenir le commissaire de police quand le présumé fou ne cause pas de scandale public : cris par la fenêtre, projections d'objets, coups et blessures aux tiers, tentative de suicide, etc. Mais si le déséquilibré s'attaque aux puissants : lettres de menace au Président de la République, aux parlementaires, cris devant l'Elysée, attentats, etc., l'internement est certain. Dans les asiles privés, l'internement arbitraire est beaucoup plus fréquent. Là, le médecin a tout intérêt à conserver le vrai ou le faux malade pour lequel on le paie très cher. Le plus souvent, c'est la famille qui fait interner. Un vieux père, une vieille mère sont encombrants ; on veut s'en débarrasser par un moyen légal. Rien de plus facile. Le médecin ami est là et il fera le certificat exigé par la loi. Les éléments ne lui manqueront pas. Quel est le vieillard qui n'a pas d'affaiblissement de la mémoire ? S'il n'y a pas de troubles mentaux on en forge aisément les symptômes : la moindre singularité, un chapeau mis de travers, une robe qui n'est pas à la mode, une façon particulière d'essuyer son couvert, tout cela est porté sur le certificat, et le médecin de l'asile privé gardera le malade : il touche pour cela. Le certificat de folie est la lettre de cachet moderne. Les familles s'en servent pour se délivrer d'un membre gênant : jeune fille trop sensuelle, jeune homme prodigue, épouse ou époux dont on convoite la fortune, vieillard qui tarde à mourir, etc. Toute l'horreur de la société capitaliste a ses effets à la maison de santé privée. Il y a bien la visite du Procureur de la République ; que vaut-elle au juste comme garantie? C'est difficile à savoir. Il faut compter avec l'égoïsme humain, et puis n'importe qui a l'air d'un fou lorsqu'il est interné dans un asile. L'internement, d'ailleurs, n'a pas pour effet d'arranger l'esprit. Non que la folie soit à coup sûr contagieuse, mais le désespoir qui résulte de l'internement, le fait d'être dans une détention pire que la prison, puisqu'on n'en connait pas le terme, suffit pour abattre les plus forts. La loi sur les aliénés est archaïque ; il faut la remanier. Le système anglais dit de l'open door (la porte ouverte), serait un grand progrès. Tout malade qui n'est pas absolument dangereux, et c'est le cas de la plupart, aurait la faculté de sortir de l'asile pour se promener. Il devrait même pouvoir vivre en partie de la vie normale en exerçant par exemple une profession. L'internement arbitraire subsisterait néanmoins. Celui qui le veut trouver toujours le moyen de tourner la loi. On dira, de la personne dont on veut se débarrasser, qu'elle est dangereuse. L'internement arbitraire ne disparaîtra que lorsque personne n'y aura plus intérêt, c'est-à-dire après la disparition de l'argent et de la société capitaliste.
- Doctoresse PELLETIER.

dimanche 10 mai 2020

Genèse d’une mythologie les prémisses philosophiques de la révolution Par Rémi Fontaine


   de l’action familiale et scolaire  association catholique proche du front national à l’époque.

Albert de Mun :
« La révolution est une doctrine qui prétend fonder la société sur la volonté de l’homme, au lieu de la fonder sur la volonté de Dieu ».

Gustave Thibon :
« Nous avions appris que les essences sont déterminées et que les actes, les évènements sont contingents. On nous enseigne le contraire, à savoir que la nature humaine (s’il est permis d’employer encore ce mot) est foncièrement contingente. Indéterminée, malléable tandis que les évènements sont nécessaires et qu’ils nous « informent », nous re-créent sans cesse. Pour ces pseudos-métaphysiciens, tout est obscur dans l’homme (son être, qu’on ne définit jamais, se dissout dans l’économique et le social) mais tout est clair dans l’histoire. Nous ne savons pas qui nous sommes mais nous savons où le temps nous mène. C’est le chemin qui crée, non seulement le but, mais le voyageur lui-même.
Dans cette conception, ce n’est plus l’homme qui fait l’histoire, c’est l’histoire qui fait l’homme. Le temps n’est plus un canevas à remplir, un instrument offert à l’homme pour déployer sa liberté, c’est-à-dire pour réaliser son destin temporel et préparer son destin éternel ; non, c’est l’homme qui est l’instrument du temps, la matière informe et chaotique qui reçoit sa forme et sa fin de ce démiurge. L’histoire, ainsi érigée en acte pur et en puissance créatrice, ressuscite à son profit les plus sombres idolâtries des âges barbares ; dans cette perspective, tous les sacrifices humains sont permis et exigés ; pourvu que le char divin poursuive sa course lumineuse, qu’importe les êtres obscurs broyés par ees roues ! Si, en effet, tout le vrai et tout le bien résident dans l’avenir, les pires horreurs du présent se trouvent justifiées : est bon tout ce qui conduit à cet avenir, tout ce qui est conforme « au sens de l’histoire » (Sens et non-sens de l’historicisme, itinéraires n°5, juillet-août 1956)


Max Stirner :
« Ce n’est pas de l’état que nous tenon des droits, nous les tenons de la propre puissance de notre moi. Et mon droit va jusqu’où va ma puissance. Tout ce que je puis acquérir par ma puissance, j’y ai droit ».

Spinoza :
« Le but de l’instauration d’un régime politique n’est pas dans la domination ni la répression des hommes, :ni leur soumission au joug d’un autre. Ce à quoi l’on a visé par un tel système, c’est à libérer l’individu de la crainte, de sorte que chacun vive, autant que possible, en sécurité ; en d’autres termes, qu’il conserve au plus haut point son droit naturel de vivre et accomplir une action ( sans nuire à soi-même ni à autrui). Non, je le répète, le but poursuivi ne saurait être de transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en automates ! Ce qu’on a voulu leur donner, c’est bien plutôt la pleine latitude de s’acquitter dans une sécurité parfaite des fonctions de leur corps et de leurs esprits. Après quoi, ils seront en mesure de raisonner librement, ils ne s’affronteront plus avec les armes de la haine, de la colère, de la ruse, et ils se traiteront mutuellement sans injustice. Bref, le but de l’organisation politique, c’est la liberté ! (Spinoza, traité théologico-politique, XX) ».

Maritain :
« Dieu social immanent, moi commun qui est plus moi que moi-même, en qui je me perds pour me retrouver et que je sers pour être libre, voilà un curieux exemple de mysticisme frauduleux. Remarquez comment Jean-Jacques explique que le citoyen soumis à une loi contre laquelle il a voté demeure libre, et continue à n’obéir qu’à lui-même : on ne vote pas, dit-il, pour donner son avis, on vote pour que soit obtenue, par le calcul des voix, une manifestation de la volonté générale, que chacun veut avant tout, puisque c’est par elle qu’il est citoyen et libre : « quand donc l’avis contraire au mien l’emporte, cela ne prouve pas autre chose sinon que je m’étais trompé et que ce que j’estimais être la volonté générale ne l’était pas. Si mon avis particulier l’eût emporté, j’aurais fait autre chose que ce que j’aurais voulu ; c’est alors que je n’aurais pas été libre. » Que nous offre-t-il ici, sinon une transposition absurde du croyant qui, en demandant dans la prière ce qu’il estime convenable, demande et veut cependant avant tout que la volonté de Dieu soit faite ? Le vote est conçu par lui comme une espèce de rite déprécatoire et évocatoire adressé à la volonté générale ».

Jean Cau :
« Le nouveau Dieu s’appelle socialisme. Il est de ce monde. Il meurt à chaque fois qi’il installe son règne. L’incarnation le tue. Il n’existe-divinisé-que là où il continue d’être espérance ».

Marcel de Corte :
« Le principe égalitaire sur quoi se fonde la démocratie moderne s’évanouit dès qu’elle se met à fonctionner. Immédiatement avant et immédiatement après l’accomplissement du rite du suffrage universel égal pour tous, il n’y a plus de démocratie : pareille au naturel, la hiérarchie, expulsée par la porte, revient par la fenêtre. Il n’y a pas égalité entre ceux qui possèdent les moyens financiers et matériels de la propagande et les citoyens qui la subissent bénévolement ou non. Il n’y a pas d’égalité entre le peuple et ses représentants et ses ministres. Il n’y a pas égalité entre la majorité et la minorité. La démocratie est en réalité une « aristocratie » camouflée. Dès qu’elle s’organise, elle disparait et se mue en son contraire ».


vendredi 8 mai 2020

La trinité du mal de Vladimir Volkoff




En 1921, Lénine écrit au commissaire du peuple à la justice :

« Camarade Koursky, d’après moi il faut étendre l’application de la fusillade…Pour compléter notre  conversation, je vous envoie une esquisse d’un paragraphe complémentaire du code pénal…la pensée de base, j’espère, est claire, malgré tous les défauts du brouillon : il faut exposer ouvertement une position véridique du point de vue des principes et de la politique (et non pas étroitement juridique), de façon à motiver l’essence et la justification de la terreur, sa nécessité, ses limites. La justice ne doit pas supprimer la terreur (promettre cela serait tromper ou se tromper) mais la fonder et la légitimer en principe, clairement, sans faux-fuyants ni ornements. La formulation doit être le plus large possible. »



« Nous devons répartir les privations de manière à sauvegarder le gouvernement prolétarien. Cela est notre seul principe. »



« Le monopole du pain, les tickets de pain, la corvée généralisée, voilà ce qui, dans les mains des soviets tout-puissants, est le meilleur moyen de compter et de contrôler…Ce moyen de contrôler et de forcer à travailler est bien plus fort que les lois de la convention et sa guillotine…La guillotine ne faisait qu’effrayer, que briser les résistances actives. Nous voulons plus. Nous voulons plus. Nous ne devons pas seulement effrayer les capitalistes de manière qu’ils sentent la toute-puissance du gouvernement prolétarien et ne songent même plus à lui opposer une résistance active. Nous devons briser aussi la résistance passive, qui est indéniablement encore plus redoutable et nuisible…
Et nous en avons le moyen…Ce moyen, c’est le monopole du pain, les tickets de pain, la corvée généralisée. »



« Serait-ce justement parce qu’il n’est pas cabotin, pas mégalomane, pas infatué de lui-même, pas sadique, pas véritablement ambitieux, et que cependant il mentait , il s’infiltrait,  il tyrannisait, parce qu’il torturait sans être un tortionnaire, qu’il fusillait sans être un fusilleur, qu’il n’aimait rien, ne croyait en rien, n’espérait rien qui le dépassât , que les innombrables volumes de son œuvre ne sont que poussière attendant qu’on souffle dessus pour s’évanouir, que ses pensées se volatilisent dès qu’on y touche, qu’il n’eut pas d’enfants, peut-être pas de femme, que son petit pied n’a presque pas pesé sur cette terre qu’il a consumée de son souffle, qu’il ne fut à tout prendre qu’une stratégie et peut-être même qu’une tactique, un génie, c’est entendu, mais le génie de quoi ? Serait-ce du Néant ? Comment tue-t-on le Néant ? »


Trotski à propos de Lénine :
« L’organisation du parti prend la place du parti lui-même ; le comité central prend la place de l’organisation ; et finalement le dictateur prend la place du comité central. »



« Lénine lui-même était parfaitement conscient du fait que les bolchéviks « n’étaient pas l’expression du peuple mais se cherchaient des clients parmi le peuple ». Ce n’est pas pour rien qu’Akimov, le fameux Akimov, avait remarqué que dans les écrits de Lénine, le prolétariat était toujours au génitif, jamais au nominatif, donc toujours traité comme complément, jamais comme sujet. La révolution aurait-elle été conçue et faite au nom d’un socialisme abstrait ?
Sommé par Boukharine de définir ce qu’il entendait par socialisme, Lénine répondit évasivement : « les matériaux permettant de caractériser le socialisme n’existent pas encore. Les briques avec lesquelles le socialisme sera construit ne sont p             s encore cuites. » C’était dire que socialisme n’était pour lui qu’un mot creux, qu’on remplirait, le moment venu  de ce qui tomberait sous la main. Lénine, à la veille d’octobre, déclarait : « le but de l’insurrection est de s’emparer du pouvoir ; après nous verrons ce que nous pourrons en faire. »