vendredi 31 janvier 2020

Le mythe Bolchévique Par Alexander Berckman



« La révolution russe est le plus grand événement de toute l'histoire, m'a fait observer un des délégués. Les considérations mesquines de verraient y avoir leur place. Un nouveau monde est en train de se faire, aussi minimiser le travail gigantesque que représente une telle naissance est pire que de la folie ! Les bolchéviks, à l'avant garde des masses révolutionnaires, jouent un rôle dans ce processus dont l'histoire ne manquera pas d'évaluer l'importance . Qu'ils aient commis des erreurs est inévitable, c'est humain, mais, malgré ces erreurs, ils sont en train de fonder une nouvelle civilisation. L'histoire ne pardonne pas l'échec : elle immortalisera les bolchéviks en raison de leur succès face à des difficultés quasi insurmontables. Ils peuvent être fiers à juste titre de ce qu'ils ont accompli. »

« Laissez les délégués et le monde regarder la situation en face. Nous devons apprendre ce que la révolution est vraiment. La révolution russe n'est pas une affaire de simple reconnaissance politique, c'est un événeùent qui transforme le monde. Il va de soi qu'on y trouvera des erreurs et des abus. Une période de tempêtes et de conflits comme celle ci est impensable sans que ce soit le cas. Les erreurs repérées doivent juste être corrigées , or les critiques bienveillantes sont infiniment précieuses. C e n'est pas un secret que la Russie souffre de la famine, et il serait criminel de prétendre au bien-être avec des banquets et des dîners. Au contraire, laissez les délégués constater les effets épouvantables qu'à le blocus, laissez les voir le taux de maladie et de mortalité effrayant qui en résulte. Aucun observateur étranger ne peut se faire une idée ne serait-ce qu'approximative de l'ampleur du crime que commetent les alliés contre la Russie. Plus les délégués seront en contact avec la réalité, plus convaincant sera l'appel qu'ils lanceront au prolétariat britannique, et plus efficace sera leur capacité à se battre contre le blocus et l'intervention de l'Entente. »

« Non, mes amis, il ne sert à rien de nous illusionner , enchaine un grand barbu, l Russie n'est pas mûre pour le communisme. La révolution sociale n'est possible que dans un pays où le développement industriel est au plus haut. Le grand crime des bolchéviks à été de suspenedre l'assemblée constituante par la force. Ils ont usurpé le pouvoir gouvernemental mais la totalité du pays est contre eux. Que pourrait-on espérer dans ces conditions ? Ils doivent recourrir à la terreur pour obliger les gens à se soumettre à leurs volontés, si bien que tout part à vau-l'eau !
-Voilà un beau discours marxiste ! Renchérit un socialiste-révolutionnaire de gauche avec bonne humeur. Tu oublies cependant que la Russie est un pays agricole, pas industriel, et qu'il en sera toujours ainsi. Vous, les sociaux-démocrates, vous ne comprenez pas les paysans. Les bolchéviks ne leur font pas confiance et pratiquent la discrimination à leur encontre. Leur dictatute prolétarienne est une insulte et une injure à la paysannerie. La dictature doit être celle du labeur , exercée en même temps sur les paysans et les ouvriers. Sans la coopération de la paysannerie, le pays est condamné.
-Tant que vous aurez la dictature, vous aurez les conditions actuelles, rétorque notre hôte anarchiste. L'état centralisé, c'est ça le plus grand mal. Il ne permet pas de laisser au peuple l'impulsion créative de s'exprimer. Donner aux gens une chance, laissez les execer leur initiative et leur énergie constructive...C'est la seule chose qui sauvera la révolution.
-Vous autres ne comprenez pas le rôle important qu'ont joué les bolchéviks, dit un homme mince et nerveux. Ils ont commis des erreurs, certe, mais pas celles de se montrer timorés ou lâches. Ils ont dissous l'assemblée constituante ? Ils n'en ont eu que plus de pouvoir ! Ils n'ont rien fait de plus que ce qu'avait fait Cromwell au long parlement : ils ont renvoyé ceux qui parlaient dans le vide. Et, entre parenthèses, c'est un anarchiste ,Anton Zheleznyakov, qui était de garde au palais ce soir là avec ses marins, qui a donné l'ordre à l'assemblée de rentrer chez elle. Vous parlez de violence et de terreur, mais vous imaginez qu'une révolution se fait dans un salon ? La révolution doit être soutenue à tout prix, plus les mesures sont radicales, plus elles sont humanitaires sur le long terme. Les bolcheviks sont des étatistes , des gouvernementalistes extrêmes ; et leur centralisation impitoyable n'est pas sans danger. Mais une période révolutionnaire comme celle que nous traversons n'est pas possible sans une dictature. C'est un mal nécessaire qui n'aura plus de raison d'être une fois que la révolution connaître la victoire pleine et entière. Si les opposants politiques de la gauche donnaient la main aux bolchéviks et les aidaient dans cette tâche magnigfique , les maux du régime actuel seraient moindres , et l'effort constructif s'en trouverait accéléré. »

« J'ai repensé à une autre manifestation du 1° mai – ma première expérience de ce genre , à New York vers la fin des années 1880. Des radicaux de tous bords avaient coopéré pour faire de l'évènemet un succès , et une immense manifestation était prévue sur la place historique d'Union square. Mais la majorité des ouvriers américains de la ville étaient restés sourds à notre appel , si bien que quelques milliers seulement y avaient participé , pour la plupart d'origine étrangère.
Le rassemblement venait de commencer lorsque les géants en manterau bleu étaient apparus , attaquant les manifestants à coups de matraques et les dispersant dans les rues adjacentes. Certains d'entre nous ayant envisagé cette éventualité, un petit groupe parmi les plus jeunes s'était préparé à résister à la police. Mais la veille de la manifestation , au cours de notre dernière réunion de comité , H., le chef des membres des plus anciens, nous avait mis en garde contre «  la provocation à la violence » , et je me souvenait que j'avais réagi avec passion aux arguments de ce social-démocrate qui manquait d'audace. « Nous sommes les professeurs du peuple et nous devons le guider vers plus de conscience de classe, avait-il dit. Mais puisque nous sommes peu nombreux, ce serait de la folie de nous sacrifier inutilement. Nous devons nous réserver pour un travail plus important. »





mercredi 22 janvier 2020

Ligne N°60 de Michel Surya

Souviens toi que tu as été étranger   par Jacob Rogozinski

"En 1995, Jacques Derrida entamait une réflexion sur l'hospitalité, sur l'éthique comme hospitalité. Il prenait publiquement position pour dénoncer l'apparition d'un délit d'hospitalité, l'évolution toujours plus restrictive du droit d'asile et l'extension sans limite d'un système policier d'inquisition, de fichage, de quadrillage des migrants. Les frontières, déclarait-il, ne sont plus des lieux de passage, ce sont des lieux d'interdiction[...], des figures menaçantes de l’ostracisme, de l'expulsion, du bannissement, de la persécution" et il avouait sa honte d'être pris en otage par ceux qui n'admettent pas que le chez soi d'une maison d'une culture, d'une société suppose aussi l’ouverture hospitalière. En approfondissant son analyse, il allait insister sur l'antinomie entre les lois politico-juridiques qui réglementent l'accueil des étrangers,des lois toujours restrictives, menacées de se compromettre avec l'injustice, et la loi éthique d'une hospitalité absolue, inconditionnelle, hyperbolique qui exige un accueil sans calcul et sans conditions."

"Peut-être aurait-il objecté que, certes, "la loi a besoin des lois" pour s'inscrire dans le réel, mais que, sans une idée de l'hospitalité inconditionnelle qui puisse la guider, une "politique de l'hospitalité" se limiterait  à une simple riposte, au coup par coup, à des situations d'urgence. Dépourvus d'une orientation éthique, d'un impératif catégorique de justice, les dispositifs d'accueil risqueraient alors de se soumettre aux impératifs pragmatiques que leur dicteraient la conjoncture et les politiques d'états."

"On prétend souvent de nos jours que seul un peuple jouissant d'une identité nationale forte, un peuple enraciné dans son sol natal et bien protégé par des frontières stables, pourrait sans danger se montrer "hospitalier". Si il y a une leçon à retenir du récit de l'Exode, ce serait exactement l'inverse: c'est au contraire la migrance du peuple, son absence de patrie et de frontières, son caractère désincorporé et détéritorialisé qui sont la condition d'une hospitalité radicale."

"En reprenant la traduction inspirée que Lévinas donnait de l'énoncé biblique: "aime ton prochain comme toi-même", peut-être faudrait-il dire: "aime l'étranger, c'est toi-même".  Car l'étranger que je rencontre dans le monde me renvoie à cet étranger  que je suis d'abord pour moi-même. Celui qui ne tolère pas cette étrangeté en lui-sa part maudite, le restant de sa chair- et cherche à l'anéantir , comment éviterait-il de haïr l'étranger qu'il découvre hors de lui?"

"Que faut-il en conclure? Nous savons que l'hospitalité biblique et la mémoire d'une migrance originaire qui la fonde peuvent aussi s'accompagner d'une violence inhospitalière, lorsque le peuple-'am devient goy, s'incorpore dans un état, s'installe sur une terre en en chassant les autres habitants. De cette violence, les Palestiniens font aujourd'hui la dure expérience. Nous savons aussi que le mirage de l'autochtonie, s'il alimente parfois le fantasme d'une race pure, ne conduit pas forcément à la xénophobie; qu'il peut soutenir au contraire la dynamique hospitalière de la démocratie."





Lignes N° 60 de Michel Surya

"Appel d'air", attractivité libérale et inhospitalité absolue  Par Jérôme Lèbre

"Nous entendons cependant montrer que "l'appel d'air" n'est pas seulement un discours d'extrême droite qui viendrait "contaminer" la rhétorique des courants politiques chassant sur les mêmes terres. Il est surtout, et à l'inverse, la version caricaturale et donc révélatrice de l'attractivité économique, concept clef de l'économie libérale. Cette attractivité est en effet indissociable de son effet pervers, que l'on nomme "l'effet d'aubaine" ou d'"opportunité": une mesure ciblant une certaine catégorie d'acteurs ( individus ou entreprises) peut aussi bien en attirer d'autres, qui profitent de l'opportunité offerte par cette mesure."

"Il en découle que si toute une tradition xénophobe ou même raciste se donne une apparence d'acceptabilité dans le discours sur "l'appel d'air", cette acceptabilité est celle du libéralisme: cette théorie qui semble humaniste, et même égalitaire, puisqu'elle attribue à chacun la même raison calculatrice, théorise également sa propre perversion au contact du monde par le calcul. Ce dernier n'a alors d'humaniste que son absence de haine, son dernier vis à vis de l'humanité, qui s'accorde tout à fait avec la froide constatation que l'attractivité économique doit toujours être ciblée, donc exclure la majeure partie des hommes, voire la cibler négativement. Ce ciblage négatif détruit tout bavardage sur le libéralisme "inclusif"; il ouvre bien plutôt la voie d'une inhospitalité sans limite, d'une inhospitalité absolue."

"Il couvre bientôt aussi le champ entier du politique, guidé par l'objectif de la plus grande absence de solidarité interne. C'est ainsi que les démocraties peuvent prendre ce chemin autodestructeur consistant à afficher et à pratiquer une inhospitalité sans limiter, qui a, non pas son horizon, mais sa réalité dans sa minière de favoriser le traitement sans humanité des populations étrangères par les gouvernements non démocratiques. L'aspect antisocial et déshumanisant, au niveau mondial, du libéralisme rend alors incontournable l'impératif de cohabiter dans le même monde, version, qui nous semble la plus pertinente, du devoir inconditionnel d'hospitalité."

"Cela veut dire, avant tout, échapper à la guerre civile ou extérieure. Supposer un benchmarking des systèmes sociaux de la part des migrants apparaît particulièrement sordide de la part d'états qui ont construit et construisent leur richesse et leur bien-être social par leur implication directe ou indirecte, immédiate ou historique, dans des guerres qui ont rendu des zones entières du globe inhabitables."

"L'attractivité d'un pays devrait expliquer que les migrants non seulement choisissent d'atteindre un pays, mais aussi d'y rester. Or, l'exemple français montre que dix ans après leur arrivée, de 30% à 50% des migrants sont déjà repartis, ces départs ayant augmenté entre 2006 et 2013 au point de diminuer le solde migratoire."

"C'est évident dans le cas de la "campagne" , renforcée plus qu'initiée par Trump, contre l'immigration sud-américaine: la séparation brutale des familles à la frontière, les parents clandestins étant transférés vers les prisons fédérales tandis que les enfants sont maintenus dans des centres pour mineurs, assume pleinement son rôle dissuasif. les vidéos montrant les enfants appelant en pleurant leur père ou leur mère devant la police des frontières, ou montrant d'autres enfermés dans de véritables cages en fer, dévoilent une violence réelle aussi bien faite pour être dévoilée, une violence  sans limite parce qu'elle se veut spectaculaire. La souffrance infligée aux enfants est d'autant plus violente qu'elle s'adresse, à travers leurs corps, à des parents imaginaires bouclant la valise de leurs enfants dans un bidonville de Caracas. Il en va exactement de même dans la gestion des camps à Calais ou à Paris. Ces camps sont maintenus dans un état de précarité maximale par l'absence ou la destruction de sanitaires, la détérioration de la nourriture fournie par les associations, la confiscation d'effets personnels. De temps à autre, ils sont brusquement démantelés. Les migrants sont alors officiellement relogés, mais il est essentiel à la stratégie inhospitalière qu'ils soient mal logés, qu'ils ne le soient pas tous, et que cela se sache. Le pire, dans ce contexte, serait que le relogement rende les migrants invisibles, que l'effacement de leur souffrance crée un vide dans la politique d'inhospitalité. Cette politique rythmée par le remplissage des camps, leur démantèlement et le prétendu relogement peut alors très bien cohabiter avec une politique favorisant l'attractivité économique et touristique du pays, si l'on entend par cohabitation la stricte répartition spatiale, si nette à Paris, entre les quartiers de finances, les quartiers touristiques et les quartiers du nord-est qui conjuguent population gentrifiés, logements sociaux et lieux inhabitables où se trouvent les migrants. Ainsi" la plus belle ville du monde" peut-elle aussi tenir une place "honorable" dans le marché mondial de l'inhospitalité."





mardi 21 janvier 2020

Posted: 21 Jan 2020 04:03 AM PST
Alors que la crise écologique ne cesse d’empirer et que « le système social qui régit actuellement la société humaine, le capitalisme, s’arc-boute de manière aveugle contre les changements qu’il est indispensable d’opérer si l’on veut conserver à l’existence humaine sa dignité et sa promesse », Hervé Kempf dénonce « l’oligarchie prédatrice » qui maintient l’ordre établi à son avantage et compte sur la croissance matérielle pour faire accepter par les classes subordonnées, l’injustice des positions ».

Il dresse d’abord un clair état des lieux des différents dérèglements écologiques : sixième extinction de masse, réchauffement climatique, baisse de la biodiversité, pollution générale des écosystème, … « L’ « empreinte écologique » de nos sociétés, c’est-à-dire leur impact écologique, selon le concept forgé par l'expert suisse Mathis Wackernagel, dépasse la « biocapacité de la planète ». » Quant au développement durable, c’est surtout « une arme sémantique pour évacuer le mot « écologie » » et maintenir les profits. « L’entreprise « Économie mondiale » ne paie pas « l’amortissement de la biosphère », c’est-à-dire le coût de remplacement du capital naturel qu’elle utilise ». Il faut admettre que « crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre (…) mis en oeuvre par un système qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes ».
De la même façon, il brosse un tableau détaillé de la progression de la pauvreté et de la précarité dans le monde, concomitante de l’augmentation des inégalités. Ceux qui en sont victimes sont également plus directement touchés par la crise écologique. Dans le même temps les revenus et le patrimoine de l’oligarchie n’ont cessé de croître de façon pernicieuse. Un exemple parmi d’autres : tandis que la rémunération des dividendes a augmenté de 52% en France, entre 1995 et 2005, le salaire médian progressait de 7,8%, soit sept fois moins. « Dans les pays pauvres, la caste s’est constituée aux sommets de l’État en lien avec celle des pays occidentaux : les classes dirigeantes locales ont négocié leur participation à la prédation planétaire par leur capacité à rendre accessibles les ressources naturelles aux firmes multinationales ou à assurer l’ordre social. Dans les pays de l’ex-Union soviétique, une oligarchie financière s’est formée à côté des structures étatiques par l’appropriation des dépouilles de l’État. » Les fortunes de l’oligarchie mondiale sont protégées dans les paradis fiscaux, utile moyen de pression pour suggérer aux États d’abaisser la fiscalité sur les riches ». Cette classe opulente, qui vit séparée de la société à la manière d’une aristocratie, se reproduit sui generis par transmission du patrimoine, des privilèges et des réseaux de pouvoir. « Aujourd’hui, après avoir triomphé du soviétisme, l’idéologie capitaliste ne sait plus que s’autocélébrer. Toutes les sphères de pouvoir et d’influence sont avalées par son pseudo-réalisme, qui prétend que toute alternative est impossible et que la seule fin à poursuivre pour infléchir la fatalité de l’injustice, c’est d’accroître toujours plus la richesse. Ce prétendu réalisme n’est pas seulement sinistre, il est aveugle. Aveugle à la puissance explosive de l’injustice manifeste. Et aveugle à l’empoisonnement de la biosphère que provoque l’accroissement de la richesse matérielle, empoisonnement qui signifie dégradation des conditions de vie humaine et dilapidation des chances des générations à venir. »

Le chapitre le plus intéressant de cet ouvrage est certainement celui qui expose la Théorie de la classe de loisir de Thorstein Veblen (1857-1929). Selon lui, la « tendance à rivaliser » est le principe qui domine l’économie. Le niveau de production nécessaire à satisfaire les besoins concrets de l’existence est assez aisément atteint, mais un surcroît de production est suscité par le désir d’étaler ses richesses afin de se distinguer d’autrui, d’ « exhiber une prospérité supérieure à celle de ses pairs », nourrissant « une consommation ostentatoire et un gaspillage généralisé ». La classe la plus haut placée, celle qui possède richesse et loisir, détermine, par son train de vie, le mode de vie de la société toute entière.
La caste des hyper-riches, qui compte quelques dizaines de milliers de personnes, et la « nomenklatura capitaliste », classe opulente qui l’entoure, constituent l’oligarchie. En imposant son modèle de consommation, celle-ci est directement responsable de la crise écologique. Pour échapper à sa remise en cause, elle rabâche l’idéologie dominante selon laquelle la croissance de la production serait l’unique moyen de lutter contre le chômage et la pauvreté, sans bien sûr modifier la distribution de la richesse. La croissance est devenue le grand tabou, l’angle mort de la pensée contemporaine « parce que la poursuite de la croissante matérielle est pour l’oligarchie le seul moyen de faire accepter aux sociétés des inégalités extrêmes sans remettre en cause celles-ci. La croissance crée en effet un surplus de richesses apparentes qui permet de lubrifier le système sans en modifier la structure ».

Hervé Kempf dénonce et documente les offensives contre la démocratie et les libertés publiques depuis les années 1990, « avec le triomphe d’un capitalisme libéré de la pression de son ennemi, le soviétisme » et surtout après les attentats du 11 septembre 2001 au nom de la lutte contre le terrorisme. La « guerre contre les pauvres », sous couvert de lutte contre la délinquance et l’insécurité, est un autre épouvantail agité au lieu d’une prise en charge politique de l’inégalité sociale. La contestation sociale est de plus en plus criminalisée et la surveillance généralisée sans que les médias, bien souvent, ne le dénoncent. « La démocratie devient antinomique avec les buts recherchés par l’oligarchie : elle favorise la contestation des privilèges indus, elle alimente la remise en cause des pouvoirs illégitimes, elle pousse à l’examen rationnel des décisions. Elle est donc de plus en plus dangereuse, dans une période où les dérives nuisibles du capitalisme deviennent plus manifestes. »
En conclusion, 
Hervé Kempf propose une stratégie pour imposer des mesures concrètes : diviser l’oligarchie pour qu’une partie prenne fait et cause pour les libertés publiques et le bien commun, compter sur des journalistes attachés à l’idéal de la liberté et une gauche renaissante qui unirait les causes de l’inégalité et de l’écologie, pourrait permettre d’imposer une fiscalité pesant davantage sur la pollution et sur le capital que sur le travail, un transfert des richesse de l’oligarchie vers les services publiques, la recherche de l’efficacité énergétique, l’instauration d’un RMA (Revenu Maximal Admissible),…


La charge est puissante et ne se contente pas d’effleurer les responsabilités ni les responsables. Certes les chiffres, datant d’avant 2007, mériteraient d’être actualisés mais nul doute que toutes les tendances mises en lumières demeurent et même se soient encore accentuées. Ce recul permet justement de confirmer la justesse des logiques dénoncées puisqu’elles sont encore à l’oeuvre aujourd’hui et de façon beaucoup plus visibles. La méthodologie proposée mériterait un approfondissement d’autant que l’on ne peut que constater que rien ni personne n’a réussi à imposer un changement de cap.




COMMENT LES RICHES DÉTRUISENT LA PLANÈTE
Hervé Kempf
158 pages – 14 euros
Éditions du Seuil – Collection « L’Histoire immédiate » –  Paris – Janvier 2007
148 pages – 6 euros
Éditions Points – Collection « Essais » –  Paris – Janvier 2009

BIBLIOTHÈQUE FAHRENHEIT 451

Posted: 19 Jan 2020 10:12 PM PST
À six ans, Georges E. Sioui, enfant dans une réserve indienne, reçut sa première leçon d’histoire du Canada et apprit que ses ancêtres étaient des sauvages qui menaient une existence d’idolâtrie, de vol, de mensonge et de cannibalisme, dont eut pitié le Roi de France. Il devint historien, souhaitant contribuer à défaire deux idées reçues : la croyance en la supériorité de la culture et de la moralité européenne qu’il nomme « mythe de l’évolution », ainsi que le « mythe de la disparition de l’autochtone ». Il démontre  que « l’être culturel autochtone américain » n’est toujours pas prêt de disparaître et que l’unification idéologique de la société mondiale, l’ « américisation du monde », n’est pas celle que l’on croit.

La population aborigènes des Amériques est passé en 400 ans de 112 millions d’habitants en 1492 à 5,6 millions mais « ce sont les maladies épidémiques apportées par les nouveaux venus qui ont déterminé l’ « apocalypse américaine » ». « L’étude des raisons de la présence d’un milieu microbien si fertile dans l’un des deux mondes et, simultanément, de son inexistence dans l’autre, pourrait donner lieu à une redécouverte de la structure saine des sociétés humaines conformément aux lois de la nature ainsi que des causes (et des conséquences) de leur désorganisation lorsqu’elles oublient ces mêmes lois. » Le procès des microbes au lieu de celui de leurs porteurs pourraient déculpabiliser les hommes et laisser libre cours aux émotions étouffées qui paralysent « l’expression des sentiments de compassion et de respect ».

« Chaque humain possède en lui une vision sacrée, c’est-à-dire un pouvoir unique qu’il doit découvrir au cours de sa vie, dans le but d’actualiser la vision du Grand Esprit dont il est une expression. Chaque homme, chaque femme trouve donc sa signification personnelle dans sa relation unique avec le Grand Pouvoir de l’univers. Il n’y a pas de place pour un système de pensée organisé auquel l’individu doit se subordonner, telles que le sont les religions ou les idéologies politiques au services d’intérêts humains et matériels. » « Conscient des rapports sacrés qu’il doit aider, en tant qu’humain, à maintenir entre tous les êtres , l’homme du Nouveau Monde se dicte une philosophie grâce à laquelle l’existence et la survie des autres êtres, surtout animaux et végétaux, ne sont pas mises en danger. Il reconnaît et observe les lois et ne réduit pas la liberté des autres créatures. Il assure ainsi la protection de son bien le plus précieux, c’est-à-dire sa propre liberté. » Georges E. Sioui rappelle l’homogénéité linguistique des peuples de l’Ancien Monde, presque totalement isolé pendant une période très étendue, ainsi que leur conception du monde qui leur a épargné guerres économiques ou religieuses. Les peuples autochtones des Amériques n’exploitent pas ; ils ne domestiquent même pas les animaux. Les sociétés amérindiennes sont matriarcales et si les groupes nomades fondent leurs institutions selon un ordre patrilinéaire, ils demeurent matriarcaux dans leur conception idéologique et spirituelle du monde en grande majorité. Les traits typiques des sociétés gynocentristes sont la liberté et l’égalité, la bienveillance pour les étrangers, l’aversion pour toute espèce de restrictions. « La théorie patriarcale de l’évolution, toute raffinée et intellectualiste qu’elle soit, n’est, selon la pensée gynocentriste amérindienne, qu’une apologie du racisme, du sexisme et de ce que nous nommons « androcentrisme » et définissons comme une conception erronée de la nature qui fait de l’homme le centre de la création et qui nie aux êtres non humains (voire non masculins) leur spiritualité propre et leur importance égale dans le plan et l’équilibre de la vie. »

L’autohistoire amérindienne est une approche éthique de l’histoire qui considère que « les valeurs culturelles de l’Amérindien ont davantage influencé la formation du caractère de l’Euro-Américain que les valeurs de ce dernier n’ont modifié le code culturel de l’Amérindien ». La coercition et la guerre, marque des sociétés historiques comme le décrit Pierre Clastres, sont absentes des sociétés naturelles. À la lumière de l’autohistoire amérindienne, Georges E. Sioui remet en cause le mythe de la destruction de la Huronie par les Iroquois et celui de la dispersion des Hurons-Wendat, ceux de la cruauté et du cannibalisme. « Aux yeux des Amérindiens, le sacrifice humain n’a pas le caractère de divertissement social qu’il avait pour les Grecs et les Romains, chez qui les puissants s’offraient des spectacles de tuerie pour agrémenter leurs repas et leurs festivités. Il représente encore moins un acte punitif à caractère religieux ou politique. » « Le cannibalisme, qui aurait été pratiqué par les sociétés « primitives », est un produit de la pensée raciste des sociétés dites civilisées. » Il qualifie Lahontan (1666-1716) de « découvreur de l’américité » qui, dans son oeuvre, fait « un portrait d’une rare exactitude de l’idéologie américaine aborigène », « un procès intelligent des deux civilisations en présence, et dont les Amérindiens sont sortis vainqueurs ».

Quoiqu’en pensent certains, les amérindiens peuvent être source d’inspiration et de réflexions comme devait le reconnaître Benjamin Franklin lui-même, par exemple, au congrès d’Albany : « Ce serait une chose étrange que six nations de sauvages ignorants soient capables de concevoir le dessein d’une telle union et d’exécuter celle-ci de façon telle qu’elle a subsisté à travers les âges et continue à paraître indissoluble, alors qu’une semblable union s’avèrerait impossible pour 10 ou 12 colonies anglaises, dont le besoin est encore plus grand, qui pourraient donc en attendre encore plus de bénéfices, et qui doivent certainement avoir une égale compréhension de leurs intérêts. »




POUR UNE HISTOIRE AMÉRINDIENNE DE L’AMÉRIQUE
Georges E. Sioui
Préface de Bruce G. Trigger
162 pages – 29,95 $
Les Presses de l’Université de Laval/Éditions L’Harmattan – Collection « Intercultures » –  Saint-Nicolas (Québec)/Paris – 2004

dimanche 19 janvier 2020

INTERNATIONALISME n. m. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




L'internationalisme est l'ensemble des doctrines et des mouvements favorisant le rapprochement politique, moral et économique des peuples, et préconisant l'établissement, entre les nations, d'un régime de solidarité organisée. L'internationalisme est le contraire du nationalisme, mais non du patriotisme. Beaucoup d'internationalistes se défendent d'être cosmopolites ou antipatriotes. Nous lisons dans Les Juifs d'aujourd'hui, de E. Eberlin : « Pendant longtemps, le principe de l'internationalisme a été confondu avec celui du cosmopolitisme ; sans parler d'adversaires, ses partisans mêmes soulignaient son opposition au nationalisme, sans insister sur son opposition au cosmopolitisme. Cependant, par l'essence même de sa doctrine, l'internationalisme était également opposé au nationalisme et au cosmopolitisme. L'idéal du cosmopolitisme, c'est la disparition de toutes les différences nationales ; l'humanité future lui apparaît comme une agglomération des individus, alors que le principe de l'internationalisme est fondé sur la fraternité des peuples. De plus, l'internationalisme a un principe fondamental commun avec le nationalisme : le droit des peuples à disposer de leur sort... L'internationaliste, loin de considérer l'humanité comme une agglomération des individus, est également éloigné de l'envisager comme une alliance mécanique des nations indépendantes les unes des autres. Il considère l'humanité comme une famille, où chaque nation, grande ou petite, est un membre - à titre égal - de la famille dont les intérêts sont solidaires de ceux des autres ». Félicien Challaye, dans son ouvrage Philosophie scientifique et Philosophie morale, rédigé avec un grand effort d'impartialité, oppose l'antipatriotisme et l'internationalisme: « L'antinationalisme ou antipatriotisme condamne la nation, et la division de l'humanité en nations distinctes ; il considère le patriotisme comme un sentiment moralement mauvais. C'est la thèse de ceux qui se vantent d'être « citoyens du monde » ou cosmopolites. C'est la thèse de tous les anarchistes, repoussant l'Etat, et par conséquent la nation ; c'est par exemple la thèse de l'anarchiste chrétien Tolstoï... L’internationalisme s'oppose à la fois au nationalisme et à l'antipatriotisme. Il vise à concilier en une synthèse supérieure le patriotisme des nationalistes et l'humanitarisme des cosmopolites. Il ne réclame point une « centralisation planétaire » qui supprimerait toute originalité nationale. Il considère comme légitime la division de l'humanité en nations distinctes ; il proclame le droit des peuples à disposer librement d'eux-mêmes. Mais il souhaite l'établissement, entre les nations, d'un régime de paix durable ; et, à cet effet, il réclame la constitution d'une Société des Nations qui maintiendrait l'ordre et établirait des rapports harmonieux entre les peuples, comme l'Etat national règle les différends entre les individus. L'internationalisme est impliqué dans toutes les grandes religions. Par exemple, le Bouddhisme n'a aucun caractère national. Le Christianisme proclame le devoir d'aimer son prochain comme soi-même ; or, le prochain, ce n'est pas le Juif pour le Juif, ni le Grec pour le Grec ; c'est l'homme pour l'homme. L'internationalisme exprime aussi l'espoir de tous les pacifistes, par exemple de ceux qui, comme Léon Bourgeois, ont réclamé avant qu'elle existe la création de la Société des Nations. L'internationalisme est aussi la thèse de la plupart des socialistes : ceux-ci défendent à la fois, contre les oppresseurs, la cause des libertés nationales et, contre les fauteurs de guerre, la cause de la paix internationale ». Si l'internationalisme est conciliable avec le patriotisme, il nous semble, contrairement à Félicien Challaye, qu'il n’est pas inconciliable avec l'attitude morale antipatriotique. En effet, il n'est pas contradictoire de considérer la division de l'humanité en nations comme un fait dont il faut tenir compte et comme une nécessité durable ; et, d'autre part, de soumettre à une vive critique l'idée de patrie et de ne pas tenir la préférence pour son pays comme un devoir et comme un sentiment devant être développé. Il y a des internationalistes antipatriotes, ou tout au moins « apatriotes ». D'un autre côté, peut-on classer dans l'internationalisme la conception pacifiste de Léon Bourgeois, qui prétendait organiser la paix en laissant presque intact le principe de souveraineté nationale, conception qui a trouvé sa réalisation presque complète dans l'actuelle Société des Nations? Il s'agit là tout au plus de l'internationalisme modéré. Le véritable internationaliste, qu'il se réclame surtout du socialisme, du pacifisme ou de l'idéal démocratique (nous faisons abstraction ici de l'Internationalisme communiste, qui se place sur le terrain exclusivement révolutionnaire et prolétarien) considère que la Société des Nations ne pourra remplir tout son rôle pacifique que lorsqu'elle sera transformée en une Fédération des Peuples, à laquelle les Etats auront transféré une part importante de leur souveraineté. « Il faut et il suffit, dit le Manifeste de l'Union Populaire pour la Paix universelle, que les peuples étendent sur le plan international les institutions que chacun d'eux possède à l'intérieur de ses frontières... Les peuples doivent, à l'exemple des individus, s'élever à la notion de la véritable liberté. Celle-ci ne consiste pas en une fausse indépendance, qui aboutit à des heurts sanglants ; elle consiste dans la reconnaissance de la solidarité, dans la consécration de la souveraineté du droit et de la loi consentie. La vraie Société des Nations implique un sur-Etat comportant les trois fonctions : législative, exécutive et judiciaire. Elle doit être créée par une Constitution mondiale émanant des peuples, et défendue par une police de la civilisation, substituée aux armées nationales ».
Nous admettons qu'un tel internationalisme politique peut comporter des dangers et que, notamment, une force internationale, qu'elle revête la forme d'une armée ou d'une police, peut être un moyen d'oppression des travailleurs par le capitalisme mondial. Mais pourtant ces dangers ne peuvent être comparés en gravité à ceux de la guerre qui nous attend si la solidarité des peuples n'est pas organisée. Aussi toute diminution de souveraineté des nations, tout transfert d'autorité du national à l'international, diminuant les chances de conflit meurtrier, nous paraît donc devoir être encouragée, tant par les cosmopolites qui rêvent l'abolition complète des frontières, que par les libertaires qui poursuivent la suppression complète des Etats. Beaucoup de socialistes pensent qu'un régime internationaliste ne sera réalisé que lorsque le socialisme aura conquis le pouvoir dans tous les pays, ou tout au moins dans les principaux pays. En tout cas, un commencement de socialisme entre nations s'impose pour réaliser la paix économique. Il faut, dans une grande mesure, substituer la coopération à la concurrence entre les peuples et harmoniser leurs intérêts. L'internationalisme intégral implique l'abolition des barrières douanières et l'internationalisation de certaines richesses. « Il faut concevoir : 1° le contrôle des relations économiques par l'autorité internationale ; 2° la gestion directe par elle de certaines richesses ; 3° il faut lui reconnaître un droit de propriété. Le contrôle des Etats actuels est fragmentaire, partial et souvent contradictoire. Le contrôle, pour être impartial, doit être universel. On parle avec raison de nationalisation industrialisée. Il faut concevoir et réaliser l'internationalisation industrialisée. Il faut, de même, concevoir et réaliser une propriété collective internationale. Comme on reconnaît un domaine national, on doit reconnaitre un domaine humain. Il y a des droits éminents de l'humanité organisée. L'Etat international doit posséder, il ne saurait être déshérité. La Fédération des Peuples doit devenir une puissance économique. Sans empiéter sur les droits de chaque nation de choisir librement son régime social, il y a lieu d'élaborer un Code international de la propriété, instituant en regard des propriétés individuelles, communales, départementales, nationales, la propriété collective internationale. Certaines richesses du sol et du sous sol, certains détroits, ports, fleuves, canaux, certaines voies ferrées, certaines villes et, d'une façon générale, la mer et l'air doivent être internationalisés » (Mémoire de L. Le Foyer et R. Valfort). Enfin, le désarmement moral ne peut être organisé sous une forme permanente que si, en matière d'enseignement, les nations sont sous le contrôle de la communauté internationale. L'internationalisme ne doit pas être seulement politique et économique, mais aussi moral et intellectuel. Il nous semble que sans supprimer les originalités culturelles de chaque nation il y a lieu de rendre obligatoires certaines branches de l'enseignement dans les divers pays : langue internationale, code de morale universelle et histoire universelle enseignée suivant les livres choisis par la section intellectuelle de la Fédération des Peuples. Ajoutons que sur l'idée de défense nationale, les internationalistes sont divisés. La conception suivant laquelle toute guerre, quel que soit son motif, est toujours nuisible à la communauté humaine, et la participation à la guerre n'est jamais un devoir moral, se répand de plus en plus dans les milieux internationalistes des divers pays.

- René VALFORT.

A.I.T. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure


Ce dernier document situe d’une façon suffisamment claire la deuxième A.I.T. pour qu’aucun doute ne subsiste sur sa doctrine et les buts qu’elle se propose d’atteindre. Elle est, comme la première, révolutionnaire et fédéraliste ; elle entend ainsi que le syndicalisme, dans le cadre national et international, soit complètement indépendant et maître de son action
Il apparaît donc très clairement que nous nous trouvons en présence de trois Internationales syndicales présentant les caractéristiques suivantes :
1) La F.S.I. d’Amsterdam, qui groupe les éléments social réformistes et de collaboration de classes ;
2) L’I.R.S. de Moscou, qui groupe les forces social-démocrates, de tendance communiste, qui sont partisans de la dictature prolétarienne et de la subordination du syndicalisme par les forces politiques communistes ;
3) L’A.IT. de Berlin, qui groupe les forces syndicalistes révolutionnaires et fédéralistes qui assignent au syndicalisme son rôle de force révolutionnaire essentielle et défendent son indépendance et son autonomie.
Comme je l’ai déjà dit, au cours de cette étude, les deux premières internationales, parties d’une base identique, issues d’un même arbre généalogique, fusionneront vraisemblablement, lorsque le pouvoir dit prolétarien - et non la révolution - sera stabilisé en Russie sur le plan démocratique.
La nouvelle Internationale ainsi constituée renfermera alors toutes les forces socialdémocrates et de collaboration de classes du monde. Elle sera l’Internationale du nombre et de l’impuissance, à moins qu’elle ne soit en définitive - et c’est ce qui est le plus probable - l’artisan principal de la restauration du capitalisme dans tous les pays
La seconde, l’Association Internationale des Travailleurs, sera formée par toutes les forces syndicalistes révolutionnaires, et si l’Italie, l’Espagne, la Portugal parviennent à se libérer du fascisme, elle ne tardera à devenir redoutable et à jouer un très grand rôle.
En tout cas, quoi qu’il en soit, elle est le seul espoir mondial des travailleurs. C’est entre elle et le capitalisme universel, soutenu par la F.S.I. d’Amsterdam, renforcée de l’I.S.R., que se livrera la lutte suprême du Travail et du Capital.
Tel est, résumé aussi brièvement et aussi exactement que possible, l’exposé de la vie, de l’activité, des tendances et de l’action des trois Internationales syndicales actuellement existantes.
En le rapprochant des autres études citées au cours de cet exposé, il sera facile au lecteur de se renseigner sur toute l’organisation et les luttes internationales des travailleurs.

Pierre Besnard

La guerre et le militarisme encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure



Le militarisme est le système de la violence étatiste monopolisée pour la défense et l’élargissement du domaine d’exploitation nationale (guerre de défense ou d’agression), pour la soumission de nouveaux domaines d’exploitation (guerre coloniale) et pour la répression des masses populaires révoltées (grèves, agitation, émeutes).
Dans tous les cas, il s’agit de la protection et de l’augmentation des profits des classes dominantes, c’est-à-dire de la classe ennemie du prolétariat
Le militarisme est le dernier et le plus puissant moyen de la bourgeoisie pour tenir la classe ouvrière sous sa dépendance et réprimer ses luttes pour la liberté.
Partout où, dans des luttes nationales ou de libération, un nouveau militarisme se forme (Russie, Chine), celui-ci se tourne toujours de nouveau contre les travailleurs eux-mêmes, parce que, d’après sa nature même, il n’est qu’un instrument de répression des masses dans l’intérêt d’une classe de privilégiés et doit être l’ennemi de toute liberté.
C’est donc la tâche primordiale de la classe ouvrière de combattre non seulement le militarisme capitaliste actuel, mais de supprimer le militarisme comme tel. Les meilleurs moyens de combattre le militarisme seront ceux qui sont le plus conformes à l’esprit antimilitariste.
Il s’agit tout d’abord de désagréger l’esprit du militarisme, de la discipline et de la soumission, par une propagande active, d’éduquer les soldats et de saper les bases des armées afin qu’elles perdent leur efficacité contre les travailleurs. Les armées de volontaires, les armées blanches, les armées fascistes, etc., doivent être boycottées déjà en temps de paix.
Les militaires se composant en majorité d’ouvriers, et, dans l’état actuel de la technique moderne de guerre, les armées étant absolument dépendantes de l’industrie de guerre, il est au pouvoir des travailleurs de paralyser toute action militariste par le refus de servir, grèves, sabotage et boycott, même si ces actions militaires sont entreprises par des troupes blanches.

La meilleure préparation d’une telle action de masses consiste déjà actuellement dans le refus individuel de servir et dans le refus du prolétariat organisé de fabriquer des armements.
Il s’agit avant tout d’empêcher l’éclatement d’une nouvelle guerre et, pour cela, de supprimer les principales causes de la guerre et du militarisme par une transformation économique de notre ordre social actuel (révolution sociale).
Le Congrès appelle donc toutes les organisations adhérentes de l’A.I.T.
1) A propager le refus de fabriquer des matériaux de guerre d’une façon pratique, et ce dès maintenant ;
2) A convaincre les ouvriers des usines de guerre et d’entreprises pouvant être transformées en telles, qu’il est du devoir de la classe ouvrière de déclarer la grève à une menace de guerre, de s’emparer du matériel de guerre et de toutes les matières pouvant servir à en fabriquer ; de mettre les usines hors d’état de servir au capitalisme.
3) Les organisations adhérentes devront former, partout où cela sera possible, des Comités de grève générale qui auront pour tâche d’étudier les moyens de s’emparer des usines de les défendre et de les détruire au cas où elles seraient susceptibles de retomber aux mains du capitalisme. Ils devront également étudier les moyens de s’emparer des points vitaux de l’organisation nationale : nœuds et voies de chemins de fer, mines, centrales électriques, postes et télégraphes, points de distribution d’eau, corps de santé et produits pharmaceutiques ; ils devront s’emparer d’otages pris dans le monde de la bourgeoisie, de la politique, du clergé et de la banque.
En un mot, ils devront tout mettre en œuvre pour transformer la grève générale insurrectionnelle en révolution triomphante.
Création d’un fonds international de solidarité
La solidarité est, nationalement aussi bien qu’internationalement, un des moyens les plus efficaces et les plus reconnus par le prolétariat révolutionnaire. Dans tous les pays règne aujourd’hui une pression matérielle et économique terrible sur les grandes masses de travailleurs, pression qui devient plus féroce encore sur la vie politique également dans les pays de dictature. Si le prolétariat international veut traverser sans trop de pertes la crise qui sévit actuellement et qui empêche le renforcement du mouvement progressif ; s’il veut garder intacte, tout au moins dans leurs formes lès plus primitives, ses organisations de combat, il est indispensable que le lien qui unit le prolétariat de tous les pays soit internationalement noué et que l’appui mutuel soit largement réalisé.
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La nécessité d’un tel lien international est d’autant plus frappante qu’il existe, dans la plupart des pays, des fonds de secours ou des organisations de solidarité ou d’entraide et que, de tous côtés, le désir est exprimé de voir toutes ces organisations unis internationalement.
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L’idée d’une Union Internationale de Solidarité doit servir à vivifier et à renforcer la solidarité internationale. L’initiative solidaire sur les lieux sera renforcée par le lien international. Aucune atteinte à l’indépendance totale ne doit être tentée ; la collaboration internationale donnera, au contraire, la possibilité d’une activité plus énergique dans tous les pays, de façon à pouvoir, dans les cas d’extrême urgence, apporter l’aide immédiate à ceux qui ont en besoin.
Règlement de l’Union Internationale de Solidarité
1) Le IIIe Congrès de l’A. I. T. considère désirable et nécessaire la collaboration, au sein de l’A. I. T. des fonds de solidarité déjà existants, ainsi que des Comités ou organisations similaires d’entraide révolutionnaire. Dans les pays où il n’existe pas encore de Comités d’entraide ou de secours aux emprisonnés au sein du prolétariat révolutionnaire organisé, il est du devoir de la Centrale syndicale révolutionnaire d’en créer une. A cet effet, le Congrès propose le mode suivant :
2) Partout où il n’existe pas encore de tel organisme, mais où existent des possibilités dans cette direction, des Comités ou Groupes se créent avec le but d’aidée matériellement et moralement les victimes de la lutte de classes. Cette aide peut, suivant les cas, prendre la forme d’aide juridique, pécuniaire autre que la situation peut exiger ;
  1. Les groupes ainsi formés ou déjà existants seront complètement autonomes, c’est-à-dire qu’ils auront le droit de s’administrer eux-mêmes et de déterminer de quelle façon ils doivent recueillir les sommes destinées à la solidarité. IIs s’engagent seulement à verser une cotisation régulière à l’Union Internationale de Solidarité ;
  2. 4) Cette cotisation sera fixée au prorata des membres et après entente entre le Bureau de l’Union Internationale de Solidarité et l’organisation intéressée ;
5) Dans des cas spéciaux les Unions nationales, aussi bien que l’Union Internationale, peuvent lancer des appels pour des- fonds spécifiques. Les secours seront répartis par le Bureau de l’U.I.S. qui rendra compte de son activité aux Unions nationales de solidarité. Ces Unions deviennent par le fait même, section de l’A.I.T. ;
6) L’Union Internationale de Solidarité doit immédiatement transmettre les sommes reçues par elle à titre de solidarité internationale
7) Les Unions présentent leur rapport trimestriel à l’A. I. T. Ces rapports sont publiés par les soins de cette dernière ;
8) Des rapports immédiats doivent être présentés quand il s’agit d’événements de grande importance, de procès et tentatives réactionnaires. Des rapports fréquents doivent être envoyés dans les cas où les événements sont de longue haleine ;
9) La solidarité internationale est effectuée : a) Dans tous les cas où cette solidarité n’est pas effectuée par l’organisation du pays ; b) Dans les cas d’arrestations et de persécutions en masse ; c) Aux emprisonnés déportés, et à leurs familles, dans les pays où règne la dictature (Italie, Russie, Chili, Cuba, etc.) ; d) Aux émigrés politiques à l’étranger e) Aux familles et enfants de ceux qui sont devenus les victimes de la lutte de classes ;
10) L’Union Internationale de Solidarité publie tous les six mois- un rapport sur son activité.
Résolution sur l’attitude de l’A. I. T. dans les luttes syndicales actuelles
Considérant que les puissances dominantes et le capitalisme accaparent toutes les conquêtes faites dans le domaine économique, technique et scientifique pour asseoir et développer plus fortement leur domination sur la classe opprimée ;
Que le capitalisme, par sa facilité d’adaptation, a réussi à travers les grands troubles politiques qui suivirent la guerre mondiale ou les crises économiques qui furent les suites de l’inflation dans beaucoup de pays, ou encore par la rationalisation dans presque tous les pays, non seulement à s’affirmer, mais aussi à se consolider ;
Que le patronat défend ses positions, non seulement dans les limites de soi-disant patries, mais tente aussi par des trusts et cartels internationaux, d’instituer l’exploitation du prolétariat et de lui donner un caractère fort et permanent ;

Que, par contre, le mouvement ouvrier, sous la conduite des partis politiques et des organisations réformistes fidèles à l’État et pactisant avec lui, n’a aucunement su utiliser la situation favorable qui s’est offerte dans les différents pays durant ces dernières années pour la conquête du pouvoir économique, ou même seulement pour l’amélioration de la situation économique et politique de la classe ouvrière ;
Le Congrès tient pour absolument nécessaire que le mouvement ouvrier ne soit pas non plus si dogmatique, mais s’avance parallèlement au développement du progrès et mette ses méthodes de lutte en accord avec les exigences du moment, c’est-à-dire qu’il doit être souple et avoir des facultés, des capacités de transformation et d’adaptation où il ne faut pas oublier les aspirations de liberté et de dignité humaines pour le prolétariat, ni de prendre égard au fédéralisme et à l’autonomie de ses organisations, contribuant à la réaliser.
Le Congrès attire l’attention de tous les pays sur la poIitique des réformistes et de l’aile étatiste du mouvement ouvrier, par lesquelles le prolétariat est détourné vers la soi-disant État socialiste par la voie des lois sociales, politique aboutissant à cacher complètement les buts de l’émancipation totale de la classe ouvrière, à enchaîner d’une façon durable le prolétariat aux formes d’économie de profits de l’État capitaliste et les éloignant de plus en plus de la révolution sociale.
Cette législation de lois sociales ne se borne pas à un pays, mais s’étend de plus en plus à tous les pays et trouve sa confirmation et son renforcement dans l’activité du Bureau International du Travail de Genève. Les quelques améliorations préconisées par les décisions du B.I.T. et leur confirmation par des mesures gouvernementales pour certaines catégories d’ouvriers ne sont pas comparables aux dommages à réparer qui furent causés moralement au sein du prolétariat et l’étouffement de l’esprit révolutionnaire, qui était l’héritage le plus précieux des révolutions passées et appartient aux richesses les plus sacrées de la classe opprimée. Si louables que soient les aspirations d’obtenir un relèvement égal de la situation de la classe ouvrière dans tous les pays, comme par exemple l’instauration de l’unification de la durée de la journée de travail ou l’unification des salaires pour le prolétariat mondial, aspirations approuvées et soutenues par l’A.I.T., on ne doit pas, d’autre part, manquer de faire remarquer que l’atteinte de ces buts par la voie de lois sociales nationales et internationales est la dernière à employer pour y parvenir, car cette législation ne peut être que le refuge d’un mouvement ouvrier affaibli ou spirituellement dévoyé, les puissances dominantes ne se soumettant qu’à l’expression de puissance obtenue par les actions de la classe ouvrière elle-même et non par des pétitions de chefs, comme cela fut clairement démontré par l’attitude du gouvernement anglais contre la ratification du traité de Washington sur la journée de huit heures au B.I.T. C’est pourquoi on doit appuyer sur le fait que les plus petites améliorations sanctionnées par le traité de Washington ou la formation du B.I.T., ne sont dues qu’à une époque révolutionnaire, au cours de laquelle les puissances dominantes, par crainte d’actions révolutionnaires, accordèrent aux masses quelques concessions insignifiantes afin de les calmer et de diminuer leur force d’attaque. - Le troisième Congrès de l’A. I. T. recommande donc à la classe ouvrière de se détourner de la voie d’entente avec les puissances capitalistes et étatistes, et, en accord :avec cette méthode, d’œuvrer au rappel de leurs représentants de toutes les institutions étatistes ou législatives, comme les Comités de fixation des tarifs, les Commissions étatistes d’arbitrage, les Bureaux nationaux et internationaux du Travail.
Dans sa condamnation de la collaboration du mouvement ouvrier avec les classes dominantes, le Congrès ne veut pas manquer d’attirer l’attention sur les aspirations du mouvement syndical réformiste aboutissant à pénétrer aussi dans les trusts et cartels internationaux créés ces derniers temps par l’envoi de délégués. En dehors de ce que le capitalisme international rejette à l’heure actuelle une telle prétention, celle-ci est à rejeter en tout cas du point de vue du mouvement ouvrier révolutionnaire, car elle il n’est propre qu’à activer le fusionnement du mouvement ouvrier avec le capitalisme. Loin d’exercer de cette façon un contrôle efficace sur le fonctionnement de l’économie capitaliste, comme on l’a pu constater avec les Conseils d’usines, une telle représentation serait le dernier coup pour l’idéal du mouvement ouvrier socialiste libertaire, en ce que cela lui enlèverait tous ses propres buts. La lutte contre les trusts et cartels internationaux ne peut être menée que par des voies révolutionnaires, par exemple des grèves et boycotts internationaux sur la plus grande échelle possible, des actions qui, comme le prouve par exemple la défaite des mineurs anglais, doivent être à l’avenir internationales, que ce soit par des déclarations de grèves internationales d’une industrie par tous les travailleurs de cette industrie dans tous les pays ou par des actions de boycotts internationaux
Le mouvement ouvrier révolutionnaire ne doit en aucun cas manquer, dans le domaine d’organisation, en rassemblant des chiffres et des dates s’étendant sur tous les domaines de la vie économique et la situation des travailleurs dans le processus de la production et de la consommation - tâche qui devrait être organisée dans chaque industrie par les Fédérations respectives d’industries - de se préparer pour sa grande œuvre : la prise en mains de la production et de la consommation qui, après la prise de la terre et des fabriques et moyens de production, doivent être réalisés effectivement et considérés comme les buts du mouvement ouvrier révolutionnaire.
Résolution de clôture
Ayant terminé ses travaux, le troisième Congrès de l’Association Internationale des Travailleurs adresse son salut aux Travailleurs du Monde.
Malgré les difficultés rencontrées, l’A.I.T. a maintenu haut et ferme le drapeau du syndicalisme révolutionnaire. Au cours des débats, le Congrès a pu constater que la répression frappait de plus en plus les militants des organisations de l’A.I.T. Il adresse son salut fraternel à toutes les victimes et déclare que, si cette répression l’émeut à la pensée de ceux qui tombent dans la lutte, elle le remplit cependant de fierté, car elle prouve que nous sommes restés dans la voie révolutionnaire.
Avec le souci constant d’apporter toujours plus de bien-être et de liberté aux travailleurs, le Congrès a examiné les grands problèmes économiques et sociaux et s’est efforcé de trouver une solution favorable au prolétariat.
Le Congrès attire, à nouveau et avec force l’attention des travailleurs sur la revendication de la journée de six heures, seul remède au chômage mondial et moyen de défense contre la rationalisation capitaliste.
Préoccupé avant tout de donner une impulsion et un but révolutionnaire au mouvement des masses exploitées, le Congrès a examiné largement la question antimilitariste et l’a placée sur un terrain concret et pratique.
Désireux que toutes les victimes du fascisme blanc ou rouge et de la réaction soient secourues, rapidement, le Congrès a créé l’organisme international de Solidarité, qui assurera une aide sérieuse aux camarades frappés dans l’action.
Il appartient donc maintenant aux travailleurs d’entrer résolument dans le chemin tracé par le Congrès et de mettre tout en œuvre pour que les résolutions prises entrent dans le domaine des faits.
Mais le Congrès tient à rappeler aux travailleurs que ces tâches, dont l’accomplissement est nécessaire, ne sont qu’une faible partie de celles que le prolétariat doit mener à bien.
Le prolétariat doit, en effet, se souvenir constamment que sa libération ne sera possible qu’avec la disparition de l’ordre social existant et que lorsqu’il aura conquis les moyens de production, de répartition et d’échange, il pourra alors instaurer le véritable socialisme, permettant à I’individu de s’épanouir librement.
Inspiré par les principes fondamentaux de l’A.I.T. et instruit par les événements sociaux de ces dernières années, le Congrès déclare que ce stade de liberté ne pourra être atteint que si les travailleurs poursuivent librement leur action, s’ils rejettent toute tutelle politique et repoussent la collaboration des classes, chère aux réformistes ; il leur faudra, en outre, entrer de plus en plus dans les voies pratiques tracées par l’A.I.T.
Leur action sera d’autant plus puissante qu’ils seront unis idéalement et effectivement sur la base des principes ci-dessus, c’est-à-dire dans l’Association Internationale des Travailleurs.
Le Congrès lance donc un appel vibrant aux exploités du monde et leur demande de venir se grouper dans le sein de l’’A.I.T., afin de hâter l’heure des réalisations pratiques et d’achever l’œuvre révolutionnaire libératrice.
Certain que cet appel sera entendu et que les Centrales adhérentes mettront tout en œuvre pour réaliser le programme établi, le Congrès se sépare aux cris de :
"Vive l’Association Internationale des Travailleurs ! Vive la Révolution mondiale !

INTERNATIONALE SYNDICALE encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure




Ce mot a déjà été traité dans les études consacrées à Confédération générale du Travail et Association internationale des Travailleurs. Toute la vie de la 1ère Internationale, toute son action toute l’activité de l’Internationale, tous les Congrès, jusqu’au Congrès de Londres (1920), sont relatés dans ces deux études, auxquelles le lecteur doit absolument se reporter pour être exactement et complètement renseigné.
II ne reste donc à examiner que l’action depuis 1920 et les Congrès suivants : Londres (1920), Gênes et Rome (1922), Vienne (1924), Paris (1927) pour la Fédération Syndicale internationale ; les Congrès de 1923, 1925 et 1928, à Moscou, pour l’Internationale Syndicale rouge ; le Congrès de Liège (1928) pour l’Association internationale des Travailleurs.
Fédération internationale syndicale d’Amsterdam
Cette Internationale est, relativement, de constitution récente. De même que de 1874, année de la disparition définitive de la I’Association Internationale, après le Congrès de Bruxelles, jusqu’en 1895, au Congrès de Zurich, il n’y eut aucune action internationale coordonnée et organisée, il n’y eut, non plus, d’Internationale de 1896 à 1900, date de la constitution du Secrétariat International. Les Congrès de Stuttgart (1902), de Dublin (1903), Amsterdam (1905), Christiania (1907), Paris (1909), Budapest (1911) et Zurich (1913) furent organisés par ce Secrétariat international.
La guerre vint mettre fin à l’existence de cet organisme. Les Centrales Nationales alliées (France, Angleterre, Belgique, Italie, auxquelles se joignirent l’Espagne et la Suisse, un peu plus tard) tinrent cependant, pendant la guerre, les Conférences de Londres (1915), Leeds (1916), Berne (1917), Berne encore en 1919.
C’est à cette dernière Conférence, à laquelle participèrent : l’Angleterre, la France, la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la Hollande, la Norvège, la Suède, l’Espagne, que, fut décidée la liquidation du Secrétariat International et la reconstitution de l’Internationale Syndicale.
L’Italie, absente, donna son acquiescement par lettre.

La Conférence se mit d’accord sur une Charte internationale du Travail que les représentants anglais, français et belges reçurent mission de défendre auprès de la Conférence de la Paix de Versailles (1919) et de faire insérer dans le Traité de Paix, dans la partie qu’on a appelée le Titre XIII.
La constitution de la Fédération Syndicale Internationale eut lieu au Congrès de juillet 1919, à Amsterdam. Toutes les Centrales européennes, plus celle des ÉtatsUnis, y participèrent.
La F.S.I. décida, dès sa constitution, de participer à la Conférence Internationale du Travail de Washington pour l’application universelle de la journée de 8 heures. La F.S.I., à son origine, groupa 24 Centrales et plus de 20 millions d’adhérents.
Elle eût pu être une force absolument irrésistible, si elle avait été une Internationale véritable, au lieu d’être une Association de nationalismes divisée en deux camps : ex-Alliés et ex-Centraux. 29 Secrétariats internationaux professionnels, groupant près de 17 millions d’ouvriers de toutes professions, sont immédiatement constitués.
La Fédération Internationale Syndicale représente donc, dès le début, la plus grande force mondiale qui ait jamais existé : si elle avait compris la situation générale et osé agir, elle eut imposé au monde une transformation sociale radicale. Elle ne sut comprendre ni agir.
Elle se contenta de s’occuper de haute stratégie diplomatique et, si son action en Autriche, en Espagne, voire même en Russie, en faveur des affamés, a eu des conséquences heureuses, il est, néanmoins hors de doute, qu’elle eût pu faire bien davantage, si elle avait été animée de réels sentiments de classe et non imbue d’intérêt soi-disant général.
La F.S.I. tint à Londres, en 1920, son deuxième Congrès. Il y fut question des réparations, des nationalisations ; de la nécessité de tenir une Conférence internationale des transports et du lancement d’un emprunt international pour la liquidation des réparations.
Elle participa à la Conférence de Gênes (1922) à laquelle assista la Russie soviétique qui, pour la première fois, entrait dans le concert des puissances.
La F.S.I. tint une Conférence préalable au cours de laquelle elle adopta une résolution sur la reconstitution économique de l’Europe. Elle présenta cette résolution - qui fut rejetée - à la Conférence des États réunis à Gênes, laquelle devint très rapidement, exclusivement politique et n’atteignit d’ailleurs aucun de ses buts.
Le Congrès de Rome qui se tint presque aussitôt la fin de la Conférence de Gênes, homologua la résolution prise par la F.S.I. à Gènes.

Il s’occupa aussi de l’action contre la guerre, de l’organisation de cette action, il reprit l’organisation des relations entre les Secrétariats, internationaux professionnels et de la Fédération Syndicale internationale ouvrière par la Conférence de Zurich en 1913.
Le 3e Congrès eut lieu à Vienne (Autriche), du 2 au 7 juin 1924. C’est à ce Congrès que fut dressé le programme minimum dé la F.S.I. qui comprend : la défense de faire travailler les enfants au-dessous de 15 ans ; l’enseignement universel avec, dans tous les États, des bureaux d’orientation professionnelle ; les conditions générales de travail des adolescents, des femmes, des hommes ; l’hygiène et la sécurité ; le droit syndical et l’émigration ; les assurances, le placement, le contrôle ouvrier, le logement.
La F.S.I. organisa en outre, en 1922, un Congrès mondial de la Paix qui se tint, en décembre, à La Haye. Tous les pays, y compris la Russie, y participèrent. La lutte contre la guerre y fut envisagée sur le plan démocratique et légalitaire. A aucun moment, il ne fut question d’organiser sérieusement la lutte efficace contre la guerre.
Le 4e Congrès de la F.S.I. se tint à Paris, en août 1927, au Grand Palais, cependant que celui de l’A.I.T. se tenait, lui, dans la forêt de Berlin, deux années auparavant.
Il s’occupa de la cuisine intérieure du Bureau. Purcell, président, dans son discours inaugural, attaqua brutalement Jouhaux et surtout Oudegeest. Pendant tout le congrès ce ne fut qu’une lutte constante entre les Trade-Unions britanniqueset le reste de la F.S.I.
Ce fut, en réalité, la lutte entre l’esprit d’unité international, plus fictif et tactique que réel et sincère, d’ailleurs créé par le Comité anglo-russe - et l’esprit de maintien du statu quo, nettement exprimé par Jouhaux, Sassenbach, Oudegeest et Mertens. Fimeney, l’âme du mouvement “unitaire”, ne dit mot pendant tout le Congrès.
En conclusion, Oudegeest, mis en fort mauvaise posture par la délégation anglaise, dut se retirer. Le Congrès ne fit aucune besogne utile et toutes les questions furent renvoyées à l’étude du Conseil général...
Purcell fut écarté de la présidence, mais un autre Anglais, Hieks, le remplace.
Telle est, brièvement relaté, l’activité de la Fédération Internationale Syndicale.
Internationale Syndicale Rouge
L’Internationale Syndicale Rouge, née de la scission qui se produisit dans les années 1919 et 1920 dans presque toutes les Centrales de la F.S.I., tint son premier Congrès à Moscou, du 3 au 19 juillet 1921.
J’ai déjà exposé quel fut, à ce Congrès, le rôle de la délégation française.
Il importe qu’on sache que ce Congrès constitutif délibéra “librement“ sous la surveillance des soldats rouges, baïonnette au canon.
Tout le travail des organisateurs syndicaux russes, auxquels s’étaient joints tous les leaders politiques Lénine, Trotski, Zinoviev, Kamenev, etc., tendit à imposer aux délégués étrangers et plus spécialement allemands, français, italiens et espagnols, une charte qui consacrait la domestication des Centrales nationales aux Partis politiques communistes et de l’Internationale Syndicale Rouge à l’Internationale Communiste.
Sur la proposition de A. Rosmer (France) et de Tom Mann (Angleterre), rapporteurs, le Congrès vota la résolution suivante :
« Considérant que la lutte entre le capital et le travail dans tous les pays capitalistes a acquis, par suite de la guerre et de la crise mondiale, un caractère particulièrement tranchant, implacable et décisif ;
Que dans le processus de cette lutte se dessine, devant les masses ouvrières, de jour en jour plus distinctement, la nécessité d’écarter la bourgeoisie de la production et, partant, du pouvoir politique ;
Que ce résultat ne peut être atteint exclusivement que par l’établissement de la dictature du prolétariat et du régime communiste ;
Que dans leur lutte pour la conservation de la dictature bourgeoise, toutes les couches capitalistes dominantes ont atteint déjà un degré considérable de concertation et d’unification de leurs organisations nationales et internationales, aussi bien politiques qu’économiques, que l’action offensive du prolétariat rencontre une force unie de la bourgeoisie ;
Que la logique de la lutte de classes actuelle exige l’unification la plus complète des forces du prolétariat et de sa lutte révolutionnaire et détermine ainsi la nécessité d’un contact étroit et d’une liaison organique entre les diverses formes du mouvement. ouvrier révolutionnaire, avant tout entre l’Internationale communiste et l’Internationale syndicale Rouge des syndicats ;
Qu’il est aussi hautement désirable que tous les efforts soient dans le domaine national vers l’établissement de relations similaires entre les partis communistes et les syndicats rouges ;

Le Congrès décide :
1) Toutes les mesures doivent être prises pour le groupement le plus ferme des syndicats révolutionnaires dans une organisation de combat unifiée avec un centre dirigeant international unique ; l’Internationale Rouge des syndicats ouvriers ;
2) Des liens aussi étroits que possible doivent être établis avec la IIIè Internationale communiste, avant-garde du mouvement ouvrier révolutionnaire dans le monde entier, basés sur la représentation réciproque au sein des organismes exécutifs, de délibérations communistes, etc. ;
3) Cette liaison doit avoir un caractère organique et technique ; elle devrait se manifester dans la préparation conjointe et la réalisation des actes révolutionnaires sur une échelle nationale aussi bien, qu’internationale ;
4) Le Congrès affirme la nécessité de tendre à l’unité des organisations syndicales révolutionnaires et à l’établissement d’une liaison réelle et étroite entre les syndicats ouvriers rouges et le parti communiste dans l’application des directives des deux Congrès. »
Le vote de cette résolution fut le point de départ de la scission des forces syndicales centralistes et fédéralistes. Marx et Bakounine étaient à nouveau face à face. Ils le sont encore et n’ont pas fini de l’être.
Le Congrès fixa, selon son esprit bien entendu, les tâches tactiques des syndicats. Il se prononça sur la neutralité, l’indépendance des syndicats du socialisme, sur la politique de la Fédération syndicale d’Amsterdam, sur les méthodes de lutte, le programme d’action de l’I.S.R. Il examina également le contrôle ouvrier, les Comités d’usines et de fabriques et détermina l’organisation dans les différents pays.
Enfin, il vota les statuts de l’I.S.R. dont le fameux article 11, ci-dessous indiqué, souleva tant de controverses :
« Pour établir des liens solides entre l’I.S.R et la IIIe Internationale communiste, le Conseil Central :
1) Envoie au Comité Exécutif de la III Internationale trois représentants avec voix délibérative ;
2) Organise des séances communes avec le Comité Exécutif de la IIIe Internationale, pour la discussion des questions les plus importantes du mouvement ouvrier international et pour l’organisation d’actions communes ;
3) Quand la situation l’exige, il lance des proclamations d’accord avec l’Internationale communiste. »
Cet article n’est, en somme, que la “codification” de l’esprit qui se dégage de la résolution Rosmer-Tom Mann qu’il exprime très clairement.
Les fédéralistes, à l’encontre de tant d’autres discutailleurs, se dressèrent contre l’ensemble des statuts. C’était logique. Leur opposition était donc totale. Elle le resta.
Le IIe Congrès, qui se tint également à Moscou, ne fit que renforcer la juste opposition à l’esprit de subordination de l’Internationale communiste sur les syndicats réduits au rôle passif d’agents d’exécution des ordres reçus par le canal des partis communistes dans chaque pays.
En effet, en dépit de la résolution votée à Saint-Étienne et présentée par le Bureau de la C.G.T.U., qui sauvegardait l’autonomie du syndicalisme, le 2e Congrès de l’I.S.R. vota, avant l’adhésion de la C.G.T.U., une résolution présentée par le camarade Dogadov, secrétaire de la C.G.T. russe, et ainsi conçue
Considérant :
1°) Que l’I.S.R. a pour tâche de grouper tous les ouvriers révolutionnaires dans le but d’une lutte commune contre le capital et pour l’instauration de la dictature prolétarienne
2°) Que ce but ne peut être atteint que si tous les lutteurs de la révolution sociale sont, profondément pénétrés de l’esprit communiste,
3°) Que la victoire même du communisme n’est possible que sur le plan international, ce qui suppose une liaison intime et une coordination d’action entre l’I.C. et l’I.R.S.
4°) Qu’il y a, parmi les ouvriers, des groupes à tendance syndicaliste révolutionnaire qui veulent sincèrement établir un front unique avec les communistes, tout en croyant que la représentation réciproque entre l’I.C. et l’I.S.R. établie par le Congrès de l’I.S.R. ne correspond pas aux traditions du mouvement de leur pays ;
5°) Que la C.G.T.U. française, qui représente ce point de vue, se prononce énergiquement pour la collaboration de l’I.C. et de l’I.S.R. et pour les mouvements communs dans toutes les actions offensives et défensives contre le capital ;
Les délégations des syndicats de Russie, d’Allemagne, d’Italie, de Bulgarie, de Pologne et d’Espagne, tout en se plaçant au point de vue de la nécessité absolue de donner le rôle directeur au Parti communiste dans chaque pays et à l’I.C. sur le plan international, proposent néanmoins, de tendre la main aux ouvriers révolutionnaires français et d’adopter les propositions de la C.G.T.U.
Cette résolution, qui est bien, en fait, la consécration de la subordination du mouvement économique à l’Internationale communiste, confirme purement et simplement la motion Rosmer-Tom Mann, votée par le premier Congrès. Les soidisant concessions qu’elle fait, dans le texte, à l’esprit syndicaliste révolutionnaire sont, en réalité, inexistantes.
Le vote de cette résolution aboutit, en France, à une deuxième scission et à la constitution d’une IIIe C.G.T., la C.G.T.S.R., qui a repris toute la doctrine du syndicalisme révolutionnaire, qui était celle de la C.G.T. d’avant-guerre.
Le IIIe Congrès, qui se tint à Moscou, s’occupa surtout de la question du front unique et de celle de l’Unité.
Les thèses - toutes tactiques - édifiées au cours de ce Congrès ne reçurent jamais aucun commencement d’application. Il s’agissait, pour l’I.S.R., de bluffer et de faire croire aux ouvriers que Moscou désirait l’unité et que cette unité ne se réalisait pas parce que les autres Internationales ne le voulaient pas.
Peu après ce Congrès, qui mit au monde le fameux Comité anglo-russe qui devait amener les Trade-Unions dans le giron de l’I.S.R., la liquidation de l’I.S.R. et la rentrée des syndicats rouges à la F.S.I. d’Amsterdam fut envisagée.
Cette façon de voir était d’ailleurs partagée par une partie du Bureau politique de l’I.C. et, en particulier, par Tomsky, président de la C.G.T. russe et membre du Bureau politique de l’I.C.
Des efforts furent tentés, en France, par la C.G.T.U., et en Bulgarie par les syndicats autonomes sympathisants de l’I.S.R.
Toutes ces tentatives de conquêtes du dedans furent déjouées par les dirigeants d’Amsterdam.
Le IVe Congrès, qui eut lieu encore à Moscou, en 1928, se convainquit rapidement de la stérilité des efforts dans cette direction. L’intérêt diplomatique du gouvernement russe n’exigeant pas, pour le moment, le sacrifice de l’I.S.R., le 4e Congrès changea brusquement de direction.
Alors que le IIIe Congrès déclarait qu’il fallait 90 % de l’activité à la réalisation de l’unité, le IVe Congrès recommande, lui, de renforcer les Centrales existantes et d’en créer au besoin de nouvelles.
En réalité, alors que le IIIe Congrès avait pour plate-forme essentielle l’unité, le IVe Congrès a choisi, pour principale plateforme, l’aggravation de la scission.
A l’heure où j’écris ces lignes, nous en sommes là. Il est, toutefois, vraisemblable que la rentrée définitive dans le concert des nations de la Russie soviétique et son admission à la Société des Nations auront pour conséquence la fusion de la F.S.I. d’Amsterdam et de l’I.S.R. de Moscou. Quand et comment s’opérera cette jonction ? Nul ne le sait.
Tel est, à ce jour, le processus de la vie de l’Internationale russe qui ne compte, à l’exception des Centrales russe et française, que des fractions de mouvements.
Filiale et chose de l’I.C., elle est dirigée par un homme de paille qui n’agit que par ordre de l’Exécutif communiste.
Alors qu’elle eût pu grouper toutes les forces syndicalistes révolutionnaires du monde et faire figure, en face de la F.S.I. d’Amsterdam, elle ne fut qu’un organisme de division dont il faut souhaiter au plus tôt la disparition.
L’Association Internationale des Travailleurs
Cette Internationale, qui est la continuation, sur le plan syndical, de la Ie Internationale, appelée elle aussi A.I.T., a été fondée en décembre 1922, à Berlin.
Je ne reviendrai, ni sur les deux Conférences préparatoires de 1921 et 1922, ni sur le Congrès constitutif, ni sur la Conférence d’Insbruck (1923) et lé Congrès d’Amsterdam (1925).
Toutes ces manifestations de la IIe A.I.T. ont été exposées par le Secrétaire général, A. Souchy, lorsqu’il a fait son étude sur l’A.I.T. (Voir Association Internationale des Travailleurs ).
Il ne me reste donc qu’à relater le Congrès qui s’est tenu à Liège en juillet 1918, et qui est le troisième de l’actuelle A.I.T.
Il consacra ses travaux aux questions suivantes : Rationalisation, chômage et 6 heures, la guerre et le militarisme, la création d’un fonds de secours international, l’attitude de l’A.I.T. dans les luttes syndicales actuelles.
Il condensa son point de vue sur toutes ces questions dans les résolutions ci-après, dont l’intérêt n’échappera à personne.
Résolution sur la Rationalisation
Le Congrès considère la rationalisation actuelle de l’économie capitaliste comme un résultat direct d’une nouvelle phase de développement du système capitaliste trouvant son expression dans la disparition du vieux capitalisme privé et son remplacement par le capitalisme collectif moderne. Cette nouvelle phase signifie pratiquement la disparition de la libre concurrence et l’instauration de la dictature économique, laquelle, par l’exclusion de toute concurrence économique, travaille consciemment à l’exploitation du monde d’après un système unique.
La rationalisation n’est qu’une conséquence de cette transformation nouvelle du monde capitaliste et ne personnifie dans ses méthodes que la concurrence brutale de la machine de chair et sang et de celle de fer et d’acier, dont les résultats profitent uniquement au patronat. Pour les producteurs, par contre, cette nouvelle méthode signifie l’ensevelissement de leur santé physique et intellectuelle et la soumission sans d’esclavage industriel les contraignant à un état de chômage continuel et à un abaissement continu des conditions de vie.
Le congrès, loin de voir dans cette nouvelle transformation de l’économie capitaliste une condition pour la réalisation du socialisme, voit dans les nouvelles méthodes une forme plus parfaite de l’exploitation des vastes masses de producteurs et des consommateurs, formes qui, dans le meilleur des cas, peuvent être considérées, comme les prémices d’un capitalisme d’État Futur, mais jamais comme les préparatifs nécessaires à l’avènement du socialisme. Le Congrès est d’avis que, le chemin vers le socialisme n’est pas déterminé par une ascension continuelle de la capacité de production, mais, en première ligne, mais d’abord, par une claire connaissance de l’état social et Ia ferme volonté d’activité socialiste constructive, trouvant leur expression dans les aspirations à la liberté et à Ia justice sociale. Le socialisme n’est pas seulement un problème économique, mais aussi un problème psychologique et culturel et en ce sens, aspire à lier spirituellement les individus à son œuvre, en ce qu’il s’efforce de présenter le travail d’une façon complexe et attractive, une aspiration qui ne sera jamais conciliable avec la rationalisation moderne. Non pas la centralisation des industries d’après les principes soi disant spéciaux de l’économie des différents peuples, mais décentralisation de l’ensemble de notre système de production, comme il l’est de plus en plus exigé par le développement de la technique moderne ; non pas par une spécialisation de toutes les branches de la production poussées au paroxysme, mais unité du travail, union de l’agriculture et de l’industrie et une éducation complexe des individus pour le développement de leurs facultés intellectuelles et manuelles. Le Congrès est d’avis que le nouveau développement du capitalisme, qui trouve son expression dans la formation des trusts et cartels nationaux et internationaux gigantesques, rend de plus en plus inoffensives les vieilles méthodes de la classe ouvrière, et que ce nouveau développement ne peut être envisagé qu’avec la formation d’organisations économiques révolutionnaires internationales qui viennent tout d’abord en question pour la défense des revendications des travailleurs au sein du système actuel et aussi pour la réalisation et la réorganisation pratique de la société dans l’esprit du socialisme. Ce n’est qu’inspiré par l’esprit du socialisme international que le mouvement ouvrier, que les travailleurs seront à même de préparer leur libération économique, poIitique et sociale, et de la réaliser pratiquement. Le Congrès est d’avis que le socialisme libertaire est l’unique moyen de protéger l’humanité contre la chute d’un nouveau servage industriel et que ce grand but final doit être la base de toutes les Iuttes quotidiennes pratiques qui nous incombent par Ia misère de l’heure. Le Congrès voit dans la diminution de Ia journée de travail un des moyens les plus importants pour enrayer le chômage en masse, rendu chronique par le nouveau système, et ce de façon que toute augmentation de la production corresponde à une diminution de la journée de travail. Le Congrès est d’avis que ce but ne peut être atteint que si les organisations économiques des ouvriers se décident à reconnaître à chaque travailleur le droit à la vie ; conséquemment l’exercice, d’une activité productive, et ce, de façon que, dans chaque arrêt de I’économie au sein du système actuel, il ne reste pas une partie des travailleurs dans les usines, alors que l’autre est jetée à la rue, comme ce fut le cas jusqu’à présent, mais que, par une diminution du temps de travail appropriée, tous les ouvriers continuent d’être employés. Avec une telle méthode, l’organisation recevrait pour les travailleurs une toute autre importance en tant que classe, et leurs sentiments de solidarité seraient renforcés d’une façon tout à fait insoupçonnée Le Congrès appelle tous les membres de l’A.I.T. à mener la propagande de ces idées parmi les masses et de contribuer ainsi à la réalisation prochaine du socialisme libertaire, et de mettre la lutte pour la journée de six heures en tête de ses actions immédiates.
Résolution sur les six heures
Le Congrès constatant que les crises du chômage revêtent de plus en plus un caractère aigu et chronique, que le prolétariat est victime de ces crises dans tous les pays du Monde ; Déclare que les causes de chômage réside 1) Dans le développement du machinisme 2) Dans l’accroissement continuel du nombre des travailleurs, accroissement constitué par l’emploi de plus en plus grand de la main d’œuvre féminine et par la venue au travail industriel d’éléments qui, jusqu’alors, étaient employés aux travaux de la terre ; 3) Dans l’introduction de nouvelles méthodes de production dans l’industrie , méthodes qui ont pour effet d’augmenter considérablement la vitesse de production ; 4) Dans les bas salaires qui ne permettent pas aux salariés d’avoir un pouvoir d’achat suffisant à absorber la production. Le Congrès constate que le perfectionnement et le développement du machinisme, qui auraient dû apporter un soulagement à la peine des travailleurs, n’ont, jusqu’à présent, servi que les intérêts des capitalistes ; tout en s’affirmant partisans convaincus du progrès sous toutes ses formes, le Congrès déclare qu’en aucun cas, il ne peut avoir pour rançon un renforcement de l’exploitation humaine. En ce qui concerne les nouvelles méthodes de production, connues sous le nom de rationalisation, le Congrès , après avoir sérieusement étudié la question, dénonce cette forme de travail comme portant atteinte à la dignité humaine et comme étant un facteur considérable de chômage. Le Congrès dénonce par-dessus tout la volonté du capitalisme de créer, dans tous les pays, une armée de chômeurs, constituant un réservoir de main d’œuvre qu’il opposera aux travailleurs lorsque ceux-ci voudront entreprendre une lutte revendicative quelconque. Le chômage aurait ainsi pour effet de diviser la classe ouvrière, de diminuer d’autant sa combativité, de l’amener à délaisser les organisations révolutionnaires et de l’orienter de plus en plus vers les politiciens. L’association internationale des Travailleurs, poursuivant un but diamétralement opposé, désire avant tout que chaque bras soit employé et que les travailleurs aient constamment plus de bien-être et de liberté et qu’ils prennent de en plus conscience de la nécessité de la lutte pour leur émancipation totale. Le congrès préconise de façon pressante, et pour porter remède à la douloureuse situation du prolétariat mondial, la diminution des heures de travail, concrétisée par l’application de la journée de six heures. En conséquence, Les organisations centrales nationales, réunies en Congrès international s’engagent à mener dans leurs pays respectifs une lutte intense en faveur de la journée de six heures et pour la suppression du travail aux pièces, à la tâche ou à la prime. Cette lutte devra être entreprise sans délai, la revendication des six heures devant passer au premier plan des revendications immédiates de toutes les Centrales adhérentes. Elle devra absorber une grosse partie de l’activité des organisations syndicales à tous les échelons.
Chaque organisation devra étudier sérieusement le problème, de façon à ce que les méthodes de propagande et d’action soient déterminées localement, nationalement et internationalement. Le Congrès préconise l’entreprise d’une quinzaine de propagande mondiale en faveur de la journée de six heures, quinzaine pendant laquelle les organisations devront consacrer la totalité de leur activité à faire connaître cette revendication et à la faire adopter par le prolétariat mondial.
Pour que tous les efforts soient bien coordonnés et portent le maximum de fruits, les organisations nationales devront adresser un rapport sur la situation de leurs pays et leurs possibilités de propagande au Secrétariat de l’A.I.T. et, lorsque celui-ci sera en possession de toute la documentation nécessaire, il indiquera la date où la quinzaine de propagande pourra être entreprise.
En préconisant la journée de six heures et en affirmant que le triomphe de cette revendication apportera plus de mieux-être aux travailleurs et placera le prolétariat mondial dans une situation plus favorable vis-à-vis du capitalisme international, le Congrès reste dans la tradition syndicaliste révolutionnaire. Il dénonce par avance à l’opinion des travailleurs du monde, les individualités ou groupements qui, sous quelque prétexte que ce soit, consciemment ou inconsciemment, s’opposeraient en principe au triomphe de la revendication des six heures, car leur opposition ne pourrait que servir le capitalisme et être néfaste au prolétariat.
Le Congrès fait un appel pressant à tous les travailleurs du monde pour qu’ils apportent leurs efforts et leur collaboration active a la lutte qu’entreprend l’Association Internationale des Travailleurs, seule Internationale syndicale poursuivant librement son action d’émancipation totale ; l’instauration de la journée de six heures estunequestiondevieoudemortpourleprolétariat.Groupé dans les organisations adhérentes à l’A.I.T., il prouvera au capitalisme sa volonté de vivre dignement et son désir ardent de liberté.
Vivent les six heures ! Vive l’A.I.T. !