dimanche 30 juillet 2023

Frédéric Lordon


 

Sur le peu de Révolution de Michel Surya/ Bernard Noël

 Michel Surya: 29/01/12

"Il faut se faire aussi à cette idée: qu'il n'y a pas "en soi" de bonnes révolutions. Qu'il peut y avoir des révolutions à exposant négatif. On appelait ça avant des contre-révolutions. mais le mot ne fonctionne peut-être pas pour ce qui arrive en ce moment dans ces pays (alors qu'il fonctionnerait encore sans doute en Europe)."


Bernard Noël: 08/01/15

"C'est vrai, et profondément, que le politique n'est pas notre lien même s'il y est vivement inclus. Ce que j'ai essayé de te dire hier est la substance de ce lien, mais comment exprimer un arrière-pays fait de tes livres supportant ta présence? Je ne sais pas traduire cela, son volume intérieur, son émanation dans ma vie.

je longe depuis des mois une sorte d'abîme (attention aux grands mots!) ou tout simplement la mort, sans morbidité. Tout cela a été mis à l'écart durant l'écriture du Monologue du nous, puis l'insensé est revenu. L'impression d'assister à une fin qui n'est pas personnelle et de faire partie d'une société criminelle, où nos aspirations politiques ne sont qu'illusions car c'est toujours l'adversaire "bourgeois" qui l'a emporté, à la fin, même quand il cédait des "acquis sociaux". Cela vient d'être intensifié par la lecture des "Veines ouvertes de l'Amérique latine", un livre que je voulais lire depuis trente ans au moins, et qui montre froidement que l'Occident a transformé l'Amérique latine d'abord en terre d'extermination, puis y a déporté en esclavage des millions d'Africains, puis grâce au pillage économique maintenu les peuples dans la misère: accablant!

Cela m'a confirmé dans le désespoir politique...Que faire pour positiver le désespoir, en faire l'arme efficace que, jamais, n'a été l'espoir? C'est sans doute le sujet profond de mon "Monologue", et ça finit mal!

pardon, je te livre maladroitement ce qui m'occupe. Bien sûr que j'aimerais m'engager dans ce "livre de dialogue" qui me remettrait dans le Sens..."


Michel Surya: 22/11/16

"Ce monde ne peut qu'aller plus mal.

Je m'efforce, sans toutefois toujours y réussir, d'être pour une part dans "cette" époque, de "ce" monde (comment l'éviter?) et, pour une autre, non. De n'y être pas réductible.

Continuer de le penser, et à plusieurs, bizarrement demande que je n'y pense pas aussi - parfois, jamais assez souvent. Je pense alors à l'homme du "sous-sol" de Dostoieski, cherchant à m'en inspirer. Nous sommes encore trop pieux, n'est-ce pas?"


Michel Surya: 29/11/16

"Il y a trop de "bien" implicite possible dans la piété.

Nous ne croyons plus en Dieu, mais nous ne cessons jamais assez de croire au bien.

Le bien est tout ce qu'il nous reste de Dieu. Nous n'avons plus de religion, mais encore beaucoup trop de morale.

C'est ce qui nous étouffe ( ou ce dont on s'étouffe nous-mêmes).

C'est surtout ce qui nous empêche de voir venir, comprendre, etc.

Impuissance de la pensée, toujours attachée à faire advenir le bien qu'aurait été une vraie gauche, quand c'est à empêcher que le mal vienne qu'il fallait s'attacher.

Pourtant, Dieu sait ( si j'ose dire) si on a accusé "Lignes" de faire au mal une place désespérante. Pas assez, à l'évidence.

Tu vois, je ne voyais pas, moi, hélas, de paix tapie dans ce mot "piété"."


Bernard Noël:  12/07/18

"Ta préface est admirable (autant le dire puisque je le pense), je n'ai sérieusement lu que la première partie pour l'instant et suis sidéré par tout ce que tu explicites de ce qui, pour moi, était demeuré au bord, demeuré impensé...Se demander: qu'écrit un écrivain qui n'écrit pas des livres ouvre une brèche libératrice dans ce qui me borde, tout comme cette contestation de l'autorité, donc du pouvoir, et cette volonté d'anonymisation..."


Bernard Noël: 19/03/19

3Le mouvement des Gilets Jaunes est pour moi important parce qu'il ne veut pas de chefs ce qui était enfin une réponse à la question que je me pose depuis la Commune: comment un contre-pouvoir peut-il prendre le pouvoir et demeurer un contre-pouvoir? Question qui tourne à l'absurde, sauf que cette volonté de n'avoir pas de chef m'a fait comprendre que le politique recherche toujours le pouvoir et n'utilise le social que comme pansement, alors que le social ne veut que solidarité et partage...Ce qu'avait esquissé la Minorité du conseil de la Commune."

samedi 29 juillet 2023

Sur le peu de Révolution de MIchel Surya/Bernard Noël Partie 2

 Bernard Noël:  25/10/12

"Toujours, toujours saisi par : "Que reste-t-il de ce qu'on a cru quand on ne croit plus? Ou que reste-t-il de ce qu'on n'a pas cru quand on croit?" Saisi pour la raison que ces deux questions ne s'équilibrent pas plus qu'elles ne se renvoient. Entre les deux, un espace baille, un peu, une attente. il me semble que ces "cru" et "croit" demeurent relatifs à une foi, et religieuse. Qu'en est-il du politique ou de la simple relation? l'alternative alors n'est pas si claire ni tranchée. dans ces questions, le cru et le croit représentent un absolu. les engagements humains sont nuancés, ne relèvent pas du tout ou du rien, n'en relèvent pas seulement. bref, si je cherche une issue qui ne soit pas entre deux (conscient que ce serait péjoratif) mais en deça. dans la formule de Chestov :"La transformation des convctions", il y a indiqué un mouvement et non un arrêt. Je vois un Janus tournant et refuse cette image. Sauf que la tête assure l'unité des deux visages. Et là peut-être est la question car c'est le même qui croit et ne croit plus. Non, cela m'embrouille. Il y a dans chaque foi, dans chaque croyance, un autre, et il ouvre un passage vers un avatar positif de la croyance devenue négative. Tout change et cependant tout continue...Suis-je tout bêtement en train de me heurter à mon incapacité de concevoir ce que je désire projeter? Tu parles justement de "salut" pour l'un (celui qui croit) et de "délivrance" (pour celui qui ne croit plus). J'ai toujours cherché à me délivrer du salut et suis sans doute toujours égaré sur le chemin sans chemin -pardonne ma confusion."


Michel Surya: 31/10/12

"Tu as raison, c'est le même qui a cru et qui croit; la séparation n'est donc pas étanche; de là le caractère de Janus que tu es tenté de conférer à cette figure; et qui ne te satisfait pas; je le comprends, moi non plus. Il entre là-dedans beaucoup trop d'absolu encore: dans le cru, dans le croire, et encore: dans le passage de l'un à l'autre. Et c'est mon problème sans doute autant sinon plus que celui de Chestov lui-même (pour quoi je te disais une fois que je "romançais" sa figure, comme celle de Bataille peut-être, aussi bien. La politique, même absolu pour moi "aprè", que Dieu "avant"; mais avant et après ne sont pas si distincts qu'ils ne se confondent pas souvent. Même chose de l'art, de l'amour, ou de la révolution. Pourquoi je parle de la politique en des termes péjoratifs? Parce que la révolution seule de l'absolu de la politique, ou la politique en tant qu'absolu. Illusoire, cela va de soi, et parce qu'illusoire et parce qu'absolue (nécessairement) sanglante. "Chemin sans chemin" dis-tu pour finir en une formule pour une fois blanchotienne. Oui, et le seul possible cependant, quand bien même il n'exalte pas, jamais, qu'il est le patient apprentissage d'un accommodement avec le réel, avec sa désillusion. j'ai beau écrire en ce sens, je n'en montre pas moins dans tout ce que j'écris de la nostalgie pour le contraire. Déchirement."


Sur le peu de révolution de Michel Surya/Bernard Noël Partie 1

 Bernard Noël : 17/11/04

« Lu ce soir tes pages 105 à 135, qui ont trait à l’engagement. La position radicale de Bataille, je l’adopterais volontiers parce qu’elle met fin au débat. Mais c’est accepter une espèce de consubstantialité entre « inutilité » et « littérature » (n’est-ce-pas très exactement ce que j’ai éprouvé tout à l’heure, devant mon « Retour de Sade » réalisé, c’est-à-dire devenu un livre de plus ?). La « littérature » n’est pas l’écriture même si toute écriture est condamnée à devenir littérature. L’inutilité de l’écriture est comparable à l’inutilité du plaisir ou à celle de la douleur : elle en tire une qualité sans fin. Au contraire, l’inutilité de la littérature est finie. J’admire sans réserve la précision de ton analyse et la manière dont tu l’appuies sur la connaissance de la diversité des positions. Ce faisant, tu ne laisses place à aucune échappée : tout est là, exactement dit, parfaitement pensé, parfaitement dévisagé. J’en éprouve un désespoir car – oui !- il n’y a rien d’autre. L’engagement est en général un sacrifice à la morale. Personne n’ose être amoral ou immoral, sauf Bataille. Mais son choix est-il une réponse ? Quand Breton parle d’opposer « un NON irréductible à toutes les formules disciplinaires », je sais qu’il discourt, qu’il écrit de la fumée verbale. J’aimerais qu’il ajoute que c’est l’inutilité de ce NON qui fonde sa nécessité. Comme j’aimerais que Bataille dise que l’inutilité est la seule expression raisonnable (non illusoire) de la résistance…Mais, bien sûr, je ne fais que désigner l’impasse au fond de laquelle j’étouffe ».

 

Bernard Noël : 25/11/04

« Cette fois, j’ai lu trop de pages en peu de temps si bien que tout se précipite, se bouscule. Il y a eu d’abord – mais cela, je te l’ai dit déjà – tout ce qui concerne communisme et littérature. Et mon impression que cela avait été recouvert par l’histoire, ne nous concernait plus, à la différence de «l’engagement » dont le problème reste vif. Ton travail là-dessus est toujours aussi documenté, aussi complet que possible ; il est final. Ensuite, j’ai fait grâce à toi une découverte : Manuel de Diéguez, je connaissais son nom, rien de plus, pour avoir reculé devant je ne sais quel gros bouquin dont l’épaisseur justement m’intriguait. Surprise aussi de la position de Claude Roy (214), proche de celle de Bataille à propos d’Auschwitz un modèle industriel idéalement réussi – un modèle de rationalisation de la production. Mais viennent Kafka et tout ce qu’il annonce et que tu développes avec cette clarté inexorable qui distingue ton livre. « Un mythe contre lequel nul ne saurait en appeler auprès d’aucune justice que lui-même reconnaitrait est une terreur. » Je deviens ici (les procès de Moscou, de Budapest, de Prague) un lecteur terrifié au souvenir que l’aveu crée la faute, si bien que le rétrospectif se change en avenir- le court avenir qui sépare l’aveu de l’exécution. Tu as une formule à la hauteur de cette horreur : « une fidélité dérélictive »…je ne sais quelle courbe abominable, après nous avoir éloignés de la possibilité de ce monde-là, nous ramène vers lui. C’est le à-survenir menaçant derrière la nouvelle trahison des clercs de nos deux générations. J’émerge de la lecture complétement désespéré parce que, ici comme partout, ton analyse est si totale qu’il n’y a de place pour aucune issue. Pas d’échappatoire. L’analyse se confond avec le destin. »

 

Bernard Noël :  31/12/06

« Repris ton « jamais » qui démontre bien la fausseté du « suffrage » et de « l’universel » - fausseté accentuée par le façonnage médiatique de l’opinion. Que faire ? On offre au peuple de servir la messe démocratique tous les cinq ans. Une messe minable. Je crois beaucoup aux gestes symboliques parce qu’ils disent très exactement ce qu’ils disent en accordant l’acte et la parole –et en les vérifiant l’un par l’autre. Ils sont très rares. En dehors d’eux, la société devenue laïque n’a pas su inventer l’équivalent de la cérémonie religieuse. La communion, le corps mystique, la grâce, etc., avaient l’avantage de nourrir la vie intérieure, la pensée, l’art. C’étaient des illusions, mais heureusement partagées. De « glorieux mensonges » sans doute comme tout ce que fabrique notre intelligence face à la mort, mais « glorieux » et non pas minables comme tout ce qu’est censé nous assurer la consommation. Je suppose que j’attendais de la Révolution qu’elle change glorieusement la vie…Au moins n’était-elle pas vendable. »


Bernard Noël: 17/04/07

"La révolution ne survit elle que dans le mot "révolution"? Ou ce mot est-il la graine que la réaction n'arrive pas à écraser de telle sorte qu'il en sortira un mouvement? ces questions sont peut-être idiotes quand il faudrait rendre inconciliables les termes de "révolution" et de "prise de pouvoir". A-t-on jamais pensé l'une sans l'autre? J'en doute."


Michel Surya: 24/04/07

"Ne dis pas des choses qui cherchent à m'attrister: d'ailleurs, on n'est plus élu que pour coinq ans. Nous faut-il trouver des qualités à Royal, parce qu'il nous faudrait préférer tout ou n'importe qui à l'autre (Sarkozy)? C'est bien ce que ce jeu a de plus profondèment pervers et répugnant. As-tu remarqué que la Bourse et la cotation des valeurs n'ont pas cillé, même positivement, à l'annonce des résultats? Preuve, s'il en était besoin, qu'il n'y a plus de politique, sinon celle des capitaux, bien supérieure à tout autre."


Bernard Noël:  26/05/08

"Cependant, j'ai ce sentiment: que je me retire un peu plus chaque jour. Oui, je suis bien ici; mais il faut entendre cela aussi: je me trouve bien de n'être plus qu'aussi peu à paris. cette considération pourrait avoir aussi ce sens encore qu'on ne lui prêterait pas d'emblée: un sens politique. Il me semble qu'il n'y a plus que ce retrait pour dire l'irrésistible raillerie que suscite chez moi tout ce que j'entends qui prétend au nom de "politique"; raillerie, les meilleurs jours; dégoût des autres. Tu parlais, il n'y a pas longtemps, de cette possibilité qui nous restait, et qui voulait qu'on recoure à la violence; je le pense aussi; à ceci près que, le plus souvent, je pense que cette violence, que tout appelle, à laquelle je ne comprends pas que personne ne réponde, cette violence elle aussi semble fausse, ou n'être vraie que d'une façon subjective (faite pour soulager nos affects les plus virulents). parce qu'au fond nous ne croirions plus à son efficacité."



vendredi 28 juillet 2023

Sur le peu de révolution…de Michel Surya

 


 

Comment un roman, semble-t-il sans le chercher, dit-il tout ? De l’état de son auteur, bien sûr, Du nôtre aussi ? De celui que son auteur et nous partageons ? De l’état du temps que nous avons en commun ?

« Le syndrome de Gramsci » de Bernard Noël est en cela un livre « politique ». Beaucoup plus que beaucoup qui voudraient l’être. Qui le chercheraient. Il est politique en ce sens, qui en effet ne se donne pas d’emblée, que le mal dont son narrateur se découvre atteint est celui dont l’époque est atteinte avec lui. On sait au juste assez peu quel mal, si même c’est un mal – peut-être existe-t-il des syndromes de maux qui n’existent pas encore ou qui n’existent plus. Si ce mal est celui de la mémoire qui manque et troue la langue ou s’il est de la langue elle-même qui est sans plus pouvoir accéder à sa mémoire. S’il est de la mémoire qui s’est fermée aux mots dont use la langue ou des mots qui dérobent la langue à sa mémoire ? Parler d’amnésie ne suffit donc sans doute pas. C’est d’un oubli plus profond qu’il est question qui ne suffit pas à désigner l’amnésie. Un oubli qu’il n’est pour le moment possible de désigner que par ses manifestations pour que n’en soient atténuées ni la gravité ni l’ampleur (un oubli aussi profond ne peut qu’être contagieux).

Qu’il suffise de dire que certains mots – mais il est de la plus grande importance que ces mots soient, à ceux auxquels ils se mettent soudain à se dérober, les plus chers, ou les plus chargés – par ce temps, c’est lui qui les évince d’une postérité possible) qu’il n’existe plus pour eux d’espace à occuper, même au sein des langues qui s’étaient jusqu’alors le plus fermement maintenues dans leur souvenir ( n’est-ce pas ce contre quoi Hegel mettait en garde quand il disait que « maintenir fermement ce qui est mort » demande « la plus grande force » ?).

Le mot qui, dans la douceur d’une soirée toscane, se dérobe à la mémoire du narrateur de ce roman, le mot à l’oubli duquel celui-ci doit de se savoir atteint de ce mal, est un nom. L’oubli commence par un nom. Non pas n’importe quel nom, mais le plus représentatif de tout ce que le narrateur pensait à ce moment-là et que ce nom aurait éloquemment désigné à son interlocuteur. Il faudrait donc en convenir : si ce nom est venu à lui manquer, c’est que cette désignation est devenue impossible. Comme si, avec la possibilité de désigner, disparaissait aussi la désignation. Comme si d’une chose disparue, la désignation l’était aussi.

Gramsci est ce nom. Et ce qu’il désigne (la révolution rêvée, le communisme perdu, l’engagement des intellectuels, l’antifascisme, l’Italie…) est en effet devenu sans objet. Ce nom est sans pouvoir survivre à la disparition de ce qu’il désignait. Il est sans pouvoir rien désigner qui n’ait pas disparu. En même temps, il n’y a sans doute pas moyen de faire disparaitre une figure sans que celle-ci resurgisse masquée pour hanter l’espace dont on a tenté de l’évincer. Ce livre –magnifique- témoigne que l’art reste « l’intime » moyen d’atteindre l’Histoire. Au sens où Bataille dit, énigmatiquement, qu’intime est la question du communisme : « ailleurs et autrement intime ».

Rivière glacée

A propos de… « Sur le peu de Révolution » de Michel Surya et Bernard Noël

 

 

Oui, si peu de révolution et un monde qui s’enlise dans les contradictions volontaires, les à peu-près entretenus, les pensées que l’on impose à des gens qui ne « pensent » plus. Qui n’ont jamais pensé ? Quel sens donnons-nous à ce verbe ? Quel sens veulent-ils que les « citoyens » donnent à ce verbe-là ?

 

La révolution est l’après rupture. Il n’est pas le point de rupture. Celui-ci est la fin de la politique, dans le sens gestion de la cité, et du remplacement par la gestion financière de la cité, c’est-à-dire, que l’on place la finance au-dessus de l’humain.

Comme le dit Michel Surya dans sa « Notice éditoriale » :

« Ancienne, abondante, la correspondance entre les deux auteurs de ce livre porte sur beaucoup de sujets. Sur la littérature le plus souvent. Mais sur la politique aussi, ou, on le verra, plutôt que sur la « politique », sur la « révolution », la première étant d’un bout à l’autre mesurée par eux à l’aune de l’espérance et de l’attente de la seconde.

Aussi bien, est-ce la partie que ceux-ci ont choisie d’isoler, prélever et reproduire ici, sans égard pour tout ce que chacune de leurs lettres pouvait contenir d’autre, recomposant quelque chose comme un échange, un dialogue, un entretien politique-révolutionnaire au long des années.

Le titre de ce livre : « sur le peu de révolution » s’est imposé aux auteurs au fil de leur échange. C’est une fois celui-ci terminé qu’il leur est apparu être aussi, en partie, le titre d’un texte d’Alain Jouffroy : « Discours sur le peu de révolution », inconsciemment inspiré par lui, peut-être. Ils ont toutefois désiré le conserver, en forme d’hommage. ».

 

Ce livre fait suite, ou du moins écho, à celui que je vous recommande depuis peu de temps et qui s’appelle « De l’argent. La ruine de la politique ». D’ailleurs, ce qui suit en est un commentaire fort à propos.

 

Bernard Noël : « La première fois que j’avais lu : « La victoire la plus grande de la politique : contraindre au bonheur des foules », j’étais un peu sceptique, mais ces derniers jours les informations vantaient ce bonheur social des français. Et Fabius vient d’y ajouter en reprenant le rite de la Confirmation. Tu me donnes envie de relire « Le bonheur dans l’esclavage » (question d’actualité : une foule qui cesse de se soumettre devient-elle républicaine ?) je lis et relis : « consommation…destin commun=fin de la valeur politique de l’égalité ». C’est d’une évidence qui m’accable : ‘il n’y a personne qui ne se soit librement humilié… » Et qui ne rêve d’être bourgeois avec les bourgeois….mais sans lutte ! Je lis et relis les pages 16 à 20 avec le bizarre sentiment qu’il ne faut pas qu’un mot m’en échappe pour qu’elles soient en moi une sorte d’arme interne : un révélateur automatique de la « domination » dont tu affines et durcis la définition pour en arriver à cette position terrible : efficacité contre sacralisation. C’est un renversement radical, toute l’histoire ayant recherché le pouvoir absolu dans le mouvement inverse. Et quand tu accentues encore la dose de désespoir en disant que le système bourgeois, en éradiquant le rêve, détruit toute alternative possible, j’entrevois une fonction du sacré : il ouvrirait une béance dans le dos du pouvoir, une perte, un détour…tout en l’illusionnant sur sa qualité.

« […]pas de politique dont l’argent n’ait eu raison… » et « Il n’y a même pas de meilleur monde possible ». Tu passes vite sur la trahison des « soumis », pas même « convertis », mais la chose est assez claire, comme il est bien clair que la « domination » repose sur la disparition de la politique. Ton analyse sur le rôle du FN comme paravent de cette disparition est d’une perspicacité géniale, j’allais dire : hélas ! car tu nous révèles en même temps l’irrémédiable. On ne retrousse pas le temps : son épaisseur s’éclaire en vain ». Les pages suivantes sont extraordinaires qui montrent à l’évidence qu’obtenir, au-delà de la soumission, l’adhésion permet au vainqueur de s’assurer une exclusivité morale sans appel. Dès lors, il peut tout, y compris guérir le désespoir par la disparition de l’espérance. Dans un monde libéré de sa transcendance, tout est là, ouverture offert à la vie de tous, disponible, immédiat – et que le meilleur gagne à égalité avec tous puisque le voilà promu entraineur social.

Egalité, liberté, légalité, c’est la trinité de la transparence –transparence qui fonde le monde le plus moral et par conséquent le plus égal. Et par conséquent le plus équitable. Je rêve là-dessus ou plutôt j’essaie d’imaginer comment la « transparence », dont tu as inventé le concept, crée un monde où la fiction remplace la réalité en produisant une substance transparente, qui devient le liant social et permet que chacun s’aperçoive soi-même constamment au mieux de ses intérêts. Dans ce monde, où toute contrainte a disparu, la « substance » est infiniment plus efficace que tous les Big Brother parce qu’elle opère insensiblement. C’est l’équivalent de la « grâce » et du corps mystique, sauf que le spirituel a été avantageseument remplacé par un corps chimique…

Un « capitalisme propre », « des limites à l’exploitation » et une collaboration « librement consentie » à la prospérité…Le mot « collaboration » fut infamant lorsqu’il désignait un groupe, il suffit de généraliser ce qu’il désigne. Autre effet de la « transparence ». Et « divine surprise » pour elle-même quand elle constate à quel point elle a pu métamorphoser les adversaires du « capital ». Tu analyses parfaitement le retournement par lequel les raisons de combattre deviennent les raisons de vanter, de soutenir. De transparaitre ! Rien de plus désirable que ce qui fut matière à soupçon depuis que cette matière a cessé d’être opaque. Pouvoir=pureté ! Plus on a de pouvoir, plus on est innocent.

Ta démonstration est si raisonnable qu’elle en parait « théorique » : je veux dire que la manière de lui résister, c’est de la juger trop belle pour être vraie. J’imagine cette défense chez ceux que tu dénonces. La défense du capital, y compris contre les forces conservatrices, par les « forces progressistes ». Mais voilà désormais le spectacle quotidien, et il est incroyable ! par l’effet, encore, de la transparence. Le heut de la page 60, qui dit la prise de pouvoir universelle de l’Organisation mondiale du Commerce, cadre bien la situation nouvelle. La transparence, certes, et le pouvoir en douceur, mais en gardant possible l’intervention cynique de la force, de la violence.

1989 : il n’y a pas de révolution dont on ne veuille revenir ! C’est le principe fondamental de la contre-révolution. Désormais, l’argent, et lui seul, décide des formes du pouvoir – un pouvoir donc formel, comme est formelle la morale et formelle la « fatalité de l’égalité » et la « justice » de l’argent. La transparence rend tout formel : tout fictif…Tu ne cesses de rendre plus précis le mécanisme de cet envahissement, qui devient le transformateur général de la société, de la mentalité et – pourquoi pas- qui imprègne même les corps.

Le blanchiment : cette page 74 où tu dénonces l’alchimie qu’est en soi la transparence apporte, si j’ose dire, le comble de ta démonstration. Il faut que l’argent se montre, écris-tu, pour que sa visibilité le purifie. Et le visible va servir de cache, puisque le visible intensifie le fictif. Ici, à propos d’argent propre et d’argent sale, je me dis que les mafias de la drogue servent de paravent au même titre que le FN. Aujourd’hui même, la nouvelle du jour était la saisie par la police espagnole – mais on ne s’extasiait que l’action du juge X- de je ne sais combien de centaines de kilos de cocaïne. Il serait facile d’annuler le trafic en légalisant la distribution des drogues dures, mais quelle perte pour la « justice » et la publicité de la pureté de l’argent…

C’est désormais la « grande exploitation » qui est blanchie. L’histoire est devenue un trompe-l’œil. Et le capital, le mouvement vers un monde égalitaire. L’incroyable est devenu parfaitement consommable. Il l’est chaque jour un peu plus : « ensorcellement idéologique » ! Echange de l’espérance contre la rente.

« Domination » : tu charges ce mot d’un sens toujours plus fort, plus précis, tout en lui reconnaissant un arrière-pays obscur (page 90). Mais, grâce à toi, le mot travaille à réduire cette obscurité parce qu’il la considère au lieu de faire comme si elle était résolue.

Et la considérant, il l’attaque. Au fond, ta « domination » englobe pouvoir et contre-pouvoir dans une alliance contre-nature, identique à celle du bourreau et de la victime quand cette dernière s’offre au couteau (tu y as d’ailleurs fait allusion au début). La « domination », dis-tu, ne pèse à personne dès lors que tous la désirent. Ma « sensure » est au fond l’un des moyens qui assure sa pénétration. Car elle est pénétrante mais au gré d’une contamination imperceptible.

Le capitalisme peut tirer profit du ressentiment, tirer profit de la honte : il est « totalitaire » et lui seul pour la raison qu’il peut même tirer profit de ce mot et le rendre honorable. Car son totalitarisme est finalement plus innocent que tout ce qui peut lui être comparé.

Il y a une transsubstantiation à l’œuvre dans tous les domaines : elle aboutit à garder le « sens » tout en ayant changé le sens du sens, si je puis dire. Il manque peut-être à ton livre d’analyser ce qu’il en est du langage dans cette opération, mais tu analyses si bien l’opération que le lecteur a tout en tête pour y réfléchir. »

jeudi 27 juillet 2023

A propos de Stefan Zweig

 

Les fleurs de Krysald

 

La différence n'est que très rarement un choix. Il faut donc vivre avec. 

Souvent c'est l'intolérance des autres qui la révèle à ceux qui éclairent le monde autrement, et en fait toujours, toujours, une souffrance, un mal de vivre, une torture, une douleur, une honte d'être soi, une envie d'en mourir pour ceux qui se découvrent différents dans le regard des autres. 

Car il ne s'agit bien que de cela. 

Dans la réalité, rien d'étrange. Bras, Jambes yeux, bouche et cerveau là aussi plus ou moins rempli, etc. . 

Tout est en place pour un être humain. Il ne s'agirait donc que d'éducation à concevoir le pluriel de la nature dans cet unique monde. Une nature parfois compliquée à laisser en paix les êtres mais n'est-ce pas non plus à cause de l'accueil de ce monde à l'entendre ? 

Il s'agirait donc juste d'apprendre à respecter l'autre. Combattre la méchanceté avec courage est ce qui devrait donc être intolérable, rien d'autre. Permettre à chacun d'être soi et heureux est la seule chose à vouloir dans un monde dit civilisé.... 

Moi j'aime la différence. Elle m'a toujours enchanté dans ses rencontres. Elle colore nos vies et rend le monde chaleureux et presque magique pour ceux qui cultivent l'imaginaire dans leurs vies. Elle ne gage de rien d'autre que d'elle-même.. 

La bêtise étant bien sur partout. Son seul mérite est le même que celui de tous ici-bas, celui d'exister et de faire de ce monde un pluriel enrichissant avec les autres car rien n'est pire que l'ennui de l'uniformisation. J'aime ce qui contraste pour valoriser tous les beaux du monde. Alors je soutiens cette pluralité, au-delà du moindre communautarisme qui tendrait à exclure finalement dans ma crainte la plus profonde, même si je comprends l'envie de se comprendre, de panser ses plaies, vites, avec ceux qui savent mais je suis aussi certaine que c'est au milieu des autres, avec tous que la différence disparaît. Et pour cela il faut s'ouvrir plus encore. Une marche ensemble peut prouver qu'on est bien ensemble. Qu'on est là si ça vacille comme pour chacun, sans différence, sans exclusion, sans discrimination. Que l'on fait ce monde ensemble. Car si le respect est de tous côtés, que craindre sinon la joie de vivre?

 

C.A.

mercredi 26 juillet 2023

Les fleurs de Krysald

 

Aujourd'hui je suis heureuse Aujourd'hui j'ai rencontré un être humain.

J'avais besoin de soutiens et j'ai pensé à ce lieu pour guérir nos fêlures, pour inspirer nos âmes blessées...

Aujourd'hui je suis heureuse Aujourd'hui j'ai rencontré un être humain.

Il m'a donné de son temps

Il n'en n'avait guère plus que moi...

Il a écouté mon cœur

J'ai découvert le sien

Aujourd'hui je suis heureuse Aujourd'hui j'ai rencontré un être humain.

Après nous avoir installé confortablement

il m'a dit je t'écoute

Je lui ai raconté notre drame, je lui ai montré les flammes, décrit nos ames envolées,

la pluie de nos cendres, l'envie de résilience par l'Art

Aujourd'hui je suis heureuse Aujourd'hui j'ai rencontré un être humain.

Il a compris notre douleur,

Ma volonté de sortir de cette violence

De ne surtout pas lui laisser le dernier mot sur nous.

Il m'a souri...

Aujourd'hui je suis heureuse Aujourd'hui j'ai rencontré un être humain.

Sur son petit cahier, il a tout écrit.

Il m'a sagement questionné.

Puis il m'a regardé dans les yeux avec une immense gentillesse.

Une que je ne connais pas.

Aujourd'hui je suis heureuse Aujourd'hui j'ai rencontré un être humain.

Et pour la première fois depuis les flammes,

J’ai entendu ces mots, délicatement soufflés

Dans un timide sourire avec un geste apaisant :

"Je n'aime pas voir le malheur des autres"...

"Je vois ça on en reparle très bientôt."

Aujourd'hui je suis heureuse Aujourd'hui j'ai rencontré un être humain.

Rien n'est plus apaisant que ces mots simples venus naturellement face à la tempête que nous traversons.

Aujourd'hui je suis heureuse

Aujourd'hui j'ai rencontré un être humain.

Si vous saviez combien de redevenir humain dans les yeux de l'autre

Ça fait du bien...

Et peut-être qu'un matin il m'écrira :"viens!"

 

C.A 19/07/23

Les fleurs de Krysald

 

"Tenez bon âmes artistes

Tenez bon

Tout ceci n'est

Que de la lumière à venir

Qui éclaire nos pas

Tout ceci n'est

Qu’un avenir de lumières

Qui dévoilent les ombrageux

Tenez bon

Mes faiseurs de ciels

Mes dévoileurs d’âmes

Mes souffleurs de vagues

Mes ailes déchirées

Mes horizons calmes

Mes brûmes montagneuses

Mes tourbillons de feu

Mes orages majestueux

Mes nymphes en apnée

Mes jongleuses nanas

Mes élégants samouraïs

Mes onnas bugeishas

Mes dompteurs de Panda

Tenez bon

Nous avons près de nous

De belles âmes colorées

Des cœurs du sensible

Des façonneurs du simple

Des soleils enracinés

Nous avons au-delà

Une armée de lumières

Des veilleurs qui nous aiment

Des gardiens qui nous guident

Tenez bon mes amis

Tenez bon

Notre douleur commune

Va bientôt se poser

Sous un toit, sur les toiles

Enveloppée de lumière,

Imprégnée de couleurs

Panser nos déchirures

Mettant fin à l'errance et ensemble

Soigner nos blessures.

Tenez Bon mes amis

Tenez bon"

 

 

C.A

23/07/23