vendredi 27 juillet 2018

Vladimir Soloviev La justification du Bien


extrait sur le Bouddhisme

« La signification universelle du bouddhisme dans l'histoire mondiale consiste en ce fait qu'en lui. pour la première fois la personnalité humaine a commencé à être appréciée, non pas au titre de membre d'une tribu, d'une caste ou de l'Etat mais comme portant en soi une conscience supérieure, comme un être capable de se réveiller des illusions du rêve de l'existence de chaque jour et de s'affranchir des chaînes de la causalité. Ceci est vrai de l'homme appartenant à n'importe quelle caste ou nationalité et, en ce sens. la religion bouddhiste marque une nouvelle étape dans l'histoire du monde; après le particularisme du clan, de la nation ou Etat, l'universalisme. Cependant, il est clair que cet universalisme bouddhiste n'a qu'un caractère abstrait et il proclame le principe de l'indifférence, rejette l'importance des distinctions de castes et de nations, rassemble dans une nouvelle communauté religieuse des gens de toute couleur et de toutes classes et puis, il laisse tout comme auparavant La tache de rassembler toutes les parties de l'humanité en un seul ensemble et d'en former un royaume nouveau et plus élevé n'est même pas envisagée; le bouddhisme ne va pas au-delà d'un universalisme d'ordre monastique. Quand se fait le passade du clan à l'Etat, les clans, ensembles sociaux antérieurs, entrent, à titre
de parties subordonnées, dans le nouvel ensemble d'ordre supérieur, l'union politique organisée. Pareillement, la troisième étape (plus importante) du développement de l'humanité - étape mondiale ou universelle- aurait exigé de la part des États et des nations d'entrer dans une nouvelle organisation universelle, à titre de parties constituantes. Autrement, quelle que soit l'extension des principes théoriques proclamés, l'importance positive dans la vie réelle restera entièrement aux groupes nationaux et politiques existant déjà, tandis que « tous les hommes encore davantage, « tous les êtres vivants » ne seront qu'une idée abstraite, laquelle trouve une expression symbolique dans le monastère, qui s'est séparé de la vie. Le bouddhisme demeure tout à fait étranger à la tache d'unification effective de tous les êtres vivants, ou tout au moins de toutes les parties dispersées de l'humanité, en un royaume nouveau et universel il montre ainsi qu'il n'est que la première étape, rudimentaire, d'une compréhension humaine de la vie. La personnalité manifeste ici sa dignité infinie, en tant que « moi » absolu nie toute limitation et affirme « je ne suis lié par rien, j'ai expérimenté tout, je sais que tout est vain et je suis au- dessus de tout » La négation de l'existence par la connaissance de celle-ci – c'est en quoi, du point de vue bouddhiste, consiste la nature absolue de l'esprit humain; elle élève l'homme au-dessus de toute créature terrestre et même au-dessus des dieux, car ceux-ci sont dieux seulement par leur nature, tandis que le sage éveillé devient dieu par son acte propre de conscience et de volonté il est un auto-dieu, un dieu qui s'est fait lui-même. Selon
cette opinion, toute la création est un matériel pour l'exercice de la volonté et de la connaissance, par lequel la personne arrive à sa propre divinisation. Les personnes individuelles qui sont entrées dans la voie qui mène à ce but constituent la société normale ou fraternité (l'ordre monastique) qui est comprise dans la profession bouddhiste (Je me confie. dans le Sangha). Mais cette société n'a qu'une importance temporaire, jusqu'à ce que ses membres atteignent la perfection dans le Nirvana, la vie et les relations sociales doivent disparaître définitivement, comme toutes les autres déterminations. Puisque le caractère absolu de la personnalité n'est conçu dans le bouddhisme qu'au sens négatif comme l'affranchissement de toutes choses, la personne n'a besoin d'aucun achèvement; toutes ses relations avec les autres personnes ne forment qu'une échelle, laquelle est repoussée dès qu'est atteint le sommet de l'absolue indifférence. Le caractère négatif de l'idéal bouddhiste fait de la moralité, tout autant que de la vie sociale, une chose d'importance purement transitoire et conditionnelle.
Le sentiment religieux et moral de piété (piétas) n'a pas, dans le bouddhisme, d'objet véritable et permanent. Le sage qui connaît toutes choses et s'est affranchi de tout ne trouve plus rien à révérer. Lorsque Çakya-Mouni-Rouddha atteignit la connaissance
suprême, non seulement Indra avec toute la foule des divinités des Védas, mais aussi Brahma, le dieu suprême des prêtres souverains, vinrent comme humbles auditeurs entendre la nouvelle doctrine et, éclairés, rendirent au maître un honneur divin. Cependant Bouddha était un homme qui, par son propre pouvoir, devint dieu et atteignit l'état absolu lequel est le but suprême pour tout être humain. C'est pourquoi, bien que les bouddhistes révèrent la mémoire et les reliques de leur maître, jusqu'à l'idolâtrie, ceci n'est possible que tant que tes adorateurs demeurent. Imparfaits; le disciple parfait, qui a atteint le Nirvana, ne se distingue plus de Bouddha lui-même et perd tout objet de sentiment religieux.
Par conséquent, en principe, l'idéal bouddhiste détruit la possibilité de la relation religieuse et, dans son essence intime, le bouddhisme n'est pas seulement une religion de négation, mais est une religion qui se nie elle-même.
De même, l'aspect altruiste de la moralité disparaît aux degrés supérieurs de la vraie voie, car alors toutes distinctions se révèlent illusoires, y compris celles qui évoquent en nous un sentiment de pitié à l'égard de certains objets, de certains phénomènes ou états. « Sois pitoyable envers tous les êtres », proclame la doctrine morale élémentaire des Soutras; « II n'y a point d'êtres, tout sentiment est fruit de l'ignorance », déclare la métaphysique suprême d'Abhidhamma Enfin, la moralité ascétique elle même n'a pas de justification positive dans le bouddhisme, en dépit de ses monastères; ces monastères ne sont que des refuges pour des âmes contemplatives, qui ont renoncé la vanité du monde et attendent leur passage dans le Nirvana. Mais, la lutte contre la chair pour renforcer l'esprit et spiritualiser le corps, cet ascétisme moral positif, demeure en dehors des préoccupations de la pensée bouddhiste l'esprit n'est, pour elle, que le connaissant, et le corps un fantôme connu comme tel; la mort corporelle, dont l'aspect avait tellement frappé le prince Siddhartha, ne fait que démontrer que la vie est une illusion dont nous devons nous affranchir; mais l'idée de la résurrection ne viendra à l'esprit d'aucun bouddhiste. Si le but suprême de l'ascétisme manque, les moyens qui y conduisent ne peuvent avoir eux-mêmes d'importance; du point de vue de l'indifférence absolue, les règles ascétiques, comme toutes autres règles, perdent leur importance propre; si elles se conservent dans la pratique extérieure du bouddhisme, ce n'est que comme méthode pédagogique pour les tout petits enfants spirituels, ou à titre de legs historique du brahmanisme. Le bouddhiste parfait ne va certainement pas s'abstenir de manger une nourriture abondante ou distinguer entre régimes de viande ou de végétaux; il est à remarquer que, selon la tradition, dont il n'y a pas de raison de mettre en doute l'exactitude, le fondateur de cette religion, qui est supposée exiger un végétarisme strict, mourut pour avoir mangé de manière déréglée de la viande de porc. »

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