extrait sur le Bouddhisme
« La
signification universelle du bouddhisme dans l'histoire mondiale
consiste en ce fait qu'en lui. pour la première fois la personnalité
humaine a commencé à être appréciée, non pas au titre de membre
d'une tribu, d'une caste ou de l'Etat mais comme portant en soi une
conscience supérieure, comme un être capable de se réveiller des
illusions du rêve de l'existence de chaque jour et de s'affranchir
des chaînes de la causalité. Ceci est vrai de l'homme appartenant à
n'importe quelle caste ou nationalité et, en ce sens. la religion
bouddhiste marque une nouvelle étape dans l'histoire du monde; après
le particularisme du clan, de la nation ou Etat, l'universalisme.
Cependant, il est clair que cet universalisme bouddhiste n'a qu'un
caractère abstrait et il proclame le principe de l'indifférence,
rejette l'importance des distinctions de castes et de nations,
rassemble dans une nouvelle communauté religieuse des gens de toute
couleur et de toutes classes et puis, il laisse tout comme auparavant
La tache de rassembler toutes les parties de l'humanité en un seul
ensemble et d'en former un royaume nouveau et plus élevé n'est même
pas envisagée; le bouddhisme ne va pas au-delà d'un universalisme
d'ordre monastique. Quand se fait le passade du clan à l'Etat, les
clans, ensembles sociaux antérieurs, entrent, à titre
de parties
subordonnées, dans le nouvel ensemble d'ordre supérieur, l'union
politique organisée. Pareillement, la troisième étape (plus
importante) du développement de l'humanité - étape mondiale ou
universelle- aurait exigé de la part des États et des nations
d'entrer dans une nouvelle organisation universelle, à titre de
parties constituantes. Autrement, quelle que soit l'extension des
principes théoriques proclamés, l'importance positive dans la vie
réelle restera entièrement aux groupes nationaux et politiques
existant déjà, tandis que « tous les hommes encore davantage, «
tous les êtres vivants » ne seront qu'une idée abstraite, laquelle
trouve une expression symbolique dans le monastère, qui s'est séparé
de la vie. Le bouddhisme demeure tout à fait étranger à la tache
d'unification effective de tous les êtres vivants, ou tout au moins
de toutes les parties dispersées de l'humanité, en un royaume
nouveau et universel il montre ainsi qu'il n'est que la première
étape, rudimentaire, d'une compréhension humaine de la vie. La
personnalité manifeste ici sa dignité infinie, en tant que « moi »
absolu nie toute limitation et affirme « je ne suis lié par rien,
j'ai expérimenté tout, je sais que tout est vain et je suis au-
dessus de tout » La négation de l'existence par la
connaissance de celle-ci – c'est en quoi, du point de vue
bouddhiste, consiste la nature absolue de l'esprit humain; elle élève
l'homme au-dessus de toute créature terrestre et même au-dessus des
dieux, car ceux-ci sont dieux seulement par leur nature, tandis que
le sage éveillé devient dieu par son acte propre de conscience et
de volonté il est un auto-dieu, un dieu qui s'est fait lui-même.
Selon
cette opinion, toute
la création est un matériel pour l'exercice de la volonté et de la
connaissance, par lequel la personne arrive à sa propre
divinisation. Les personnes individuelles qui sont entrées dans la
voie qui mène à ce but constituent la société normale ou
fraternité (l'ordre monastique) qui est comprise dans la profession
bouddhiste (Je me confie. dans le Sangha). Mais cette société n'a
qu'une importance temporaire, jusqu'à ce que ses membres atteignent
la perfection dans le Nirvana, la vie et les relations sociales
doivent disparaître définitivement, comme toutes les autres
déterminations. Puisque le caractère absolu de la personnalité
n'est conçu dans le bouddhisme qu'au sens négatif comme
l'affranchissement de toutes choses, la personne n'a besoin d'aucun
achèvement; toutes ses relations avec les autres personnes ne
forment qu'une échelle, laquelle est repoussée dès qu'est atteint
le sommet de l'absolue indifférence. Le caractère négatif de
l'idéal bouddhiste fait de la moralité, tout autant que de la vie
sociale, une chose d'importance purement transitoire et
conditionnelle.
Le sentiment
religieux et moral de piété (piétas) n'a pas, dans le
bouddhisme, d'objet véritable et permanent. Le sage qui connaît
toutes choses et s'est affranchi de tout ne trouve plus rien à
révérer. Lorsque Çakya-Mouni-Rouddha atteignit la connaissance
suprême, non
seulement Indra avec toute la foule des divinités des Védas, mais
aussi Brahma, le dieu suprême des prêtres souverains, vinrent comme
humbles auditeurs entendre la nouvelle doctrine et, éclairés,
rendirent au maître un honneur divin. Cependant Bouddha était un
homme qui, par son propre pouvoir, devint dieu et atteignit l'état
absolu lequel est le but suprême pour tout être humain. C'est
pourquoi, bien que les bouddhistes révèrent la mémoire et les
reliques de leur maître, jusqu'à l'idolâtrie, ceci n'est possible
que tant que tes adorateurs demeurent. Imparfaits; le disciple
parfait, qui a atteint le Nirvana, ne se distingue plus de Bouddha
lui-même et perd tout objet de sentiment religieux.
Par conséquent, en
principe, l'idéal bouddhiste détruit la possibilité de la relation
religieuse et, dans son essence intime, le bouddhisme n'est pas
seulement une religion de négation, mais est une religion qui se nie
elle-même.
De même, l'aspect
altruiste de la moralité disparaît aux degrés supérieurs de la
vraie voie, car alors toutes distinctions se révèlent illusoires, y
compris celles qui évoquent en nous un sentiment de pitié à
l'égard de certains objets, de certains phénomènes ou états. «
Sois pitoyable envers tous les êtres », proclame la doctrine morale
élémentaire des Soutras; « II n'y a point d'êtres, tout sentiment
est fruit de l'ignorance », déclare la métaphysique suprême
d'Abhidhamma Enfin, la moralité ascétique elle même n'a pas de
justification positive dans le bouddhisme, en dépit de ses
monastères; ces monastères ne sont que des refuges pour des âmes
contemplatives, qui ont renoncé la vanité du monde et attendent
leur passage dans le Nirvana. Mais, la lutte contre la chair pour
renforcer l'esprit et spiritualiser le corps, cet ascétisme moral
positif, demeure en dehors des préoccupations de la pensée
bouddhiste l'esprit n'est, pour elle, que le connaissant, et le corps
un fantôme connu comme tel; la mort corporelle, dont l'aspect avait
tellement frappé le prince Siddhartha, ne fait que démontrer que la
vie est une illusion dont nous devons nous affranchir; mais l'idée
de la résurrection ne viendra à l'esprit d'aucun bouddhiste. Si le
but suprême de l'ascétisme manque, les moyens qui y conduisent ne
peuvent avoir eux-mêmes d'importance; du point de vue de
l'indifférence absolue, les règles ascétiques, comme toutes autres
règles, perdent leur importance propre; si elles se conservent dans
la pratique extérieure du bouddhisme, ce n'est que comme méthode
pédagogique pour les tout petits enfants spirituels, ou à titre de
legs historique du brahmanisme. Le bouddhiste parfait ne va
certainement pas s'abstenir de manger une nourriture abondante ou
distinguer entre régimes de viande ou de végétaux; il est à
remarquer que, selon la tradition, dont il n'y a pas de raison de
mettre en doute l'exactitude, le fondateur de cette religion, qui est
supposée exiger un végétarisme strict, mourut pour avoir mangé de
manière déréglée de la viande de porc. »
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