dimanche 29 octobre 2017

Amnesty International 4°partie



Espagne :

Tout au long de l’année, les droits à la liberté d’expression, d’information et de réunion ont été restreints de façon indue, sur la base de modifications de la Loi relative à la sécurité publique et du Code pénal qui avaient été adoptées en 2015. Le 5 février, Alfonso Lázaro de la Fuente et Raúl García Pérez, deux marionnettistes professionnels, ont été maintenus en détention pendant cinq jours après avoir joué un spectacle dans lequel, notamment, une religieuse était poignardée, un juge était pendu, et des policiers et des femmes enceintes étaient passés à tabac. L’une des marionnettes brandissait également une pancarte avec le slogan « Gora ALKAETA » (« Vive ALKA-ETA »). Plusieurs personnes s’étant dites offusquées par le spectacle, les marionnettistes ont été arrêtés et inculpés d’apologie du terrorisme et d’incitation à la haine. En septembre, l’Audience nationale a relaxé les deux hommes du chef d’apologie du terrorisme, mais ils étaient toujours poursuivis pour incitation à la haine à la fin de l’année.
En avril, le ministre de l’Intérieur a engagé le Conseil général du pouvoir judiciaire à prendre des mesures contre José Ricardo de Prada, qui siège à l’Audience nationale. Lors d’une table ronde organisée par le conseil municipal de Tolosa (province du Guipúscoa), ce juge avait dit partager les préoccupations d’organisations internationales de défense des droits humains, qui s’inquiétaient des obstacles entravant l’efficacité des enquêtes sur les affaires de torture en Espagne. En outre, le ministère public a soutenu une requête introduite par l’Association des victimes de terrorisme demandant qu’il soit dessaisi de deux affaires pénales du fait de son manque présumé d’impartialité. L’Audience nationale a rejeté les deux demandes de mesures à l’encontre du magistrat en juin. En 2016, l’Audience nationale a rendu 22 jugements de culpabilité contre 25 personnes accusées d’apologie du terrorisme. La plupart de ces décisions faisaient suite à l’opération « Araignée », axée notamment sur l’interception de messages publiés sur les réseaux sociaux. Entre avril 2014 et avril 2016, 69 personnes ont été arrêtées dans le cadre de cette opération. Certaines ont été détenues au secret, régime de détention dont l’utilisation par l’Espagne a été critiquée par des organes des droits humains de l’ONU, car le pays l’appliquait pendant une durée excessive et en l’absence des garanties adéquates.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Des cas de torture et d’autres mauvais traitements, notamment de recours excessif à la force de la part d'agents de la force publique, ont de nouveau été signalés tout au long de l’année. Les enquêtes ouvertes sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements n’étaient pas toujours efficaces ni approfondies.7
En janvier, le juge d’instruction chargé du dossier de Juan Antonio Martínez González, mort à Cadix le 4 avril 2015 des suites des blessures subies alors que des agents des forces de l’ordre le maîtrisaient, a rendu sa décision. Il a conclu que rien ne venait étayer les accusations portées contre les agents, soupçonnés d’avoir eu recours à des moyens de contrainte interdits ou outrepassé leurs prérogatives durant l’intervention.
A la fin de l’année, un appel interjeté contre cette décision devant le tribunal provincial de Cadix avait été déclaré recevable. En mai, dans l’affaire Beortegui Martinez, la Cour européenne des droits de l’homme a une nouvelle fois jugé que l’Espagne avait enfreint l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements, parce qu’elle n’avait pas enquêté de façon efficace et exhaustive sur les allégations de tortures infligées à des personnes détenues au secret. Il s’agissait du 7e arrêt en ce sens rendu contre l’Espagne. En mai, dans l’affaire concernant Ester Quintana, qui a perdu un œil en novembre 2012 après avoir été touchée par une balle en caoutchouc tirée par la police autonome de Catalogne lors d’une manifestation à Barcelone, deux policiers ont été jugés par le tribunal provincial de Barcelone. À l’issue du procès, ils ont tous les deux été acquittés, le tribunal n’ayant pas réussi à identifier l’auteur du tir. En juillet, la Cour suprême a partiellement annulé la déclaration de culpabilité prononcée par l’Audience nationale contre Saioa Sánchez en décembre 2015. Saioa Sánchez et deux autres accusés avaient été déclarés coupables d’infractions terroristes par l’Audience nationale. Dans le recours qu’elle avait présenté devant la Cour suprême, Saioa Sánchez affirmait que l’Audience nationale avait refusé d’enquêter pour savoir si les déclarations l’incriminant faites par l’un des coaccusés, Iñigo Zapirain, avaient été extorquées sous la contrainte. La Cour suprême a ordonné la tenue d’un nouveau procès, demandant que soit respecté le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) afin d’évaluer la véracité du témoignage d’Iñigo Zapirain. Cette décision tenait compte des préoccupations exprimées par des organes internationaux de protection des droits humains, qui s’inquiétaient d’une certaine impunité, de l’inefficacité et du manque de rigueur des enquêtes, ainsi que des problèmes de qualité et de fiabilité des expertises médicolégales.

Etats-Unis

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE

Les autorités ne tenaient toujours pas un décompte exact du nombre de personnes tuées chaque année par des responsables de l’application des lois, mais les informations recueillies dans la presse plaçaient ce chiffre à près d’un millier de morts. Le ministère de la Justice a proposé la mise en place, à partir de 2017, d’un système de recensement de ces morts dans le cadre de la Loi sur la déclaration des décès en détention. Toutefois, ce programme n’aura pas de caractère obligatoire pour les organes chargés du maintien de l’ordre. Les données recueillies pourraient ainsi ne pas correspondre aux chiffres réels. D’après les quelques données disponibles, les hommes noirs sont surreprésentés parmi les victimes d’homicides imputables à la police. Au moins 21 personnes, dans 17 États, sont mortes après que des policiers ont fait usage contre elles d’une arme à décharge électrique, ce qui porte à au moins 700 le nombre de décès intervenus dans ces circonstances depuis 2001. La plupart des victimes n’étaient pas armées et ne représentaient manifestement pas une menace de mort ou de blessure grave lorsque l’arme a été utilisée.

DROITS DES FEMMES

Les Amérindiennes et les femmes autochtones de l’Alaska étaient toujours 2,5 fois plus exposées que les autres femmes au risque de subir un viol ou une autre forme d’agression sexuelle. Les femmes autochtones demeuraient en butte à de fortes inégalités dans la prise en charge en cas de viol, notamment en ce qui concerne l’accès à des examens médicaux, à des « kits postviol » (qui rassemblent des accessoires permettant au personnel médical de recueillir des éléments de preuve) et à d’autres services de santé essentiels. Les inégalités en matière d’accès des femmes aux soins de santé sexuelle et reproductive, y compris la santé maternelle, perduraient. Le taux de mortalité maternelle a augmenté ces six dernières années ; le risque de mourir des suites de complications liées à la grossesse était toujours quatre fois plus élevé pour les Afro-Américaines que pour les femmes blanches. La crainte de faire l’objet de sanctions pénales pour usage de stupéfiants pendant la grossesse continuait de dissuader les femmes appartenant à des groupes marginalisés de s’adresser aux services de santé, notamment pour les soins prénatals. Toutefois, des dispositions qui avaient aggravé celles de la loi du Tennessee sur l’« agression contre le fœtus » sont venues à terme en juillet, après une mobilisation réussie qui a permis d’éviter qu’elles ne soient définitivement inscrites dans la législation

CONDITIONS DE DÉTENTION

À quelque période que ce soit, plus de 80 000 prisonniers étaient détenus dans des conditions de privation physique et d’exclusion sociale dans les prisons fédérales et les prisons d’État de tout le pays. Le ministère de la Justice a publié en janvier des principes directeurs et des recommandations visant à limiter l’utilisation dans les prisons fédérales de la détention à l’isolement et des régimes restrictifs – encadrés par des règles différentes de celles appliquées au reste de la population carcérale. Ces recommandations préconisent de placer les détenus dans l’environnement le moins restrictif possible, de ne pas laisser à l’isolement les personnes atteintes de maladie mentale, et de restreindre fortement le recours à la détention à l’isolement pour les mineurs.

Dans ce numéro d'Amnesty International , même si le travail de cette association est très impressionnant, je trouve dommage que l'on ne parle pas de certaines choses.
Par exemple, pour les Etats-Unis, on ne parle pas du racisme de la police envers les noirs et tous les assassinats de la police. Cet oubli est bien étrange



FRANCE


L’état d’urgence a été prolongé quatre fois au cours de l’année à la suite de plusieurs attaques violentes. Des mesures d’exception ont restreint les droits fondamentaux de manière disproportionnée. En octobre, les autorités ont démantelé un campement non autorisé à Calais, où vivaient plus de 6 500 migrants et demandeurs d’asile.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ

Plusieurs attaques violentes ont été commises au cours de l’année. Le 13 juin, un policier et sa compagne ont été tués à leur domicile en région parisienne. Le 14 juillet, 86 personnes ont trouvé la mort à Nice lorsqu'un homme a délibérément précipité un camion dans la foule rassemblée pour célébrer la fête nationale. Le 26 juillet, un prêtre a été assassiné à l’intérieur de son église dans une ville de la banlieue de Rouen, dans le nord-ouest de la France. Une semaine après l’attentat de Nice, le Parlement a approuvé la prorogation jusqu’au 26 janvier 2017 de l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats terroristes coordonnés perpétrés en novembre 2015 à Paris. Le 15 décembre, le Parlement a une nouvelle fois reconduit l’état d’urgence, jusqu’au 15 juillet 2017. L’état d’urgence conférait au ministre de l’Intérieur et à la police des pouvoirs exceptionnels. Il leur permettait de perquisitionner des logements sans autorisation judiciaire et d’imposer à des personnes des mesures de contrôle administratif restreignant leur liberté sur la base d’éléments formulés de manière vague et qui restaient en deçà du seuil requis pour l’ouverture d’une procédure pénale1. En vertu de ces pouvoirs, les autorités ont procédé à plus de 4 000 perquisitions domiciliaires sans autorisation judiciaire et elles ont pris des arrêtés d’assignation à résidence contre plus de 400 personnes. À la date du 22 novembre, 95 personnes étaient soumises à une telle mesure. Les mesures d’urgence ont restreint d’une manière disproportionnée le droit de circuler librement et le droit au respect de la vie privée. Le 10 juin, le Comité contre la torture [ONU] a exprimé sa préoccupation à propos d’informations faisant état d’un usage excessif de la force par la police au cours de perquisitions administratives effectuées dans le cadre des pouvoirs conférés par l’état d’urgence, et il a réclamé l’ouverture d’enquêtes sur ces allégations. Le Parlement a également adopté des dispositions législatives renforçant les pouvoirs administratifs et judiciaires en matière de lutte contre le terrorisme. Le chef de l'État a promulgué le 3 juin une loi qui accorde au ministre de l’Intérieur le pouvoir de prendre des mesures de contrôle administratif à l’encontre de personnes supposées rentrer de zones de conflit et qui sont considérées comme constituant une menace à la sécurité publique. Cette loi a étendu le pouvoir des autorités judiciaires d’autoriser des perquisitions domiciliaires à tout moment dans le cadre des enquêtes sur des infractions liées au terrorisme. Par ailleurs ce texte a érigé en infraction pénale la consultation régulière de sites Internet considérés comme incitant au terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes, à moins qu’ils ne soient consultés de bonne foi, à des fins de recherche ou pour d’autres raisons professionnelles en vue d’informer le public. La définition vague de l’infraction a accru le risque que des personnes fassent l’objet de poursuites pour un comportement relevant de l’exercice légitime de la liberté d’expression et d’information.

DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES MIGRANTS

Le 24 octobre, les autorités ont commencé à évacuer plus de 6 500 migrants et demandeurs d’asile qui vivaient à Calais dans le camp informel connu sous le nom de « La Jungle » ; cette opération a pris plusieurs jours. Les migrants et les demandeurs d’asile ont été transférés dans des centres d’accueil sur tout le territoire, où ils ont reçu des informations à propos de la procédure de demande d’asile. Les autorités n’ont pas mené de consultation en bonne et due forme auprès des migrants et des demandeurs d’asile avant leur expulsion du camp, et elles ne leur ont pas fourni non plus d’informations préalables suffisantes. Des organisations de la société civile ont exprimé leur préoccupation quant à la procédure suivie pour les quelque 1 600 mineurs isolés qui vivaient dans le campement. Les autorités françaises et britanniques devaient examiner conjointement la situation de ces mineurs, en tenant compte de leur intérêt supérieur, et envisager leur éventuel transfert au Royaume-Uni afin qu'ils retrouvent des membres de leur famille. Elles n’ont pas été en mesure d’enregistrer tous les mineurs etcertains auraient été rejetés en raison de leur âge présumé, sans être soumis à une évaluation approfondie. Le 2 novembre, le Comité des droits de l’enfant [ONU] a exprimé sa préoccupation à propos des mineurs de Calais laissés sans abri adéquat, sans nourriture ni accès à des services médicaux lors du démantèlement du camp. Environ 330 mineurs avaient été transférés au Royaume-Uni à la mi-novembre. En raison du manque de capacités d’accueil et de moyens pour enregistrer les demandes d’asile dans la région parisienne, plus de 3 800 demandeurs d’asile ont vécu dans des conditions dégradantes et dormi dans la rue dans le 19e arrondissement de Paris jusqu’à ce que les autorités les transfèrent, le 3 novembre, dans des centres d’accueil. Le 29 novembre, les autorités ont rejeté la demande d’asile d’un homme originaire du Kordofan du Sud, une région du Soudan en proie à la guerre, et elles l’ont renvoyé de force dans son pays, où il risquait d’être persécuté. Un autre Soudanais, originaire du Darfour, qui risquait d’être renvoyé dans son pays d'origine contre son gré, a été libéré le 20 novembre. Le gouvernement s’est engagé à accepter 6 000 réfugiés en vertu de l’accord sur le contrôle des migrations conclu entre l’Union européenne et la Turquie, et à réinstaller 3 000 réfugiés en provenance du Liban. Le 9 décembre, le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, a annulé le décret signé par le Premier ministre en septembre 2015, qui autorisait l’extradition vers la Russie du ressortissant kazakh Moukhtar Abliazov pour des infractions financières, au motif que l’extradition de cet homme avait été demandée dans un but politique.

LIBERTÉ DE RÉUNION

Des manifestations ont eu lieu régulièrement entre mars et septembre pour protester contre le projet de réforme du Code du travail, qui a été adopté en juillet. Une minorité de protestataires se sont livrés à des violences et ont affronté la police.
Depuis la quatrième prorogation de l’état d’urgence, en juillet 2016, les autorités étaient expressément autorisées à interdire les manifestations en arguant qu’elles n'étaient pas en mesure d’assurer le maintien de l’ordre public. Des dizaines de manifestations ont été interdites et plusieurs centaines de personnes ont fait l’objet de mesures administratives restreignant leur droit de circuler librement et les empêchant de participer à des manifestations. La police a fait usage à plusieurs reprises d'une force excessive contre des protestataires, notamment en les chargeant violemment et en utilisant des grenades lacrymogènes ainsi que des grenades de désencerclement et des balles en caoutchouc, qui ont fait des centaines de blessés. DISCRIMINATION Cette année encore, des Roms ont été expulsés de force de campements informels, sans véritable consultation ni proposition de relogement. Selon des organisations de la société civile, 4 615 personnes ont été expulsées de force au cours des six premiers mois de l’année. Le 13 juillet, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] a appelé les autorités à donner un délai de préavis suffisant à toutes les personnes concernées par une décision d’expulsion forcée, et à leur proposer des solutions de relogement. Le Parlement a adopté, en octobre, une disposition législative relative à la reconnaissance juridique du genre pour les personnes transgenres. Elle a mis en place une procédure permettant aux personnes transgenres de solliciter la modification de la mention du sexe à l'état civil sans avoir à remplir aucune condition médicale. Elle imposait toutefois de répondre à certains critères, par exemple un changement de prénom ou une apparence physique conforme à leur identité de genre. Plusieurs maires ont pris des arrêtés réglementant le port de tenues de plage considérées comme contraires à l’hygiène et au principe de laïcité et pouvant porter atteinte à l’ordre public. Les autorités ont notamment pris des mesures pour interdire le port d'une tenue de plage recouvrant totalement le corps et appelée « burkini ». Le 26 août, le Conseil d’État a suspendu l'interdiction du burkini dans la ville de Villeneuve-Loubet, dans le sud de la France, qu’il n’a pas jugée nécessaire au maintien de l'ordre public.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES

L'Assemblée nationale a adopté le 29 novembre une proposition de loi obligeant certaines grandes entreprises françaises à mettre en œuvre un « plan de vigilance » en vue de prévenir les atteintes graves aux droits humains et les dommages environnementaux résultant de leurs activités et de celles de leurs filiales, ainsi que d’autres sociétés avec lesquelles elles entretiennent une relation commerciale établie, et leur imposant des amendes en cas de manquement à leurs obligations. De plus, toute insuffisance dans le plan qui entraînerait des atteintes aux droits humains pourrait être utilisée par les victimes pour réclamer des dommages intérêts à la société responsable devant un tribunal français. Le texte était en instance devant le Sénat à la fin de l'année.

COMMERCE DES ARMES

En juin, une famille palestinienne a déposé une plainte contre l’entreprise française Exxelia Technologies pour complicité d’homicide involontaire et de crimes de guerre dans la bande de Gaza. Trois des fils de cette famille ont été tués en 2014 par un tir de missile israélien visant leur maison à Gaza. Des investigations ultérieures ont révélé qu’un composant de ce missile avait été fabriqué par Exxelia Technologies. La France restait le quatrième exportateur d’armes au monde, à destination notamment de l’Arabie saoudite et de l’Égypte.

samedi 28 octobre 2017

Guy Debord Partie 4



« Dans son secteur le plus avancé, le capitalisme concentré s'oriente vers la vente de blocs de temps «tout équipés», chacun d'eux constituant une seule marchandise unifiée, qui a intégré un certain nombre de marchandises diverses. C'est ainsi que peut apparaître, dans l'économie en expansion des «services» et des loisirs, la formule du paiement calculé «tout compris», pour l'habitat spectaculaire, les pseudo-déplacements collectifs des vacances, l'abonnement à la consommation culturelle, et la vente de la sociabilité elle-même en «conversations passionnantes» et «rencontres de personnalités». Cette sorte de marchandise spectaculaire, qui ne peut évidemment avoir cours qu'en fonction de la pénurie accrue des réalités correspondantes, figure aussi bien évidemment parmi les articles-pilotes de la modernisation des ventes, en étant payable à crédit ».

« Cette époque, qui se montre à elle-même son temps comme étant essentiellement le retour précipité de multiples festivités, est également une époque sans fête. Ce qui était, dans le temps cyclique, le moment de la participation d'une communauté à la dépense luxueuse de la vie, est impossible pour la société sans communauté et sans luxe. Quand ses pseudo-fêtes vulgarisées, parodies du dialogue et du don, incitent à un surplus de dépense économique, elles ne ramènent que la déception toujours compensée par la promesse d'une déception nouvelle. Le temps de la survie moderne doit, dans le spectacle, se vanter d'autant plus hautement que sa valeur d'usage s'est réduite. La réalité du temps a été remplacée par la publicité du temps »

« Comme autre côté de la déficience de la vie historique générale, la vie individuelle n'a pas encore d'histoire. Les pseudo-événements qui se pressent dans la dramatisation spectaculaire n'ont pas été vécus par ceux qui en sont informés ; et de plus ils se perdent dans l'inflation de leur remplacement précipité, à chaque pulsion de la machinerie spectaculaire. D'autre part, ce qui a été réellement vécu est sans relation avec le temps irréversible officiel de la société, et en opposition directe au rythme pseudo-cyclique du sous-produit consommable de ce temps. Ce vécu individuel de la vie quotidienne séparée reste sans langage, sans concept, sans accès critique à son propre passé qui n'est consigné nulle part. Il ne se communique pas. Il est incompris et oublié au profit de la fausse mémoire spectaculaire du non-mémorable ».

« Pour amener les travailleurs au statut de producteurs et consommateurs «libres» du temps-marchandise, la condition préalable a été l'expropriation violente de leur temps. Le retour spectaculaire du temps n'est devenu possible qu'à partir de cette première dépossession du producteur ».

« Sous-produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. L'aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui-même la garantie de leur équivalence. La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de l'espace ».

« La plus grande idée révolutionnaire à propos de l'urbanisation n'est pas elle-même urbanistique, technologique ou esthétique. C'est la décision de reconstruire intégralement le territoire selon les besoins du pouvoir des Conseils de travailleurs, de la dictature anti-étatique du prolétariat, du dialogue exécutoire. Et le pouvoir des Conseils, qui ne peut être effectif qu'en transformant la totalité des conditions existantes, ne pourra s'assigner une moindre tâche s'il veut être reconnu et se reconnaître lui-même dans son monde ».

« La culture devenue intégralement marchandise doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire. Clark Kerr, un des idéologues les plus avancés de cette tendance, a calculé que le complexe processus de production, distribution et consommation des connaissances, accapare déjà annuellement 29% du produit national aux Etats-Unis ; et il prévoit que la culture doit tenir dans la seconde moitié de ce siècle le rôle moteur dans le développement de l'économie, qui fut celui de l'automobile dans sa première moitié, et des chemins de fer dans la seconde moitié du siècle précédent ».

« 

Cronstadt




Sur les événements de Cronstadt, il est très difficile de trouver de la documentation.

Emma Goldman se rendit en Russie et fut la témoin de ces événements qu'elle a relaté et que Daniel Guérin a compilé dans son ouvrage « Anthologie de l'anarchisme ». Tome 4


Adressé au Soviet des syndicats et de la défense de Petrograd ; Président Zinoviev :

« Garder le silence est devenu impossible : ce serait même criminel ! Les événements récents nous poussent, nous les anarchistes, à parler et à définir notre position devant la situation actuelle.
L'esprit de ferment et de mécontentement qui se manifeste parmi les travailleurs et les marins est le résultat de causes qui exigent notre attention sérieuse. Le froid et la faim ont produit du mécontentement et l'absence de possibilités de discussion et de critique forcent les ouvriers et les marins à exposer publiquement leurs griefs.
« Des bandes de gardes blancs souhaitent, et peuvent essayer, d'exploiter ce mécontentement dans l’intérêt de leur propre classe. Camouflés derrières les travailleurs et marins, ils lancent des slogans, réclamant l'assemblée constituante, le commerce libre, et posent des revendications similaires.
« Nous, les anarchistes, avons depuis longtemps déjà dénoncé l'erreur de ces slogans et nous déclarons devant le monde entier que nous allons combattre, les armes à la main, contre toute tentative contre-révolutionnaire, en coopération avec tous les amis de la révolution socialiste et la main dans la main avec les bolchéviks.
« En ce qui concerne le conflit entre le gouvernement et les travailleurs et marins, nous pensons qu'il doit être réglé, non par la force des armes, par un accord révolutionnaire et fraternel.
« La décision de verser le sang, prise par le gouvernement soviétique, ne tranquillisera pas les travailleurs, dans la situation actuelle. Au contraire, elle servira seulement à aggraver les choses et renforcera le jeu de l'Entente et de la contre-révolution à l'intérieur.
« Plus grave encore, l'usage de la force par le gouvernement des travailleurs et paysans contre les ouvriers et les marins aura un effet réactionnaire sur le mouvement révolutionnaire international et fera le plus grand tort à la révolution socialistes.
« Camarades bolchéviks, réfléchissez avant qu'il soit trop tard ! Ne jouez pas avec le feu : vous êtes en train de faire un pas décisif et très grave.
« Nous vous soumettons donc la proposition suivante : permettez l'élection d'une commission, composée de 5 personnes ; comprenant deux anarchistes. Cette commission se rendra à Cronstadt pour régler le conflit par des moyens pacifiques. Dans la présente situation, c'est la méthode la plus radicale. Elle sera d'une importance révolutionnaire internationale.

Petrograd, 5 mars 1921,
Alexandre Berkman, Emma Goldman...

Trotsky en arrivant à Cronstadt :

« déclara aux marins et aux soldats de Cronstadt qu'il allait « tuer comme des faisans » sur tous ceux qui avaient osé « lever la main contre la patrie socialiste » »

Les bolchéviques, pour salir la mémoire des marins, les accusèrent d'avoir été infiltré et manipulé par les blancs.

Quant à Trotsky, lui, engageait à ses côtés, un blanc du nom de Toukhatchevsky qu'il nomma commandant général pour l'attaque contre Cronstadt.

Emma Goldman tente de trouver un moyen de sauver encore les marins :

« Je m'adressai aux communistes que nous connaissions. Je les suppliai de faire quelque chose. Quelques uns se rendaient compte du crime monstrueux que leur parti était en train de commettre contre Cronstadt. Ils admettaient que l'accusation de contre-révolution était fabriquée de toutes pièces. [...]Loin de faire cause commune avec les généraux Tsaristes, ils avaient même refusé l'aide que leur offrait Tchernov, le dirigeant des socialistes-révolutionnaires. Ils ne voulaient pas de l'aide de l'extérieur. Ils demandaient le droit pour eux de choisir leurs propres députés dans les prochaines élections pur le soviet de Cronstadt et justice pour les grévistes de Petrograd. »

Les « amis communistes » passaient du temps à parler avec les anarchistes. Mais aucun d'eux ne voulaient intervenir de peur de représailles : exclu du parti sans ressources pour eux et leurs proches ; peur de disparaître sans laisser de trace...

« Et pourtant, ils nous assuraient que ce n'était pas la peur qui paralysait leur volonté. C'était l'inutilité complète d'une protestation ou d'un appel . Rien, absolument rien, ne pouvait arrêter les rouges communistes. Ils avaient été écrasé par eux ; ils n'avaient même plus la force de protester. »

Emma Goldman raconte les événements : après le 17 mars, lorsque les bruits de la bataille cessèrent :

« Tard dans l'après midi, la tension cédait la place à une horreur muette. Cronstadt avait été subjuguée. Des dizaines de milliers d'hommes assassinés, la ville noyée dans le sang. La Néva, dont l'artillerie lourde avait brisé la glace, devint la tombe d'une multitude d'hommes : Kursanty et jeunes communistes. Les héroïques marins et soldats avaient défendu leurs positions jusqu'au dernier souffle. Ceux qui n'avaient pas eu la chance de mourir en combattant tombaient entre les mains de l'ennemi pour être exécutés ou envoyés à la lente torture des régions glacées de la Russie.
[…]
« Dix huit mars : anniversaire de la Commune de Paris de 1871, écrasée deux mois plus tard par Thiers et Gallifet, les bouchers de 30 000 communards ! Imités à Cronstadt, le 18 mars 1921. »

Au X congrès, celui qui suivit le massacre, Lénine annonça la mise en place de la Nouvelle Politique Économique.

« Effrontément, comme toujours, il admit ce que des gens sincères et affichés dans le parti et à l'extérieur de celui-ci, avaient su pendant 17 jours à savoir que les hommes de Cronstadt ne voulaient pas des contre-révolutionnaires. « Mais ils ne voulaient pas non plus de nous ! » Les marins naïfs avaient pris au sérieux la devise de la révolution : « Tout le pouvoir aux soviets ! » à laquelle Lénine et son parti avaient promis solennellement de rester fidèles. Telle avait été la faute impardonnable des hommes de Cronstadt ! Pour cela il fallait qu'ils meurent. Ils devaient devenir des martyrs pour féconder la terre pour la nouvelle récolte de slogans de Lénine qui annulait complètement les anciens. Le chef d’œuvre était la nouvelle politique économique. »

Résolution de la réunion générale de la 1 et de la 2° escadre de la flotte de la Baltique, tenue à Cronstadt.

1 mars 1921

Après avoir entendu les rapports des représentants envoyés à Petrograd par la réunions générale des équipages pur y examiner la situation.
L'assemblée décide qu'il faut :
Étant donné que les soviets actuels n'expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans,
1 Procéder immédiatement à la réélection des soviets au moyen du vote secret. La campagne électorale parmi les ouvriers et les paysans devra se dérouler en pleine liberté de parole et d'action ;
2 Établir la liberté de parole et de presse pour tous les ouvriers et les paysans pour les anarchistes et pour les partis socialistes de gauche ;
3 Accorder la liberté de réunion aux syndicats et aux organisations paysannes ;
4 Convoquer en dehors des partis politiques une conférence des ouvriers, soldats rouges et marins de Pétrograd, de Cronstadt et de la province de Petrograd pour le 10 mars 1921 au plus tard ;
5 Élargir tous les prisonniers politiques socialistes et aussi tous les ouvriers, paysans, soldats rouges et marins, emprisonnés à la suite des mouvements ouvriers et paysans ;
6 Élire une commission aux fins d'examiner les cas de ceux qui se trouvent dans les prisons et les camps de concentrations ;
7 Abolir les « offices politiques », car aucun parti politique ne doit avoir de privilèges pour la propagande de ses idées, ni recevoir de l’État des moyens pécuniaires dans ce but. Il faut instituer à leur place des commissions d'éducation et de culture, élues dans chaque localité et financés par le gouvernement ;
8 Abolir immédiatement tous les barrages ;
9 Uniformiser les rations pour tous les travailleurs excepté pour ceux qui excentrent des professions dangereuses pour la santé ;
10 Abolir les détachements communistes de choc dans toutes les fabriques et usines. En cas de besoin les corps de garde pourront être désignés dans l'armée par les compagnies et dans les usines et fabriques par les ouvriers eux-mêmes ;
11 Donner aux paysans la pleine liberté d'action en ce qui concerne leurs terres et aussi le droit de posséder du bétail, à condition qu'ils s'acquittent de leur tâche eux-mêmes, c'est-à-dire sans avoir recours au travail salarié ;
12 Désigner une commission ambulante de contrôle ;
13 Autoriser le libre exercice de l'artisanat, sans emploi d'un travail salarié ;
14 Nous demandons à toutes les unités de l'armée et aussi aux camarades « kursanty » militaires de se joindre à notre résolution ;
La résolution est adoptée par la réunion des équipages de l'escadre. Deux personnes se sont abstenus
Signé Petritchenko, président de la réunion ; Pérelkine, secrétaire.

Ils lancèrent un appel à la radio pour essayer de démentir les mensonges des communistes.

« A tous...à tous...à tous...
Camarades, ouvriers, soldats rouges et marins !
Ici, à Cronstadt, nous savons combien vous souffrez, vous-mêmes, vos femmes et vos enfants affamés, sous le joug de la dictature des communistes.
Nous avons jeté bas le soviet communiste. Dans quelques jours, notre comité révolutionnaire provisoire procédera aux élections du nouveau soviet, lequel, élu librement, reflétera bien la volonté de toute la population laborieuse et de la garnison, et non celle d'une poignés de fous « communistes ».
Notre cause est juste . Nous sommes pour le pouvoir des Soviets et non des partis Nous sommes pour l'élection libre des représentants des masses laborieuses. Les soviets falsifiés, accaparés et manipulés par le parti communiste, ont toujours été sourds à nos besoins et à nos demandes ; la seule réponse que nous avons reçue fut la balle assassine.
Actuellement, la patience des travailleurs étant à bout, on veut fermer la bouche à l'aide d'aumônes ; par ordre de Zinoviev, les barrages sont supprimés dans la province de Pétrograd et Moscou assigne 10 millions de roubles-or pour l'achat à l'étranger des vivres et des objets de première nécessité.Mais nous savons que le prolétariat de Pétrograd ne se laissera pas acheter avec ces aumônes. Par dessus les têtes des communistes, Cronstadt révolutionnaire vous tend la main et vous offre son aide fraternelle.
Camarades ! Non seulement on vous trompe, mais on dénature impunément la vérité, on s'abaisse jusqu'à la dissimulation la plus vile. Camarades, ne vous laissez pas faire !
A Cronstadt le pouvoir est exclusivement entre les mains des marins, des soldats et des ouvriers révolutionnaires, et non entre celles de « contre-révolutionnaires dirigés par un Kozlovsky » comme essaie de vous le faire contre la radio mensongère de Moscou.
Ne tardez pas camarades ! Unissez-vous à nous ! Entrez en contact avec nous ! Exigez que vos délégués sans parti soient autorisés à venir à Cronstadt. Eux seuls pourront vous dire la vérité et démasque l'abjecte calomnie sur «  le pain finlandais » et les menées de l'Entente.
Vive le prolétariat révolutionnaire des villes et des champs !
Vive le pouvoir des Soviets librement élus ! »

Sans cesse il fallait communiquer afin de faire connaître la vérité de leur situation et faire comprendre au peuple la réalité du « communisme » de Trotsky et Lénine.

« Que le monde sache !

A tous...à tous...à tous...

Le premier coup de canon vient d'être tiré. Le « feldmaréchal » Trotsky, taché du sang des ouvriers, fut le premier à tirer sur Cronstadt révolutionnaire qui se leva contre l'autocratie des communistes afin de rétablir le véritable pouvoir des Soviets.
Sans avoir répandu une seule goutte de sang nous nous sommes libérés, nous soldats rouges, marins et ouvriers de Cronstadt, du joug des communistes. Nous avons laissé la vie à ceux des leurs qui étaient parmi nous. Ils veulent maintenant nous imposer à nouveau leur pouvoir, par la menace des canons.
Ne voulant aucune effusion de sang, nous avons demandé que fussent envoyés ici des délégués de sans-parti du prolétariat de Petrograd pour qu'ils puissent se rendre compte que Cronstadt combat pour le pouvoir des Soviets. Mais les communistes cachèrent notre demande aux ouvriers de Petrograd et ouvrirent le feu : réponse habituelle du prétendu gouvernement ouvrier et paysan aux demandes des masses laborieuses.
Que les ouvriers du monde entier sachent que nous, défenseurs du pouvoir des Soviets, veillerons aux conquêtes de la Révolution Sociale.
Nous vaincrons ou nous périrons sous les ruines de Cronstadt, en luttant pour la juste cause des masses ouvrières.
Les travailleurs du monde entier seront nos juges. Le sang des innocents retombera sur la tête des communistes tous furieux enivrés par le pouvoir
Vive le pouvoir des Soviets !

Le comité révolutionnaire provisoire. »



« Cronstadt libéré, aux ouvrières du monde

Ce jour est un jour de fête universelle : le jour de l'ouvrière. Nous, ceux de Cronstadt, envoyons, au milieu du fracas des canons et des explosions, des obus tirés par les communistes ennemis du peuple laborieux, nos fraternels saluts aux ouvrières du monde : saluts de Cronstadt Rouge révolutionnaire et libre.
Nous désirons que vous réalisiez bientôt votre émancipation libre de toute forme de violence et d'oppression.
Vivent les libres ouvrières révolutionnaires !
Vive la révolution sociale mondiale ! »


et pour clore ce chapitre très triste , je vous offre le dernier texte que j'ai retenu.

Pourquoi publier cela maintenant ? C'est simplement pour prévenir les personnes que l’idolâtrie aveugle ne peut occulter les erreurs que l'histoire a révélée . Si la révolution d'Octobre 1917 fut un événement majeure dans le peuple ouvrier du monde, l'adoration aveugle ne peut nous faire fermer les yeux sur ce que furent les années 1918 à 1923, avec l'écrasement des marins de Cronstadt qui défendaient uniquement ce que Lénine vantait dès le début, les Soviets, et celui de la Makhnochina qui voulait donner les terres au peuple Ukrainien.

« Cronstadt est calme.

« Hier, le 7 mars, les ennemis des travailleurs, les communistes, ont ouvert le feu contre Cronstadt.
La population accueillit le bombardement vaillamment. Les ouvriers coururent aux armes avec un bel élan ! On voyait bien que la population laborieuse de la ville vivait en parfait accord avec son comité révolutionnaire provisoire.
Malgré l'ouverture des hostilités, le comité jugea utile de proclamer l'état de siège. En effet, qui aurait-il à craindre ? Certes, pas ses propres soldats rouges, ni ses marins, ni ses ouvriers ou intellectuels ! Par contre, à Pétrograd, en raison de l'état de siège proclamé, on n'est pas autorisé à sortir seulement que jusqu'à 7 heures. Cela se comprend : les imposteurs ont à craindre leur propre population laborieuse.
En faisant la Révolution d'Octobre, la classe ouvrière avait espéré obtenir son émancipation. Mais il en résulta un esclavage encore plus grand de l'individualité humaine.
Le pouvoir de la monarchie policière passa aux mains des usurpateurs, les communistes, qui, au lieu de laisser la liberté au peuple, lui réservèrent la peur des geôles de la Tchéka, dont les horreurs dépassent de beaucoup les méthodes de la gendarmerie tsariste.
Au bout de longues années de luttes et de souffrances, le travailleur de la Russie soviétique n'a obtenu que des ordres impertinents, des coups de baïonnettes et le sifflement des balles des « cosaques » de la Tchéka. De fait, le pouvoir communiste a substitué à l'emblème glorieux des travailleurs, la faucille et le marteau, cet autre symbole : la baïonnette et les barreaux, ce qui a permis à la nouvelle bureaucratie, aux commissaires et aux fonctionnaires communistes de s'assurer une vie tranquille et sans soucis.
Mais ce qui est le plus abject et le plus criminel, c'est l'esclavage spirituel instauré par les communistes : ils mirent la main aussi sur la pensée, sur la vie morale des travailleurs, obligeant chacun à penser uniquement suivant leur formule.
A l'aide des syndicats étatisés, ils attachèrent l'ouvrier à la machine et transformèrent le travail en un nouvel esclavage, au lieu de le rendre plaisant.
Aux protestations des paysans, allant jusqu'à des révoltes spontanées ; aux réclamations des ouvriers, obligés par les conditions mêmes de leur vie de recourir à des grèves, ils répondent par des fusillades en masse et par une férocité qu'auraient enviée les généraux tsaristes.
La Russie des travailleurs, la première qui leva le drapeau rouge de l'émancipation du travail, est reniée dans le sang des martyrs pour la plus grande gloire de la domination communiste. Les communistes noient dans cette mer de sang toutes les grandes et belles promesses et possibilités de la Révolution prolétarienne.
Il devenait de plus en plus clair, et il devient maintenant évident que le parti communiste n'est pas, comme il feignait de l'être, le défenseur des travailleurs. Les intérêts de la classe ouvrière lui sont étrangers. Après avoir obtenu le pouvoir, il n'a qu'un seul souci : de ne pas le perdre. Aussi considère-t-il que tous les moyens lui sont bons : diffamation, tromperie, violence, assassinat, vengeance sur les familles des rebelles.
Mais la patience des travailleurs martyrs est à bout.
Le pays s'illumine çà et là par l'incendie des rebellions dans la lutte contre l'oppression et la violence. Les grèves ouvrières se multiplient.
Les limiers bolchévistes veillent. On prend toutes les mesures pour empêcher et étouffer l'inévitable troisième Révolution.
Malgré tout, elle est venue. Elle est réalisée par les masses laborieuses elles-mêmes. Les généraux du communisme voient bien que c'est le peuple qui s'est soulevé, convaincu qu'il est de leur trahison des idées de la Révolution. Craignant pour leur peau et sachant qu'ils ne pourront se cacher nulle part pour échapper à la colère des travailleurs, les communistes cherchent à terroriser les rebelles, avec l'aide de leurs « cosaques », par la prison, l’exécution et autres atrocités. Sous le joug de la dictature communiste, la vie même est devenue pire que la mort.
Le peuple laborieux en révolte a compris que dans la lutte contre les communistes et contre le régime de servage rétabli, on ne peut s'arrêter à mi-chemin. Il faut aller jusqu'au bout. Les communistes feignent d'accorder des concessions ; ils enlèvent les barrages dans les provinces de Petrograd ; ils assignent 10 millions de roubles-or pour l'achat des produits à l'étranger. Mais qu'on ne s'y trompe pas : c'est la poigne de fer du maître, du dictateur, qui se cache derrière cet appât ; du maître qui , le calme revenu, fera payer cher ces concessions.
Non pas d'arrêt à mi-chemin ! Il faut vaincre ou mourir !
Cronstadt la Rouge, terreur de la contre-révolution de gauche comme de droite, en donne l'exemple.
C'est ici que la grande poussée nouvelle de la Révolution fut réalisée ? Ici fut hissé le drapeau de la révolte contre la tyrannie des trois dernières années, contre l'oppression de l'autocratie communiste qui fit pâlir les trois siècles du joug monarchiste.
C'est ici, à Cronstadt, que fut scellé la pierre fondamentale de la troisième révolution qui brisera les dernières chaînes du travailleur et lui ouvrira la nouvelle et large route de l'édification socialiste.
Cette nouvelle révolution secouera les masses laborieuses de l'Orient et de l'Occident. Car elle montrera l'exemple d'une nouvelle construction socialiste en opposition à la « construction » communiste, mécanique et gouvernementale. Les masses laborieuses de l'autre côté de nos frontières seront alors convaincues par les faits que tout ce qui a été fabriqué chez nous jusqu'à présent., au nom des ouvriers et paysans, n'était pas le socialisme.
Le premier pas dans ce sens est fait sans un seul coup de fusil, sans répandre une seule goutte de sang. Les travailleurs n'ont pas besoin de sang. Ils n'en feront couler qu'en cas de légitime défense. Malgré tous les actes révoltants des communistes, nous aurons assez de maîtrise de nous-même pour nous borner à les isoler de la vie sociale afin de les empêcher de nuire au travail révolutionnaire par leur fausse et malveillante agitation.
Les ouvriers et les paysans vont de l'avant, irrésistiblement. Ils laissent derrière eux la constituante avec son régime bourgeois, et la dictature du parti communiste avec sa Tchéka et son capitalisme d'état qui resserre le nœud autour du cou des travailleurs et menace de les étrangler. Le changement qui vient de se produire offre enfin aux masses laborieuses la possibilité de s'assurer des Soviets librement élus et qui fonctionneront sans aucune pression violente d'un parti. Ce changement leur permettra aussi de réorganiser les syndicats étatisés en associations libres d'ouvriers, de paysans et de travailleurs intellectuels.
La machine policière de l'autocratie communiste est enfin brisé. »

Finalement, pour le plaisir, je ne peux m'empêcher de vous livrer un dernier message des révoltés de Cronstadt au « camarade » Trotsky.

« Écoute, Trotsky !

« Dans leurs radios, les communistes ont déversé des tombereaux d'ordures sur les animateurs de la troisième Révolution, qui défendent le véritable pouvoir des Soviets contre l'usurpation et l'arbitraire des commissaires.
Nous ne l'avons jamais caché à la population de Cronstadt. Toujours, dans nos Izvestia, nous avons rendu publiques ces attaques calomnieuses.
Nous n'avions rien à craindre. Les citoyens savaient comment la révolte s'était produite et par qui elle avait été faite.
Les ouvriers et les soldats rouges savent qu'il n'existe, dans la garnison, ni généraux ni gardes blancs.
De son côté, le comité révolutionnaire provisoire a envoyé à Petrograd une radio exigeant l'élargissement des otages détenus par les communistes dans des prisons surpeuplées : ouvriers, marins et leurs familles, et aussi la mise en liberté des détenus politiques.
Notre seconde radio proposait de faire venir à Cronstadt des délégués sans parti qui, ayant vu sur place ce qui se passait chez nous, pourraient dire la vérité aux masses laborieuses de Petrograd.
Et bien ! Les communistes, qu'ont-ils fait ? Ils ont caché cette radio aux ouvriers et aux soldats rouges.
Quelques unités des troupes du « feld-maréchal » Trotsky, passées de notre côté, nous ont remis des journaux de Petrograd. Dans ces journaux, pas un seul mot de nos radios !
Et pourtant, il n'y a pas bien longtemps, ces tricheurs habitués à jouer avec des cartes biseautée, criaient qu'il ne fallait pas avoir de secrets pour le peuple, même pas de secrets diplomatiques !
Écoute, Trotsky ! Tant que tu réussiras à échapper au jugement du peuple, tu pourras fusiller des innocents par paquets. Mais il est impossible de fusiller la vérité. Elle finira par se frayer un chemin. Toi et tes « cosaques » vous serez obligés alors de rendre des comptes. »

Je vous invite à lire « Anthologie de l'anarchisme  tome 4» de Daniel Guérin afin d'y lire un témoignage sur ces événements. Il existe aussi Cinnella Ettore « Makhno et la révolution Ukrainienne ».