samedi 31 juillet 2021

Lignes : collection dirigée par Michel Surya

 





N°62 : Les mots du pouvoir, le pouvoir des mots.

Prendre au mot, prendre le pouvoir    par Guillaume Wagner

 

Séparé. Confisqué. Extérieur. Armé. Coercitif. Dissuasif. Contraignant. Telles devraient être les caractéristiques de notre compréhension commune et doxique du « pouvoir ». Par définition, il est ce qui nous échappe. Le Pouvoir, celui qui concentre tous les pouvoirs, celui de la Domination comme telle, fait de mille alliages et maillages fonctionnels nécessaires à son exercice : médiatiques, patronaux, administratifs, scolaires, religieux, policiers, judiciaires, militaires. Pouvoir d’Etat, sphère métaphysique de concentration de pouvoirs physiques de pressurisation constante sociale et politique. Le Pouvoir s’exerce. Sur tous ceux qui en sont exclus, dépourvus, dépendants. Les larbins justifieront cela par le pseudo nécessaire bulle de la spécialisation, de l’expertise : ceux qui peuvent sont ceux qui savent. Laissons donc parler toute la horde frénétique de ces experts mortifères dont l’unique fonction est de nous faire taire, en parlant à notre place et prétendument en notre nom : experts scientifiques, psychiatriques, économiques, politiques, etc. ; que nous regardons, passivement, sur nos écrans, débattre de nos ébats à nous, petites gens. Ou plutôt, nous sommes sommés de les regarder et nous peinons à nous voir nous-mêmes spectateurs de notre propre résignation dans le reflet de ces écrans à quoi l’on est censé appartenir. Le Pouvoir se détient quand il s’exerce. Et il s’exerce constamment. Chaque matin, le réveil nous siffle et nous contenons notre fureur de vivre dans les sourires forcés au travail. Car travailler n’est pas vivre. Car vivre n’est pas travailler. Viet et Travail s’affrontent. Macron ne veut pas laisser entendre que le travail serait quelque chose de pénible et veut supprimer la formulation juridique de « pénibilité du travail » dans le code du travail, en voulant supprimer le code du travail lui-même. Nous, c’est le travail que nous voulons supprimer, car chaque heure salariée est une heure perdue, volée, supprimée à notre vie. « Pénibilité du travail » : pléonasme, définition même de tripalium. Bien sûr qu’il ne veut pas en entendre parler, cela implique justement déjà trop la substance d’une critique du travail lui-même ! Le Pouvoir : celui de faire travailler les autres. Et de les faire travailler afin même de consolider ce Pouvoir qui fait travailler. Les autres, c’est nous tous, ceux qui n’ont aucun pouvoir. Au point de mendier l’oubli de notre impuissance par notre dévotion orgasmique à la marchandise : le fameux « pouvoir d’achat », symptôme de nos vies sans pouvoir. La certitude de ne pas mourir de faim en échange de celle de choisir son ennui, c’est-à-dire son oubli de soi, son oubli du monde. Le loisir est l’aliénation consumériste que nous avons légalement » le « pouvoir » de sélectionner et d’user. Sauf que ça ne marche pas toujours. Et que la certitude de ne pas mourir de faim n’est même plus garantie. Et puis, en attendant, dans toute cette joyeuse danse sordide, le monde en attendant, dans toute cette joyeuse danse sordide, le monde réel meurt. Il meurt de notre résignation à laisser le Pouvoir tuer encore et encore toute socialité, tout rapport vivant, toute tension à la communauté humaine autonome de tout Pouvoir.

C’est l’enjeu de notre temps, de notre siècle : prendre, reprendre le pouvoir. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Prendre de force un palais d’hiver ? Autrement dit, s’emparer par la force armée et militairement organisée au milieu de la meute populaire émeutière de l’appareil d’Etat dans ce qu’il a de métaphysique ? N’est-ce pas encore là faire trop d’honneur au Pouvoir ? Celui qui divise la société en dominants et dominés, en exploiteurs et exploités. Finalement, prendre le Pouvoir est l’annihiler pour ce qu’il est. Prendre le Pouvoir, c’est le tuer. Comment ? En reprenant pouvoir sur nos propres vies, c’est-à-dire sur nos conditions matérielles et donc sociales d’existence. Directement. Immédiatement. Totalement. Tel est l’enjeu de notre temps : briser les leviers métaphysiques de la séparation, de la confiscation, de l’extériorité, de la coercition, de la dissuasion, de la contrainte. En libérant notre fureur de vivre, en nous libérant du travail qui nous asservit et alimente le capital, cœur organique supra-physique du Pouvoir. Ainsi, si le pouvoir divise et isole les individus, la communauté sociale en action par elle-même est la socialité libérée à même d’élaborer toute société sans Pouvoir. L’immanence du pouvoir social contre tout Pouvoir transcendant, telle est la guerre planétaire en cours.

Refuser la prétendue fatalité de se contenter de ce que ce monde nous permet. En premier lieu, dépasser les lois de la nécessité (faim, habitat, habillement). Puis dépasser les lois de l’institution. Le tout dans un même élan. Une député (ou une ministre, qu’importe) rétorquait en pleine face, sans honte, sur un plateau T.V. à un gilet jaune au RSA : « Mais moi, je vois plus loin, j’ai la capacité de penser l’avenir de toute la société, et pas seulement à ma petite personne. » Ben oui, camarade, a-t-on envie de répondre, donne-moi aussi vingt mille euros par mois et j’aurais le temps, le loisir et la disposition de penser à l’avenir de mon propre privilège qui fait société. Le vrai pouvoir social est justement ce savoir que le Pouvoir ne connaitra jamais puisqu’il s’érige à son encontre : la solidarité » dans la peine et dans le pain partagés, la communauté de souffrance dans tel service ou tel atelier au boulot, la communauté des mêmes peurs du lendemain. Les gilets jaunes, comme tous les révoltés et insurgés de chaque siècle et de chaque continent, sont un exemple de cette communauté immédiate. Où le poids de la souffrance sociale devient le pouvoir de s’organiser politiquement dans la réciprocité. Alors, à l’opposé de la loi de la jungle du capitalisme qui n’a pour devise et réalité que la guerre de tous contre tous, un tel pouvoir renverse l’adage trompeur : ma liberté commence où commence celle d’autrui. En cela le pouvoir de l’auto-organisation sociale est une responsabilité collective dans chaque individu est garant dans son immanence, sa quotidienneté, sa singularité.

Que le geste soit sa propre parole : prenons le pouvoir.

Extrait de "L'obsolescence de l'homme" 1956 de Gunther Anders

 « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.

L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.
Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.
En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. »
Günther Anders, "L’Obsolescence de l’homme", 1956

Lignes : collection dirigée par Michel Surya N° 62: Les mots du pouvoir, le pouvoir des mots

 Prendre  dérivés et dérivatifs  par Michel Surya

 

De prendre, les dictionnaires ne disent rien qui prépare vraiment à la fortune imprévue de ses dérivés. Préhendere a d’abord servi à dire : « se saisir de » ; mais le mot eut tôt fait de s’affranchir de ses limites, qui a dit vite aussi, aussitôt sans doute : s’approprier, conquérir, s’emparer. Ce que prise dira sans ambages, le disant d’une ville, d’une position, d’une place forte, et ce qui s’ensuit : destructions, pillages, butins, rapts, viols. Prendre, sinon d’emblée, du moins par association, a été et est resté d’essence agonistique.

Mais : entreprendre, qui n’en dérive pas moins que reprendre, surprendre ? Le fait est qu’entreprendre a adopté tard le même caractère de mot d’ordre. Entreprendre en effet dit quelque chose sans doute aucun de ce qu’il disait avant (attaquer, saisir, s’emparer etc.), même si c’est sournoisement qu’il s’est mis à le dire et le dit maintenant : pour dire le conflit encore, la lutte (des personnes, des classes, des marchés), mais par d’autres moyens. Qui définit l’entreprise comme il a défini l’armée, qu’entreprendre conduit pareillement et qui doit conduire maintenant chacun, c’est ce qui a changé, pour que chacun se suffise, pour qu’il suffise à se suffire, pour que nul n’ait plus besoin qu’on pourvoie à ses besoins, auxquels il revient à chacun de pourvoir. L’échange est étrange ou terrible que l’hystérie capitaliste parvient à imposer, et impose : libre, chacun le sera autant et pour autant qu’il pourvoira à ses besoins, et qu’il se constituera les moyens de ceux-ci, qu’il ne doit plus attendre que de lui, comme il l’attendait il y a peu de l’entreprise au sens déjà passé, encore moins de la régulation par l’Etat de ses moyens (la loi, les services publics, l’égalité de l’accès aux soins, l’équité de l’assurance retraite, etc…°

Entreprendre : tous et chacun le doivent dorénavant, à la mesure de tous et de chacun, faisant autrement dit du nom de tous et de chacun le nom de son entreprise, et de soi-même le nom d’une entreprise, au juste de sa vie une vie d’entrepreneur, et des deux la même chose, livrées aux aléas de la concurrence que les entreprises naturellement se livrent – c’est un jeu, qu’il y aura lieu que tout le monde joue puisqu’il est donné à tout le monde de le jouer à égalité, puisqu’il est juste que tout le monde puisse le jouer, c’est ce qui compte, lequel jeu ne demande que d’être entreprenant, de l’être autant que possible, de l’être autant que les règles le permettent – réduites, on ne peut plus, cela va sans dire. De l’entreprise, le modèle fût admirable ; il ne le sera que plus de l’auto-entreprise qui l’étend, qui l’intime et l’intimise.

 

Qu’auto’entreprend-on en faisant de soi une auto-entreprise. Si l’on suit l’étymologie, on s’auto-saisit, on s’auto-empare, on s’auto-asservit, (langage des armées), exerçant sur soi la domination qui règle tout rapport maintenant, maintenant que la domination se délègue à tous et à chacun comme ne devant pas moins l’exercer sur soi que sur autrui. Il entre, dans ce passage, de la domination d’autrui sur soi à la domination de soi sur soi – et sur autrui-, quelque chose d’admirable qu’il n’y a que le capitalisme, au stade hystérique qui est le sien dorénavant, à pouvoir le premier installer et régir. Quand le premier de cordée prophétise – son ton se veut souvent biblique : traverse la rue et tu trouveras le travail que tu cherches, il énonce juste une variante de la grande tautologie narcissique de règle à ce stade : ayant traversé cette rue, c’est toi que tu retrouveras sur son autre bord, et qui te mettras toi-même au travail que tu devras t’être inventé. Le premier de cordée n’a pas fait un peu de philosophie pour rien. Il en a fait assez pour en conclure que si l’aliénation est un fait de nature, la seule de ses formes qui vaille est celle qu’on exerce sur soi-même (ce serait un philosophe chrétien). Trouve un travail voudra donc dire selon lui : trouve le tien, invente-le, sue dessus, paie-toi avec, même peu, et paie toi-même les charges que l’Etat répartira proportionnellement, le moment venu, sur ton incapacité ou ta retraite.

La domination aura alors franchi ce pas supplémentaire – qui l’innocente.

 

Facétie des signes et des sens quand ils se frôlent d’un peu près : qui entreprend trop, qui se montre à la lettre trop « entreprenant » est un prédateur aussi, c’est du moins le mot qu’on entend et lit partout, s’agissant chaque fois d’entreprise en effet, mais cette fois d’entreprise sexuelle. La prédation sexuelle n’est pas depuis peu pour rien devenue l’objet d’une réprobation aussi unanime, sur laquelle avait jusque-là pesé un silence complaisant. La prédation (de praedatio, pillage, brigandage) n’a et n’aura plus qu’un sens à l’avenir : celui de l’exaction sexuelle, et pour ainsi dire plus celui de l’exaction économique. Le corps sera sacré désormais qui entreprend, dont ce sera le destin dorénavant d’’entreprendre, qui deviendra donc un bien à la puissance deux, le bien de l’auto-exploitation, à la lettre inviolable.

Ce stade de l’auto-exploitation est l’ultime d’un narcissisme décidément crépusculaire.

 

Facétie des signes et des sens, suite : l’emprise – autre dérivée. Employé, dorénavant et au singulier, pour désigner la servitude hypnotico-sexuelle dans laquelle tombent parfois jeunes filles et jeunes gens – mais pour ne pas désigner le préjudice fait à l’idée de prédation en général par les prédateurs sexuels même. Jean-Paul Curnier n’a pas pour rien   affirmé, dans La piraterie dans l’âme, que l’économie capitaliste est nativement et constitutivement prédatrice, qu’elle n’a été et n’est que prédatrice. Je cite l’avant-propos de ce livre : « Mais venons-en au fait : de quoi s’agit-il donc ici ? En quelques mots, de ceci : que la démocratie aurait partie liée, dès son origine, avec la prédation et l’exaction. Plus exactement, qu’elle serait la forme d’organisation politique la mieux adaptée au pillage, à l’extorsion et au brigandage que, par ailleurs, elle condamné sans réserve. » (Lignes, 2017, p.8). Tout le livre le démontre en effet.

 

Macron, dans l’un de ses élans confus dont il semble qu’il s’enivre seul, a dit vouloir rendre à la présidence de la République son aspect « jupitérien » ! Il n’aura donc pas fait beaucoup plus de philologie que de philosophie. Sinon, il n’aurait pas ignoré que Jupiter avait pour l’un de ses surnoms : le Prédateur (pour avoir eu droit à une part des dépouilles : destructions, pillages, butins, rapts, viols, etc.).

Par les temps qui courent...





 Un livre qui me semble indispensable à lire pour défendre le droit de ne pas croire, de n'être assujetti à aucune religion, aucun dogme. Mais pas de façon passible, de façon revendicatif, à assumer le choix de ne pas se faire envahir par ses fanatiques durs ou mous, d'ailleurs, étant tous dangereux.

Ce livre est de François Cavanna qui s'intitule: "Lettres aux culs-bénits"

Je vous en livre la préface en guise d'amuse-bouche.


Avant tout

Lecteur, avant tout, je te dois un aveu. Le titre de ce livre est un attrape-couillon. Cette « lettre ouverte » ne s’adresse pas aux culs-bénits. Pas vraiment. Ceux d’entre eux qui ont acheté le livre, croyant, sur la foi de son titre, qu’il leur était destiné, ont été possédés. C’est bien fait.

Mais je suis bien tranquille, ils ne l’ont pas acheté. L’auraient-ils acheté et, par erreur, par curiosité, par masochisme ou par mortification pieuse, lu, ce n’en serait pas moins du papier gaspillé : les culs-bénits sont imperméables, inoxydables, inexpugnables, murés une fois pour toutes dans ce qu’il est convenu d’appeler leur « foi ». Arguments ou sarcasmes, rien ne les atteint, ils ont rencontré Dieu, ils l’ont touché du doigt. Amen. Jetons-les aux lions, ils aiment ça.

Ce n’est donc pas à eux, brebis bêlantes ou sombres fanatiques, que je m’adresse ici, mais bien à vous, mes chers mécréants, si dénigrés, si méprisés en cette merdeuse fin de siècle où le groin de l’imbécillité triomphante envahit tout, où la curaille universelle, quelle que soit sa couleur, quels que soient les salamalecs de son rituel, revient en force partout dans le monde. Ce titre, vous ne vous y êtes pas trompés, vous. Vous l’avez perçu comme un appel, un signe de ralliement, une main qui s’agite au-dessus de l’océan de la connerie montante pour vous faire savoir que vous n’êtes pas seuls, que nous ne sommes pas seuls. Le petit nombre, c’est vrai, et dispersé, c’est vrai, mais conscient et décidé à ne pas hurler avec les loups, à ne pas bêler avec les ouailles.

Ô vous, les mécréants, les athées, les impies, les libres-penseurs, vous les sceptiques sereins qu’écœure l’épaisse ragougnasse de toutes les prêtrailles, vous qui n’avez besoin ni de petit Jésus, ni de père Noël, ni d’Allah au blanc turban, ni de Yahvé au noir sourcil, ni de dalaï-lama si touchant dans son torchon jaune, ni de grotte de Lourdes, ni de messe en rock, vous qui ricanez de l’astrologie crapuleuse comme des sectes « fraternellement » esclavagistes, vous qui savez que le progrès peut exister, qu’il est dans l’usage de notre raison et nulle part ailleurs, vous, mes frères en incroyance fertile, ne soyez pas aussi discrets, aussi timides, aussi résignés !

Ne soyez pas là, bras ballants, navrés, mais sans ressort, à contempler la hideuse résurrection des monstres du vieux marécage qu’on avait bien cru en train de crever de leur belle mort.

Vous qui savez que la question de l’existence d’un dieu et celle de notre raison d’être ici-bas ne sont que les reflets de notre peur de mourir, du refus de notre insignifiance, et ne peuvent susciter que des réponses illusoires, tour à tour consolatrices et terrifiantes,

Vous qui n’admettez pas que des gourous tiarés ou enturbannés imposent leurs conceptions délirantes et, dès qu’ils le peuvent, leur intransigeance tyrannique à des foules fanatisées ou résignées,

Vous qui voyez la laïcité et donc la démocratie reculer d’année en année, victimes tout autant de l’indifférence des foules que du dynamisme conquérant des culs-bénits, À l’heure où les chouans de tout bord redressent arrogamment la crête et brandissent fourches et étendards pour proclamer leur fierté de pratiquer – et d’imposer – la « foi de leurs pères »,

À l’heure du « New-Age » des « ésotérismes » (ravaudage à la mode, puisque venu d’Amérique, des vieilles défroques ultra-éculées de l’occultisme), à l’heure des « guérisseurs par la foi qui sauve », des sorciers, des diseurs de bonne aventure accueillis à bras ouverts sur les petits écrans parce que « faisant de l’audimat », des escrocs éhontés vendeurs de croix « magiques », de talismans et autres gris-gris,

À l’heure où les athées, les libres-penseurs, les agnostiques, n’ont droit qu’à de rares et furtifs passages dans les médias tandis que la télé s’ouvre plein pot aux rites et cérémonies des « grandes religions » (Comme si les fidèles ne pouvaient pas faire à leur dieu bien-aimé le sacrifice d’aller jusqu’à son lieu de culte, au lieu de regarder ça du fond de leur lit !),

À l’heure où fleurit l’obscurantisme né de l’insuffisance ou de la timidité de l’école publique, empêtrée dans une conception trop timorée de la laïcité,

Sachons au moins nous reconnaître entre nous, ne nous laissons pas submerger, écrivons, « causons dans le poste », éduquons nos gosses, saisissons toutes les occasions de sauver de la bêtise et du conformisme ceux qui peuvent être sauvés !

Ces coups de gueule au jour le jour ne prétendent pas à l’exhaustivité. Il y aurait trop à dire ! Ce n’est pas ici un cours de théologie à l’envers (Les fausses sciences ne m’intéressent nullement, pas plus la théologie ou l’apologétique que l’astrologie, les lignes de la main ou la torsion de petites cuillères à distance). Simplement, en cette veille d’un siècle que les ressasseurs de mots d’auteur pour salons et vernissages se plaisent à prédire « mystique », je m’adresse à vous, incroyants, et surtout à vous, enfants d’incroyants élevés à l’écart de ces mômeries et qui ne soupçonnez pas ce que peuvent être le frisson religieux, la tentation de la réponse automatique à tout, le délicieux abandon du doute inconfortable pour la certitude assénée, et, par-dessus tout, le rassurant conformisme.

Dieu est à la mode. Raison de plus pour le laisser aux abrutis qui la suivent.

Un livre aussi « blasphématoire » n’aurait pu être édité ailleurs qu’en France sans risquer de gros ennuis. Les fanatiques ne se trouvent pas tous en Iran. S’ils n’assassinent pas à tous les coups, du moins peuvent-ils traîner l’impie en justice, lui casser la gueule dans un coin noir ou foutre le feu chez lui.

Heureusement, nous sommes en France ! En France, qui est encore un peu (si peu !) la patrie de Voltaire, de Diderot, de Hugo, de Renan. Profitons-en. Tant que ça dure…

Eh, vous !

Vous,

les chrétiens,

les Juifs,

les musulmans,

les bouddhistes,

les hindouistes,

les shintoïstes,

les adventistes,

les panthéistes

les « témoins » de ceci-cela,

les satanistes,

les gourous,

les mages,

les sorciers,

les yogis,

les ardents,

les mous,

les qui coupent la peau de la quéquette aux petits garçons,

les qui cousent le pipi aux petites filles,

les qui prient à genoux,

les qui prient à quatre pattes,

les qui prient sur une jambe,

les qui ne mangent pas ceci-cela,

les qui se signent par la droite,

les qui se signent par la gauche,

les qui se vouent au diable parce que déçus de Dieu,

les qui prient pour que tombe la pluie,

les qui prient pour gagner au Loto,

les qui prient pour que ça ne soit pas le sida,

les qui mangent leur dieu en rondelles,

les qui ne pissent jamais contre le vent,

les qui ont la foi des charbonniers,

les qui ont la foi du patron,

les qui ont la foi parce que c’est plus convenable,

les qui vénèrent les reliques,

les qui se confessent et puis recommencent,

les qui font l’aumône pour gagner le ciel,

les qui lapident le bouc émissaire,

les qui égorgent le mouton,

les qui se figurent survivre en leurs enfants,

les qui se figurent survivre en leurs œuvres,

les qui ne veulent pas descendre du singe,

les qui bénissent les armées,

les qui bénissent les chasses à courre,

les qui brûlent les livres,

les qui commenceront à vivre après la mort…

Vous tous,

qui ne pouvez vivre sans un père Noël et sans un père Fouettard,

vous tous,

qui ne pouvez supporter de n’être rien de plus que des vers de terre avec un cerveau,

vous tous,

qui avez besoin de n’être pas nés pour mourir et qui êtes prêts à avaler tous les mensonges rassurants,

vous tous,

qui vous êtes bricolé un dieu « parfait » et « bon » aussi stupide, aussi mesquin, aussi sanguinaire, aussi jaloux, aussi avide de louanges que le plus stupide, le plus mesquin, le plus sanguinaire, le plus jaloux, le plus avide de louanges d’entre vous,

vous tous, oh, vous tous,

Foutez-nous la paix !

 

Faites vos salamalecs dans le secret de votre gourbi, fermez bien la porte, surtout, et ne corrompez pas nos gosses.

Foutez-nous la paix, chiens !

Inch’ Allah !

Que Dieu existe ou non n’a aucune importance. Il ne s’ensuit aucune influence sur notre conduite.

Dieu, par définition, est inconnaissable. Sa nature et, à plus forte raison, ses desseins, ne nous sont pas accessibles. Si vraiment il existe et nous a voulus tels que nous sommes, c’est-à-dire incapables de le concevoir tout en étant torturés par la question de son existence et par celle de nos fins dernières, laissons-lui le soin de gérer tout cela. Il l’a créé ? Qu’il s’en démerde !

vendredi 30 juillet 2021

Discussion avec des militants américains du mouvement pour une justice économique mondiale et contre la guerre Chris Crass

Qui ne veut pas voir la couleur de la peau ou le sexe… … ne voit pas non plus la réalité.

Le rapport ci-dessous a été rédigé par un militant anarchiste actif notamment dans le mouvement anti-guerre aux Etats-Unis. Son vocabulaire, ses préoccupations paraîtront certainement très « exotiques » aux militants français, voire scandaleuses pour des républicains intégristes ou des universalistes abstraits qui prétendent ne tenir aucun compte des différences de couleur ou de sexe entre les individus, lorsqu’ils débattent avec eux ou lorsqu’ils réfléchissent sur la société capitaliste et les moyens de la transformer radicalement — d’où l’intérêt de cet article original ici, banal de l’autre côté de l’Atlantique. S’il traite surtout de l’intervention en milieu étudiant ou du travail dans les communities (quartiers ou communautés ethniques, selon le cas), et pratiquement pas de la classe ouvrière, il pose néanmoins des questions ayant une portée universelle. Le rapport de Chris Crass est suivi d’un entretien avec l’auteur pour éclaircir certains points obscurs ou contestables. Il aurait fallu, bien sûr, lui poser bien d’autres questions, mais, faute de place et de temps, il a fallu se limiter. En tout cas, ce que les deux textes montrent bien, c’est à quel point les différences culturelles entre la France et les Etats-Unis conditionnent le vocabulaire mais surtout l’activité des militants. Au-delà des dangers d’un discours que l’on qualifierait aussitôt en France de « mouvementiste », d’ « identitaire » ou de « communautariste », n’y a-t-il pas quelque chose à apprendre du cas américain ? L’interview, menée à distance, laisse beaucoup de problèmes en suspens, notamment le rôle indépendant de la classe ouvrière dans le « mouvement altermondialiste » et la façon de dépasser, sans les nier, les différences entre les genres et les origines ethniques. Répéter quelques vérités élémentaires sur le rôle du prolétariat est toujours utile, voire indispensable face à des courants qui, sous prétexte de lutter contre la prétendue « ringardise » du marxisme, ressortent de vieilles idées réformardes. Mais force est de constater que les nouvelles générations qui se sont politisées après les défaites des années 70, la disparition de l’URSS et des démocraties populaires, et l’effondrement des partis communistes européens, n’ont pas repris à leurs comptes les vieux acquis du mouvement ouvrier. On peut les traiter leurs conceptions d’ « anarchistes », de « spontanéistes », de « crypto-réformistes », etc., mais cette accumulation d’invectives ne nous fournit pas le moyen de nous adresser aux jeunes qui se politisent sur des bases très différentes de celles des années 60 et 70 et sont animés par une saine révolte contre une partie des aspects du système capitaliste. Dans ce sens, mieux connaître leur univers mental ne peut que nous permettre d’en discerner les ambiguïtés et d’ouvrir des pistes de réflexion et de débat . (Y.C.)

Inculquer un éventail d’aptitudes et de conséquences

« Nous n’avons pas beaucoup de temps, mais il faut que nous ralentissions le rythme. » J’ai entendu cette phrase pour la première fois dans un meeting contre la guerre, peu après le bombardement de l’Afghanistan. La militante afro-américaine qui l’avait prononcée pensait que nous devions réfréner nos ardeurs afin de réfléchir sur la factibilité de nos actions et dresser un catalogue de priorités avant de décider comment, sur le plan stratégique, utiliser au mieux notre temps et nos ressources limités. Nous devions, selon elle, faire preuve de patience au milieu du chaos et ne pas hésiter à prendre le temps de réfléchir.

Le besoin de répondre aux attaques racistes du gouvernement Bush, aux bombardements américains et aux démantèlement des libertés civiques dans ce pays est très réel. Cependant, on peut avoir une activité frénétique sans rien réaliser du tout et être très occupé sans pour autant mener une action efficace. J’ai l’habitude de ces situations de crise organisationnelle, où les camarades sont exaltés, épuisés et où le turn[1]over est très important, de ces situations où l’on se sert peu de l’expérience du passé et où l’on ne planifie guère l’avenir, où les cîmes de nos succès sont plus rares que les gouffres de nos frustrations. Une action réfléchie permet de planifier, de fixer des objectifs, d’apprendre à des individus à en organiser d’autres et à évaluer correctement une situation pour mieux préparer des actions futures.

Cet article fait partie d’un projet plus large, mené en commun avec Elizabeth Martinez de l’Institute for MultiRacial Justice (Institut pour une justice multiraciale). Nous voulions parler à des militantEs actifs dans différents coins du pays afin de connaître leurs principales difficultés et leurs axes de travail dans le mouvement anti-guerre qui se développe actuellement aux États-Unis. Nous souhaitions connaître leur opinion sur la façon de construire un puissant mouvement contre la guerre qui puisse affecter toute la société américaine. Nous désirions aussi savoir comment renforcer le mouvement antiraciste au sein du mouvement anti-guerre. Elisabeth Martinez s’est entretenue principalement avec des militants de couleur tandis que moi j’ai surtout parlé avec des militants blancs. Nous sommes tous deux guidés par une conviction (l’espoir d’un changement social à long terme est lié à la croissance de mouvements multiraciaux radicaux) et une constatation communes: il reste encore une longue route à parcourir pour atteindre cet objectif.

Sharon Martinas du Challenging White Supremacy Collective (Collectif contre la suprématie blanche) de San Francisco décèle trois axes d’intervention pour les militants blancs anti-guerre :

1. Une formation politique interne portant sur l’antiracisme et l’anti-impérialisme. Les mouvements anti-guerre sont depuis longtemps dominés par les Blancs et marginalisent les individus de couleur. Si l’on veut éviter de répéter les erreurs du passé, il est indispensable d’étudier notre histoire et d’examiner comment les privilèges des Blancs ont miné et minent les mouvements sociaux. Il nous faut bien connaître le fonctionnement de l’impérialisme américain et son impact négatif sur les communautés et les peuples de couleur, à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

2. Apprendre à écouter les autres et à parler avec respect à nos interlocuteurs, en particulier les Blancs favorables à la guerre. Cela suppose de développer notre confiance en nous-mêmes et notre capacité à discuter avec autrui, d’apprendre à mener des discussions et à écouter ce que les gens ont à nous dire. Les militants doivent faire preuve de modestie et ne pas agir comme s’ils détenaient la « ligne juste » .

3. Développer des relations et des alliances avec les organisations implantées localement dans les communautés de couleur et ayant des références politiques proches des nôtres. Leur demander : « De quoi avez-vous besoin en ce moment ? » Il faut dénoncer l’impact local et international de la politique américaine et construire des relations qui renforceront notre projet à long terme. Une grande partie de ce travail consiste à effectuer des tâches concrètes et aider les militants blancs à comprendre la signification du mouvement pour une justice raciale.

La plupart des obstacles, des défis, des perspectives et des exemples que les militants ont évoqués s’intègrent dans les trois catégories définies par Sharon Martinas.

Sur la formation politique

La formation et l’éducation politiques jouent, pour la majorité des présents, un rôle essentiel dans le succès d’un travail anti-guerre. Pour Dara Silverman, militante à Boston de United for a Fair Economy (Mouvement une économie équitable) et du Jewish Call to Justice (Comité des Juifs pour la justice), la formation politique permet d’éveiller le sens critique et d’attirer l’attention sur le rôle d’Israël au Moyen-Orient et le combat du peuple palestinien pour sa libération. La lutte contre l’apartheid israélien a été au centre des discussions lors de la Conférence mondiale contre le racisme organisée par les Nations unies à Durban, en août 2001. La croissance du mouvement international de solidarité avec les Palestiniens oblige les progressistes américains à prendre position contre l’occupation israélienne. Mais de nombreux militants anti-guerre affirment que la complexité de la situation politique et de l’histoire du Moyen-Orient, et spécialement de la Palestine et d’Israël, entrave considérablement le développement du mouvement anti-guerre.

Selon Dara Silverman, certaines personnes se réfugient derrière le caractère confus et complexe des problèmes pour ne pas prendre position. Pourtant, avec le recul, on peut repérer de nombreuses injustices flagrantes dans l’Histoire, injustices qui au moment où elles furent commises étaient considérées, elles aussi, comme le fruit de problèmes très compliqués et embrouillés. Par exemple, aujourd’hui tout le monde condamne les camps d’internement où le gouvernement Roosevelt/Eisenhower a enfermé les Japono-Américains pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, à l’heure actuelle, alors que les autorités interrogent des milliers de musulmans, d’Arabes, Asiatiques et d’Africains du Nord et qu’elles maintiennent en détention plus de 1000 d’entre eux, l’opposition à ces mesures est très faible. De même, on a l’impression que tout le monde était opposé à la guerre du Vietnam, à l’apartheid en Afrique du Sud, à l’Holocauste en Europe, lorsque ces événements ont eu lieu, ce qui n’est malheureusement pas du tout le cas. Ceux qui s’opposèrent à ces crimes furent marginalisés, attaqués et on les accusa de « ne rien comprendre du tout » à ces problèmes. L’occupation israélienne cessera forcément un jour, déclare Dara Silverman qui espère que les militants reconnaîtront la nécessité d’accorder la priorité à la lutte des Palestiniens dans le cadre du mouvement anti-guerre. Parmi les Blancs progressistes, les Juifs radicaux ont été à l’avant-garde du travail de solidarité avec la Palestine et continuent à jouer un rôle décisif en ces temps de guerre.

Laura Close, dirigeante nationale de l’organisation STARC (Students Transforming And Resisting Corporations Alliance, Alliance étudiante pour transformer les grandes entreprises et résister à leur pouvoir) travaille et discute avec des étudiants qui se mobilisent contre la guerre un peu partout dans le pays. De ses conversations avec des étudiants blancs et de couleur, Close conclue qu’il faut distinguer deux axes importants dans la formation politique du mouvement étudiant, mouvement composé essentiellement de Blancs : l’analyse du racisme et l’acquisition d’un savoir-faire organisationnel.

Dans son essai « Whiteness, Organizing, Allies and Accountability » (Blanchitude, organisation, alliances et responsabilité »), Close écrit : « La blanchitude cause des dégâts dans tous les milieux. Elle est présentée aux Etats-Unis comme un modèle d’humanité : les Blancs sont synonymes de meilleur/juste/normal tandis que les individus de couleur incarneraient le deuxième choix/erroné/étranger. Cela rend des Blancs comme moi et. Nous avons tendance à penser que la façon dont nous organisons des manifestations, dont nous construisons l’opposition à la guerre est meilleure-juste-normale alors qu’en fait nous marginalisons et ignorons toutes sortes de gens. »

L’universalisation de l’expérience blanche est compliquée encore par un processus que Laura Close voit se répéter chez les militants étudiants blancs, en particulier chez les hommes. Non seulement ils ignorent ce qu’est le travail d’organisation et la façon de construire un mouvement d’opposition à la guerre, mais en plus ils ont une attitude arrogante, de Monsieur Je sais tout, qui prétend décider seul de ce qui est révolutionnaire et de ce qui ne l’est pas. Pour de nombreux autres militants étudiants blancs, notamment les femmes, un autre problème se pose : ils manquent de confiance en leurs capacités d’organisation. Ces deux processus freinent considérablement la construction d’un mouvement anti[1]guerre sur les campus. Selon Laura Close, il faut absolument développer une formation politique solide qui développe les capacités d’analyse, les talents et la confiance en soi des militantEs tout en remettant en cause les privilèges des Blancs.

« Les jeunes militantEs, écrit-elle, ignorent souvent ce que signifie l’organisation. J’ai toujours réussi à mener à bien des projets (tenir une réunion, lancer une manifestation, etc.) mais ce n’est que récemment que j’ai vraiment compris ce que signifie le verbe organiser. (…) Il ne s’agit pas véritablement d’une théorie mais d’un ensemble d’éléments qui sont grosso modo les suivants (avec beaucoup de variations, bien sûr !). Organiser c’est changer les relations de pouvoir dans notre société. Organiser c’est construire des réseaux, des institutions, des organisations avec lesquels les pouvoirs établis (le gouvernement) sera forcé de compter lorsqu’il voudra mener une politique nocive, comme de s’attaquer à l’aide sociale ou de préparer une guerre. Une action (manif, délégation, banque d’écoute, accrochage de banderoles, exposé politique, envoi de cartes postales de solidarité ou de protestation) est bien organisée lorsqu’elle est menée en continuité avec l’étape antérieure et aboutit à son objectif. Dans la période actuelle, nous ne construisons pas un mouvement coordonné, qui interagit, nous menons des initiatives dispersées. Nous dépensons un sacré paquet d’énergie, c’est sûr, mais nous ne construisons rien de solide parce que nous manquons de savoir-faire. Mais nous pouvons résoudre ce problème. » En tant que responsable de STARC, Laura Close parcourt le pays pour rencontrer des groupes d’étudiants afin de développer leurs capacités d’analyse, leur confiance en eux-mêmes et leurs talents.

Rahula Janowsko souligne, elle aussi, l’importance d’analyser et de combattre le racisme ainsi que les privilèges des Blancs. Militante anarchiste, Rahula nous a raconté une discussion récente lors d’une réunion libertaire à laquelle assistaient surtout des Blancs. La discussion était centrée sur la façon dont les anarchistes doivent considérer les attaques contre les libertés civiques. Selon certains ; puisque les anarchistes pensent que l’Etat est une institution illégitime, il est contraire aux principes libertaires de demander quoi que ce soit à l’Etat. « Certains des participants, écrit-elle, se servaient d’une valeur politique fondamentale — l’illégitimité de l’Etat — pour éviter de participer à un travail de solidarité antiraciste indispensable : s’opposer aux atteintes à leur liberté que subissent les gens de couleur, en particulier les Arabes, les personnes originaires du Moyen-Orient et les musulmans, suite aux attentats du 11 septembre. Si les anarchistes et l’extrême gauche étaient visés, je soupçonne qu’on les entendrait beaucoup moins affirmer qu’il n’est pas important de riposter. »

Mais il faut tenir compte d’un autre problème. On ne décide pas toujours de son thème d’intervention. Lorsque les agents du FBI ont commencé à arrêter des Asiatiques et des Nord-Africains, les ressortissants de ces communautés n’ont pas choisi de s’intéresser aux problèmes des libertés civiques, cette question les a frappés de plein fouet. Cela ne doit pas nous empêcher de défendre une analyse et une stratégie révolutionnaires sur ces questions. Cependant, nous devons examiner de façon critique comment certains attribuent à des luttes l’étiquette de révolutionnaires ou de réformistes et pourquoi ils peuvent se permettre le luxe de tourner le dos aux luttes pour les réformes. Les positions politiques « pures et dures » sont souvent défendues par des militants qui jouissent de privilèges liés à leur appartenance ethnique, à leur classe ou à leur genre. Janowski souligne l’importance d’avoir de telles discussions pour soulever ces questions et les creuser, surtout dans une période difficile comme la nôtre.

Les groupes multiraciaux impulsent de nombreuses manifestations et actions politiques visant à construire une opposition dans des communautés différentes. Chantel Ghafari, militant iranien et membre de Power (People Opposing War, Empire and Rulers, Collectif contre la guerre, l’Empire et les dirigeants) nous a décrit une action récente qui s’est déroulée à l’université d’Irvine en Californie du Sud. La coalition qui a organisé cette manifestation comprend des associations d’étudiants musulmans, afghans et iraniens, Academia in Action (Les universitaires en action) et Act For Global Justice (Agissons pour la justice mondiale). Ils ont installé un camp de réfugiés incluant 25 tentes fabriquées avec des morceaux de caoutchouc et de plastique, matériaux utilisés généralement dans ces camps. Une vingtaine de personnes y ont dormi pendant trois nuits. Chaque soir, la coalition organisait un événement différent pour attirer l’attention des étudiants. Le fait de discuter du problème des réfugiés a provoqué d’autres discussions sur le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine . La Rawa (Revolutionary Association of the Women of Afghanistan, Association révolutionnaire des femmes afghanes) organisait ce jour-là une exposition de photos consacrée aux camps de réfugiés. La prochaine action de la coalition sera de poser de fausses mines anti-personnel autour de l’université pour informer les étudiants de la situation en Afghanistan. Des actions créatives de ce type-là vont être organisées aux quatre coins du pays.

Construire une opposition dans les communautés blanches et au-delà

Les militants blancs ont la responsabilité de s’adresser aux autres Blancs et de leur parler du racisme. Comme en matière d’organisation politique, il est plus facile d’en parler que de le faire. Laura McNeill qui travaille avec JustAct : Youth Action for Global Justice (Agissons : Comité des jeunes pour la justice mondiale) a passé beaucoup de temps à discuter avec des Blancs de son entourage.

« En dehors de mes actions pour la justice sociale avec d’autres militants, je pense qu’il est important d’ouvrir un espace de dialogue avec les membres de ma communauté qui ne partagent pas mes idées révolutionnaires. Je vis dans une ville près de Norfolk, en Virginie, où de nombreuses personnes apprécient l’armée et ce qu’elle a fait pour eux, soit en leur fournissant un salaire leur permettant de se nourrir, soit en leur permettant d’accéder à l’Université. Beaucoup de ces gens m’ont soutenu moralement au cours de ma vie, aussi je suis partagée lorsque j’expose mes conceptions antimilitaristes à ces personnes qui me sont très proches. Ma position est difficile car je veux lutter contre la guerre raciste que le gouvernement Bush nous prépare. Néanmoins, je pars d’une intuition élémentaire : presque tous les êtres humains veulent faire ce qui est juste, et ils n’apprécient guère que l’on haïsse d’autres personnes ou qu’on leur fasse du mal. Et je crois que si, on leur en donne l’occasion, ils aimeraient aussi comprendre des injustices systématiques comme le racisme, l’impérialisme américain et la domination mondiale du monde par les multinationales américaines. Ils souhaiteraient redécouvrir leur propre voix, poser des questions et combattre ces injustices. »

Dans ce but, Laura McNeill commence à dialoguer avec les personnes de son entourage et à écouter ce qu’elles ont à dire. Elle leur passe ensuite des articles provenant de journaux alternatifs. Et lorsqu’elle pense que le moment est venu, elle décrit comment elle est devenue une militante et expose ses motivations personnelles. Elle explique aussi les différences qui existent entre une famille de New York et une famille afghane, afin de remettre en cause les stéréotypes qui circulent sur le Proche et le Moyen[1]Orient.

En agissant ainsi, McNeill a pris conscience que lorsque les gens lui répondent avec colère, c’est parce qu’elle exprime une position différente et les met au défi de penser au-delà de leurs certitudes confortables. « J’ai tendance à penser instinctivement qu’ils sont en colère à cause de moi, alors que c’est le système d’oppression dans lequel nous vivons qui les rend confus, irritables et dresse une barrière entre nous ».

Laura souligne aussi la nécessité d’inclure nos interlocuteurs dans la discussion. « J’ai découvert que les gens sont poussés à agir lorsqu’ils se sentent qu’ils font eux-mêmes partie de la solution. Pour en arriver à cette prise de conscience, il faut qu’ils aient l’occasion de s’exprimer, de formuler leurs frustrations et de poser des questions. Je dois les écouter, partager avec eux ce que je sais et ce que j’ai vécu et leur donner la possibilité de me rejoindre. »

Max Elbaum, militant depuis la guerre du Vietnam et auteur notamment d’un livre sur les mouvements révolutionnaires des années 60 et 70 (Revolution in the Air, à paraître aux éditions Verso) tient à souligner que nous travaillons sur le long terme. Les coalitions anti-guerre sont importantes parce qu’elles ont des effets relativement rapides et que l’existence d’un courant antimilitariste important dans la société est essentielle. Cependant, il faut aussi organiser chaque secteur de la population et s’implanter chez des gens qui ne sont pas prêts au départ à manifester dans la rue. A la fin des années 60, les militants qui participaient à des organisations et des projets multiraciaux faisaient de la propagande dans des lieux où cohabitaient des ethnies opprimées de différentes origines : les travailleurs des hôpitaux, les bénéficiaires de l’aide sociale, les ouvriers d’usine, les habitants de quartiers pauvres. L’objectif était de lier l’opposition internationale à la guerre aux questions nationales ou locales qui les touchaient directement. Le fait qu’ils militaient dans des organisations de base et sur le long terme avait aussi un autre avantage : ils pouvaient lutter plus efficacement contre les attitudes racistes chez les Blancs et souligner comment les privilèges accordés aux Blancs renforcent le pouvoir de ceux qui exploitent les ouvriers et les pauvres de toutes les origines ethniques et nationales. Beaucoup de militants, qui participaient à des luttes locales depuis des années, ont pu ainsi remettre en cause le schéma destructeur partagé par de si nombreuses personnes dans ce pays, qui se considèrent seulement comme blanches, voient les gens de couleur seulement comme des étrangers, incarnation de l’Autre, et refusent de traverser la « frontière de la couleur », de nouer la moindre relation humaine avec des membres d’une autre classe ou d’un autre genre.

Pour construire un mouvement anti-guerre efficace aujourd’hui, Elbaum pense qu’il faut absolument mener un travail patient en direction des organisations qui regroupent des gens ordinaires. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’ils adhèrent directement à des coalitions ou des groupes anti-guerre. Nous devons aller dans les églises, les syndicats, les associations et les clubs locaux. De tels groupes évolueront peut-être plus lentement que nous le souhaitons vers des positions anti-guerre. Mais lorsqu’ils décideront de nous soutenir, ils nous fourniront une structure et des membres prêts à agir. Par exemple, peut-être au départ vaut-il mieux inviter seulement un membre d’un de ces groupes à une conférence ou une activité, puis demander à cette personne d’amener quelques-uns de ses camarades à la prochaine activité. Peut-être accepteront-ils d’organiser une conférence politique pour leur groupe. Au cours de ce processus il est important de soutenir la direction des groupes auxquels appartiennent ces gens et d’offrir notre soutien.

Tout en partageant les leçons qu’il tire de son activité passée, Elbaum souligne aussi la nécessité pour les militants plus vieux de respecter et d’apprendre de l’expérience des générations plus jeunes. Comme dans le passé, il est capital de saisir le lien intime entre la guerre américaine et le racisme aux Etats-Unis et le rôle des privilèges accordés aux Blancs lorsque nous essayons de nous adresser à l’ensemble de la population et à l’intérieur du mouvement anti-guerre lui-même. Mais les formes et les méthodes précises pour remettre en cause la domination du racisme changent avec le temps, et ce sont les jeunes militants qui sont les mieux placés pour choisir quels sont les éléments les plus valables des expériences passées et inventer les stratégies les plus efficaces aujourd’hui. Pour construire un mouvement multiracial et antiraciste il faut non seulement mener une action aux côtés des organisations multiraciales, mais aussi un travail de solidarité avec des groupes majoritairement blancs

Le travail antiraciste en direction des organisations blanches

Lily Wang, militante de l’Asian and Pacific Islander Coalition Against War (Coalition des Asiatiques et des insulaires du Pacifique contre la guerre), mouvement implanté dans la région de San Francisco, explique que le moment n’est pas forcément venu de travailler tous ensemble. Selon elle, il y a tant de choses à faire dans des communautés si différentes. « Nous opérons dans des dizaines de communautés d’immigrés asiatiques différentes. Comment pourrions-nous participer à des coalitions multiraciales où les immigrés et les militants qui ne parlent pas l’anglais sont souvent marginalisés ? » Selon elle, les militants blancs devraient s’adresser aux organisations de couleur pour leur demander comment leur donner un coup de main, orienté vers des tâches précises. C’est à travers de telle actions de soutien que des relations de confiance peuvent se développer.

Lily Wang souligne aussi l’importance de la responsabilité, pierre angulaire d’un travail de solidarité efficace. La façon dont les militants blancs ont, dans le passé, miné la lutte pour le changement social, ainsi que les manifestations actuelles des privilèges des Blancs conduisent beaucoup de militants de couleur à être réticents quant au travail commun avec des militants blancs. Ce problème est encore aggravé par la tendance des militants blancs soit à négliger totalement les luttes dans les communautés de couleur, soit à les considérer comme des luttes limitées, pour des objectifs catégoriels, des luttes réformistes. La responsabilité, pour les militants blancs, signifie ne pas oublier le poids du passé et de ces relations difficiles et s’efforcer de changer ces comportements. La responsabilité consiste tout simplement à faire ce à quoi vous vous engagez. La responsabilité, c’est accepter que les gens avec lesquels vous travaillez vous demandent des comptes sur votre conduite, vos actions et votre façon d’organiser les autres.

Créer la responsabilité signifie souvent créer des relations entre des organisations. Le groupe de San Francisco Food Not Bombs (FNB) voulait témoigner sa solidarité aux journaliers du quartier de Mission, pour la plupart d’origine latino-américaine. Ils apportaient de la nourriture aux coins des rues où ces demandeurs d’emploi se tenaient dans l’attente de trouver du boulot. Food Nod Bombs distribuait de la nourriture tous les lundis mais le groupe n’arrivait pas à résoudre certains problèmes. Quel était l’impact d’une distribution non sollicitée de nourriture à des individus éparpillés ? Quel pouvait être l’objectif à long terme d’une telle activité ?. En dehors de la difficulté technique de servir des plats chauds, un autre problème se posait : la plupart des journaliers pensaient que FNB était un groupe religieux et la communication avec eux ne s’établissait pas. FNB décida alors de changer de stratégie et de tenter de soutenir ces travailleurs d’une autre façon : en offrant d’amener de la nourriture aux événements organisés par le Day Laborer Program (DLP, Programme pour les journaliers), un centre indépendant, autogéré, qui offrait toutes sortes de services, de l’assistance médicale à l’organisation de groupes femmes. Au départ le DLP accepta l’offre de FNB d’apporter de la nourriture, mais leurs militants prévoyaient toujours suffisamment de nourriture au cas où FNB ne se présenterait pas. Le sentiment frustrant de ne pas être indispensables a poussé les militants de FNB à mieux comprendre comment se construisent lentement des sentiments de responsabilité, comment naît et croît une confiance mutuelle. Plus FNB participait à des activités et montrait son engagement, plus le respect mutuel croissait et le DLP a contacté les membres de FNB pour que ceux-ci préparent à manger, y compris lors d’événements importants comme les repas pour les journaliers et leurs familles. FNB a aussi participé à l’organisation d’une garderie pour les enfants pendant les réunions du DLP et à des activités de porte-à-porte pour solliciter le soutien du voisinage afin de trouver un siège décent pour le groupe. Au fil du temps des relations se sont développées. Maintenant, à un moment où le gouvernement s’attaque de plus en plus aux droits des immigrés, FNB est considéré comme un allié, tandis que le DLP et d’autres organisations défendant les droits des immigrés s’apprêtent à riposter. Ce type de relations ne se construit pas du jour au lendemain, quelles que soient les bonnes intentions de part et d’autre.

«Le travail de soutien d’une organisation comme le DLP nous a beaucoup apporté, explique Clare Bayard, militante de FNB. Nous avons énormément appris en observant comment agissent ces militants radicaux, inspirés et très intelligents. Nous avons tiré profit de leurs capacités d’organiser leur communauté et aussi des informations de grande valeur qu’ils nous ont fournies sur la façon dont l’économie mondiale affecte les différentes communautés ici à San Francisco. Cette activité commune a renforcé tout le travail que notre organisation mène autour de la justice économique et des droits de l’homme. Construire des alliances est un travail assez lent ; le DLP a eu raison de ne pas nous accorder sa confiance dès le premier contact. Notre décision de nous investir prioritairement dans la construction d’une relation solide avec eux a enclenché un processus d’éducation politique interne. Nous avons été patients, nous avons démontré que nous étions à la fois fiables et flexibles. Cela nous a permis de soutenir beaucoup plus efficacement les luttes décisives des travailleurs immigrés à San Francisco. Ces gars-là jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le capitalisme international et nous avons trouvé le moyen de travailler en solidarité les uns aves les autres. »

Cependant, en cette période de répression croissante, de nouvelles complications viennent entraver la conclusion d’alliances multiraciales. Dan Berger travaille avec un groupe multiracial en Floride qui fait partie d’un réseau national (Colours of Resistance, Les Couleurs de la Résistance) Ils ont organisé une conférence contre la guerre et le racisme pour étudier spécialement les façons dont la suprématie blanche opère sur le plan international et national. A cette fin, ils ont demandé à un éminent professeur révolutionnaire latino-américain de prendre la parole. Ce dernier leur a donné les coordonnées d’un prof révolutionnaire blanc et leur a expliqué qu’en raison de possibles réactions racistes il préférait ne pas se mettre en avant. Berger se demande : « A une époque comme la nôtre, comment des Blancs antiracistes comme nous peuvent-ils à la fois être conscients de leurs privilèges et les utiliser pour s’exprimer. ? » De nombreux révolutionnaires de couleur pensent que les Blancs antiracistes doivent prendre la parole tout en n’oubliant jamais que la suprématie blanche en réduit d’autres personnes au silence.

Sasha Vodnik et Shawn O’Hern décrivent l’action qu’ils mènent à Richmond en Virginie. FNB a travaillé avec Parents for Life (Des parents pour la vie) et Stop Police Abuse Now (Arrêtez immédiatement les brutalités policières) deux groupes qui organisent la communauté afro-américaine de Richmond et sont dirigés par des militants de couleur, pendant environ six mois. Nous sommes allés à leurs réunions et réciproquement, de façon irrégulière, pendant six mois, mais nous avons toujours assisté aux manifestations publiques des deux groupes. FNB et Stop Police Abuse Now ont organisé ensemble, il y a quelques mois, une réunion au cours de laquelle Lorenzo Komboa Evin (un ancien Black Panther et ancien prisonnier politique) a pris la parole. Nous avons réuni 50 personnes qui ont écouté les trois orateurs. Selon Vodnik, l’un des aspects importants du travail de solidarité consiste à écouter attentivement la façon dont les différentes communautés définissent les problèmes. Durant son exposé, Lorenzo Komboa Ervin a défendu l’idée que l’opposition à la guerre devait être animée par une vision plus large d’un changement social radical. « Une paix qui maintient le statu quo ne nous intéresse pas », a déclaré Ervin.

Vodnik explique : « Cela été un rappel important pour moi : je me suis souvenu qu’il existait des rapports entre les luttes, que le combat contre les brutalités policières et la racisme, la lutte pour les salaires et un système de santé universel, etc. ; ont non seulement leur place dans le mouvement anti[1]guerre mais que ces mouvements sont organiquement liés. »

Dans le même sens, Brooke Atherton du Challenging White Supremacy Collective déclare que les militants Blancs devaient comprendre ce que signifie respecter la direction des militants révolutionnaires de couleur. « Les gens qui sont le plus affectés par l’injustice doivent diriger la lutte pour le changement social. » explique-t-elle. Il circule beaucoup d’idées confuses sur ce qu’implique le fait de diriger les autres.Il n’est bien sûr pas question que les Blancs suivent aveuglément les gens de couleur ou ne leur adressent aucune critique. Beaucoup de militants blancs pensent que les dirigeants des autres groupes ethniques minent leur propre travail de direction.

Atherton : « Il ne s’agit pas de baisser les bras, mais d’abandonner le besoin de tout contrôler. Certains Blancs ont l’impression que le fait d’assurer une garderie ou du phone banking n’est pas la meilleure façon d’employer leurs talents, mais s’ils mènent de façon conséquente un travail de soutien les Blancs peuvent construire des relations et gagner la confiance de militants révolutionnaires de couleur et apprendre l’importance vitale de soutenir les dirigeants des organisations de couleur d’une manière très concrète. » Ils peuvent commencer par demander à des militants de couleur qu’ils respectent : « Que faites-vous en ce moment et comment pourrions-nous soutenir votre action ? » Ces étapes posent des jalons pour la construction d’un mouvement révolutionnaire multiracial. En dehors du travail de solidarité antiraciste, beaucoup de Blancs travaillent dans des groupes multiraciaux. Les questions qui se posent sont différentes mais les intentions sont similaires. Brooke nous rappelle que les capacités de direction des militants blancs restent nécessaire pour organiser d’autres Blancs. Les militants antiracistes blancs ont joué un rôle important de direction et continuent à le faire dans les mouvements multiraciaux.

J’ai récemment cherché un auteur ou un livre qui pourrait m’inspirer des conseils et de la sagesse. Les conversations relatées dans cet article ont été pour moi une façon de façonner ce que l’écrivaine féministe bell hooks appelle « un espace révolutionnaire créatif qui affirme et soutient notre subjectivité, qui nous donne un nouveau lieu à partir duquel nous pouvons appréhender monde ». Cette force est nécessaire , puisque comme l’ont noté de nombreux militants durant nos conversations, il n’existe pas de réponses faciles à des problèmes comme la définition d’une éducation politique efficace, l’organisation des communautés blanches et le travail de solidarité antiraciste mené par les Blancs. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces questions compliquées peuvent guider notre combat.

Cet article est dédié à Katie Sierra, une jeune fille de 15 ans qui a été exclue de son lycée à Charleston en Virginie parce qu’elle exprimait son opposition à la guerre et essayait de créer un club anarchiste. Son courage lui aussi nous inspire.

Quelques sources d’information sur le Net : illegalvoices.org/katiesierra (sur le combat juridique de Katie Sierra) et aussi les sites United For a Fair Economy, GlobalRoots.net, Colorlines, politicaleducation.org et Onward

Je tiens à remercier les personnes qui ont inspiré mon article : Chris Dixon, Laura McNeill, Dara Silverman, Max Elbaum, Chantel Ghafari, Helen Luu, Dan Berger, Clare Bayard, Rahula Janowski et Sharon Martinas.