dimanche 29 octobre 2023

LA QUESTION SE POSE DE… tirer de "Pour en finir avec le jugement de Dieu de Antonin Artaud


 

Ce qui est grave est que nous savons qu’après l’ordre de ce monde il y en a un autre. 

Quel est-il ? 

Nous ne le savons pas. 

Le nombre et l’ordre des suppositions possibles dans ce domaine est justement l’infini ! 


Et qu’est-ce que l’infini ? 

Au juste nous ne le savons pas ! 

C’est un mot dont nous nous servons pour indiquer l’ouverture de notre conscience vers la possibilité démesurée, inlassable et démesurée.


 Et qu’est-ce au juste que la conscience ? 

Au juste nous ne le savons pas.

 C’est le néant. 

Un néant dont nous nous servons pour indiquer quand nous ne savons pas quelque chose de quel côté nous ne le savons et nous disons alors conscience, du côté de la conscience, mais il y a cent mille autres côtés.

 

Et alors ? 

Il semble que la conscience soit en nous liée au désir sexuel et à la faim ; 

mais elle pourrait très bien ne pas leur être liée. 

On dit, on peut dire, il y en a qui disent que la conscience est un appétit,

l’appétit de vivre ; 

et immédiatement à côté de l’appétit de vivre, c’est l’appétit de la nourriture qui vient immédiatement à l’esprit ; 

comme s’il n’y avait pas des gens qui mangent sans aucune espèce d’appétit ; et qui ont faim. 

Car cela aussi existe d’avoir faim sans appétit ; 


et alors ?

 

Alors

 

l’espace de la possibilité me fut un jour donné comme un grand pet que je ferai ; mais ni l’espace, ni la possibilité, je ne savais au juste ce que c’était, 

et je n’éprouvais pas le besoin d’y penser, 

c’étaient des mots inventés pour définir des choses qui existaient ou n’existaient pas en face de l’urgence pressante d’un besoin :

celui de supprimer l’idée, l’idée et son mythe, et de faire régner à la place la manifestation tonnante de cette explosive nécessité : dilater le corps de ma nuit interne, 

du néant interne de mon moi 

qui est nuit, néant, irréflexion, 

mais qui est explosive affirmation qu’il y a quelque chose à quoi faire place : 

mon corps. Et vraiment le réduire à ce gaz puant, mon corps ? Dire que j’ai un corps parce que j’ai un gaz puant qui se forme au dedans de moi ? 

Je ne sais pas mais je sais que l’espace, le temps, la dimension, le devenir, le futur, l’avenir,

l’être, le non-être, le moi, le pas moi, ne sont rien pour moi ; 

mais il y a une chose qui est quelque chose, une seule chose qui soit quelque chose, et que je sens à ce que ça veut SORTIR : la présence de ma douleur de corps, 

la présence menaçante, jamais lassante de mon corps ; 

si fort qu’on me presse de questions et que je nie toutes les questions, il y a un point où je me vois contraint de dire non,

 NON

 alors à la négation ; 

et ce point c’est quand on me presse, 

quand on me pressure et qu’on me trait jusqu’au départ en moi de la nourriture, de ma nourriture et de son lait, 

et qu’est-ce qui reste ? 


Que je suis suffoqué ; 

et je ne sais pas si c’est une action mais en me pressant ainsi de questions jusqu’à l’absence et au néant de la question on m’a pressé jusqu’à la suffocation en moi de l’idée de corps et d’être un corps, 

et c’est alors que j’ai senti l’obscène 

et que j’ai pété de déraison et d’excès et de la révolte de ma suffocation. 

C’est qu’on me pressait jusqu’à mon corps et jusqu’au corps

 

et c’est alors que j’ai tout fait éclater

parce qu’à mon corps on ne touche jamais.

POur en finir avec le jugement de Dieu de Antonin Artaud

 

J’ai appris hier (il faut croire que je retarde, ou peut-être n’est-ce qu’un faux bruit, l’un de ces sales ragots comme il s’en colporte entre évier et latrines à l’heure de la mise aux baquets des repas une fois de plus ingurgités), j’ai appris hier l’une des pratiques officielles les plus sensationnelles des écoles publiques américaines et qui font sans doute que ce pays se croit à la tête du progrès. Il paraît que, parmi les examens ou épreuves que l’on fait subir à un enfant qui entre pour la première fois dans une école publique, aurait lieu l’épreuve dite de la liqueur séminale ou du sperme, et qui consisterait à demander à cet enfant nouvel entrant un peu de son sperme afin de l’insérer dans un bocal et de le tenir ainsi prêt à toutes les tentatives de fécondation artificielle qui pourraient ensuite avoir lieu. Car de plus en plus les Américains trouvent qu’ils manquent de bras et d’enfants, c’est-à-dire non pas d’ouvriers mais de soldats, et ils veulent à toute force et par tous les moyens possibles faire et fabriquer des soldats en vue de toutes les guerres planétaires qui pourraient ultérieurement avoir lieu, et qui seraient destinées à démontrer par les vertus écrasantes de la force la surexcellence des produits américains, et des fruits de la sueur américaine sur tous les champs de l’activité et du dynamisme possible de la force. Parce qu’il faut produire, il faut par tous les moyens de l’activité possibles remplacer la nature partout où elle peut être remplacée,

il faut trouver à l’inertie humaine un champ majeur, il faut que l’ouvrier ait de quoi s’employer, il faut que des champs d’activités nouvelles soient créés, où ce sera le règne enfin de tous les faux produits fabriqués, de tous les ignobles ersatz synthétiques où la belle nature vraie n’a que faire, et doit céder une fois pour toutes et honteusement la place à tous les triomphaux produits de remplacement où le sperme de toutes les usines de fécondation artificielle fera merveille pour produire des armées et des cuirassés. Plus de fruits, plus d’arbres, plus de légumes, plus de plantes pharmaceutiques ou non et par conséquent plus d’aliments, mais des produits de synthèse à satiété, dans des vapeurs, dans des humeurs spéciales de l’atmosphère, sur des axes particuliers des atmosphères tirées de force et par synthèse aux résistances d’une nature qui de la guerre n’a jamais connu que la peur. Et vive la guerre, n’est-ce pas ? Car n’est-ce pas, ce faisant, la guerre que les Américains ont préparée et qu’il prépare ainsi pied à pied. Pour défendre cet usinage insensé contre toutes les concurrences qui ne sauraient manquer de toutes parts de s’élever, il faut des soldats, des armées, des avions, des cuirassés, de là ce sperme auquel il paraîtrait que les gouvernements de l’Amérique auraient eu le culot de penser. Car nous avons plus d’un ennemi et qui nous guette, mon fils, nous, les capitalistes-nés, et parmi ces ennemis la Russie de Staline qui ne manque pas non plus de bras armés. Tout cela est très bien, mais je ne savais pas les Américains un peuple si guerrier. Pour se battre il faut recevoir des coups et j’ai vu peut-être beaucoup d’Américains à la guerre

mais ils avaient toujours devant eux d’incommensurables armées de tanks, d’avions, de cuirassés qui leur servaient de bouclier. J’ai vu beaucoup se battre des machines mais je n’ai vu qu’à l’infini derrière les hommes qui les conduisaient. En face du peuple qui fait manger à ses chevaux, à ses bœufs et à ses ânes les dernières tonnes de morphine vraie qui peuvent lui rester pour la remplacer par des ersatz de fumée, j’aime mieux le peuple qui mange à même la terre le délire d’où il est né, je parle des Tarahumaras mangeant le Peyotl à même le sol pendant qu’il naît, et qui tue le soleil pour installer le royaume de la nuit noire, et qui crève la croix afin que les espaces de l’espace ne puissent plus jamais se rencontrer ni se croiser. C’est ainsi que vous allez entendre la danse du TUTUGURI

samedi 28 octobre 2023

Michel Surya : « La révolution rêvée »

 


 

Il parle de l’Histoire :

 

« Qu’elle n’ait qu’un sens, qu’elle puisse n’en avoir qu’un, c’est à quoi se tiennent tous ceux qui l’embrassent, qu’ils l’embrassent sous sa forme dogmatique – le communisme – ou qu’ils en embrassent les diverses hérésies. L’Histoire n’a qu’un sens, disent en somme les uns et les autres, quoique le sens qu’elle a n’engage pas chacun de la même façon. Autrement dit, quoiqu’elle ne les entraine pas pareillement à consentir aux formes de l’observance qu’elle appelle. Les communistes sont des religieux de stricte observance ; les autres, non. Aux premiers, il est beaucoup demandé ; aux seconds, peu. Sur les premiers, règne un appareil doctrinal inspirant la crainte ; des seconds, on n’a jamais vu qu’ils fussent plus que les doctrinaires accommodants de leur propre expérience.

Et cette différence a un sens considérable : en effet, s’il a été possible de parler de religion, s’agissant du communisme, ce n’est pas tant parce que le communisme a voulu faire de ceux qui le revendiquaient des coreligionnaires, que parce que ceux qui le revendiquaient voulaient ne pas revendiquer moins que la règle des religions. On a beaucoup dit que les partis communistes furent intraitables ; ils l’étaient sans doute. On n’a pas assez dit cependant que, longtemps, il y eut peu de communistes à vouloir qu’il en fût autrement. Le parti exigeait-il qu’on se donnât sans réserve à lui ? Sans doute, mais c’est sans réserve que ce sont spontanément donnés à lui tous ceux qui l’ont rejoint. Si parler de religion a du sens dès lors, c’est en cela : on a vu les intelligences les meilleures faire le sacrifice d’elles-mêmes, non pour que le communisme devînt lui-même intelligent, mais pour que l’intelligence intrinsèque et suréminente du communisme ne les exclût pas du salut qu’il promettait. »

Michel Surya : « La révolution rêvée »

 

Le dimanche 9 avril 1950, dimanche de Pâques, un homme se faufile et va jusqu’à la chaire et déclame :

« Aujourd’hui, jour de Pâques en l’année sainte, ici,

Dans l’insigne Basilique de Notre-Dame-de-Paris,

J’accuse

L’église catholique universelle du détournement mortel de nos forces vives en faveur d’un ciel vide,

J’accuse l’Eglise catholique d’escroquerie.

J’accuse

L’Eglise catholique d’infecter le monde de sa morale mortuaire,

D’être le chancre de l’Occident décomposé.

 

En vérité je vous le dis : Dieu est mort.

 

Aujourd’hui, jour de pâques en l’année sainte,

Ici, dans l’insigne basilique Notre-Dame de France, nous clamons la mort du Christ-Dieu pour qu’enfin vive l’homme »

 

Il fut embarqué par la police. Il s’appelait Michel Mourre et avait fait partie du mouvement surréaliste de Breton sans que celui-ci le soutienne dans son geste. »

 

« Ainsi, par exemple, que cet étrange esclandre survint cinquante ans exactement après la mort de Nietzsche. Autrement dit, il  aura fallu cinquante ans pour que l’écho de la sombre prophétie nietzschéenne retentit à paris, et retentit, qui plus est, sous les voûtes de Notre-Dame. Le disant ainsi, on ne fait jamais que prêter à cet esclandre et à la prophétie dont il est l’écho lointain un caractère idéaliste, si ce n’est théâtral. Idéaliste ou théâtral, parce qu’il n’y avait personne en 1950, pas plus qu’en 1900, ni pour croire que Dieu était mort ni, sérieusement, à tenir l’histoire pour débarrassée de son imposante dépouille. Et c’est ce que tendent à démontrer les réactions en effet embarrassées qui ont suivi l’esclandre de Michel Mourre et de ses amis lettristes.

A la fin, qu’est-ce que celui-ci pouvait signifier ? Que Dieu était mort, donc. Mais pouvait-on encore penser qu’il ne l’était pas depuis que les armées soviétiques et américaines avaient « libéré » les camps ? Et quel Dieu alors, celui des chrétiens ou n’importe lequel pourvu qu’il répondît au besoin dans lequel chacun se trouvait ? La question vient subrepticement : en somme, la croyance ne cherchait-elle pas, comme l’humanisme, à sortir indemne de la guerre ? Ce qui ne serait que logique, d’ailleurs : Dieu ne serait-il pas justifié de rester le même si l’homme lui-même l’était ?

Il faut donc l’accepter : c’est parce qu’on veut, après la guerre, que l’homme soit le même qu’avant qu’on refuse, même obscurément, que Dieu ne le soit plus.

Encore moins –ou, surtout pas : « qu’il ne soit plus »            « 

 

 

 

jeudi 26 octobre 2023

Article de Georges Bataille: "La Mère-Tragédie"

 


 

La vie tient plus qu’à rien d’autre au parcours qui va de la forêt dionysiaque aux ruines des théâtres antiques. C’est ce qu’il est nécessaire non seulement de dire mais de répéter avec une obstination religieuse. C’est dans la mesure où les existences se dérobent à la présence du tragique qu’elles deviennent mesquines et risibles. Et c’est dans la mesure où elles participent à une horreur sacrée qu’elles sont humaines. Il se peut que ce paradoxe soit trop grand et trop difficile à maintenir : cependant il n’est pas moins la vérité de la vie que le sang.

Le dieu dont les fêtes sont devenues les spectacles tragiques n’est pas seulement le dieu de l’ivresse et du vin mais le dieu de la raison troublée. Sa venue n’apporte pas moins la souffrance et la fièvre qui décomposent que la joie criante. Et la folie du dsieu est si sombre que les femmes ensanglantées qui le suivent, dans leur frénésie, dévorent vivants les enfants qu’elles avaient mis bas.

L’étendue et la majesté des ruines des théâtres représentent à nos yeux incompréhensifs l’accueil que le plus « heureux » et le plus vivant des peuples a fait à la monstruosité noire, à la frénésie et au crime. La ligne des gradins limite le sombre empire du rêve où s’accomplissait l’acte le plus lourd de sens de la vie, qui mue le malheur en chance suprême et la mort en trop grande lumière. En cela « aussi » le théâtre comme le sommeil rouvre à la vie la profondeur chargée d’horreurs et de sang de l’intérieur des corps.

En rien, le théâtre n’appartient au monde ouranien de la tête et du ciel : il appartient au monde du ventre, au monde infernal et maternel de la terre profonde, au monde noir des divinités chtoniennes. L’existence de l’homme n’échappe pas plus à l’obsession du sein maternel, qu’à celle de la mort : elle est liée au tragique dans la mesure où elle n’est pas la négation de la terre humide qui l’a produite et à laquelle elle retournera. Le plus grand danger est l’oubli du sous-sol sombre et déchiré par la naissance même des hommes éveillés. Le plus grand danger est que les hommes cessant de s’égarer dans l’obscurité du sommeil et de la Mère-Tragédie achèvent de s’asservir à la besogne utile. Le plus grand danger est que les misérables « moyens » d’une existence difficile apparaissent comme la « fin » de la vie humaine. La « fin » n’est pas ce qui facilite : elle ne se trouve pas dans les travaux du jour : on l’appréhende dans la nuit du labyrinthe. Là, la mort et la vie s’entre-déchirent comme le silence et la foudre. Là, pour que la terre soit chargée des explosions sombres qui ne cessent pas de nouer le cœur, le monstre doit tuer et recevoir la mort.

mercredi 25 octobre 2023

Article de Georges Bataille : « L’apogée de la civilisation est une crise»

 « La solution fasciste »

Mais la connexion étroite de la volonté de retrouver la vie perdue et de la dépression mentale aveulissante n’est pas seulement l’occasion d’échecs tragiques : elle constitue une prime aux solutions vulgaires et faciles dont le succès semble tout d’abord assuré à l’exclusion de tout autre. Puisqu’il s’agit de retrouver ce qui avait autrefois existé et dont les éléments sont vieillis ou morts, le plus simple est de redonner la vie dans des circonstances favorables à ce qui subsiste. Il est plus court de restaurer que de créer et comme la nécessité d’une cohésion sociale renouvelée peut être ressentie à certains moments de la façon la plus pressante, le premier mouvement de recomposition a lieu sous la forme d’un retour au passé. Les valeurs les plus fondamentales les plus grossières, les plus directement « utilisables » sont susceptibles, au cours de crises aigues et haineuses, de reprendre un sens dramatique qui semble redonner une couleur réelle à l’existence commune. Alors qu’il s’agit, dans l’ensemble, d’une opération dans laquelle les valeurs affectives mises en jeu sont en grandes parties « utilisés » à d’autres fins qu’elles-mêmes. C’est par un ressemelage permettant à l’existence de marcher à nouveau droit sous le fouet de la dure nécessité que commence la RECOMPOSITION DES VALEURS SACREES . Les pharaons restaurés, les césars romains et les chefs des partis révolutionnaires qui ont aujourd’hui envoûté la moitié des habitants de l’Europe ont répondu à l’espoir de fonder à nouveau la vie sur une impulsion irraisonnée. Mais la somme de contrainte nécessaire à maintenir des constructions trop rapidement imposées en marque le caractère profondément décevant. Dans la mesure où persiste la nostalgie d’une communauté où chaque être trouverait quelque chose de plus tragiquement tendu qu’en elle-même, dans cette mesure, le souci de la récupération du monde perdu, qui a joué un rôle dans la genèse du fascisme, n’a pour aboutissement que la discipline militaire et l’apaisement limité que donne une brutalité détruisant avec rage tout ce qu’elle n’a pas la puissance de séduire.

Or ce qui suffit à une fraction, qui peut être dominante, n’est plus que déchirement et duperie si l’on considère toute la communauté vivante des êtres. Cette communauté ne demande pas le sort semblable des différentes parties qu’elle rassemble, mais elle exige avoir pour fin ce qui unit et s’impose avec violence « sans aliéner la vie », sans la conduire à la répétition des actes émasculés et des formules morales extérieures. Les éclats brefs du fascisme, qui sont commandés par la peur, ne peuvent pas tromper une exigence aussi vraie, aussi emportée, aussi avide. »

mardi 10 octobre 2023

Plus près de toi maman, plus près de toi (Pièce en trois actes) Marc Authouart

 Plus près de toi maman, plus près de toi 

 

(Pièce en trois actes)  

 

Marc Authouart 


 

 

Acte I  scène I 

 

Un homme assis  à une table. Il a un certain âge. Une femme âgée est assise dans un canapé. Il lit et la femme le regarde sans rien faire. 

L’homme : Tu n’as pas autre chose à faire qu’à me regarder…C’est insupportable. 

(Elle baisse un moment la tête mais la relève aussi vite). 

 

La femme : je n’ai rien d’autre à faire. 

L’homme : je le regrette…Je préférais quand tu sortais…ça faisait un temps où je ne te voyais pas…ou je ne partageais pas un espace avec toi… 

La femme : tu es chez moi, je te le rappelle… 

L’homme : je compte partir le plus vite possible. 

La femme : mais pour l’instant tu es là… 

L’homme : fous moi la paix…Tais-toi…Crois-tu que cela me fasse plaisir de me retrouver chez toi après ces 20 années où l’on ne se parlait plus…Rien n’a été oublié ni pardonné. 

La femme : j’aurais pu refuser de te recevoir. 

L’homme : mais fallait le faire…fallait le faire…J’aurais compris qu’après 20 ans de silence tu refuses de me recevoir chez toi… 

La femme : je peux encore le faire : 

L’homme : tu veux que je parte tout de suite ?…Je cherche à me loger, à partir le plus vite possible. 

 

(Elle se lève et se rapproche) 

 

La femme : peut-être pourrions-nous profiter de ta présence ici pour un temps pour parler de ce que tu me reprochais, me reproche peut-être encore ? 

 

(L’homme se lève à son tour et s’éloigne) 

 

L’homme : il n’est plus temps d’en parler, de pardonner, de s’expliquer, de justifier…Tout cela est passé et est inscrit dans mon esprit comme des actes qui ne sont plus pardonnables… 

La femme : je pense que j’ai le droit de savoir. 

 (il se retourne brusquement) 

L’homme : mais il n’est plus temps  si cela t’avait gêné un tant soit peu à l’époque, il était toujours temps de demander des explications….rien n’a été fait…tu as acté la séparation  tu as du me coller tout sur le dos … 

La femme : tu crois vraiment que j’ai pu faire ce que tu me reproches ? 

L’homme : je te connais tu n’as jamais reconnu aucune erreur jamais tu n’analyses ce que tu fais ou ne fait pas  tu fuis  tu fuis tu pars en voyage en vacances les horreurs tu les laisses aux autres  enfin pas à tous…l’autre a toujours été protégé  toujours  c’était le meilleur… 

La femme: je vous ai toujours traité de la même manière je n’avais pas de préférence… 

L’homme : arrête…arrête…je ne veux plus que tu me parles…je vais partir très vite d’ici  je ne veux pas te faire croire que tout est pardonné que tu n’es responsable de rien… 

(La femme se dirige vers la cuisine) 

La femme : veux-tu que je te prépare à manger quelque chose ? 

L’homme : non je vais manger dehors…je ne veux pas te voir ce soir. 

 

 

  

Acte I  scène II 

 

L’homme : pourquoi je n’ai pas pu faire autrement ?  Ma lâcheté… j’étais sûr qu’elle accepterait elle ne pouvait me laisser dehors…mais il faut que je parte que je parte… 

(Elle revient). 

La femme : es-tu vraiment sur de ne pas vouloir manger un morceau ?  

L’homme : non je ne veux rien…je vais partir manger. Je vais rentrer tard. A demain. 

La femme : sais-tu au moins ce que tu me reproches encore après tant d’années ? 

L’homme : l’existence de la souffrance que tu m’as imposée et fait subir n’est plus très net dans ma conscience mais elle est une plaie qui ne se referme pas. Ce sont des bribes  des ressentis et des attitudes dont je me rappelle…Mais je sais qu’il y a en moi une douleur insupportable et insurmontable…Je n’aurais ni le courage ni l’envie de faire un quelconque effort pour te pardonner… 

La femme : tout cela est très imprécis… 

(Il se tourne vers elle avant de sortir.) 

L’homme : je ne peux dire exactement ce que représente ce souvenir dans ma mémoire mais je sais qu’il est les prémices de tout le reste et peut-être que c’est là que le rejet a été le plus violent. 

La femme : et quel est-il ? 

L’homme : c’est le souvenir d’une porte de la cuisine fermée avec toi d’un côté et moi de l’autre qui pleure. 

 

(Et il sort). 

 

  

Acte I  scène III 

 

(Elle le regarda partir) 

 

La femme : de quelle période me parle-t-il ? Si je ne m’en souviens pas, que puis-je faire ? Il me faut m’en rappeler…je dois m’en rappeler…il le faut je ne peux pas partir seule…Il faut que je l’attende… 

 

(Elle s’installe dans le canapé et attend la rentrée de le l’homme) 

 

  

Acte II scène I 

 

(Elle sursaute car elle entend la clé dans la serrure). 

L’homme : que fais-tu là ? Tu devrais être couchée ? J’espérais que tu serais couchée. 

La femme : je veux que tu m’aides à me souvenir de ce moment. Je veux trouver, je veux pouvoir me justifier si cela est possible….cela doit être possible…Je ne peux imaginer que je puisse te laisser devant une porte close en pleurs sans que cela ne m’affecte un peu sans que je ne m’en souvienne… 

L’homme : pourtant, pourtant, ca a existé…ce n’était pas un cauchemar…d’ailleurs si c’en était un pourquoi ne m’as-tu jamais consolé et que cela me poursuive encore…Allons on verra un autre jour… 

La femme : je ne vais pas pouvoir dormir tant que je ne comprendrais pas ce qu’il s’est passé…que tout est parti de là… 

L’homme : il n’y a pas eu que cela…cela est le point de départ mais il y eut le reste… 

La femme : commençons par cela alors…trouvons…interrogeons nos mémoires. 

L’homme : et pourquoi t’aiderais-je ? Pourquoi ne me l’as-tu jamais demandé avant, c’est cela aussi qui est en jeu…Tu as accepté tout ce que je t’ai fait subir sans chercher à comprendre à te faire expliquer, tu as accepté comme quelque chose que tu comprends par rapport à toi…si cela t’était paru injuste, sans doute aurais-tu du venir vers moi te faire expliquer ? Et si tu n’as pas cherché à me parler, peut-être que cette distance arrangeait tes affaires…sans doute… 

La femme : la porte fermée, je ne peux la comprendre et me l’expliquer …le reste on verra après… 

L’homme : il faut comprendre aussi que je n’ai peut-être plus envie d’en parler, que le temps est passé, que je reste avec cette blessure et que cette distance m’a également aidé à vivre. Me rapprocher de toi et je dois de nouveau affronter ce à quoi j’ai été confronté… je vais me coucher… 

La femme : je veux que le temps tu restes là, on fait la clarté sur tout cela…il le faut…je vais bientôt mourir et je ne veux pas partir avec cette charge… 

L’homme : pourquoi ? tu as peur de la mort ? tu as peur de l’enfer ? Tu n’as jamais cru en Dieu donc la peur de la mort te fait croire en lui maintenant ? Il ne pourra t’aider, il ne pourra t’aider…Tu as toujours fuit donc tu fuiras la mort comme tu as toujours fui…Tu trouveras le moyen de fuir ta propre mort…Et je dois découvrir si j’ai envie de t’aider ou pas…si je veux que tu affrontes la mort seule, sans pardon, sans aucune planche de salut…je dois me poser la question : est-ce que je t’aime encore pour avoir la volonté de t’aider ? Elle est là la véritable question. Et es-tu suffisamment aimable pour que j’en éprouve l’envie ou le besoin…Quand je m’impose ta mort à l’esprit, je m’invente alors ma propre fuite et je m’aperçois que c’est la facilité…Tu as toujours fui devant tous les problèmes, de toutes les manières possibles, ca a toujours été très 

facile pour toi…Il n’y a qu’une seule fois où tu n’as pas eu le temps de fuir c’est lorsque l’on t’a annoncé la mort de ton mari…tu n’as pas eu le temps, comme malade tu l’aurais eu, non, là, ça a été un horrible accident et là tu t’es trouvé face à la nouvelle…je pense que c’est à ce moment-là que tu as inconsciemment décidé de ne plus affronter les problèmes mais de fuir…sans arrêt sans arrêt…d’ailleurs cette distance t’a permis de ne pas chercher pourquoi elle t’aidait profitable cette distance…Mais tu me dis que tu vas mourir, devant le jugement dernier, tu ne peux plus fuir, il te faut t’absoudre de toutes tes fautes, tes péchés…mais je peux, par ma volonté de ne pas t’aider, à fuir définitivement une dernière fois : tu fuiras par ma faute le paradis…et tu erreras…c’est ce qui te sera promis si tu arrives sans pardon… 

La femme : tu me hais tant…tu me hais tant…Le mal que je t’ai fait est en toi, ancrée avec  force et tu as la volonté de l’entretenir jusqu’à ma fin…jusqu’à ma mort…je ne vais pas m’en sortir…tu me refuses même le repos… 

L’homme : sans doute aurait-il fallu que tu y réfléchisses un peu avant. Tu te trouves à la dernière limite et tu as peu de temps…la vie m’a obligé à te revoir et tu m’apprends que c’est pour te voir mourir…Mais je ne voulais pas assister à ta mort…et je vais peutêtre être obligé de la subir…Maintenant, je vais aller me coucher et j’espère pouvoir partir avant que tu ne meures car, comme je ne t’aurais pas aidée, tu vas souffrir tout ce que tu n’as pas souffert avant…Bonne nuit. 

 

(La femme le regarde sortir). 

 

(Comme le dit Werner Schwab en parlant d’une mère dans sa pièce « le ciel mon amour ma proie mourante ». Tu es cette connasse que je n’ai jamais pu souffrir, tu es une abjection purulente que la vie m’a imposée. Je ne peux plus supporter ta présence, même si elle avait été lointaine. Elle est présence insupportable, elle a le don de réduire le temps de MA vie. ) 

 

  

Acte II scène II 

 

(L’homme est allongé sur lit. Il n’arrive pas à dormir.) 

L’homme : est-ce vraiment dans la pièce de Schwab que ces choses sont dites ou sont-ce les horreurs que je prononce contre ma propre mère ? Il est vrai que la voir ou l’apercevoir au détour d’une rue, marchant en biais, comme pour esquiver on ne sait quel obstacle, démarche qui me donne la nausée. Tout cela m’insupporte. Cette connasse qui se traine sans raison, elle n’aime pas, elle n’aime plus peut-être, elle n’est pas aimée, elle est encombrante. On sait quoi en faire. Mais personne n’arrive à la jeter. Alors pourquoi pas croire que Dieu existe et serait suffisamment bienveillant pour la rappeler à lui…ou l’envoyer là où il voudra mais que ce soit définitif et loin de moi. Ce n’est pas un jeu de souhaiter la mort de quelqu’un, évidemment, mais le soulagement de savoir que tout cela prendrait fin à sa disparition.  

J’ai encore le souvenir de cette année-là qui ne dura qu’une semaine. Le complexe d’Œdipe ne fut pas cette année-là que la pensée philosophique elle devint presque effective terriblement oppressante suffisamment mémorable pour que le souvenir vienne encore me perturber. Comme je lui en veux d’avoir permis que les cartes se brouillent ainsi que le jeu de la puberté fut celui de la vengeance à l’homme qu’elle a haï plus qu’elle n’a aimé le premier. Nous étions couple sans rapport charnel sans rapport charnel …peut-être parce qu’elle était laide suffisamment pour que sa laideur lutta à arme égale avec la puissance du complexe…Elle n’a jamais été autant ma mère que cette semaine où elle ne pouvait pas non plus être ma première femme…Elle ne fut jamais la première en quoi que ce fut…Elle fit toujours en sorte que ce soit mon frère qui ait la sensation qu’elle était sa mère alors que je devais ne penser jamais être vraiment à ma place. Schwab mit sa mère à la place que toute chienne devrait avoir c’est-à-dire à distance afin de ne faire de mal à personne…et surtout pas à un enfant qui ne cherchait que l’amour de sa mère quand celle-ci ne pensait qu’à tout faire pour ne jamais être véritablement une mère. 

Je n’ai pas de souvenir continue de cette vie avec elle avec eux…ce sont des bribes qui ne me construisent pas complétement…elles ne font que permettre le passage d’un trou de mémoire à un autre…C’est elle qui me créa les souvenirs qu’elle ne voulut pas que j’eus jusqu’à cette histoire de porte fermée devant laquelle je pleure de ne pouvoir rejoindre celle que je prenais pour ma mère et qui pleurait également…Qui étions nous alors à cet instant précis ? Deux être séparés dans un espace relativement étroit mais si hermétiquement clos de par la volonté dont je ne savais qui…Allait-elle pouvoir me dire ce que c’était ? Je n’ai pas l’impression que cela ne se passa qu’une fois…Ce fut suffisamment long que ce fut un deuil mais de quel deuil pouvait-on parler puisque mon père était déjà mort sans doute quelques années auparavant ? je lui avais posé la question une seule fois et elle ne m’a jamais répondu prétextant ne plus se souvenir…Est-elle autant dans le présent que la douleur du passé n’a plus sa place ? Avait-elle le pouvoir de vivre au jour le jour sans se surcharger d’un passé douloureux ? Ou alors quel est donc ce secret qu’elle ne peut me dire alors que cela me guérirait surement de quelques douleurs silencieuses qui trainent dans ma mémoire ? Comme je la soupçonne de ne pas avoir été une femme fidèle… J’ai au 

moins 3 personnes que je soupçonne aujourd’hui d’avoir été ses amants…Elle a vécu les histoires sordides de coucheries hors mariages…Elle fut la triste héroïne de sordides cinq à sept sans espoir, sans amour juste du cul pour oublier qu’on fut mal mariée que l’on a fait une erreur que l’on subit mais que l’on ne peut plus réparer ? En fait, qui es-tu femme que je ne connais pas parce que pendant longtemps je t’ai regardé avec les yeux d’un enfant pour ensuite te bannir sans vraiment savoir pourquoi ? Tu as été celle qui fut génitrice mais pas mère…Finalement, il faut peu de choses pour qu’une femme échappa à son rôle de mère pour n’être qu’une génitrice encombré de deux enfants..  

Si je fus une lourde charge pendant très longtemps je ne serais pas celui qui te permettra de partir en paix…Si vraiment tout cela te trouble t’attriste si il faut le pardon, mon pardon, pour que tu partes en paix et bien je ne te le donnerais jamais…Tu partiras tourmentée parce que je ne vécus pour ne jamais avoir eu de mère… 

J’ai vu des photos de ma « famille » faire de grands repas, très arrosés…Jamais nous ne sommes présents les enfants comme cela se fait dans les familles parce que les enfants ne veulent pas dormir lorsque pas loin la fête bat son plein. Sommes-nous déjà couchés avec l’interdiction de sortir de la chambre ? Sous quelle sanction ? Ou bien alors encore pire : nous n’étions pas présents. On nous envoyait chez des gens pour ne pas gêner la beuverie. 

Je n’arrive plus à me souvenir de quel âge je pouvais avoir pour cette histoire de porte fermée devant moi…J’en ai conscience donc je n’ai pas les 3 semaines de la mort de mon père…Ou alors il n’est pas mort trois semaines après ma naissance mais bien plus tard…Je ne me rappelle pas si c’est ma mère qui me mets derrière la porte pour être avec quelqu’un d’autre que moi…ne pas m’imposer sa tristesse sa douleur mais ne souffrais-je pas plus chassé loin de ma mère…Est-ce elle ou bien ces personnes qui sont là et qui m’éloignent d’elle ? Et qui sont-ils ? Je ne les reconnais pas mais ils sont les ombres qui embarrassent le désespoir de ne pas voir celle qui pleure. Ne futelle plus ma mère de ce rejet ? ne fut-elle plus celle que j’aurais eu comme si elle m’avait laissé être à ses côtés si nous avions mêlé nos larmes...N’aurions-nous pas pleuré pour les mêmes causes que nous l’aurions fait ensemble…dans la cuisine pendant que derrière la porte seraient restés ceux qui voulaient nous séparer…nous aurions été ensemble…Et j’ai moins de deux ans puisque je n’ai pas de souvenir que mon demi-frère ait vécu la même chose…Donc résumons je vis une scène dont je ne connais pas l’origine dont je ne connais pas les acteurs dont je ne connais rien si ce n’est cette porte…et une mère qui ne s’en rappelle plus…Lorsque j’aperçois ma génitrice, je ne pense qu’à cette porte, elle n’est pas ouverte elle n’a jamais été ouverte cette porte est restée fermée avec d’un côté ma mère qui pleure et moi de l’autre côté qui pleure également. ..Ma mère n’a pas de souvenirs de cette histoire, elle n’en a pas…ou alors elle fuit encore quelque chose qui la dépasse ou la peur de souffrir encore inutilement sur passé qu’elle veut oublier et dont je lui demande de s’en souvenir… 

Ou alors…Ou alors…j’ai construit cette haine pierre après pierre sur un cauchemar…un horrible cauchemar qui m’a fait cette cicatrice indélébile…je n’ai pas le droit de douter de ce que j’ai vécu…Alors pourquoi ne m’a-t-elle jamais réconforté 

afin que je l’oublie…jamais assez réconforté pour qu’il ne reste que le cauchemar d’une nuit et non de la vie.. ;de ma vie…de notre vie…Je ne peux déconstruire cette haine sur le doute que je ressens aujourd’hui….elle dit ne pas avoir connu ces moments qui ne furent pas un instant mais des instants des heures…surement dehors il faisait nuit n’étions-nous pas encore dans l’autre ville mais dans la première où ma mère apprit le décès de mon père…alors étais-je encore un bébé sur lequel s’est gravé ces moments horribles…personne ne songeant que je m’en rappellerais des années après que je n’en ai jamais été consolé car ils comptaient sur l’oubli… 

 

 

(En fin de compte il s’endormit sans penser qu’il allait être reposé lorsqu’il se réveillera). 

  

Acte III  Scène I 

(La mère est dans la cuisine, elle prépare le déjeuner.) 

 

La mère :  Il a dormi. Il a pleuré mais il a dormi…je n’ai pas pleuré mais je n’ai pas dormi…je ne peux pleurer ce dont je ne me souviens plus…ce dont je doute de l’existence…je ne peux m’excuser pour quelque chose qui ne m’appartient pas…cette haine est la sienne et je ne peux pas la faire mienne…Il se débat et il ne veut pas s’en sortir…s’en sortir serait de me pardonner ce que je n’ai peut-être pas fait…ce que nous n’avons jamais vécu ni l’un ni l’autre…Nous devrions confronté nos amnésies afin de savoir qi nous sommes tombés dans le même trou…J’ai survécu à l’incendie de l’immeuble…J’ai survécu à sa tentative de meurtre…j’aurais pu lui en vouloir mais j’ai compris pourquoi il avait fait…pourquoi il m’a haï à cet instant suffisamment pour tenter de me tuer…D’ailleurs je n’étais qu’à peine en vie…J’ai toujours voulu vivre près de lui sans le voir sans lui parler de loin comme un danger que je garde à l’œil…pour ne pas l’avoir dans le dos…Mais je veux encore tenter de croire que nous serons apaisé à un moment ou à un autre…Il ne pourra pas être indifférent à ma mort…le lien est fort…le lien maternel est terriblement fort il m’enserre maintenant que je suis devenue mère parce que la mort s’approche qu’elle me tient presque la main…je tente de la faire patienter mais elle devient véritablement une ombre qui ne me lâche pas…(elle se tourne vers la porte)…Allez rentre …Lui il a pu expliquer vous expliquer ce qu’il a ressenti ce qu’il a vécu ou penser qu’il a vécu…Mais qui puis-je si je n’ai pas vécu pareil au même niveau  ou dans le même espace…ce que j’ai pu vivre je l’ai pleuré peut-être ce jour ou les suivants…L’ai-je exclu de mes pleurs ? Et pourquoi pas ?  Pourquoi si je ne l’aimais pas je l’aurais introduit dans les mêmes douleurs que les miennes…Et qu’étaient-elles ? Je ne m’en souviens plus…Devrais-je m’en souvenir pour me rapprocher de nouveau de celui dont je n’ai jamais réellement voulu l’approche…Je ne voulais pas être proche de lui  il n’était pas l’enfant que l’on peut rêver d’avoir…Il est le miroir qui m’a renvoyé cette image que je ne voulais jamais voir…L’image de celle que j’étais qui fuyait…qui était toujours de dos...Je l’ai aimé comme celle qui ne pouvait aimé quiconque ou personne…L’autre enfant n’a jamais eu aucun poids sur ma vie…il ne s’occupait que de la sienne…il ne m’imposait que ce que je voulais accepter qu’il m’impose…Nous ne nous sommes jamais aimés comme une mère aime un enfant…par contre nous nous sommes toujours opposé comme les amants se disputent sur l’avenir de leur non-couple…Pour mon salut, hypothétique, soyons franche, j’y crois comme je ne veux plus croire à la peur…Pour mon salut hypothétique, je supplie un rapprochement qui me déchire et qui véritablement m’indispose ne m’intéresse pas…je fais semblant pour tromper un œil qui ne l’ai jamais trompé qui voit tout qui comprend…Qui trompe-je dans ce jeu absurde ? Personne même pas moi mais il semble que je ne puisse faire autrement…Il semble que ma route que toutes les routes peut-être ont cette trajectoire et que quel que soit le caractère la force de caractère ou la mauvaise foi ou rien ou tout, on ne peut y échapper…On est obligé de s’y astreindre sans chance d’y échapper…Il approche et je ne veux pas qu’il me voit et pourtant et pourtant, je vais le supplier d’entrer et de s’asseoir afin de tenter de parler de ce que je ne me souviens plus…de ce qui fut non seulement ma douleur mais aussi la sienne que je m’autorise pas à lui offrir une 

explication ou un repentir ou une bribe de souvenir…Tout est devenu stérile je rejette involontairement mais avec d’autant plus de violence ce passé que je n’ai jamais aimé dont je ne veux pas m’encombrer et qui pourtant devrait être ce qui va m’apaiser au dernier moment…Le voilà…Le drame le drame qui ne se dénouera jamais c’est que je ne peux lui offrir quoique ce soit puisque je ne  veux pas me souvenir…Feindre… 

L’homme : (il entre dans la cuisine et s’arrête dès qu’il aperçoit la mère. Il va pour faire demi-tour.) 

La mère : Ne pars pas…entre…et assoies toi, je t’en prie…parlons… 

L’homme : De quoi veux-tu parler ? De ce que tu fuis ce passé que tu n’aimes pas parce qu’il est ta personne il est ton caractère il est ce que tu fus et ce que tu es devenue…Je ne peux t’aider puisque toi tu refuses de m’aider…Je vais donc repartir sans n’avoir aucune réponse…tu vas partir également définitivement sans que l’on se soit réconcilié sur un passé rejeté sur un néant donc sur ce vide qui a été notre relation ce qui a soudé à nos pas ce rejet mutuel…Le tien fut le premier le géniteur de celui que je te jettes au visage aujourd’hui… 

La mère : Demain je serais morte et mon cadavre sera à jamais ce que tu verras au moment de ton départ. 

L’homme : L’ai-je dit assez ou trop que jamais tu ne mourras assez pour que jamais je ne puisse dire au monde que je ne t’ai jamais connu que je fus un enfant issu de quelque humaine qui ne m’a donné ni passé ni futur et qui ne m’aura jamais donné de l’amour…Même le nom n’est pas le sien…Elle n’aura donc aucune existence dans une mémoire qui se veut sélective…Demain je constaterais ta mort et ce serait le début d’une autre naissance…Bonne nuit. 

(Il sortit sans se retourner.) 

La mère : (Elle le regarda partir sans tenter de le retenir).Voilà…tout est dit…Et le silence se fera…Je vais aller m’allonger et tout ce parcours se terminera cette nuit… 

 

(Le lendemain, l’homme entra dans la chambre de la mère non sans avoir frappé à la porte comme pour vérifier qu’on ne lui demandera jamais d’entrer. Il s’approcha du corps. Il aperçut sur le visage une terrible grimace. Comme prévu, comme espéré, la mort fut douloureuse, désespérée, non apaisée. Il retint un sourire. Il s’assit à côté d’elle et passa quelques heures à la regarder. Il voulait inscrire ce souvenir dans la mémoire qu’il effacera rapidement dès qu’il sortira de la maison. Il n’ira pas à l’enterrement. L’adieu se fera à cet instant. Il se leva sans se presser. Il referma la porte derrière lui. ) 

 

 

… 

 


 

La conjuration sacrée article de Georges Bataille

 "La conjuration sacrée


Ce que nous avons entrepris ne doit être confondu avec rien d'autre, ne peut pas être limité à l'expression d'une pensée et encore moins à ce qui est justement considéré comme art.
Il est nécessaire de produire et de manger: beaucoup de choses sont nécessaires qui ne sont encore rien et il en est ainsi de l'agitation politique.
Qui songe avant d'avoir lutte jusqu'àu bout a laissé la place à des hommes qu'il est impossible de regarder sans éprouver le besoin de les détruire ? Mais si rien ne pouvait être trouvé au-delà de l'activité politique, l'avidité humaine ne rencontrerait que le vide.
Nous sommes farouchement religieux et, dans la mesure où notre existence est la condamnation de tout ce qui est reconnu aujourd'hui, une exigence intérieure veut que nous soyons également impérieux.
Ce que nous entreprenons est une guerre.
Il est temps d'abandonner le monde des civilisés et sa lumière. Il est trop tard pour tenir à être raisonnable et ensuit- ce qui a mené à une vie sans attrait. Secrètement ou non, il est nécessaire de devenir tout autre ou de cesser d'être.
Le monde auquel nous avons appartenu ne propose rien à aimer en dehors de chaque insuffisance individuelle : son existence se borne à sa commodité. Un monde qui ne peut pas être aimé à en mourir- de la même façon qu'un homme aime une femme- représente seulement l'intérêt et l'obligation au travail. S'il est comparé avec les mondes disparus, il est hideux et apparaît comme le plus manqué de tous. Dans les mondes disparus, il a été possible de se perdre dans l'extase, ce qui est impossible dans le monde de la vulgarité instruite. Les avantages de la civilisation sont compensé par la façon dont les hommes en profitent: les hommes actuels en profitent pour devenir les plus dégradants de tous les êtres qui ont existé.
La vie a toujours lieu dans un tumulte sans cohésion apparente, mais elle me trouve sa grandeur et sa réalité que dans l'extase et dans l'amour extatique. Celui qui tient à ignorer ou à me connaître l'extase, est un être incomplet dont la pensée est réduite à l'analyse. L'existence n'est pas seulement un vide agité, elle est une danse qui force à danser avec fanatisme. La pensée qui n'a pas comme objet un fragment mort, existe intérieurement de la même façon que des flammes.
Il faut devenir assez ferme et inébranlé pour que l'existence du monde de la civilisation apparaisse enfin incertaine.
Il est inutile de répondre à ceux qui peuvent croire à l'existence de ce monde et s'autoriser de lui : s'ils parlent, il est possible de les regarder sans les entendre et, alors même qu'on les regarde, de ne "voir" que ce qui existe loin derrière eux. Il faut refuser l'ennui et vivre seulement de ce qui fascine.
Sur ce chemin, il serait vain de s'agiter et de chercher à attiré ceux qui ont des velléités, telles que passer le temps, rire et devenir individuellement bizarres. Il faut s avancer dans regarder en arrière et sans tenir compte de ceux qui n ont pas la force d oublier la réalité immédiate.
La vie humaine est excédée de servir de tête et de raison a l univers. Dans la mesure où elle devient cette tête et cette raison, dans la mesure où elle devient nécessaire à l univers, elle accepté un servage. Si elle n est pas libre, l'existence devient vide ou neutre et, si elle est libre, elle est un jeu. La Terre, tant qu elle n engendrait que des cataclysmes, des arbres et des oiseaux, était univers libre : la fascination de la liberté s est ternie quand la Terre a produit un être qui exige la nécessité comme une loi au-dessus de l'univers. L'homme est cependant demeuré libre de ne plus répondre à aucune nécessité: il est libre de ressembler à tout ce qui n'est pas lui dans l'univers. Il peut écarter la pensée que c'est lui ou Dieu qui empêche le reste des choses d'être absurde.
L'homme a échappé à sa tête comme le condamné à la prison. Il a trouvé au-delà de lui-même non Dieu qui est la prohibition du crime, mais un être qui ignore la prohibition. Au delà de ce que je suis, je rencontre un être qui me fait rire parce qu'il est sans tête, qui m'emplit d'angoisse parce qu'il est fait d'innocence et de crime: il tient une arme de fer dans sa main gauche, des flammes semblables à un sacré-coeur dans sa main droite. Il réunit dans une même éruption la Naissance et la Mort. Il n'est pas un homme. Il n'est pas non plus un dieu. Il n'est pas moi mais il est plus moi que moi: son ventre est le dédale dans lequel il s'est égaré lui-même, m'égare avec lui et dans lequel je me retrouve étant lui, c'est-à-dire monstre.
ce que je pense et que je représente, je ne l'ai pas pensé ni représenté seul. J'écris dans une petite maison froide d'un village de pêcheurs, un chien vient d'aboyer dans la nuit. Ma chambre est voisine de la cuisine où André Masson s'agite heureusement et chante: au moment même où j'écris ainsi, il vient de mettre sur un phonographe le disque de l'ouverture de "Don Juan": plus que tout autre chose l'ouverture de "Don Juan" lie ce qui m'est échu d'existence à un défi qui m'ouvre au ravissement hors de soi. A cet instant même, je regarde cet être acéphale, l'intrus que deux obsessions également emportées composent, devenir le "Tombeau de Don Juan". Lorsqu'il y a quelques jours, j'étais avec André Masson dans cette cuisine, assis, un verre de vin dans la main, alors que lui, se représentant tout à coup sa propre mort et la mort des siens, les yeux fixes, souffrant, criait presqu'il fallait que la mort devienne une mort affectueuse et passionnée, criant sa haine pour un monde qui fait peser jusque sur la mort sa patte d'employé, je ne pouvais déjà plus douter que le sort et le tumulte infini de la vie humaine ne soient ouverts à ceux qui ne pouvaient plus exister comme des yeux crevés mais comme des voyants emportés par un rêve bouleversant qui ne peut pas leur appartenir."

lundi 9 octobre 2023

Bibliothèque farhenheit 451

 

dans le silence d'un musée, un tableau s’anime. le personnage féminin central, interpelé par un peintre d’aujourd’hui, prend alors la parole et débute entre eux une longue conversation. car, artemisia gentileschi, artiste de la renaissance à qui l’on doit cette version particulièrement crue de la décapitation d’holopherne par judith, s’est représentée elle-même sous les traits de celle qui tient le glaive sanglant, pour se venger de celui qui l’a violé, lui donnant son vrai visa

elle explique vouloir s’exprimer au nom de toutes « les femmes de l’infinie lignée des violentées », de celles que les mythologies mettent en scène pour être la proie de dieux descendus de l’olympe ou du ciel, telle « la sainte marie […], restée vierge malgré l’épée de chair divine, et donc sanctifiée pour cela ». elle dénonce leur condition commune de potentielles victimes : « que la femme soit en permanente conscience que votre main masculine peut à tout moment soulever par-derrière cette pudique et trop souple barrière ! cette conscience, imposée à toutes les femmes et de tout les temps, ne les a jamais quittées, à aucun moment… bien qu'apparemment couvertes il a toujours fallu qu'elles se sachent constamment offertes… » la discrimination est constante et à tous niveaux : « et oui, il y a le sang honteux des femmes… et le sang noble des hommes ! 

elle dénonce les « tendresses » de son père, l’ignominie de l’élève de celui-ci à qui il la « prêta », la fourberie de son oncle qui l’accusa de lui avoir fait des avances depuis le berceau


son interlocuteur n’a de cesse d’apaiser sa colère, de l’assurer que tout a changé désormais, « en ce siècle de [son] futur », de l’inviter à descendre de son tableau pour « mettre le pied sur la terre promise de notre repentir ». mais il accompagne chacune de ses flatteries, de tentatives d’approches et d’esquisses de caresses, preuves de sa duplicité et que rien ne changera jamais : « jeunes ou vieux, tous les hommes sont fourbes, forcément, avec nous autres qui ne sommes rien d'autre que des femmes pour eux, des femmes et rien que des femmes.



mardi 3 octobre 2023

Article de "Contre-attaque : Travailleurs vous êtes trahis! de georges Bataille

 Développant partout les restrictions et l'angoisse, le nationalisme étend peu à peu sa nuit sur toute la terre. Au nationalisme des pays pauvres, répond, dans les pays riches le nationalisme de la peur. 

Aveuglés par l'avidité et la panique, les troupeaux humains.

Dans cet affolement de la nature humaine tout entière, quelles voix font entendre ceux qui s'étaient dressés autrefois avec la résolution de délivrer le monde de ses sanglantes pratiques militaires?

Nous nous rappelons que les masses humaines ont été une fois soulevées par le parti communiste opposant au capitalisme et à sa guerre l'arme brisante du défaitisme révolutionnaire.

Une confusion nouvelle semble s'ajouter aujourd'hui à la stupeur générale. Sous prétexte du maintien de la paix, ceux qui s'élevaient jusque là contre la guerre sont ouvertement entrés dans l'un des camps. "L'humanité" enregistre aujourd'hui sans réserves le message belliqueux de Sarraut. Elle répond à cet appel par un mot d'ordre abject: l'union de la nation française...

La guerre entre les chiens impérialistes soulevait le dégoût, les communistes s'emploient aujourd'hui à la camoufler en croisade. Ils brandissent sur un monde accablé le drapeau d'une croisade antifasciste: annonciateur d'une duperie sanglante...

Dans la nuit où toute chose humaine déraillent lentement, les communistes se sont réduits au rôle de défenseurs du status quo fixé à Versailles. Ils se préparent à servir demain d'aboyeurs à l'état major français, quand cet état-major enverra au poteau à tous ceux qui n'auront pas oublié ce qu'ils ont lu L'humanité d'hier.

L'armée allemande envahit aujourd'hui une région allemande au mépris des traités...

Conformément aux traités, l'armée française, en 1923, envahissait la Rhur.

la forfanterie illégale de Hitler répond à la brutalité légale de la France. les policiers de Versailles et de la Ruhr, afin de mieux assurer la sécurité française, ont accouché  l'Allemagne d'Hitler! Nous n'avons rien de commun avec la démence infantile du nationalisme allemand, rien de commun avec la démence sénile du nationalisme français. 

Dans ce monde obscur, où se heurtent des stupidités qui se composent et se complètent l'une l'autre, nous ne pouvons que nous reconnaitre formellement étrangers.

Lorsque Monsieur Sarraut refuse "de laisser placer Strasbourg sous le feu des canons allemands ", nous comprenons que nous sommes situés en dehors d'un monde où une telle phrase peut être énoncée sans soulever la répugnance ou même le rire.

Lorsque Staline couvre de son autorité l'armement français, lorsque Radek excite les nationalistes de ce pays à la haine de l'Allemagne, nous nous considérons comme trahis; nous refusons d'emboîter le pas derrière ceux qui s'apprêtent au massacre mutuel. 

Nous n'envisagerons pas, dans ce premier texte, les conséquences pratiques et l'efficacité que l'action des masses donnera un jour à un tel refus. La lutte qui nous oppose au tumulte général nous la mènerons jusqu'à la limite de nos forces. mais quel que soit ce résultat, heureux, ou, pour un temps, misérable, nous maintiendrons face à l'abrutissement des nationalistes de tous pays, de tous partis, l'intégrité d'une volonté inaccessible à la panique. Nous méconnaissons les liens formels qui prétendent nous attacher à une nation quelconque : nous appartenons à la communauté humaine trahie aujourd'hui par Sarraut comme par Hitler et par Thorez, comme par La Rocque.

La réalité inébranlable et dominante de cette communauté sera maintenue même par une minorité d'hommes, au-dessus des crimes des nationalistes de tous les pays: jusqu'au jour où les peuples, épuisés par les déments qui les conduisent, reconnaitront l'issue libératrice.



Georges Bataille, Jean Bernier, André Breton, Lucie Colliard, Paul Eluard, Maurice Heine, P. Kaan, Marcel Martinet, Georges Michon, Alphonse Milsonneau, Pierre Monatte, Jean Rollin, Pierre Ruff, André Weill.