samedi 21 juillet 2018

Journal de la Commune


Le Gaulois du 7 février a réussi à franchir nos murailles ébréchées, pour nous apprendre que depuis huit mois, la petite place de Bitche vivait dans une sécurité parfaite, grâce à une entente cordiale avec un ennemi qui n’avait pas échangé un seul coup de fusil depuis le commencement de la guerre…
Le Gaulois a été évidemment induit en erreur par son correspondant. La vérité est que nous avons reçu cinq sommations de nous rendre ; que nous avons subi trois bombardements, dont le dernier a duré deux cent soixante-quatre heures ; que chacun des soldats survivants a failli être tué dix fois au moins par les bombes, les biscaïens ou les obus ; que tous les bâtiments des forts ont été incendiés ; que les casemates ont été criblées par les projectiles ; que toutes nos pièces ont été plus ou moins endommagées et démontées ; qu’elles ont brûlé 25 000 kilog. de bonne poudre ; que 137 maisons de la ville sur 220 ont été complètement détruites, sans qu’aucun des habitants ait prononcé le mot de capitulation ; que 29 000 bombes ou obus ont été tirés contre cette petite place ; que la garnison, renforcée de quelques débris de la bataille de Woerth, a fait trois sorties glorieuses, sans compter une centaine d’escarmouches sanglantes ; et qu’enfin, si les Allemands, qui font rudement la guerre, sans complaisance, ni politesse, n’ont pas pris Bitche, c’est qu’ils ne se sont pas souciés d’y envoyer 25 000 hommes, et d’en sacrifier peut-être 15 000. Pour vivre, du cheval étique, pas de bois pendant cet hiver si rigoureux des Vosges ; l’eau rationnée… mais en abondance du pain, de la poudre et du patriotisme.
Il y a eu, le 16 mars, une touchante cérémonie qui a fait couler bien des larmes ; la municipalité de Bitche est venue nous remettre en grande pompe un magnifique drapeau que les habitants avaient payé de leurs pauvres deniers et que les dames avaient brodé pour remercier la garnison de sa défense depuis le 6 août ; le maire, en nous le remettant, a prononcé quelques paroles sincères et émues qui peuvent se résumer ainsi :
« Vous reviendrez ; nous vous attendons, en vous gardant nos coeurs de Français et notre haine pour l’étranger ! »
Le drapeau porte, avec les armes de la ville, ces mots : « Bitche à ses défenseurs du 6 août 1870 au 6 mars 1871. » Il est orné d’une frange d’or empruntée par le curé à une bannière de son église ; la cravate a été prise à l’écharpe de l’un des adjoints, et le cuivre de la hampe provient des poignées de sabres calcinés dans l’incendie des magasins du fort. Nous avons défilé devant ces braves gens, et jamais souverain n’a entendu sortir de 3 000 poitrines un cri aussi sincère que celui que nous avons poussé de : « Vive l’Alsace ! Vive la Lorraine ! Vivent nos frères arrachés par la force et que nous saurons bien délivrer un jour ! »


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