Le
Gaulois du 7 février a réussi à franchir nos murailles
ébréchées, pour nous apprendre que depuis huit mois, la petite
place de Bitche vivait dans une sécurité parfaite, grâce à une
entente cordiale avec un ennemi qui n’avait pas échangé un seul
coup de fusil depuis le commencement de la guerre…
Le
Gaulois a été évidemment induit en erreur par son
correspondant. La vérité est que nous avons reçu cinq sommations
de nous rendre ; que nous avons subi trois bombardements, dont le
dernier a duré deux cent soixante-quatre heures ; que chacun des
soldats survivants a failli être tué dix fois au moins par les
bombes, les biscaïens ou les obus ; que tous les bâtiments des
forts ont été incendiés ; que les casemates ont été criblées
par les projectiles ; que toutes nos pièces ont été plus ou moins
endommagées et démontées ; qu’elles ont brûlé 25 000 kilog. de
bonne poudre ; que 137 maisons de la ville sur 220 ont été
complètement détruites, sans qu’aucun des habitants ait prononcé
le mot de capitulation ; que 29 000 bombes ou obus ont été tirés
contre cette petite place ; que la garnison, renforcée de quelques
débris de la bataille de Woerth, a fait trois sorties glorieuses,
sans compter une centaine d’escarmouches sanglantes ; et qu’enfin,
si les Allemands, qui font rudement la guerre, sans complaisance, ni
politesse, n’ont pas pris Bitche, c’est qu’ils ne se sont pas
souciés d’y envoyer 25 000 hommes, et d’en sacrifier peut-être
15 000. Pour vivre, du cheval étique, pas de bois pendant cet hiver
si rigoureux des Vosges ; l’eau rationnée… mais en abondance du
pain, de la poudre et du patriotisme.
Il
y a eu, le 16 mars, une touchante cérémonie qui a fait couler bien
des larmes ; la municipalité de Bitche est venue nous remettre en
grande pompe un magnifique drapeau que les habitants avaient payé de
leurs pauvres deniers et que les dames avaient brodé pour remercier
la garnison de sa défense depuis le 6 août ; le maire, en nous le
remettant, a prononcé quelques paroles sincères et émues qui
peuvent se résumer ainsi :
«
Vous reviendrez ; nous vous attendons, en vous gardant nos coeurs de
Français et notre haine pour l’étranger ! »
Le
drapeau porte, avec les armes de la ville, ces mots : « Bitche à
ses défenseurs du 6 août 1870 au 6 mars 1871. » Il est orné d’une
frange d’or empruntée par le curé à une bannière de son église
; la cravate a été prise à l’écharpe de l’un des adjoints, et
le cuivre de la hampe provient des poignées de sabres calcinés dans
l’incendie des magasins du fort. Nous avons défilé devant ces
braves gens, et jamais souverain n’a entendu sortir de 3 000
poitrines un cri aussi sincère que celui que nous avons poussé de :
« Vive l’Alsace ! Vive la Lorraine ! Vivent nos frères arrachés
par la force et que nous saurons bien délivrer un jour ! »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire