vendredi 29 octobre 2021

Les questions mémorielles portant sur la colonisation française et la guerre d Algérie par Benjamin Stora

 "Déclaration du Président de la République française, Emmanuel Macron, à propos de Maurice Audin. 

13 septembre 2018 

Au soir du 11 juin 1957, Maurice Audin, assistant de mathématiques à la Faculté d’Alger, militant du Parti communiste algérien (PCA), est arrêté à son domicile par des militaires. Après le déclenchement de la guerre par le Front de libération nationale (FLN), le PCA, qui soutient la lutte indépendantiste, est dissous et ses dirigeants sont activement recherchés. Maurice Audin fait partie de ceux qui les aident dans la clandestinité. Tout le monde sait alors à Alger que les hommes et les femmes arrêtés dans ces circonstances ne reviennent pas toujours. Certains sont relâchés, d’autres sont internés, d’autres encore sont remis à la justice, mais nombre de familles perdent la trace d’un des leurs cette année-là dans la future capitale algérienne. Les disparitions , qu’on déplore du reste de tous côtés pendant le conflit, se comptent bientôt par milliers. Aussi, Josette Audin, restée seule avec trois jeunes enfants, retenue plusieurs jours dans son appartement, se démène dès qu’elle le peut pour tenter de savoir où son mari est détenu. Le commandement militaire lui livre alors ce qui allait rester pour des décennies la version officielle : son mari s’est évadé. La réponse est couramment faite aux familles en quête d’informations. La plainte pour enlèvement et séquestration qu’elle dépose alors, achoppe, comme d’autres, sur le silence ou le mensonge des témoins-clés qui font obstruction à l’enquête. Celle-ci est définitivement close en 1962 par un non-lieu, en raison des décrets d’amnistie pris à la fin de la guerre d’Algérie, qui ont mis fin à toute possibilité de poursuite. Maurice Audin n’a jamais réapparu et les circonstances exactes de sa disparition demeurent floues. Le récit de l’évasion qui figure dans les comptes rendus et procèsverbaux officiels souffre de trop de contradictions et d’invraisemblances pour être crédible. Il s’agit manifestement d’une mise en scène visant à camoufler sa mort. Les éléments recueillis au cours de l’instruction de la plainte de Josette Audin ou auprès de témoins indiquent en revanche avec certitude qu’il a été torturé. Plusieurs hypothèses ont été formulées sur la mort de Maurice Audin. L’historien Pierre Vidal-Naquet a défendu, sur la foi d’un témoignage, que l’officier de renseignements chargé d’interroger Maurice Audin l’avait lui-même tué. Paul Aussaresses, et d’autres, ont affirmé qu’un commando sous ses ordres avait exécuté le jeune mathématicien. Il est aussi possible qu’il soit décédé sous la torture. Quoi qu’il en soit précisément, sa disparition a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé arrestation-détention à l’époque même, qui autorise les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout suspect dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire. Ce système s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en œuvre par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957. Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière. Certes, la torture n’a pas cessé d’être un crime au regard de la loi, mais elle s’est alors développée parce qu’elle restait impunie. Et elle restait impunie parce qu’elle était conçue comme une arme contre le FLN, qui avait lancé l’insurrection en 1954, mais aussi contre ceux qui étaient vus comme ses alliés, militants et partisans de l’indépendance ; une arme considérée comme légitime dans cette guerre-là, en dépit de son illégalité. En échouant à prévenir et à punir le recours à la torture, les gouvernements successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient les forces de l’ordre. En dernier ressort, pourtant, c’est à eux que revient la responsabilité d’assurer la sauvegarde des droits humains et, en premier lieu, l’intégrité physique de celles et de ceux qui sont détenus sous leur souveraineté. Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris, dont elle a bouleversé les destins, tant en Algérie qu’en France. Une reconnaissance ne guérira pas leurs maux. Il restera sans doute de l’irréparable en chacun mais une reconnaissance doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui ploient encore sous le poids de ce passé. C’est dans cet esprit, en tout cas, qu’elle est pensée et aujourd’hui formulée. Il en va aussi de l’honneur de tous les Français qui, civils ou militaires, ont désapprouvé la torture, ne s’y sont pas livrés ou s’y sont soustraits, et qui, aujourd’hui comme hier, refusent d’être assimilés à ceux qui l’ont instituée et pratiquée. Il en va de l’honneur de tous les militaires morts pour la France et plus généralement de tous ceux qui ont perdu la vie dans ce conflit. Il en va enfin du devoir de vérité qui incombe à la République française, laquelle dans ce domaine comme dans d’autres, doit montrer la voie, car c’est par la vérité seule que la réconciliation est possible et il n’est pas de liberté, d’égalité et de fraternité sans exercice de vérité. La République ne saurait, par conséquent, minimiser ni excuser les crimes et atrocités commis de part et d’autre durant ce conflit. La France en porte encore les cicatrices, parfois mal refermées. Aussi le travail de mémoire ne s’achève-t-il pas avec cette déclaration. Cette reconnaissance vise notamment à encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires. Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’Etat qui concernent ce sujet. Enfin, ceux qui auraient des documents ou des témoignages à livrer sont appelés à se tourner vers les archives nationales pour participer à cet effort de vérité historique. L’approfondissement de ce travail de vérité doit ouvrir la voie à une meilleure compréhension de notre passé, à une plus grande lucidité sur les blessures de notre histoire,  et  à  une  volonté  nouvelle  de  réconciliation  des  mémoires  et  des  peuples français  et  algérien. Emmanuel  Macron. 

Les questions mémorielles portant sur la colonisation française et la guerre d Algérie par Benjamin Stora

 Discours du Président de la République, François Hollande au Mémorial de la guerre d’Algérie.

 19 mars 2016. 

 Mesdames, Messieurs les ministres, 

Il y a cinquante-quatre ans aujourd’hui, le cessez-le-feu était proclamé en Algérie en application des accords d’Evian. Après huit années d’une guerre douloureuse, les peuples français et algérien allaient chacun s’engager dans un nouvel avenir, dans de nouvelles frontières, dans de nouveaux rapports de part et d’autre de la Méditerranée. Le 6 décembre 2012, j’ai promulgué comme président de la République la loi qui proclame le 19 mars journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc . Et je tenais aujourd’hui à donner une traduction à cette loi. Le 19 mars est une date de l’Histoire, elle marque l’aboutissement d’un processus long et difficile de négociations pour sortir d’une guerre de décolonisation qui fut aussi une guerre civile. La signature des accords d’Evian fut une promesse de paix mais elle portait aussi en elle, et nous en sommes tous conscients, les violences et les drames des mois qui ont suivi. Le 19 mars 1962, ce n’était pas encore la paix, c’était le début de la sortie de la guerre dont l’Histoire nous apprend qu’elle est bien souvent la source de violence, ce qui fut tragiquement le cas en Algérie avec des représailles, des vengeances, des attentats et des massacres. Néanmoins, le 19 mars annonce la fin du conflit et c’est pourquoi ce sont les mémoires de toutes les victimes qui sont reconnues. Il y a le 19 mars des Algériens qui s’étaient battus pour l’indépendance de leur pays, laquelle sera proclamée le 3 juillet. Il y a le 19 mars des appelés qui venaient d’effectuer parfois plus de deux ans de service en Algérie et pour lesquels cette date signifiait la certitude du départ, du retour dans l’Hexagone. Il y a le 19 mars de l’Armée Française qui voyait bientôt s’achever une guerre qui n’avait jamais dit son nom et qui l’avait profondément déchirée. Il y a le 19 mars des Français d’Algérie qui se souviennent de cette date comme d’un jour de détresse car signifiant la fin d’un monde, en tout cas de leur monde et le départ d’une terre qu’ils considéraient comme la leur. Il y a le 19 mars des troupes supplétives de l’Armée Française, les Harkis, pour lesquelles le cessez-le-feu était lourd de menaces, pour eux et pour leurs familles et qui ont été dramatiquement abandonnés par la France comme je l’ai reconnu le 25 septembre 2012. Il y a le 19 mars des Français de métropole qui avaient vécu au rythme des troubles pendant huit ans et qui, le 8 avril 1962, approuvèrent par plus de 90% de suffrages le contenu des accords d’Evian, voulus par le Général de GAULLE et fruits d’un long processus. La Guerre d’Algérie aura duré huit ans, de la Toussaint de 1954 aux tragédies d’Oran de juillet 1962. Elle était la dernière page de l’histoire de l’empire colonial français. De 1830 à 1962, d’abord en Algérie puis dans le reste de l’Afrique et en Extrême-Orient, la France a construit un système injuste car fondé sur l'inégalité des conditions, des statuts et des droits, le système colonial qui niait les aspirations des peuples à décider d’eux-mêmes. Un régime d'exploitation des ressources de ces territoires mais où aussi, des hommes et des femmes s'attachaient sincèrement à vouloir apporter le progrès. Je pense à ces instituteurs, ces médecins, ces commerçants, ces agriculteurs, ces fonctionnaires qui se sont attachés à mettre en valeur ce que l'on appelait alors la France d'outre-mer. Pendant toutes ces années, des liens humains se sont créés, se sont formés avec une solidarité dans les épreuves. Aussi lorsque la France fut attaquée en 1914 comme en 1939, c'est côte à côte que les soldats de métropole, l'armée d'Afrique et les troupes coloniales ont versé le sang, leur sang, pour défendre la patrie en danger. De Douaumont à Monte Cassino, ces combattants de toutes origines ont alors défendu les mêmes principes, y compris celui de l'émancipation et c'est pourquoi la France leur rend toujours hommage lorsqu'elle commémore les deux guerres mondiales. Mais le système colonial contenait en débutaient les troubles en Tunisie et au Maroc. Ils aboutiront en 1956 à l'indépendance de  ces  deux  pays  qui  sont  aujourd'hui  des  pays  amis  et  nous  saluerons  avec  cette année  le  60ème  anniversaire  de  leur  accession  à  la  pleine  souveraineté. Et  puis  il  y  a  ce  1er  novembre  1954.  Le  début  de  la  guerre  d'Algérie.  Huit  années terribles.  Huit  années  qui  ont  vu  le  déplacement  de  millions  de  gens,  huit  années  de combats,  d'attentats,  d'exactions,  d'enlèvements,  de  tortures  et  de  répressions  qui ont causé la mort de plusieurs centaines  de milliers  d'Algériens  et  de plusieurs  dizaines de milliers  de Français, soldats qui  étaient partis  mobilisés  appelés,  rappelés  parce  que c'était  leur  devoir.  Huit  années  d'une  guerre  qui,  longtemps,  comme  je  l'ai  dit,  n'a  pas osé  dire  son  nom  mais  en  contenait  toutes  les  horreurs.  Huit  années  qui  ont profondément  marqué  la  France  et  même  provoqué  un  changement  de  République. Huit  années  qui  ont  endeuillé  aussi  terriblement  l'Algérie.  Huit  années  qui  ont  déchiré de  nombreuses  familles  d'un  côté  ou  de  l'autre  de  la  Méditerranée. C'est  vrai  que  jamais  aucune  date  ne  pourra  résumer  à  elle  seule  la  variété  de  ces situations.  C'est  pourquoi  la  France en a officiellement  dédié trois au souvenir de cette période  :  le  19  mars,  le  25  septembre,  le  5  décembre  puisque  c'était  le  jour  de l’inauguration  de  ce  Mémorial,  je  voulais  le  rappeler. Le  sens  de  la  journée  nationale  du  19  mars,  c'est  de  rendre  hommage  à  toutes  les victimes civiles  ou  militaires  qui sont tombées durant la guerre d'Algérie et les  combats du  Maroc  et  de  la  Tunisie.  Le  sens  de  la  journée  nationale  du  19  mars,  c'est  d'honorer toutes  les  douleurs  et  de  reconnaître  toutes  les  souffrances. Celle  des  appelés  du  contingent,  des  militaires  de  carrière,  des  membres  des  forces supplétives  ou  assimilées,  des  forces  de  l'ordre  originaires  de  métropole,  un  million  et demi  de  jeunes  soldats  envoyés  de  l'autre  côté  de  la  Méditerranée,  60  000  furent blessés, près  de  30  000  ne  sont  jamais  revenus,  tués  ou  disparus.  J'ai  une  pensée  pour eux  en  cet  instant,  oui. C'est  aussi  les  souffrances  des  civils  de  toutes  origines,  de  toutes  confessions,  victimes d'exactions,  fauchées  par  un  attentat  ou  assistant,  impuissants,  à  la  destruction  de leur  maison,  de leur  village.  Les  souffrances  aussi  des  Français  d'Algérie  exilés,  rapatriés dans  la  hâte,  privés  de  tout,  de  leurs  biens,  mais  surtout  de  leurs  racines. Souffrances  des  Harkis,  pourchassés  en  Algérie,  abandonnés  par  la  patrie  qui  les  avait appelés,  accueillis  dans  des  conditions  indignes  en  France  avant  que  notre  pays  ne reconnaisse  leur  sacrifice  et  ne  leur  apporte  la  réparation  à  laquelle  ils  ont  droit. 

Drame aussi des disparus, de ces hommes, de ces femmes-là aussi de toutes origines dont la trace s’est perdue dans la guerre. Je sais à quel point cette question est douloureuse pour les familles concernées. La France et l'Algérie travaillent ensemble pour continuer à lever le voile sur le sort de ces victimes. Enfin, je pense aussi aux immigrés qui étaient en France durant la guerre d'Algérie et qui ont vécu à distance une guerre qui les déchirait ; ils ont alors connu la suspicion, parfois la répression la plus brutale comme le 17 octobre 1961. 54 années après la guerre d'Algérie, cette mémoire ou plutôt ces mémoires demeurent encore vives. Derrière chacune d'entre elles, il y a une famille, il y a des survivants, il y a des descendants, il y a une plaie qui ne s'est jamais complètement refermée, d'où le sens aussi de cette cérémonie de rappeler toutes les mémoires pour les réconcilier. Cette mémoire, elle vit aussi dans des lieux. A Marseille qui était le port de départ des appelés du contingent pour l'Algérie, le port d'arrivée des rapatriés à partir de 1962. Le souvenir vit aussi dans des centaines de villes de France dont les habitants ont en partage l'Algérie. La mémoire vit aussi à travers des monuments qui ont été édifiés : à Sète où a été bâti le mémorial en hommage aux Héraultais morts pour la France dans des combats d'Afrique du Nord et dans la guerre d'Algérie ; à Montredon-Labessonnié dans le Tarn qui accueille un mémorial aux victimes d'Afrique du Nord morts pour la France construit symboliquement avec des pierres venues de tous les départements. Il y a en France 4.000 lieux, places ou rues qui portent la date du 19 mars 1962. Cette mémoire vit enfin à travers tous les enfants de ces millions de Français dont les racines étaient en Algérie mais aussi au Maroc, en Tunisie et qui apportent aujourd'hui cet héritage dans le creuset national. D'où l'enjeu de la paix des mémoires pour les reconnaître toutes et n’en occulter aucune. Pour faire du souvenir douloureux de la guerre d'Algérie qui a divisé et meurtri, un facteur de réconciliation et de rassemblement. Pour rappeler que pendant un siècle, la France et l'Algérie ont partagé la même histoire et que nous sommes capables de la regarder en face pour bâtir une relation qui restera toujours singulière et qui doit toujours être à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres, celles de la France et de l'Algérie. Il s'agit de dire ce qui a été, de comprendre ce qui nous a séparés, pour réaliser ce qui aujourd'hui nous réunit. Faire la paix des mémoires, cela veut dire à tous les Français qui ont l'Algérie en partage, que nous sommes ensemble, qu'il y a des lieux, des signes, des  symboles  qui  nous  permettent  de  comprendre  comment  ils  peuvent  inscrire  leur parcours  personnel  dans  notre  destin  national  et  combien  leur  présence  est  une chance  pour  la  République. Pour  faire  ce  travail  de  mémoire  et  de  transmission,  nous  avons  besoin  aussi  de rassembler  toutes  les  collections,  toutes  les  traces,  tous  les  éléments  qui  nous permettent  de  connaître  ce  qui  a  été  -  je  pense  notamment  aux  collections  qui  ont été  réunies  à  Montpellier  mais  aussi  aux  expositions  temporaires  qui  ont  été  réalisées, celles  que  le  Musée  de  l'armée  a  accueillie  en  2012  sur  la  guerre  d'Algérie,  celle  que  le MuCEM  à  Marseille  accueille  en  ce  moment  même  sur  la  représentation  de  l'Algérie par  les  cartes  ;  il  y  a  aussi  de  nombreuses  archives  qui  restent  à  exploiter  –  pour  ces documents  et  pour  le  rassemblement  de  toutes  ses  collections  une  mission  sera constituée  ;  il  lui  reviendra  de  nous  dire  si  ce  projet  de  réunion  de  toutes  ces  pièces, de  tous  ces  documents  peut  s'incarner  dans  une  institution  nouvelle  ou  peut  trouver son  siège  dans  un  lieu  existant. L'école  doit  également  être  mobilisée.  L'Office  national  des  anciens  combattants  et des  victimes  de  guerre  lancera  cette  année  un  programme  global   Histoire  commune et  mémoire  partagée  de  la  guerre  d'Algérie  .  Ce  programme  comportera  une exposition  et  permettra  également  des  interventions  dans  les  classes  de  témoins  de  la guerre  d'Algérie  –  il  y  en  a  de  nombreux  ici  -  en  appui  aux  enseignements  d'histoire  et de  morale  civique. Je  veux  également  encourager  la  recherche  historique  sur  la  guerre  d'Algérie  comme sur  la  présence  de  la  France  en  Algérie.  Je  sais  le  travail  que  mènent  les  historiens  ;  ce sont  eux  qui  nous  permettent  justement  d'arriver  à  ce  travail  de  mémoire  qui  nous donne  l'espérance  de  ce  rassemblement  et  de  cette  réconciliation. Depuis  2008,  nos  archives  sur  cette  période  sont  pour  l'essentiel  ouvertes  mais  ici,  je le  dis,  elles  devront  l’être  entièrement,  ouvertes  et  mises  à  la  disposition  de  tous  les citoyens. Leur  accès  sera  facilité  par  la  mise  en  ligne  de  toutes  ces  ressources.  Vous  savez  qu'il existe  un  portail  général  qui  s'appelle   France  Archives  ,  qui  doit  permettre  de numériser  toutes  les  archives  écrites  et  audiovisuelles.  Je  souhaite  que  les  archives relatives  à  la  guerre  d'Algérie  et  aux  combats  de  Tunisie  et  du  Maroc  soient  traitées  en priorité. De même, un programme de recueil de témoignages, de témoins, d'acteurs de cette période sera lancé cette année afin que tout soit conservé, que la mémoire soit enregistrée, entretenue, grâce encore à la présence des survivants de cette période. En 2016 également, une Grande Collecte des archives privées – et je sais que beaucoup d'associations en ont à leur disposition à travers les membres de leurs associations – oui, je demande que cette Grande Collecte puisse être consacrée au souvenir de la France d'outre-mer, de l'Algérie, du Maroc, de la Tunisie car nous avons besoin de rassembler ces documents pour continuer à faire l'histoire et à donner à notre mémoire tous les éléments, tous les ingrédients qui font qu'elle est partagée. Entre la France et l'Algérie, il y a une amitié et je salue tous les projets franco-algériens qui témoignent de la vitalité des relations entre nos deux pays dans le domaine économique, scientifique et politique. Nous savons le rôle que joue l'Algérie dans la région et je n'oublie pas la force des liens qui nous unissent également avec le Maroc et avec la Tunisie. La Tunisie, ce pays si durement touché par le terrorisme, le terrorisme qui menace d'ailleurs toute la région comme il nous menace et c'est pourquoi nous devons aussi, en ce moment même, partager là encore, les valeurs qui sont les nôtres pour nous défendre communément et lutter partout contre le terrorisme. Je veux également saluer les échanges culturels, ce que font nos artistes, nos écrivains, nos intellectuels, nos historiens et ils le font à travers la langue française qui continue de nous attacher les uns les autres et notamment les pays du Maghreb et la France. Mesdames et Messieurs, En décidant de faire du 19 mars la Journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, le Parlement a voulu que toutes ces mémoires soient évoquées et que toutes les victimes soient honorées. Les victimes françaises et les victimes algériennes, les victimes civiles et les victimes militaires, les victimes d'avant le 19 mars et les victimes qui sont mortes après le 19 mars et puis aussi tous ceux qui ont survécu et qui portent encore douloureusement le souvenir de cette guerre et de ses combats. La grandeur d'un pays se mesure à sa capacité à regarder son histoire, à ne pas en cacher des éléments pour en glorifier d'autres qui seraient inutiles, c'est de prendre l'histoire pour ce qu'elle est, pour ce qu'elle nous apprend, pour les leçons qu'il convient communément d'en tirer. Oui, de convoquer l'histoire, non pas pour nous diviser mais pour nous réunir. La grandeur d'un pays, c'est d'être capable de réconcilier  toutes  les  mémoires  et  de  les  reconnaître.  Alimenter  la  guerre  des mémoires,  c'est  rester  prisonnier  du  passé  ;  faire  la  paix  des  mémoires,  c’est  regarder vers  l'avenir. C'est  ce  message  d'unité  et  de  paix,  de  rassemblement  aussi  que  j'entendais, aujourd'hui  en  ce  19  mars,  délivrer  devant  vous. 

Vive  la  République  et  vive  la  France. 

Les questions mémorielles portant sur la colonisation française et la guerre d Algérie par Benjamin Stora

 Discours de Nicolas Sarkozy prononcé à Constantine`devant des étudiants algériens

 Mercredi 5 décembre

 Monsieur le Président de la République, 

 Cher Abdelaziz, qu‘il me soit permis en commençant de vous dire mon amitié, mon respect et mon admiration, 

 Monsieur le Premier ministre, 

 Mesdames et Messieurs les ministres, 

 Mesdames et Messieurs, 

 C‘est une immense joie pour moi de pouvoir m‘adresser à vous aujourd‘hui, et à travers vous à la jeunesse et au peuple algériens. Si j‘ai souhaité le faire ici, à Constantine, ce n‘est pas seulement parce que cette ville est, comme tant d‘autres villes de la Méditerranée, l‘héritière d‘une histoire plusieurs fois millénaire qui a mêlé depuis la plus haute Antiquité les destins de tant de peuples. Si j‘ai souhaité venir dans cette ville qui porte encore le nom du premier Empereur romain converti au christianisme, ce n‘est pas seulement parce que Constantine est depuis si longtemps le symbole de l‘identité arabo-musulmane de l‘Algérie. Tout homme qui vient à elle ne peut s‘empêcher, quelles que soient ses croyances, d‘éprouver à son contact ce sentiment religieux d‘être dans un de ces lieux sacrés où le Ciel paraît si proche et la foi si naturelle. Combien de visiteurs ont ressenti ce qu‘avait ressenti ce voyageur des siècles passés qui, voyant apparaître Constantine audessus des brumes matinales, croyait voir quelque cité fantastique éclose tout à coup des ombres de la nuit et portée dans le ciel par deux oiseaux blancs ? Cette ville  est  une  ville  de  foi.  Combien  d‘hommes  qui  n‘avaient  pas  la  même  religion,  qui n‘avaient  pas  la  même  culture,  qui  n‘avaient  pas  la  même  origine,  se  sont  pourtant sentis  saisis  par  la  même  émotion,  celle  que  j‘ai  éprouvée  tout  à  l‘heure  en  arrivant devant  Constantine  que  tant  de  travail,  que  tant  de  peine,  que  tant  de  volonté farouche  ont  suspendue  au-dessus  des  ravins  comme  pour  témoigner  qu‘il  n‘est  rien de plus  fort  que  la  volonté  humaine  lorsqu‘elle  est  soutenue  par  une  foi  vivante  ?  Ainsi est  votre  ville  de  Constantine.    J‘ai  donc  souhaité  parler  dans  ce  lieu,  ce  lieu  qui appartient  à  tous,  les  hommes  parce que ce  lieu  incarne  pour  tous  les  hommes l‘esprit de résistance,  l‘esprit  de  conquête,  l‘esprit  de  dépassement  de  soi.    J‘ai  souhaité  parler dans  ce  lieu  où  l‘identité  et  la  civilisation  musulmanes  parlent  à  tous  les  hommes.    Et j‘ai  souhaité  parler  à  la  jeunesse  algérienne  parce  que  la  jeunesse  d‘Algérie  tient  dans ses  mains  une  partie  du  destin  d‘une  grande  civilisation  qui  a  tant  apporté  à l‘Humanité  de  sagesse,  d‘art,  de  culture  et  de  science,  et  dans  laquelle  tant  d‘hommes dans  le  monde  espèrent  encore.    Jeunes  d‘Algérie,  je  suis  venu  vous  dire  que  vous pouvez être  fiers  de  votre  pays  parce  que  l‘Algérie  est  un  grand  pays.    Jeunes  d‘Algérie, je  suis  venu  vous  dire  que  vous  pouvez  être  fiers  d‘être  des  jeunes  musulmans  parce que  la  civilisation  musulmane  est  une  grande  civilisation.     Jeunes  d‘Algérie,  je  suis  venu  vous  dire  que  le  peuple  français  vous  aime  et  que  le peuple  français  vous  respecte.    Je  sais,  Cher  Abdelaziz,  les  souffrances  du  passé,  je  sais les  blessures  profondes  que  les  tragédies  de  l‘Histoire  ont  laissées  dans  l‘âme  du peuple  algérien.   Et  dans cette ville  de Constantine,  je  n‘ignore nullement  que les  universités  portent  les noms de grands  résistants  qui  furent  des  héros  de  la  cause  algérienne.     Dans  cette  ville,  que  je  n‘ai  pas  choisie  par  hasard,  les  pierres  se  souviennent  encore de  ce  jour  de  1837  où  un  peuple  libre  et  fier,  exténué  après  avoir  résisté  jusqu‘à l‘extrême  limite  de  ses  forces,  fut  contraint  de  renoncer  à  sa  liberté.    Les  pierres  de Constantine  se  souviennent  encore  de  cette  journée  terrible  du  20  août  1955  où chacun  fit  couler  ici  le  sang,  pour  la  cause  qui  lui  semblait  la  plus  juste  et  la  plus légitime.  Ce  n’est  pas  parce  que  1955  est  l’année  de  ma  naissance  que  je  dois  ignorer cette  bataille  et  cette  date.  Le  déferlement  de  violence,  le  déchaînement  de  haine qui,  ce  jour-là,  submergea  Constantine  et  toute  sa  région  et  tua  tant  d’innocents étaient  le  produit  de  l‘injustice  que  depuis  plus  de  cent  ans  le  système  colonial  avait infligée  au  peuple  algérien.     L‘injustice  attise  toujours  la  violence  et  la  haine.  Beaucoup  de  ceux  qui  étaient  venus s‘installer  en  Algérie,  je  veux  vous  le  dire,  étaient  de  bonne  volonté  et  de  bonne  foi.  Ils étaient  venus  pour  travailler  et  pour  construire,  sans  l’intention  d‘asservir,  ni d‘exploiter  personne.  Mais  le  système  colonial  était  injuste  par  nature  et  le  système colonial  ne  pouvait  être  vécu  autrement  que  comme  une  entreprise  d‘asservissement et  d‘exploitation.     De  part  et  d‘autre,  -et  c‘est  mon  de  voir  de  Président  de  la  République  de  le  dire-,  de part  et  d‘autre,  il  y  a  eu  des  douleurs,  il  y  a  eu  des  souffrances,  il  y  a  eu  des  peines.  Ces douleurs,  ces  souffrances  et  ces  peines,  nul  en  Algérie  ni  en  France  ne  les  a  oubliées. Je  n‘oublie  ni  ceux  qui  sont  tombés  les  armes  à  la  main pour que le peuple algérien  soit de  nouveau  un  peuple  libre,  je  n‘oublie  ni  les  victimes  innocentes  d‘une  répression aveugle  et  brutale,  ni  ceux  ont  été  tués  dans  les  attentats  et  qui  n‘avaient  jamais  fait de mal à personne,  ni  ceux  qui ont  dû  tout  abandonner  :  le  fruit  d‘une  vie  de  travail,  la terre  qu‘ils  aimaient,  la  tombe  de  leurs  parents,  les  lieux  familiers  de  leur  enfance.   Mais,  jeunes  d‘Algérie,  c‘est  en  regardant  ensemble,  Algériens  et  Français,  vers  l‘avenir, que nous serons  fidèles  aux  souvenirs  de  nos  morts,  qu‘ils  soient  Algériens  ou  Français.   C‘est  en  tendant  l‘un  vers  l‘autre  une  main  fraternelle  que  nos  deux  peuples comprendront,  que tant  de fautes,  que tant  de  crimes,  que tant  de malheurs n‘auront pas  été  vains  puisqu‘ils  nous  auront  appris  à  détester  la  guerre  et  à  rejeter  la  haine.   Je  ne  suis  pas  venu  nier  le  passé.  Je  suis  venu  vous  dire  que  le  futur  est  plus  important.   Ce  qui  compte  c‘est  ce  que  nous  allons  accomplir,  et  ce  que  nous  allons  accomplir ensemble  ne  dépend  que  de  nous.    Ce  qui  compte  c‘est  que  l‘Algérie  est  aujourd‘hui un  pays  libre,  un  pays  moderne.    Ce  qui  compte  c‘est  que  l‘Algérie  et  la  France  ont  en commun des valeurs, une culture, des intérêts.   Ce qui compte c‘est que la géographie, la  mer,  la  culture,  l‘héritage  des  siècles  lient  à  jamais  les  destinées  de  l‘Algérie  et  de  la France.    Ce qui compte c‘est que dans tant de cŒurs français l‘attachement à l‘Algérie soit  si  fort,  ce  qui  compte  c‘est  que  tant  d‘Algériens  ne  peuvent  s‘empêcher  au  fond d‘eux-mêmes  de  considérer  la  France  comme  une  forme  de  deuxième  patrie.    Ce  qui compte c‘est  que l‘Algérie  et  la  France  aient  la  langue  française  en  partage  et  que  tant d‘écrivains,  tant  de  savants  expriment  en  Français  ce  qu‘il  y  a  de  plus  grand  et  de  plus beau  dans  l‘art,  dans  la  sagesse  et  dans  la  pensée  algérienne.  Et  je  souhaite  que davantage  de  Français  prennent  en  partage  la  langue  arabe  par  laquelle  s‘expriment tant  de  valeurs  de  civilisation  et  de  valeurs  spirituelles.  En  2008  j‘organiserai  en  France les  Assises  de  l‘enseignement  de  la  langue  et  de  la  culture  arabes,  parce  que  c‘est  en apprenant  chacun  la  langue  et  la  culture  de  l‘autre  que  nos  enfants  apprendront  à  se connaître  et  à  se  comprendre.  Parce  que  la  pluralité  des  langues  et  des  cultures  est une  richesse  qu‘il  nous  faut  à  tout  prix  préserver.     Mes chers amis,  je  vous  le  dis  du  fond  du  cœur,  ce  qui  compte ce n‘est  pas ce qui a  été pris  hier,  c‘est  ce  qui  sera  donné  demain  ;  ce  n‘est  pas  le  mal  qui  a  été  fait,  c‘est  le  bien qui  sera  rendu  ;  ce  n‘est  pas  ce  qui  a  été  détruit,  c‘est  ce  qui  sera  construit.  C‘est  le message,  au  nom  de  la  République  française,  que  je  voulais  dire  au  peuple  d‘Algérie  et à  la  jeunesse  d‘Algérie.   Les fautes et les crimes du passé furent impardonnables. Mais c‘est sur notre capacité à conjurer l‘intolérance, le fanatisme et le racisme qui préparent les crimes et les guerres de demain que nos enfants nous jugerons. Je le dis dans cette ville qu‘on appelait jadis la Jérusalem du Maghreb parce que sa communauté juive y était la plus importante d‘Afrique du Nord, dans cette ville qui se souvient encore que pendant des siècles Juifs et Musulmans y vécurent en paix les uns avec les autres : l‘antisémitisme n‘est pas qu‘un crime contre les Juifs c‘est un crime contre tous les hommes et un crime contre toutes les religions. Aucune cause aussi juste soit-elle ne peut justifier, à mes yeux, ce crime. Je le dis dans Constantine si croyante et dont la tolérance fut pendant tant de siècles la marque du génie : Il ne s‘agit pas seulement de condamner le racisme, encore moins de répondre au racisme par le racisme, il s‘agit de le combattre. Je combattrai le racisme qu‘il soit anti-arabe, anti-juif, anti noir, anti blanc, il n‘est pas possible de transiger avec le racisme. Et la France ne transigera jamais avec le racisme. La France sera toujours au côté de ceux qui ne transigent pas. La France ne transigera pas avec l‘islamophobie. La France ne transigera pas avec l‘antisémitisme. La France ne transigera pas avec le fanatisme. La France ne transigera pas avec l‘intégrisme. Elle ne transigera avec aucune forme d‘extrémisme, avec aucune forme de terrorisme. L‘Algérie, -je suis venu vous le dire-, trouvera toujours la France à ses côtés lorsqu‘il s‘agira de combattre le terrorisme, l‘extrémisme, l‘intégrisme, l‘islamophobie. Mais si nous voulons ensemble vaincre un jour l‘islamophobie, l‘antisémitisme, le racisme, le fanatisme, si nous voulons décourager le terrorisme, il ne faut pas que nous transigions non plus avec la Justice. Et je sais que le mot justice ici, en Algérie, cela compte. Car c‘est du sentiment de l‘injustice que les terroristes tirent leur plus grande force. Priver les Palestiniens d‘un Etat-nation, est une injustice que la France n‘acceptera pas. Ne pas reconnaître à Israël le droit de vivre en sécurité est une injustice. Empêcher les croyants de pratiquer leur religion, refuser la liberté de conscience et la liberté de culte, c‘est une injustice. On ne combat pas le fanatisme, on ne combat pas l‘intégrisme en combattant la religion. On combat l‘intégrisme et le fanatisme en favorisant une idée ouverte et tolérante de la religion. Je ne crois pas que les grandes religions soient une menace pour la paix. Je ne crois pas que les grandes religions constituent un obstacle au progrès, je ne crois pas que les grandes religions soient un facteur d‘obscurantisme. Je crois tout le contraire. Je crois que le sentiment religieux est un sentiment très noble. Et quand je regarde vos mosquées et quand je regarde nos cathédrales, je vois ce que la foi peut accomplir de grand et de plus beau.   Et je me dis que ce que nous pouvons accomplir ensemble, Musulmans, Chrétiens, Juifs, doit pouvoir être plus beau et plus grand encore. Je pense à la coupole de la Basilique Notre-Dame d‘Afrique à Alger, sur laquelle il est écrit : Notre Dame d‘Afrique, priez pour nous Chrétiens et pour les musulmans . Je pense au testament si émouvant du Père Christian, supérieur du monastère de Tibhirine, s‘adressant, visionnaire, à son assassin : Et toi aussi, l‘ami de la dernière minute qui n‘auras pas su ce que tu faisais (… ) qu‘il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux au Paradis, s‘il plaît à Dieu, notre Père à tous les deux . Et Père Christian termine en disant : Amen ! Inch Allah ! Ce jour-là, le Père Christian a fait honneur à l‘Algérie, à la France et à la foi universelle dans le monde des croyants. Je pense à l‘Emir Abd El Kader, sans doute la plus belle et la plus noble figure de l‘histoire algérienne, je pense à sa foi, une foi si rayonnante, je pense à son Islam si authentique, si ouvert, si humaniste. Je pense à ce héros qui s‘était battu jusqu‘au bout de ses forces pour l‘indépendance de l‘Algérie et qui en 1860 à Damas sauva tant de vies chrétiennes du massacre, non pas parce qu‘elles étaient chrétiennes mais parce que c‘étaient des vies et qu‘il considérait que sa foi de musulman lui faisait un devoir de sauver des vies. C‘est cela le message de l‘Islam que vous devez porter en Algérie et ailleurs. Oui, moi, le Président de la République française, je pense à la sagesse de cet homme de culture et de foi qui entretenait une correspondance suivie avec l‘évêque d‘Alger, qui s‘intéressait à la Franc Maçonnerie et qui voulut être enterré à côté du tombeau d‘Ibn Arabî, ce grand sage de l‘Islam dont il se considérait comme le disciple et qui a dit : Je professe la religion de l‘Amour, l‘Amour est ma religion et ma foi . Les terroristes salissent un Islam qu‘ils ne connaissent pas. C‘est à cette Algérie de la tolérance, c‘est à cette Algérie de l‘amour qui est son plus beau visage que je veux m‘adresser. Si chacun d‘entre nous, Chrétiens, Musulmans, Juifs, nous allons au fond de nous-mêmes, au fond de nos traditions, au fond de nos croyances, au fond des cultures dont nous sommes les héritiers, alors nous découvrirons au-delà de tout ce qui nous sépare, de tout ce qui nous oppose, que ce que nous avons accompli de plus beau et de plus grand procède, au fond, des mêmes valeurs, de la même raison et du même idéal. En m‘adressant aujourd‘hui à la jeunesse algérienne, je m‘adresse à la jeunesse d‘un pays qui s‘est toujours reconnu dans un Islam humaniste et ouvert, un Islam des Lumières. En m‘adressant à la jeunesse algérienne, je veux parler à ces centaines de millions de musulmans dans le monde qui se reconnaissent comme les héritiers d‘un Islam qui a toujours su faire dialoguer la foi et la raison. Je veux parler d‘ici, à Constantine, à ces centaines de millions de musulmans dans le monde qui ne sont pas seulement les enfants d‘Ibn Arabî, mais aussi les enfants de Platon, d‘Aristote et de Saint Augustin, et qui ne se reconnaissent pas dans le fanatisme et dans l‘intégrisme. Je ne veux pas d‘un amalgame entre l‘Islam et  les  terroristes.  Je  ne  veux  pas  d‘un  amalgame  entre  les  musulmans  et  les  fanatiques. Il  fallait  que  cela  soit  dit  ici,  à  Constantine.  Au  nom  de  la  France  laïque  et  républicaine, je  veux  dire  à  des  centaines  de  millions  de  musulmans  dans  le  monde  que  leur  foi,  que les  valeurs  de  la  civilisation  dont  ils  sont  les  dépositaires  peuvent  être  une  chance  pour le  monde.    Je veux  leur  dire  qu‘ils  doivent  se  battre  pour  l‘idée  qu‘ils  se  font  de  leur  foi et  pour leurs  valeurs.    Je  veux  leur  dire que  la  France  les  aime,  que  la  France  les  respecte et  que  dans  ce  combat  elle  sera  à  leur  côté  parce  que  ce  combat  d‘un  Islam  ouvert, d‘un  Islam  des  Lumières,  est  un  combat  pour  tous  les  hommes,  un  combat  pour  toute l‘humanité.    Je  ne  suis  pas  venu  vanter  une  fois  de  plus  les  mérites  d‘un  dialogue hypothétique  des  civilisations,  des  cultures  ou  des  religions.  Parce  qu‘il  ne  s‘agit  plus simplement  de  dialoguer,  il  s‘agit  d‘agir  et  de  construire  maintenant,  tout  de  suite, ensemble.    A  voir  la  situation  politique,  économique  et  sociale  dans  certaines  parties du  monde  méditerranéen,  à  voir  les  conflits  qui  les  déchirent  à  plusieurs  endroits,  à voir  les  inégalités  souvent  si  grandes  et  la  misère  si  criante,  à  constater,  comme l‘actualité  nous  en  donne  chaque  jour  l‘occasion,  le  retour  de  la  violence  primitive  à travers  toutes  les  formes  du fanatisme religieux et du terrorisme,  je veux me demander devant  vous si depuis  quelques décennies  nous  n‘avons pas trop parlé  et  pas assez agi.   On  peut  se  demander  si  le  moment  n‘est  pas  enfin  venu  d‘aller  solliciter  au  fond  de nous-mêmes  ce  qui  fait  l‘unité  intellectuelle,  morale,  religieuse  du  monde méditerranéen  que  durant  des  siècles  tant  de  croisades,  de  guerres  prétendument saintes,  d‘entreprises  coloniales  ont  fait  éclater.  Tournons  la  page  !    C‘est  le  temps maintenant.    Dans  le  monde  tel  qu‘il  est  aujourd‘hui,  où  des  forces  matérielles  et humaines  d‘une  extraordinaire  puissance  sont  à  l‘Œuvre,  il  nous  faut  nous  convaincre les  uns  et  les  autres  qu‘il  est  devenu  vital  de  donner  plus  de  force  à  ce  qui  nous  unit  et d‘arrêter  de  parler  de  ce  qui  nous  oppose.     Nous  devons  réapprendre  à  vivre  avec  un  mot  que  je  veux  vous  proposer  en  partage, nous  devons  apprendre  à  vivre  notre  diversité  au  nom  de  ce  que  nous  avons  en commun. Le mot diversité ne me fait pas peur. Il est beau. La Méditerranée ne se place à  l‘avant-garde  de  la  civilisation  mondiale  que  lorsqu‘elle  sait  brasser  les  hommes  et les  idées.   La  civilisation  méditerranéenne  n‘a  jamais  été  grande  que  par  l’échange,  que  par  le mélange  et  j‘ose  le  mot,  elle  n‘a  jamais  été  si  grande,  la  civilisation  méditerranéenne, que  par  le  métissage.  La  civilisation  méditerranéenne  ne  résistera  pas  autrement demain  à  l‘aplatissement  programmé  du  monde.  La  civilisation  méditerranéenne  ne conjurera  pas  autrement  le  risque  d‘un  choc  des  civilisations  et  d‘une  nouvelle  guerre des  religions.  Elle  n‘empêchera  pas  autrement  la  grande  catastrophe  écologique  qui nous  menace.    La  diversité,  j‘ai  voulu  qu‘elle  soit  reconnue  en  France  en  organisant l‘Islam  de  France.  Je  salue  la  présence  de  Dalil.  Mais  la  diversité,  nous  devons  la reconnaître  partout  comme  une  valeur  de  civilisation,  comme  un  principe  politique fondamental  aussi  important  que  la  démocratie.    C‘est  au  nom  de  la  diversité  que  le Liban  doit  vivre  libre,  indépendant,  débarrassé  des  influences  extérieures.    C‘est  au nom  de  la  diversité  que  l‘intégrisme  et  l‘intolérance  doivent  être  combattus  sans merci.  Le  peuple  d‘Algérie,  vous  avez  été  bien  courageux  dans  les  années  90,  et  bien seuls.  Ceux  qui  vous  jugeaient  alors  voient  dans  le  tribunal  de  l‘histoire  qu‘ils  ont  eu tort,  parce  que  si  vous  n‘aviez  pas  combattu  dans  les  années  90,  eh  bien  nous  n‘en serions  pas  là  et  je  ne  pourrais  pas  aujourd‘hui,  à  Constantine,  dire  ce  que  j‘ai  envie  de dire.    La  diversité,  l‘échange,  le  métissage,  l‘ouverture  à  l‘autre,  tels  sont  les  principes qui  doivent  fonder  l‘Union  de  la  Méditerranée.  Tels  sont  les  principes  sur  lesquels  les pays  riverains  de  la  Méditerranée  doivent  s‘entendre  pour  construire  un  avenir commun qui ne soit pas seulement celui que le destin  et les  événements choisiront  de nous  imposer.    Alors,  les  sceptiques,  Abdelaziz,  et  Dieu  sait  s‘il  y  en  a,  doutent  qu‘une telle  entreprise  puisse  réussir.    Les  sceptiques  croient  que  les  différences  sont  trop grandes,  les  fractures  trop  profondes.  Tous  ceux  qui  m‘expliquaient  :   c‘est  dur  d‘aller en  Algérie  .  Ah  bon,  pourquoi  ?  Ce  n‘est  jamais  que  deux  heures  et  demie  d‘avion  !   Mais  moi,  je  pose  la  question  :  ce  que  firent  jadis  les  grands  savants  musulmans  qui transmirent  à  l‘Occident  l‘héritage  de  la  Grèce  qu‘ils  avaient  sauvé  de  la  destruction, eux  l‘ont  réussi  et  nous,  nous  ne  le  pourrions  pas  ?    Pourquoi  le  grand  miracle  andalou, pourquoi  le  miracle  de  Cordoue  et  celui  de  Grenade,  ne  pourraient-ils  plus  se reproduire  ?  Ils  étaient  donc  plus  intelligents,  plus  courageux  que  nous  ?  Pourquoi  la diversité  qui  fut  si  longtemps  le  lot  de  Constantine,  d‘Alexandrie  ou  de  Beyrouth, pourquoi  cette  diversité  serait-elle  devenue  impossible  ?  Serions-nous  si  peu  à  l‘image de  ceux  qui  nous  ont  précédés  ?  Ils  étaient  ouverts,  nous  serions  devenus  sectaires. Alors  qu‘il  n‘a  jamais  été  aussi  facile  de  se  déplacer  et  de  communiquer,  ce  qu‘ils  ont fait  avant-hier,  nous  ne  serions  pas  capables  de  le  faire  pour  demain  ?    Pourquoi  les grandes  religions  monothéistes,  dont  j‘affirme  qu‘elles  sont  des  religions  d‘amour  et non  de  haine,  pourquoi  donc  seraient-elles  incapables  de  vivre  en  paix  les  unes  avec les  autres  ?  Je  n‘ai  pas  l‘intention  que  nous  nous  laissions  imposer  le  calendrier  et  le bréviaire  de  tous  les  fanatiques  du  monde.   Pourquoi  la  sagesse  d‘Abd  El  Kader  seraitelle  hors  de  portée  des  croyants  d‘aujourd‘hui  ?  Pourquoi  les  croyants  d‘aujourd‘hui  se laisseraient-ils  manipuler  ?    Pourquoi  le  testament  du  père  Christian  sur  cette  terre d‘Algérie  n‘amènerait-il  pas  les  hommes  de  bonne  volonté  à  préférer  le  pardon  à  la vengeance  ?    Pourquoi  la  paix  et  la  fraternité  seraient-elles  plus  difficiles  entre  nous, les  peuples  de  la  Méditerranée  qu‘elles  ne  l‘ont  été  dans  l‘après-guerre  entre  les peuples  européens  ?  Croyez-vous  que nous nous soyons moins battus en Europe qu‘en MÒéditerranée  ?  Nous  nous  sommes  tant  combattus  en  Europe,  pendant  des  siècles, et  nous  nous  sommes  combattus  en  Europe  jusqu‘à  l‘extrême  limite  de  l‘horreur  ?  Et  pourtant,  nous  nous  sommes  pardonnés.    L‘Union  de  la  Méditerranée,  je  ne  l‘ignore nullement,  c‘est  un  pari  et  c‘est  un  défi.  Un  pari  dicté  par  l‘idéal  autant  que  par  la raison.  Un  pari  qui  n‘est  ni  plus  ni  moins  raisonnable  que  celui  de  l‘Europe  il  y  a  une soixante  ans.  Je  fais  le  pari  de  la  compréhension,  du  respect,  de  la  solidarité  et  de l‘amour.  Je  préfère  ce  pari  là  à  celui  de  la  vengeance,  des  malentendus,  de  la  haine,  de la  barbarie.    Ce  pari,  la  France  est  venue  le  proposer  à  l‘Algérie.  Ce  pari,  la  France  veut le  gagner  avec  l‘Algérie.  Comme  la  France  offrit  jadis  à  l‘Allemagne  de  construire l‘Union  de  l‘Europe  sur  l‘amitié  franco-allemande,  la  France  est  venue  aujourd‘hui proposer  à  l‘Algérie  de  bâtir  l‘Union  de  la  Méditerranée  sur  l‘amitié  franco-algérienne.     C‘est  parce  qu‘il  y  avait  tant  de  douleurs  à  surmonter  que  ce  que  firent  le  Chancelier Adenauer  et  le  Général  de  Gaulle  eut  une  telle  importance  pour  l‘Europe.    C‘est  parce qu‘il  y  a  tant  de  douleurs  à  surmonter  que  ce  que  vont  faire  ensemble  l‘Algérie  et  la France  a  tant  d‘importance pour  ce qui  va  advenir  de la Méditerranée.    Vous savez,  j‘ai été  élevé  par  mon  grand-père.  Il  détestait  les  Allemands.  Chez  moi,  on  n‘appelait  pas les  Allemands  de  ce  nom-là.  J‘ai  été  élevé  comme  cela.  Quant  de  Gaulle  a  dit  avec Adenauer  qu‘il  fallait  pardonner  et  qu‘il  fallait  regarder  vers  l‘avenir,  mon  grand-père qui  avait  eu  peur  et  qui  avait  tant  souffert,  a  suivi  les  hommes  d‘Etat  qui  proposaient la  paix  et  non  pas  la  vengeance.     Eh  bien,  croyez-moi,  je  n‘ignore  nullement  les  douleurs,  les  souffrances,  les  malheurs que  votre  peuple  a  ressenti.  Mais  je  vous  dis  une  chose  :  ce  qu‘il  a  été  possible  de  faire en  Europe,  il  est  possible  de  le  faire  en  Méditerranée.     Cette  amitié  entre  nos  deux  peuples,  elle  ne  peut  reposer  que  sur  la  confiance.   Il  faut  que  l‘Algérie  et  la  France  se  fassent  confiance.  C‘est  difficile  de  dire  cela  et  je n‘ignore  rien  de  tout  ce  qui  se  passe,  mais  il  faut  se  faire  confiance.     L‘accord  de  coopération  dans  le  nucléaire  civil  que  nos  deux  pays  ont  conclu  est  la marque  de  cette  confiance  que  la  France  fait  à  l‘Algérie.    Et,  je  le  dis  au  nom  de  la France,  le  partage  du  nucléaire  civil  sera  l‘un  des  fondements  du  pacte  de  confiance que  l‘Occident  doit  passer  avec  le  monde  musulman.    Parce  qu‘elles  ont  choisi  de  se faire  confiance,  l‘Algérie  et  la  France,  se  sont  mises  d‘accord  pour  réfléchir  à  la  mise en  Œuvre  d‘une  nouvelle  politique  d‘immigration  qui  serait  décidée  ensemble.  Il  faut parler  des  questions  qui  fâchent.  C‘est  la  seule  façon  de  surmonter  des  malentendus et  des  désaccords.  Parce  qu‘elles  se  feront  confiance,  l‘Algérie  et  la  France permettront  aux  jeunesses  de  nos  deux  pays  de  pouvoir  aller  étudier  plus  facilement là  où  elles  le  souhaitent  ;  à  ceux  qui  veulent  aller  rendre  visite  à  leurs  familles  de  mieux pouvoir  le  faire  ;  aux  entrepreneurs,  aux  hommes  d‘affaires,  aux  chercheurs  de  circuler plus  librement  ;  mais  elle  permettrait  aussi  de  mieux  lutter  ensemble  contre  une immigration  clandestine,  ou  de  définir  ensemble  les  incitations  à  mettre  en  place  pour que l‘élite  de  la  jeunesse  algérienne  formée  dans  les  écoles  et  les  universités  françaisessoit  encouragée  à  revenir  en  Algérie,  parce  que  l‘Algérie  a  besoin  de  l‘intelligence,  des compétences,  de  l‘énergie  et  de  l‘imagination  de  ses  jeunes  élites.     M ais  l‘amitié, c‘est  la  jeunesse  qui  la  fera  vivre.    Cette  amitié,  Abdelaziz,  les  gouvernants  peuvent  en  faire  le  principe  de  leurs politiques  mais,  en  fin  de  compte,  cette  amitié  sera  l‘Œuvre  de  la  jeunesse  algérienne et de la jeunesse française.   Puissent-elles,  l‘une  et  l‘autre,  comme  la  jeunesse  française  et  la  jeunesse  allemande quand  il  s‘est  agi  pour  nos  deux  vieux  pays  si  longtemps  ennemis  de  se  tourner  vers l‘avenir,  puissent-elles  se  rapprocher,  se  connaître  mieux,  se  lier  davantage.    Les jeunesses  de  nos  deux  pays  ont  ceci  en  commun  que  se  pose  à  elles  avec  insistance l‘angoissante  question  de  leur  avenir.  Je  voudrais  que  pour  une  partie  au  moins  nous  y répondions  ensemble.     C‘est  pourquoi  j‘ai  proposé  au  Président  Bouteflika  de  réfléchir  à  la  création  d‘une université  commune  franco-algérienne.    Ce  sera  l‘objectif  aussi  des  pôles  d‘excellence communs  composés  d‘universitaires,  de  chercheurs  et  de  techniciens  de  nos  deux pays  que  nous  allons  mettre  en  place  dans  la  médecine,  dans  la  microbiologie,  dans l‘eau,  dans  les  énergies  renouvelables  ou  les  risques  majeurs…     La  France apportera son concours à la réforme des écoles d‘ingénieurs  qui va  être mise en  Œuvre  par  le  gouvernement  algérien.  La  France  continuera  d‘accueillir  encore  plus d‘étudiants  algériens  dans  ses  écoles  et  dans  ses  universités.    Mais  le  plus  important peut-être  serait  pour  que  les  jeunesses  de  nos  deux  pays  se  lient  davantage,  que  nous puissions  un  jour,  Abdelaziz,  créer  une  institution  commune  franco-algérienne  de  la jeunesse.    Elle  permettrait  de  faciliter  les  échanges  d‘écoliers,  de  lycéens,  d‘étudiants, de  sportifs,  d‘organiser  des  événements,  des  rencontres.    Elle  pourrait  servir  de préfiguration à  d‘autres  institutions  du  même genre autour de la Méditerranée et peutêtre  même  à  une  institution  méditerranéenne  de  la  jeunesse  qui  pourrait  s‘inspirer  de ce  qui  se  fait  déjà  au  sein  de  l‘Union  européenne  entre  tous  les  pays  membres  avec  le programme  Erasmus.    Jeunes  d‘Algérie,  depuis  bien  longtemps  nos  deux  pays  se mélangent.  Depuis  longtemps  ce  ne  sont  plus  deux  pays  étrangers  l‘un  à  l‘autre.   Beaucoup  d‘entre  vous  apprennent  le  français  et  beaucoup  d‘entre  vous  rêvent  de venir  en  France.  , Il  reste  en  Algérie  28  000  anciens  combattants  de  la  Seconde  Guerre  Mondiale  qui  se sont battus  pour  la  libération  de la  France et  envers  qui la  France a  une dette éternelle. La  France  n‘oubliera  jamais  ce  qu‘ont  fait  les  Algériens  pour  sa  libération.    La  plupart des  Algériens  ont  un  membre de leur famille  qui  vit  en France.   Il y  a en  France presque un  million  d‘Algériens  officiellement  enregistrés  dont  près  de  la  moitié  a  la  double nationalité.    Des  centaines  de  milliers  de  Français  sont  nés  en  Algérie.  Cette imbrication de nos deux peuples nous crée un devoir, un devoir de solidarité appelé à devenir toujours plus fort. Cette solidarité, nous devons la refonder sur l‘amitié et sur la confiance. A la France, il appartient de repenser son modèle d‘intégration. A l‘Algérie, il appartient de décider ce qu‘elle veut faire avec la France et comment elle veut le faire. A chacun de nos deux pays, il appartient de respecter la mémoire de l‘autre, et sans rien oublier, de regarder vers l’avenir. A chacun de nos deux pays, il appartient de promouvoir la meilleure part de lui-même, la plus ouverte, la plus humaniste, la plus tolérante, sans renoncer à ce qu‘il est. Après bien des détours et des ruses de l‘Histoire, la France et l‘Algérie se trouvent en même temps confrontées au même défi. La France et l‘Algérie ont besoin l‘une et l‘autre d‘une nouvelle Renaissance. La France et l‘Algérie ont besoin l‘une et l‘autre d‘une politique de civilisation qui ne produise pas seulement des progrès matériels mais qui produise aussi des valeurs, qui produise aussi de l‘identité, qui produise aussi une espérance, qui produise de la qualité et pas seulement de la quantité. Je veux lancer ici à Constantine un appel pressant à l‘Occident pour qu‘il se dépouille de toute volonté de domination et qu‘il cesse de croire, qu‘il est à lui seul toute la civilisation mondiale. Je veux lancer le même appel pressant à tous ceux qui se reconnaissent dans un Islam de progrès pour qu‘il défende l‘égalité de l‘homme et de la femme, pour qu‘il défende les droits de l‘Homme, pour qu‘il défende le respect de la diversité, parce que ces principes, ces valeurs lui appartiennent aussi. Je lance un appel à cet Islam de progrès pour qu‘il reconnaisse au peuple d‘Israël qui a tant souffert le droit de vivre libre. Je lance un appel au peuple d‘Israël pour qu‘il n‘inflige pas au peuple palestinien la même injustice que celle qu‘il a subie lui-même pendant tant de siècles. Je lance un appel aux dirigeants du peuple israélien et du peuple palestinien pour qu‘ils saisissent la paix qui est aujourd‘hui à portée de leurs mains s‘ils savent se montrer capables de surmonter la haine qui se nourrit du souvenir de leurs malheurs respectifs. Je lance un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour qu‘ils s‘unissent et que dans cette union ils mettent toute leur énergie et toutes leurs forces au lieu de les mettre à se combattre, et à se détester. Il n‘y a pas d‘avenir dans la haine. Et à vous, jeunes d‘Algérie, je veux lancer un message d‘amitié et de confiance. Faites vôtre ce grand rêve méditerranéen de fraternité qui attend depuis des siècles qu‘une jeunesse ardente s‘en empare et avec votre intelligence, avec votre vitalité, avec votre imagination vous changerez l‘Algérie, vous changerez le monde. Vive l‘Algérie ! Vive la France !     

Les questions mémorielles portant sur la colonisation française et la guerre d Algérie par Benjamin Stora

 "Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration du Mémorial national de la guerre d'Algérie des combats du Maroc et de la Tunisie. 

Paris, le jeudi 5 décembre 2002 

 Quand le bruit des armes s’est tu depuis longtemps, quand les plaies se sont lentement refermées, non sans laisser de profondes cicatrices, alors, vient le temps de la mémoire et de la reconnaissance. Aujourd’hui, au nom de tous les Français, je veux rendre l’hommage de la nation aux soldats morts pour la France en Afrique du Nord, il y a presque un demi siècle. Ils furent plus de 22 000. Je veux saluer, avec ferveur et gratitude, leur dévouement, leur courage, leur jeunesse sacrifiée. Je veux dire à leurs familles meurtries que nous ne les oublierons jamais. C’est le message que porte ce mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie. Comme la loi du 18 octobre 1999, votée à l’unanimité, ce monument était attendu par beaucoup de nos compatriotes. Il signifie que les soldats d’Afrique du Nord occupent enfin, comme leurs aînés de 1914 et de 1940, la place qui leur revient dans la mémoire de notre patrie. Soldats de métier, combattants volontaires, Français musulmans engagés dans les forces supplétives, appelés et rappelés du contingent : tous ont connu les mêmes épreuves. Tous ont lutté pour le même idéal au service de la République et au service de la France. Près d’un million et demi d’appelés et de rappelés ont participé à la guerre d’Algérie. Ils formaient l’essentiel des effectifs. Ces hommes, jeunes, grandis à l’ombre de la Deuxième Guerre mondiale dont ils avaient enduré les souffrances et les privations, ont, à l’orée de leur vie adulte, connu l’épreuve d’une autre guerre.   Leur existence en a été marquée pour toujours. Il y a eu la découverte de paysages grandioses et rudes. Les couleurs et les rythmes de terres familières et lointaines. Il y a eu la mission impérieuse de protéger des populations qui faisaient confiance à la France. L’isolement des unités dans le Djebel. L’alternance de l’attente et des combats soudains contre un ennemi imprévisible, insaisissable. Il y a eu l’expérience de la souffrance, de la mort, de la haine. De retour en France, beaucoup, qui avaient servi avec honneur, ont porté seuls le poids de cette guerre dont on ne parlait pas, et qui a laissé de profonds stigmates dans notre mémoire nationale. Les Harkis, les membres des forces supplétives, qui ont tant donné à notre pays, ont également payé un très lourd tribut. A eux, à leur honneur de soldats, à leurs enfants qui doivent trouver toute leur place dans notre pays, la France adresse aujourd’hui un message tout particulier d’estime, de gratitude et d’amitié. C’est autour de ces soldats de toutes armées et de toutes armes que nous nous recueillons, loin des polémiques et des passions. Tous sont unis dans notre souvenir. Tous ont leur place dans le cortège glorieux des fils de France qui se sont illustrés sur tous les continents et ont servi notre pays aux heures les plus tragiques de son histoire. Tous les soldats tombés en Afrique du Nord, tous ceux que nous avons pu identifier, ont leur nom sur ce monument du souvenir placé au centre de Paris. Aucun ne doit être oublié. Et je remercie les associations d’anciens combattants qui, avec le ministère de la Défense, ont accompli les longues et patientes recherches nécessaires à cette œuvre de mémoire. La liste qu’ils ont établie n’est pas close. Elle suscitera peut-être des témoignages qui permettront de la compléter et de rendre ainsi justice à des héroïsmes méconnus. A côté de ces noms de valeureux, que nous arrachons à l’oubli pour les rendre à l’histoire, nos pensées vont aussi aux victimes civiles, à ces femmes et à ces hommes qui ont tant contribué à l’oeuvre de la France outre-mer, ainsi qu’à tous les soldats inconnus de cette guerre, et notamment aux membres des forces supplétives tués après le cessez-le-feu en Algérie et dont beaucoup n’ont pas été identifiés. Tous ont droit à notre fidélité et à notre reconnaissance. Quarante ans après la fin de la guerre d’Algérie, après ces déchirements terribles au terme desquels les pays d’Afrique du Nord se sont séparés de la France, notre République doit assumer pleinement son devoir de mémoire. Au-delà des ombres et des lumières. Au-delà de la mort et des souffrances, elle doit garder vivante la mémoire des deux millions de soldats qui ont combattu, de tous ceux qui ont été tués ou blessés. Fidèle à ses principes et à son histoire, elle associe dans un même hommage ses enfants de toutes origines morts pour la France. Honneur à leur courage et à leur sacrifice ! Honneur aux soldats d’Algérie, du Maroc et de Tunisie ! Vive la République ! Et vive la France !     

Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d Algérie. Par Benjamin Stora

 "Trop d’attachement hystérique à ce que fut l’Algérie a perturbé les relations entre métropole et pieds-noirs, entre les Algériens et nos gouvernants, entre Français de souche et Français de l’immigration avec leurs divergences où se côtoient ou non les vieux ouvriers de Renault, les harkis et les jeunes de la seconde et troisième génération. Cet attachement sentimental est pathologique mais ne s’efface pas. Seule l’éducation par la presse et l’école peut, en mêlant histoire, philosophie, morale et civisme, convaincre d’ériger la tolérance en mode absolu. Tâche ardue et toujours recommencée que vous illustrez au mieux et dont vous ne vous découragez pas, même si un éloignement temporaire peut vous être nécessaire pour apaiser les regrets et une irritation compréhensible. Lettre de Jean-Louis Roy, fils de Jules Roy, décembre 2020.""


 "Réconciliation, parce que l’Algérie occupe une place très importante dans l’ensemble du bassin méditerranéen. L’Algérie, avec ses 1400 kilomètres de côtes est la plus longue frontière entre l’Afrique et l’Europe. Il est inutile de préciser que son rôle dans les développements migratoires est essentiel dans cette partie du monde. D’autre part, le Sahara algérien, plus grand désert du monde, occupe des centaines de kilomètres de frontières, avec la Libye, le Niger, le Mali… C’est la plus grande frontière saharienne, où se joue un affrontement considérable face aux groupes djihadistes qui tentent de déstabiliser la région subsaharienne. Cette double frontière, méditerranéenne et saharienne, donne à l’Algérie un poids considérable dans le règlement des problèmes actuels, sur l’immigration, le terrorisme, ou l’instabilité qui règne dans certains pays de cette zone. Comment, alors, ne pas regarder ensemble vers l’avenir pour affronter ces défis du XXI e siècle ? On pourrait  aussi  ajouter  à  ces  questions  essentielles,  le  fait  de  partir  ensemble  à  la recherche  commune  d’énergies  renouvelables  ;  d’approfondir  nos  relations économiques  au  moment  ou  la  Chine  occupe  une  place  de  premier  ordre  sur  le marché algérien  ;  ou  de  parler  aux  jeunes  générations  en  perte  de repères  identitaires.   Le  passé  colonial,  et  la  guerre  d’Algérie,  constitue  désormais  en  France  l’un  des  points de  cristallisation  de  la  réflexion  fébrile  qui  s’est  nouée  çà  et  là  autour  de  l’  identité nationale  ,  au  sein  d’une  société  française  éminemment  diverse  dans  ses  origines. Ainsi  en  atteste  la  virulence  de  débats  récents  autour  de  la  loi  du  23  février  2005  sur la  colonisation  positive  ,  et  des  dangers  de  la    repentance  ,  ou  à  propos  des traumatismes  laissés  par  l’esclavage.  Les  souvenirs  de  la  colonisation  ont  laissé  des traces  fort  inégales  dans  l’histoire  coloniale    et  l’Algérie  y  occupe  une  place  centrale par  la  longueur  du  temps  de  la  présence  française,  (132  ans),  la  forte  colonisation  de peuplement  européen,  la  découverte  du  pétrole  et  du  gaz,  l’expérimentation  des essais  nucléaires  au  Sahara,  et  la  cruauté  d’une  guerre  de  plus  de  sept  ans.   On a vu que cette histoire  particulière concerne toujours des millions  français,    piedsnoirs    et  soldats,  officiers  et  harkis,  immigrés  algériens,  bi-nationaux  vivant  des  deux côtés  de  la  Méditerranée.  Comme  je  l’ai  montré,  des  pas  ont  été  accomplis  comme  le vote  à  l’Assemblée  nationale  en  1999,  de  la  reconnaissance  d’une    guerre   qui  avait eu  lieu  en  Algérie  ou  la  reconnaissance,  en  2005,  des  massacres  commis  à  Sétif  et Guelma en 1945. Aussi du discours  prononcé par  François Hollande en  décembre  2012 sur  la    férocité   du  système  colonial.  La  déclaration  d’Emmanuel  Macron  sur  l’affaire Audin    s’inscrit  dans  la  grande  tradition  des  décisions  de  reconnaissance  historique  du passé  sombre  de  la  France  (comme,  dans  un  autre  registre,  le  discours  le  Jacques Chirac  sur  le  Vel  d’Hiv).  Elle  marque  un  seuil  sur  lequel  il  sera  bien  difficile  de  revenir. Car  cette  déclaration  nous  parle  d’un  système  établi  à  la  faveur  des    Pouvoirs spéciaux  ,  votés  en  1956,  qui  a  limité  la  liberté  d’expression,  entravé  les  droits individuels,  légitimé  des  centres  de  rétention  administrative,  mis  en  place  des    zones interdites   où  l’on  pouvait  tirer  sans  sommation  sur  un  civil  aperçu.   D’autres  gestes  à  caractères  symboliques  et  politiques  sont  nécessaires  aujourd’hui, touchant  en  particulier  les  personnalités  politiques  du  nationalisme  algérien, assassinées.  Je  pense  en  particulier  à  des  hommes  politiques  algériens,  considérés comme  des  héros  de  la  lutte  nationaliste  en  Algérie,  comme  Ali  Boumenjel,  avocat, ami  de  René  Capitant,  compagnon  du  général  De  Gaulle,  défenestré  par  l’officier français,  Paul  Aussaresses,  en  mars  1957.  Ce  meurtre  a  été  avoué  par  Paul  Aussaresses dans  ses  Mémoires.  Cette  reconnaissance  d’assassinat  marquerait  un  pas supplémentaire  dans  le  fait  de  regarder  en  face  ce  passé  colonial.  Il  est,  à  mon  sens, préférable  à  des  discours  de    repentance  , dont  on  a  pu  mesurer  les  effets  illusoires dans  le  conflit  entre  le  Japon,  la  Chine,  la  Corée  (effets  mentionnés  précédemment dans  mon rapport). 


"La prise de position du Président de la République Emmanuel Macron à propos de Maurice Audin nous renvoie aussi à la question des disparus de la guerre d’Algérie. Le corps de Maurice Audin n’a jamais été retrouvé. Comme ceux de milliers d’Algériens pendant la Bataille d’Alger , ou d’Européens à Oran dans l’été 1962. Comment faire son deuil de cette guerre si l’on n’évoque pas le sort des personnes qui n’ont été jamais enterrées ? Et qui continuent d’errer, comme des fantômes, dans les consciences collectives, françaises et algériennes ? Sortir de l’effacement, de la disparition permet de s’approcher de la réalité, de la réconciliation possible. Bien sûr, ce travail de vérité a fait pousser des cris à ceux qui disent qu’il s’agit là de repentance , et qu’il ne faut surtout  pas  évoquer  la  face  d’ombre  du  passé  français.  Mais  pour  l’immense  masse  de ceux  qui  ont  vécu  le  temps  de  la  colonisation,  elle  encourage  ceux  qui  se  battent aujourd’hui  pour  aller  vers  la  compréhension  de  leur  propre  passé.   Plutôt  que  de    repentance ,  la  France  devrait  donc  reconnaitre  les  discriminations et  exactions  dont  ont  été  victimes  les  populations  algériennes  :  mettre  en  avant  des faits  précis.  Car  les  excès  d’une  culture  de  repentance,  ou  les  visions  lénifiantes  d'une histoire  prisonnière  des  lobbys  mémoriels,  ne  contribuent  pas  à  apaiser  la  relation  à notre  passé. Tous  ces  faits  expliqués,  portés  à  la  connaissance  des  jeunes  générations,  ne  sont  pas des  verdicts  définitifs  à  propos  de  la  colonisation  et  de  la  guerre  d’Algérie.  Ces  faits énoncés,  déjà  établis  depuis  longtemps  par  les  historiens,  maintiennent  ouverte  la porte  des  controverses  citoyennes  pour  sortir  de  la  rumination  du  passé  et  des blessures  mémorielles  ;  encouragent  les  acteurs  et  témoins  à  parler  de  leurs souffrances  (en  particulier  les  anciens  appelés  d’Algérie,    les    pieds-noirs    et  les harkis).  Ce  faisant,  ce  travail  de  reconnaissance  recréent  les  outils  d’un  travail  de mémoire  jamais  clos,  en  soulignant  aussi  la  nécessaire  ouverture,  des  deux  côtés  de  la Méditerranée, des  archives de  la  guerre  d’Algérie. Benjamin  Stora "

Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d Algérie par Benjamin Stora

 "D’autres questions brûlantes sont encore à aborder, relevant de ce passé colonial commun. J’en retiendrai trois. - D’abord, celle des essais nucléaires. La France en a réalisé 17 au Sahara entre 1960 et 1966. Quatre d’entre eux étaient des essais atmosphériques, effectués à proximité de Reggane, et 13 des essais en galerie, dans le massif du Hoggar, non loin d’In Ekker. Conformément aux accords d’Evian, les sites ont été rendus aux autorités algériennes en 1967 après le démontage des installations techniques et l’obturation des galeries. De nombreux matériels militaires (véhicules, armements, avions…) exposés volontairement aux effets des expérimentations aériennes et positionnés pour cela à différentes distances du point zéro ont toutefois été laissés sur place ou enterrés. C’est ce que rappelle l’étude Sous le sable la radioactivité ! , publiée par la Fondation Heinrich Böll le 29 août 2020, à l’occasion de la Journée internationale contre les essais nucléaires . Cette étude réalisée par l’Observatoire des armement et ICAN France (International Campaign to Abolish Nuclear weapons) dresse ainsi un inventaire de ce qui a été laissé par la France et enfoui sous le sable, du simple tournevis contaminé par la radioactivité, aux avions et chars . Les auteurs estiment que la présence de ces déchets engendre des risques sanitaires importants pour les populations locales, les générations futures tout comme pour l’environnement. Près de soixante ans après le conflit, différentes associations demandent à la France de remettre aux autorités algériennes la liste complète des emplacements où sont enfouis des déchets contaminés et d’agir pour faciliter le nettoyage des sites concernés.  En  2007,  le  ministère  français  de  la  défense  avait  de  son  côté  rendu  public un  dossier  de  présentation  rappelant  les  modalités  de  réalisation  des  essais,  les mesures  prises  à  l’époque  pour  assurer  la  protection  des  personnes  impliquées  et  des populations  environnantes,  les  incidents  survenus  lors  de  quatre  expérimentations souterraines,  ainsi  que  les  conclusions  de  la  mission  d’évaluation  demandée  en  1999 par  l’Algérie  à  l’Agence  internationale  de  l’énergie  atomique  (AIEA)  sur  l’état radiologique  des  anciens  sites  d’essais.  Toujours  en  2007,  un  comité  conjoint  avait  été mis  en  place  suite  à  une  visite  du  président  français  d’alors,  Nicolas  Sarkozy.  Si  aucun rapport  n’a  été  publié  depuis  lors,  il  semble  toutefois  que  les  échanges  entre  la  France et  l’Algérie  se  soient  poursuivis  pour  qu’un  accord  franco-algérien  soit  trouvé  sur  une remédiation  des  anciens  sites  d’essais. "


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mercredi 27 octobre 2021

Bibliothèque Fahrenheit 451

 

LA LIBERTÉ OU RIEN

Féministe anarchiste anticapitaliste, anticléricale et antimilitariste, Emma Goldman a beaucoup écrit, notamment pour la revue Mother Earth qu’elle a fondée et dirigée. Cette copieuse anthologie d’articles, certains inédits en français, traite de la dictature bolchévique qu’elle dénonce après avoir passé dix-huit mois en Russie, du pédagogue espagnol assassiné Francisco Ferrer, du syndicalisme, de l’athéisme, des suffragettes, du système carcéral, du pacifisme. Un sérieux tour d’horizon des principales thématiques qu’elle a défendues tout au long de sa vie.

Calomniée, persécutée, elle s’emploie à présenter et défendre ses idées. Dans une société fondée sur la coopération volontaire, les conditions de travail ne sont plus dégradantes mais déterminées par le bien-être, les qualités et dispositions naturelles, le niveau de consommation établi par les besoins physiques et psychologiques. « Il ne peut y avoir de liberté, dans le sens large du terme, ni de développement harmonieux, aussi longtemps que des considérations d'ordre commercial ou mercantile jouent un rôle important dans la conduite des individus. » Le gouvernement et l'État ne servent qu'à protéger la propriété : « Je crois – ou plutôt, je sais – que tout ce qui est bon et beau dans l’être humain se manifeste en dépit du gouvernement et non grâce à lui. » Le militarisme et l’ « obéissance aveugle » ne sont pas conciliable avec « la vie, la liberté et la poursuite du bonheur ». « La religion est une superstition qui a pris naissance dans l'incapacité de l’homme à élucider les phénomènes naturels. » Elle dénonce le mariage comme « arrangement financier, procurant à la femme une police d’assurance-vie, et à l'homme une mère pour ses enfants ou un joli jouet », tandis que « l'amour est cette composante souveraine des relations humaines qui, depuis des temps immémoriaux, a défié toutes les lois promulguées par les hommes et transgressé toutes les conventions rigides établies par l'Église et la morale ». Alors que toutes les institutions reposent sur la violence, « l'anarchisme est la seule philosophie qui prône la paix, la seule théorie des relations sociales qui place les valeurs de la vie humaine au-dessus de tout ».

« En tant qu'innovateur le plus révolutionnaire et le plus intransigeant, l'anarchisme se bute à la fois à l'ignorance et à la virulence du monde qu'il veut reconstruire. » Pourtant l'anarchisme initie l'homme à « la conscience de soi » et, soutenant que les promesses de Dieu, de l'État de la société sont conditionnelles à l'assujettissement de l’homme, il lutte contre ses influences pernicieuses qui empêchent la fusion harmonieuse entre l’individu et la société. « Les lois sociales pourraient garantir l'abondance pour tous, et même pour les paresseux, si seulement la société était délestée des pertes et des coûts que représente une classe de paresseux et de tout l'attirail que nécessite sa protection. » Emma Goldman démontre les échecs du parlementarisme, puisque « l'arène politique n'offre d'alternative qu’entre l'âne et l’escroc. » L’anarchisme, reposant sur l’action directe, la contestation ouverte, la résistance aux lois et aux contraintes économiques, est illégal. Pourtant même le suffrage universel existe grâce à l’action directe.

Elle se livre au périlleux exercice de l’analyse de la violence politique, sans toutefois en faire l’éloge, en montrant comment l’injustice intolérable est la cause première de toutes les révoltes. Si des personnes plus ou moins influencées par les idées anarchistes, comme Czolgoszn, Averbuch, Vaillant, Sante Caserio, Alexander Berkman, Angiollo, Bresci, ont bel et bien commis des assassinats ou tout du moins des tentatives, elle explique comment, plus que les théories anarchistes, c’est la « violence générale engendrée par le capital et le gouvernement » qui les a motivés.

Elle estime les dépenses quotidiennes pour maintenir les établissements pénitentiaires aux États-Unis, « pour garder des hordes d'êtres humains encagés comme des bêtes sauvages », presque équivalentes à la production de blé et de charbon, et pourtant le nombre de crimes ne cesse d’augmenter. La plupart des actes criminels constituent des violations du droit de propriété, directement ou indirectement imputables « aux inégalités économiques et sociales et à notre système éhonté d'exploitation et de vol ». « Ceux qui ont encore un peu d'estime d'eux-mêmes préfèrent la révolte ouverte et le crime à la condition dégradante de la pauvreté. » Elle montre comment toutes les méthodes de lutte contre le crime, la vengeance, la punition, la dissuasion et la terreur, la réforme, ont totalement échoué.

Elle propose « une nouvelle Déclaration d’indépendance » stipulant que « chaque individu, sans exception, a et doit avoir le droit de s'appartenir et de jouir pleinement du fruit de son travail ; que l'homme est absous de toute allégeance au roi du capital et de l’autorité ».

Elle dénonce également le droit que s’arroge depuis la Première Guerre mondiale les gouvernements de « décider qui peut ou ne peut pas vivre à l'intérieur de ses frontières », condamnant des milliers de personnes à l’exil, voire à vivre sans nationalité. Elle raconte, comment, après avoir été élu président pour sa « neutralité », Woodrow Wilson s'est rallié à l’idée de participer à la guerre en Europe, lançant une traque systématique de toute dissidence, imposant un « régime officiel de terreur ».

Un autre article est consacré au patriotisme, « tout juste bon pour les peuples », tandis que les riches et les puissants sont volontiers cosmopolites. « L'effroyable gâchis provoqué par le patriotisme devrait suffire à guérir même l'homme d'intelligence moyenne de cette maladie. » Comme à chaque fois, elle appuie sa démonstration sur des données précises (l’augmentation vertigineuse des budgets militaires), l’histoire récente des États-Unis, se référant aussi bien à des événements particuliers qu’à des évolutions plus générales. Et elle ne manque jamais d’illustrer son propos par des faits qui la concernent directement.

Plus que de simple tracts, elle rédige de vrais petits essais. Ainsi revient-elle sur l’origine des pédagogies nouvelles (Louise Michel, Paul Robin Sébastien Faure), avant d’évoquer Francisco Ferrer, ses Écoles modernes et son assassinat par le gouvernement espagnol, le 13 octobre 1909, à la requête de l'église catholique.

Dans « Mes deux années en Russie », elle raconte, en 1924, sa lente désillusion et l’effondrement de son « bel idéal ». Kronstadt fut le coup de grâce qui lui fit réaliser que « la Révolution russe avait avorté ». Elle en tire un terrible bilan : l’État bolchévique a confisqué la quasi prise de contrôle de l’économie par les comités ouvriers organisés dans les usines réquisitionnées, ainsi que les terres dont les paysans s‘étaient rendus propriétaires. « Le véritable communisme n'a jamais été implanté en Russie. » « Indépendamment des doctrines et des partis politiques, aucune révolution ne peut réellement et durablement réussir à moins de s'opposer catégoriquement à toute centralisation et à toute tyrannie de tous les principes économiques, sociaux et culturels. Seul le renversement complet de tous les principes autoritaires servira la révolution, et non le transfert des pouvoirs d'un parti politique à l'autre, ni la dissimulation de l'autocratie sous des slogans prolétariens, ni la dictature d'une nouvelle classe sur l’ancienne, ni un simple changement de l'ordre politique. »

Elle porte ensuite une sévère critique contre le syndicalisme aux États-Unis et déclare que « la philosophie révolutionnaire du monde ouvrier » est le véritable sens du syndicalisme. Elle revient sur l'origine du mouvement révolutionnaire, sa division en deux factions : l'une visant le pouvoir politique, derrière Marx et Engels, devenant une énorme machine lancée à la conquête du pouvoir politique dans l'État capitaliste en place, l'autre derrière Bakounine, visant « la reconstruction de la société sur le regroupement volontaire et fédéré des travailleurs dans un cadre de liberté économique et sociale ». Elle raconte sa découverte du syndicalisme à l'œuvre alors qu'elle était déléguée au congrès anarchiste de Paris en 1900, puis à l'occasion de celui d'Amsterdam en 1907, revenant à Paris pour rencontrer les responsables de la CGT.

Des articles, tout aussi documentés et critiques, sont également consacrés à l’athéisme, au puritanisme, la traite des femmes qu’elle étend, au-delà de la prostitution, au mariage. Elle s'époumone contre le « fétiche » que représente à ses yeux le suffrage égal revendiqué par les femmes. Les pages qu’elle consacre aux questions féministes lui inspirent quelques envolées lyriques et des diatribes qui doivent éveiller des prises de consciences (et aussi le courroux des réactionnaires).


Emma Goldman polémique souvent avec une ironie mordante et un constant souci pédagogique de s’adresser au plus grand nombre. Chacun de ses articles prend le temps de remonter aux causes des maux évoqués, d’en faire une rigoureuse critique et d’envisager une voie émancipatrice. Ils ne sont pas seulement des témoignages historiques intéressants mais aussi des contributions parfaitement utiles à nos réflexions actuelles.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


De la même auteure :

VIVRE MA VIE - Une anarchiste au temps des révolutions



 

LA LIBERTÉ OU RIEN
Contre l’État, le capitalisme et le patriarcat
Emma Goldman
146 pages – 10 euros
Édition Lux – Collection « Instinct de liberté » – Montréal – Octobre 2021
luxediteur.com/catalogue/la-liberte-ou-rien/