Émile Henry était un
intellectuel brillant, pas comme les autres anarchistes. Il fit un
attentat qui ne fit qu'une victime qui succomba à ses blessures. Il
prit la fuite, poursuivi par la police. Il blessa un agent, fut jugé
et se fit prendre.
Comme tous les anarchistes qui
se faisaient arrêtés pour tels ou tels actes, criminels ou pas,
pour une grève ou une prise de parole devant une usine, l'occupation
d'un atelier ou un sabotage, il utilisa son procès comme une tribune
pour parler de l’anarchisme et de ce qu'il l'avait amené à
commettre cet acte.
(voici quelques extraits de
sa déclaration au jury...)
(…) Je suis anarchiste depuis
peu de temps. Ce n'est guère que vers le milieu de l'année 1891 que
je me suis lancé dans le mouvement révolutionnaire. Auparavant,
j'avais vécu dans les milieux entièrement imbus de la morale
actuelle. J'avais été habitué à respecter et même à aimer les
principes de patrie, de famille, d'autorité et de propriété.
Mais les éducateurs de la
génération actuelle oublient trop fréquemment une chose, c'est que
la vie, avec ses luttes et ses déboires, avec ses injustices et ses
iniquités, se charge bien, l'indiscrète, de dessiller les yeux des
ignorants et de les ouvrir à la réalité. C'est ce qui m'arriva,
comme il arrive à tous. On m'avait dit que cette vie était facile
et largement ouverte aux intelligents et aux énergiques, et
l'expérience me montra que seuls les cyniques et les rampants
peuvent se faire bonne place au banquet.
On m'avait dit que les
institutions sociales étaient basées sur la justice et l'égalité,
et je ne constatai autour de moi que mensonges et fourberies. Chaque
jour m'enlevait une illusion. Partout où j'allais, j'étais témoin
des mêmes douleurs chez les uns, des mêmes jouissances chez les
autres. Je ne tardai pas à comprendre que les grands mots qu'on
m'avait appris à vénérer : honneur, dévouement, devoir,
n'étaient qu'un masque voilant les plus honteuses turpitudes.
L'usinier qui édifiait une
fortune colossale sur le travail de ses ouvriers, qui, eux,
manquaient de tout, était un monsieur honnête. Le député, le
ministre dont les mains étaient toujours ouvertes aux pots-de-vin,
étaient dévoués au bien public. L'officier qui expérimentait le
fusil nouveau modèle sur des enfants de sept ans avait bien fait son
devoir, et, en plein parlement, le président du conseil lui
adressait ses félicitations. Tout ce que je vis me révolta, et mon
esprit s'attacha à la critique de l'organisation sociale. Cette
critique a été trop souvent faite pour que je la recommence. Il me
suffira de dire que je devins l'ennemi d'une société que je jugeais
criminelle.
Un moment attiré par le
socialisme, je ne tardai pas à m'éloigner de ce parti. J'avais trop
d'amour de la liberté, trop de respect de l'initiative individuelle,
trop de répugnance à l'incorporation, pour prendre un numéro dans
l'armée matriculée du quatrième état. D'ailleurs, je vis qu'au
fond le socialisme ne change rien à l'ordre actuel. Il maintient le
principe autoritaire, et ce principe, malgré ce qu'en peuvent dire
de prétendus libres penseurs, n'est qu'un vieux reste de la foi en
une puissance supérieure.
(…) Dans cette guerre sans
pitié que nous avons déclarée à la bourgeoisie, nous ne demandons
aucune pitié. Nous donnons la mort et nous devons la subir. C'est
pourquoi j'attends votre verdict avec indifférence. Je sais que ma
tête ne sera pas la dernière que vous couperez(...) Vous ajouterez
d'autres noms à la liste sanglante de nos morts.
Pendus à Chicago, décapités
en Allemagne, garrottés à Xérès, fusillés à Barcelone,
guillotinés à Montbrison et à Paris, nos morts sont nombreux ;
mais vous n'avez pas pu détruire l'anarchie. Ses racines sont
profondes : elle est née au sein d'une société pourrie qui
s'affaisse ; elle est une réaction violente contre l'ordre
établi ; elle représente les aspirations d'égalité et de
liberté qui viennent battre en brèche l'autoritarisme actuel. Elle
est partout. C'est ce qui la rend indomptable, et elle finira par
vous vaincre et par vous tuer. »
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