samedi 16 septembre 2017

Commune de paris Séance du 15 avril 1871 après midi



Le général EUDES raconte comment les Versaillais ont été mis en déroute après une attaque furieuse contre le fort; c’est de leur part une nouvelle trahison.

La séance est ouverte à 3 heures.

Les citoyens BILLIORAY président, GAMBON et CLÉMENCE assesseurs, prennent place au bureau.

Le procès-verbal de la séance du quatorze, lu par l’un des secrétaires, est adopté après une rectification demandée par le citoyen Beslay.

Interpellation. - Le citoyen DEMAY demande au délégué de la Préfecture de police, comment il se fait que, dans son arrondissement, et malgré le décret voté par la Commune, le prix des passeports soit fixé à 50 centimes pour le département de la Seine et à 2 francs pour la France? Au nom de la Commission de Sûreté générale, le citoyen FERRÉ répond qu’il ignorait complètement ce fait, ne pouvant provenir que d’un vol de l’employé, mais que, du reste, des mesures seront prises à cet égard.

Le PRÉSIDENT donne lecture d’une lettre du citoyen RANVIER déclarant donner sa démission de membre de la Commission militaire.

Lecture est également faite des dépêches militaires, constatant les échecs subis par les Versaillais dans la journée et la nuit du quatorze au quinze courant.

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion des échéances.

Le citoyen BESLAY trouve que les critiques, dirigées contre son projet, n’en ont nullement détruit la force. La création d’un comptoir commercial permettrait: 1° d’accorder du temps aux débiteurs; 2° de conserver la valeur intégrale du billet avec ou sans endos; 3° de faire des billets, conservés en portefeuille, une valeur vive qui profiterait à la reprise des affaires. On a demandé ce que le projet ferait des dettes hypothécaires? Étant donné une dette à payer ou une obligation commerciale, il est clair que, par suite de considérations aujourd’hui indiscutables, on devra lui accorder le bénéfice du temps. Pour l’objection que le comptoir ne s’appliquerait pas aux arriérés des billets dans les départements et par suite n’aurait pas un caractère de généralité, sitôt, dit-il, que la création sera acceptée et reconnue excellente par la Commune de Paris, elle le sera immédiatement aussi par les communes des départements. En un mot, aucune atteinte sérieuse n’a été portée à la combinaison qui se présente pour la liquidation de la dette arriérée du commerce.

La discussion générale des trois projets étant close, la Commune, sur la demande du citoyen Paschal GROUSSET, décide que le vote n’aura lieu qu’après examen séparé des trois projets.

Consultée sur la question de priorité, elle décide également que le projet Tridon sera discuté le premier, le projet Jourde le deuxième et, enfin, celui du citoyen Beslay en dernier.

Le citoyen TRIDON, afin de répondre à la principale critique dirigée contre son projet, critique se rapportant à l’immobilisation des valeurs, donne lecture de l’amendement suivant qu’il ajoute au projet primitif: «Un comptoir spécial sera fondé, sous les auspices de la Commune, pour servir d’intermédiaire entre les divers intéressés.»

Le citoyen ALLIX se déclare partisan du projet Tridon, parce qu’il permet une liquidation à l’amiable qu’il est désirable de faciliter. Pour ce qui concerne la création d’un comptoir commercial, il en accepte également le principe, vu qu’il le considère comme l’intermédiaire qui amènera la liquidation amiable; il propose donc la formation d’une commission chargée d’arrêter les bases de ce comptoir.

Le citoyen RÉGÈRE se déclare également partisan du projet Tridon; mais il préférerait l’adoption du projet primitif qui laisserait beaucoup, et selon lui avec raison, à l’initiative des commerçants.

Sans repousser la création d’un établissement commercial, il préférerait que le projet fût sérieusement étudié avant son adoption par une commission nommée à cet effet.

Le citoyen VARLIN repousse formellement l’idée d’un comptoir financier, comme étant convaincu que la majeure partie des effets en souffrance est mauvaise. «Ce qu’il est surtout désirable d’amener, dit-il, c’est une liquidation lente de ces effets impayés. Attendons donc d’être sortis de cette situation critique avant de songer à établir une institution financière.»

Le citoyen MALON croit qu’il est indispensable de faire des coupures, parce que, sans cela, il arrivera que les commerçants, se trouvant dans l’impossibilité de prendre des arrangements immédiats, se trouveront dans une situation réellement inférieure et par suite sans crédit. «Si, au contraire, vous autorisez les coupures, ils seront garantis.» Sans être opposé à la création d’un comptoir, il se range, pour le présent, aux objections du citoyen Varlin.

Le citoyen PARISEL pense que ce n’est pas en coupant un billet en huitièmes qu’on donnera du crédit; ce qu’il faut surtout, c’est du temps, afin de pouvoir employer les capitaux disponibles, les affaires des débiteurs étant, avant tout, la plus sûre garantie des créanciers. C’est pour cette raison qu’il adopte le projet primitif du citoyen Tridon. Quant à l’amendement, il ne pense pas que la Commune doit décréter la fondation d’un comptoir, dont elle serait forcément responsable.

Le citoyen BILLIORAY repousse le projet, parce qu’il immobilise pendant trois années la somme représentée par les effets; tandis que le projet Jourde permet, moyennant les coupures, la mise en circulation de ce capital qui activera la reprise des affaires. «On se trouvera réduit en France, dit-il, à n’avoir qu’une petite quantité de numéraire; il faudra donc le remplacer par une valeur-papier; si vous immobilisez cette énorme valeur déjà en circulation, vous arriverez à arrêter complètement les affaires. Par contre, en réduisant la dette du débiteur en huit termes, il pourra petit à petit se libérer et faire face à ses affaires.»

Le citoyen GROUSSET fait observer que le général Eudes est présent à la séance; il aurait peut-être quelques renseignements à donner à la Commune sur l’attaque des Versaillais contre le fort de Vanves. La Commune se forme en Comité secret.
COMITÉ SECRET
Le général EUDES raconte comment les Versaillais ont été mis en déroute après une attaque furieuse contre le fort; c’est de leur part une nouvelle trahison. Repoussés à une heure du matin, ils se sont de nouveau présentés à quatre heures, précédés des voitures d’ambulance; on a cru qu’ils venaient relever leurs morts et leurs blessés; mais, à quelque distance, ces misérables ont ouvert sur toute la ligne un feu des plus violents. Les gardes nationaux indignés ont riposté et les ont, pour la seconde fois, mis en fuite. Le général dit que la situation est très bonne; il craint seulement qu’on ne fatigue, par un service trop prolongé, des citoyens qui n’ont pas fait encore métier de soldat. Il lui manque du monde; il a fait demander à la Commission exécutive et à la Guerre des bataillons nouveaux, mais rien n’est venu.

Après quelques observations des citoyens GERESME, TRIDON, MALON, DEREURE, MEILLET, BLANCHET et ASSI, le citoyen TRIDON propose L’ordre du jour suivant:
«La Commune, avertie que le roulement des bataillons se fait d’une façon irrégulière, et que certains bataillons restent trop longtemps à la tranchée, décide qu’il en sera référé au délégué à la Guerre pour y porter remède dans le plus bref délai et passe à l’ordre du jour.»

Le citoyen MEILLET annonce que, sans attendre les ordres de la Guerre, il établit le conseil de guerre dans son arrondissement.

Le citoyen LEFRANÇAIS, de son côté, assure que dans le XIe arrondissement, le conseil de guerre sera institué dès demain.

Le citoyen VERMOREL demande que l’on fasse appel aux volontaires.

Le citoyen PARISEL ne veut pas de volontaires; qu’on réorganise seulement et qu’on exerce les compagnies de marche, et on aura des forces suffisantes.

Le citoyen JOURDE propose l’ordre du jour suivant:
«L’exécution du décret concernant les conseils de guerre est confiée aux arrondissements. Les membres de la Commune qui sont en même temps officiers municipaux devront faire exécuter ce décret dans le plus bref délai.»

Le citoyen ALLIX croit le décret inutile; qu’on communique seulement cette proposition an général Cluseret: la formation des conseils de guerre est votée, c’est aux municipalités à l’assurer.

Le citoyen AVRIAL fait remarquer que la réorganisation des forces de la Commune est difficile et lente; on ne peut marcher aussi vite que l’on voudrait.

Le citoyen OSTYN, de son côté, prétend que la réorganisation se fait; la situation nouvelle est de beaucoup améliorée.

Le citoyen GROUSSET demande qu’on réorganise les compagnies de marche par quartier.

Le citoyen CLUSERET, interpellé par la Commune, assure que la réorganisation des compagnies ne va pas aussi rapidement qu’elle pourrait aller; il y a trop de petits pouvoirs, de rivalités en présence, dans les municipalités; il voudrait une Commission de la Commune dans chaque arrondissement, à laquelle la Guerre pourrait s’adresser.

Le citoyen MEILLET voudrait simplement que le citoyen CLUSERET donnât son programme aux municipalités, qui se chargeraient de l’exécution. Après une circulaire du général Cluseret aux chefs de bataillons, les municipalités, par exemple, pourraient réorganiser les bataillons de marche.

Le citoyen CLUSERET répond que, quant au programme, il trouve le décret, qui a paru , parfaitement clair et très précis.
L’établissement des conseils de guerre et les mesures à prendre contre ceux qui refusent de partir concernent les municipalités.

Le citoyen CLÉMENCE propose:
«La Commune de Paris, considérant qu’il y a lieu d’assurer dans le plus bref délai l’exécution de ses décrets ou arrêtés, décide: les membres de la Commune, chacun dans leur arrondissement, sont chargés de faire exécuter les décisions de la Commune. Ils sont responsables de l’exécution de ces décisions.»

Le citoyen OSTYN propose qu’il soit interdit d’être à la fois membre de la Commune et chef de légion.

Le citoyen CLUSERET, interrogé sur la question de savoir si une prime accordée aux bataillons qui montent la garde ne serait pas une bonne mesure, répond qu’il serait, en France, imprudent de faire des mercenaires. On lui demande ce qu’il pense de la réorganisation de la Garde nationale; il répond que cette mesure, difficile à prendre, n’est pas indispensable. Il réunit, en effet, toutes les compagnies de marche au Champ-de-Mars, où elles campent et où la cohésion se fait naturellement.

Le citoyen PYAT donne lecture d’un projet de décret, présenté par la Commission exécutive; il insiste pour l’urgence de la discussion et demande une séance pour le soir.

Lecture du projet de décret:
«La Commune de Paris, considérant que les monarchistes de tous les régimes, combattent et conspirent contre les principes du Droit et de la Justice, défendus par la Commune de Paris;
«Considérant qu’au moment où les factions royalistes emploient les moyens les plus atroces pour attaquer Paris, il est du devoir de tout citoyen d’apporter son concours personnel à la défense;
«Que, cependant, un certain nombre de mauvais citoyens ont quitté et quittent encore la capitale, soit pour aller porter leur appui au gouvernement de Versailles, soit pour se soustraire aux nécessités de la lutte engagée contre Paris par les éternels ennemis de la liberté;
«Qu’en outre, plusieurs habitants se dérobent au service de la Garde nationale, laissant aux prolétaires armés de nos bataillons civiques la défense des propriétés ainsi désertées;
«Décrète:
« Art. 1er. - Sont mis sous séquestre tous les biens, meubles ou immeubles et valeurs mobilières de toute nature, appartenant, soit aux membres de l’Assemblée de Versailles, soit aux complices de l’Empire, à ceux du 4 septembre et du pouvoir représenté par Monsieur Thiers;
«Art. 2. - Une commission sera nommée, en dehors de la Commune, pour veiller à l’encaissement des valeurs mises sous séquestre et poursuivre la vente sur estimation des immeubles saisis.
«Art. 3. - Les habitants de Paris, qui ont émigré pour se soustraire au devoir civique, seront frappés d’une amende décuple de la quotité de leurs impositions.
«Art. 4. - Les gardes nationaux réfractaires, en même temps qu’ils seront désarmés et privés de leurs droits civils et politiques, seront passibles d’une amende à déterminer par le conseil de guerre, sans préjudice des autres peines qui pourront être appliquées par cette juridiction; le recouvrement de cette amende sera opéré par les soins de la Commission de séquestre.
«Art. 5. - La Commission exécutive est chargée de prendre toutes les mesures d’exécution que nécessite la mise en vigueur du présent décret.
La Commune de Paris.»

La séance, levée à sept heures, est renvoyée à dix heures
du soir.

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