mardi 26 septembre 2017

Commune de Paris Séance du 22 avril 1871 (4)



Delescluze. Eh! bien, il y a des tiraillements, et pourquoi? À cause des jalousies et des compétitions! C’est l’élément militaire qui domine, et c’est l’élément civil qui devrait dominer toujours!

BLANCHET. Je constate que, depuis quelques jours, la Commune se suicide en n’agissant pas assez, et, si elle n’agit pas, la Révolution est perdue. Nos séances commencent à 3 heures, nous ne sommes pas au complet et nous discutons beaucoup, mais nous agissons peu. Nous n’employons pas les moyens révolutionnaires, et, pendant ce temps, les réunions réactionnaires s’organisent. Parlons moins, agissons plus. Moins de décrets, plus d’exécution. Où en est le décret sur le jury d’accusation? Et la loi sur les réfractaires, non appliquée? Et la colonne Vendôme, qui n’est pas abattue encore. On le dit: la Commune n’est pas révolutionnaire; et l’on a raison; les réactionnaires prennent de la force. Citoyens, nous faisons beaucoup de décrets qui ne sont pas exécutés. Eh! bien, nous devons compte de notre mandat à nos électeurs. Vous l’avez vu, quand vous avez convoqué les électeurs.

PLUSIEURS VOIX. On nous accuse d’avoir un plan analogue à celui de Trochu.

LE PRÉSIDENT. Je suis d’avis que nous perdons peut-être beaucoup de temps ici; mais, enfin, ceux qui crient le plus fort ne sont pas ceux qui font le plus.

DELESCLUZE. On se plaint de l’inexécution de nos décrets. Eh! bien, citoyens, n’êtes-vous point un peu complices de cette faute? On se plaint que la loi contre les réfractaires et les complices de Versailles ne soit pas exécutée. Eh! bien, quand la Commission exécutive est venue vous demander cette loi, les uns l’ont trouvée trop douce, les autres trop sévère. La minorité a fait décider que l’on ferait l’appel nominal et que chacun motiverait son vote. Quand un décret, qui paraîtrait au Journal Officiel avec 13 votes négatifs et 18 votes affirmatifs seulement, n’aurait pas rencontré dans le public ce respect que mérite une Assemblée, de quoi pourriez-vous vous étonner? Il y a eu une minorité qui s’est élevée contre la Commission exécutive; c’était bien simple, citoyens, il fallait nous remplacer plus tôt. Si, pour une rancune personnelle, ou parce que l’idéal qu’on poursuit n’est pas complètement d’accord avec le projet, il fallait se retirer, croyez-vous donc que tout le monde approuve ce qui se fait ici? Eh! bien, il y a des membres qui sont restés et qui resteront jusqu’à la fin, malgré les insultes qu’on nous prodigue; et, si nous ne triomphons pas, ils ne seront pas les derniers à se faire tuer, soit aux remparts, soit ailleurs. Il y a eu une conspiration latente contre cette malheureuse Commission, qui se fera peut-être regretter, parce que nous cherchons à allier la modération à l’énergie. Nous sommes pour les moyens. révolutionnaires, mais nous voulons qu’on observe la forme, respecter la loi et l’opinion publique. S’il y a quelques discordes, n’est-ce point pour des querelles de galons, qui divisent certains chefs? Voilà un arrondissement, le XIe, auquel j’ai l’honneur d’appartenir, qui pèse beaucoup dans la balance. Cet arrondissement a 45.000 gardes nationaux. Eh! bien, il y a des tiraillements, et pourquoi? À cause des jalousies et des compétitions! C’est l’élément militaire qui domine, et c’est l’élément civil qui devrait dominer toujours!
(Bravos.)

DELESCLUZE. Je vous dirai que, pour moi, je suis décidé à rester à mon poste; et, si nous ne voyons pas la victoire, nous ne serons pas les derniers à être frappés sur les remparts ou sur les marches de l’ Hôtel de Ville.
(Bravos prolongés.)

FORTUNÉ HENRY. Je suis attaqué, j’ai bien le droit de me défendre… (Bruit.)

F. HENRY. Nos électeurs trouvent que nous ne faisons rien… (Bruit; tumulte.)

Les interpellations se croisent de tous côtés.

LE PRÉSIDENT. Il ne faut pas laisser la discussion continuer davantage. Elle n’a pas de base. Je demande donc qu’on passe à l’ordre du jour sur l’incident. Chacun de nous, dans son arrondissement, fait exécuter les décrets de la Commune. Il y a depuis quinze jours, sur le bureau, un projet de décret relatif à la confiscation des biens des réfractaires. Par suite de ces discussions interminables, nous n’avons pu encore nous en occuper. Le principe seul en a été voté, mais le jury d’accusation n’a pas été nommé.

RASTOUL demande à lire deux actes. (Non! Non!)

PROTOT lit la constitution du jury d’accusation:
«La Commune de Paris:
«Considérant que, si les nécessités de salut public commandent l’institution de juridictions spéciales, elles permettent aux partisans du droit d’affirmer les principes d’intérêt social et d’équité qui sont supérieurs à tous les événements:
«Le jugement par les pairs,
«L’élection des magistrats,
«La liberté de la défense,
«Décrète:
«ART. 1er. Les jurés seront pris parmi les délégués de la Garde nationale, élus à la date de la promulgation du décret de la Commune de Paris qui institue le jury d’accusation;
« ART. 2. Le jury d’accusation se composera de quatre sections, comprenant chacune douze jurés, tirés au sort en séance publique de la Commune de Paris convoquée à cet effet. Les douze premiers noms sortis de l’urne composeront la première section du jury. Il sera tiré, en outre, pour cette section, huit noms de jurés supplémentaires, et ainsi de suite pour les autres sections. L’accusé et la partie civile pourront seuls exercer le droit de récusation.
«ART. 3. Les fonctions d’accusateur public seront remplies par un procureur de la Commune et par quatre substituts, nommés directement par la Commune de Paris.
«ART. 4. Il y aura auprès de chaque section un rapporteur et un greffier, nommés par la Commission de Justice.
« ART. 5. L’accusé sera cité à la requête du procureur de la Commune. Il y aura au moins un délai de vingt-quatre heures entre la citation et les débats. L’accusé pourra faire citer, même aux frais du trésor de la Commune, tous témoins à décharge. Les débats seront publiés. L’accusé choisira librement son défenseur, même en dehors de la corporation des avocats. Il pourra proposer toutes exceptions qu’il jugera utiles à sa défense.
«ART. 6. Dans chaque section, les jurés désigneront eux mêmes leur Président pour chaque audience. À défaut de cette élection, la présidence sera dévolue par la voie du sort.
«ART. 7. Après la nomination du président, les témoins à charge et à décharge seront entendus. Le procureur de la Commune ou ses substituts soutiendront l’accusation. L’accusé et son conseil proposeront la défense. Le président du jury ne résumera pas les débats.
«ART. 8. L’examen terminé, le jury se retirera dans la chambre de ses délibérations. Les jurés recevront deux bulletins de vote, portant, le premier, ces mots: l’accusé est coupable; le second, ces mots: l’accusé n’est pas coupable.
«ART. 9. Après sa délibération, le jury rentrera dans la salle d’audience. Chacun des jurés déposera son bulletin dans l’urne; le scrutin sera dépouillé par le président; le greffier comptera les votes et. proclamera le résultat du scrutin. L’accusé ne sera déclaré coupable qu’à la majorité de huit voix sur douze .
«ART. 10. Si l’accusé est déclaré non coupable, il sera immédiatement relaxé.
«ART. 11. Toutes citations devant le jury, et toutes notifications quelconques, pourront être faites par les greffiers des sections du jury d’accusation. Elles seront libellées sur papier libre et sans frais.»

RIGAULT ajoute: « Et sera relaxé, s’il n’est détenu pour autre cause.»

PROTOT. L’addition est naturelle.

DELESCLUZE. Quand un individu est sous le coup de plusieurs chefs d’accusation non connexes, il y a des motifs différents; l’accusation les motive.

PROTOT. Nous n’avons pas eu l’intention d’éliminer les dispositions libérales du Code d’instruction criminelle de 1810; le droit de récusation est de droit à l’accusé.

DELESCLUZE demande que le droit de récusation ne soit pas exercé par le ministère public.

PROTOT dit que ce droit est mentionné pour la défense.

RIGAULT. La partie civile aussi a le droit de récuser.

PROTOT. Voici le nouveau texte: «L’accusé et la partie civile pourront seuls exercer la récusation.»

AVRIAL. Je demande si, dans l’intention du citoyen Protot, l’institution du jury d’accusation est simplement un jury exceptionnel.

PROTOT. Non.

AVRlAL. Eh! bien, au lieu de dire que le jury sera nommé par la Garde nationale, il faudrait dire: sera choisi parmi les électeurs.

PROTOT. Sans doute, le principe de l’élection des magistrats par le suffrage universel doit être la loi de l’avenir, mais, dans l’espèce, nous avons pensé qu’ayant à élire des juges de paix, des magistrats au tribunal de commerce, des juges civils et criminels, enfin une foule d’élections, nous ne pouvions pas recourir à la population civile. En ce moment, nous nous adresserons à la Garde nationale; il y aura cet avantage que les délégués de la Garde nationale se trouvent être les citoyens les plus intelligents et les plus dévoués à notre cause, et nous avons cru qu’il y avait là deux éléments de succès pour notre jury d’accusation. Nous proposerons même bientôt d’étendre ces dispositions aux délits de droit commun.

ARNOLD. On va voter sur un projet très important; il me paraît difficile de se prononcer sur une simple lecture.

LE PRÉSIDENT fait observer que ce projet a été lu, trois ou quatre fois déjà, en séance. (Aux voix! La clôture!)

ARNOULD demande la parole contre la clôture. Il croit que la discussion n’est pas épuisée. Ainsi, il demande au citoyen Protot, si c’est à dessein, ou involontairement, que l’on a négligé de parler des circonstances atténuantes.

PROTOT répond qu’il faut réformer les dispositions draconiennes du Code pénal. Le projet veut maintenir toutes les dispositions libérales du Code pénal, qui ne seront pas incompatibles avec les articles du décret que l’on va voter.

ARNOULD insiste et fait remarquer que le projet dispose que deux bulletins seraient remis aux jurés, l’un: l’accusé est coupable, l’autre: l’accusé n’est pas coupable, ce qui implique l’idée d’éliminer les circonstances atténuantes.

PROTOT. Ce décret, que nous vous proposons, n’est applicable qu’aux otages, le jury n’ayant qu’à délibérer au sujet de l’accusation de complicité avec le gouvernement de Versailles. Eh! bien, de deux choses l’une: ou l’accusé est coupable, ou il n’est pas coupable. Si le jury décide qu’il n’y a pas lieu de retenir l’accusé comme otage, il sera relâché; il n’y a pas de milieu. Je me résume en un mot: la seule question, soumise au jury, est celle-ci: ou l’accusé est coupable, ou il n’est pas coupable. Il est évident que, dans le cas de circonstances atténuantes, l’accusé serait relâché.

LE PRÉSIDENT. Il serait bon d’indiquer que ce projet est pour le cas de complicité avec Versailles.

PROTOT. Il n’y a qu’à mettre que le décret voté le sera en exécution du décret du 4 avril.

RÉGÈRE. Je demande la parole pour signaler un vice radical. Vous dites que le jury sera pris parmi les délégués de la Garde nationale; il n’y a pas cela.

VOIX. Mais si, c’est fait!

La clôture est prononcée. Le projet est mis aux voix et adopté.

ARNOULD. On vote, alors, article par article. Je n’admets pas ce vote et je tiens à ce que mon abstention et ma protestation soient signalées à l’Officiel.

CLÉMENT. Je m’associe à la protestation.

JOURDE. Il faut que l’on charge un délégué et que ce délégué soit responsable devant la Commune de l’exécution des décrets.

(À suivre.


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