samedi 23 septembre 2017

Commune de Paris Séance du 20 avril 1871 (2)




RANVIER. La destitution du général Bergeret a motivé l’arrestation d’un autre citoyen dont la conduite avait été considérée comme tout à fait dévouée…

DELESCLUZE. Oui, mais l’acte n’en sera pas moins accompli par le délégué, malgré cette responsabilité. Encore une fois, je ne comprends pas. Vous ne pouvez pas instituer une Commission exécutive… Nous voulons arriver à l’unité d’action; eh! bien, je trouve que sept membres, c’est trop; mais enfin, puisque c’est voté, de ces sept membres doit se dégager une volonté et c’est cette volonté qui fera l’unité d’action.

ANDRIEU. Citoyens…

EUDES. Je demande la parole pour une communication. Voici l’ordre que j’ai reçu ce matin:
«Le général Eudes, étant appelé à d’autres fonctions, remettra son commandement au Chef de légion Wetzel; il viendra au Ministère prendre de nouvelles instructions.»

EUDES. Ce n’est pas comme général, mais comme membre de la Commune, que je demande à interpeller le délégué à la Guerre. Je crois qu’avant de prendre une décision, on devrait au moins en avertir la Commune. Je constate aussi qu’il y a quatre étrangers investis de commandements: Dombrowski, Wetzel…

ANDRIEU maintient son tour de parole. «Citoyens, je prends acte de l’incident; c’est dans les faits que je trouve la théorie. Ainsi, voici le général Eudes qui reçoit avis qu’il est destitué, sans que la Commune en sache le moindre mot. Vous voyez parfaitement que, si vous n’avez plus de pouvoir intermédiaire, le moindre changement amènera des troubles, au milieu desquels la discussion serait impossible. Maintenant, comme l’a si bien dit Delescluze, le premier article a été, peut-être, très imprudemment voté, faute d’une définition parfaitement nette des attributions de chacun et aussi de la responsabilité; et voilà pourquoi je demandais la dissolution de la Commission exécutive et son remplacement par ce que j’appellerai une Commission de direction générale. Ainsi, on est bien certain que le délégué à la Guerre ne reçoit qu’un mot d’ordre: vaincre; le délégué à la Subsistance: nourrir; le délégué à l’Instruction: enseigner. Qu’est-ce qui mettra d’accord les délégués? Ce doit être une représentation vivante de votre unité, où ne doivent pas entrer les délégués. Qu’ils s’entendent, qu’ils avisent, parfait; mais il ne faut pas que la Commune abandonne la direction.

JOURDE. Il faut donner des pouvoirs complets. Vous avez donné votre confiance au citoyen Cluseret, il est donc responsable; par suite, il est seul juge des déterminations qu’il croit devoir prendre dans l’intérêt du service (Interruptions)

JOURDE. Si vous mettez un délégué, il lui faut les pouvoirs les plus étendus, car à chacun il faut laisser sa responsabilité. Tant que le citoyen Cluseret sera en possession de son mandat, il faut le laisser agir. Citoyens, ne vous laissez pas entraîner sur une pente dangereuse: si une mesure a été prise par lui, tant qu’il sera à la Guerre, vous n’avez pas à intervenir… (Tumulte. Les interpellations se croisent en tous sens).

AVRIAL dit que l’on ne peut discuter sans la présence du citoyen Cluseret.

LE PRÉSIDENT demande que le délégué à la Guerre ne soit pas un militaire. «Ajournons l’incident. Je vais consulter l’Assemblée.»
(Non!).

ARNOULD. Il faut qu’il soit bien entendu que le général Eudes obéit à l’ordre qu’il a reçu.

RASTOUL. Nous devons les premiers donner l’exemple de la discipline, pour ne pas perpétuer le désordre. Il est évident qu’un ordre militaire doit être exécuté et il faut que le général Eudes obéisse.

DELESCLUZE. Personne ne désire plus que moi de voir confier les Administrations militaire et maritime à des chapeaux ronds, et les souvenirs de la Guerre et de la Marine sont là pour attester que jamais la Guerre et la Marine n’ont été gérées avec probité et intelligence que par des gens qui avaient échappé à la vie de caserne ou des ports. (Très bien!).

DELESCLUZE. Aujourd’hui, tout nous permet de croire que nous approchons du moment très critique; la crise est là, peut-être est-ce pour demain. Eh! bien, croyez-vous que ce soit le moment de jeter la perturbation dans un service à peine ébauché encore, mais dont les éléments insuffisants, qui le composent, nous permettent de satisfaire, dans une certaine limite, aux besoins énormes de la défense? Je ne suis pas suspect d’un excès de sympathie pour le général Cluseret et je sais que beaucoup de nos collègues ne lui ont donné leurs voix que parce qu’ils ne trouvaient pas un autre soldat pour prendre en mains le gouvernement militaire; il nous a rendu des services, je le crois; mais n’en eût-il rendu que de très restreints que je dirais encore: «Ne venez pas jeter le désordre dans cette administration.» J’ai pour Eudes la plus vive sympathie; j’admire les résultats qu’il a obtenus avec ses bataillons, lui novice dans l’art de la guerre, et je viens lui demander de ne pas élever ici une question de susceptibilité. Je le conjure de s’en rapporter à l’Assemblée, qui saura bien rechercher qui a tort ou raison et peser les motifs de la décision prise par le général Cluseret et lui infliger un blâme, si ces motifs ne sont pas fondés. Mais, je le répète, soyez sûrs que nous touchons au moment de la crise suprême. Ne désorganisons rien, laissons ce qui est; si la victoire nous vient, nous aurons le temps de faire bien des choses; quant à présent, nous sommes en face de l’ennemi, et si le citoyen Eudes reçoit un commandement qui ne lui conviendrait pas, je le prie de le recevoir. Vous voulez l’unité d’action! mais fondez-la, et surtout ne perdons pas de temps.

EUDES. Ce n’est pas une question de personnalité; je venais pour interpeller le délégué à la Guerre. Ce matin, on accuse, dans l’Officiel, le commandant des forts d’avoir gaspillé des projectiles; quant à mon commandement, je n’y tiens pas, mais j’aurais voulu y être pour le jour de la bataille qui va se livrer dans vingt-quatre heures, dit-on.

PLUSIEURS MEMBRES. Non! non!

RANVIER. La destitution du général Bergeret a motivé l’arrestation d’un autre citoyen dont la conduite avait été considérée comme tout à fait dévouée, qui a été enfermé à Mazas où il était encore hier, pour n’avoir pas obéi aux ordres de Dombrowski, comme c’était son droit, puisqu’il ne connaissait pas le remplacement de Bergeret .(Bruits. À l’ordre du jour!).

VAILLANT. Le citoyen Andrieu vous a très bien montré qu’en votant le premier article, la Commune s’était engagée dans une voie dont il lui était difficile de sortir; d’un autre côté, le citoyen Delescluze vous a très bien montré qu’il y avait contradiction entre les pouvoirs des délégués et les pouvoirs de la Commission exécutive qui, ainsi, n’avait plus de pouvoir et ne prenait que la responsabilité d’actes qu’elle ne produirait pas. De deux choses l’une: ou bien l’Assemblée abdique devant les sept personnes chargées des divers services, ou elle placera, à côté des délégués, une Commission chargée des pouvoirs publics et représentant les pouvoirs de la Commune.

DELESCLUZE lit sa proposition:
«La Commune arrête:
«1° Le pouvoir exécutif est et demeure confié, à titre provisoire, aux délégués réunis des 9 Commissions, entre lesquelles la Commune a réparti les travaux et les attributions administratives;
«2° Les délégués seront nommés par la Commune à la majorité des voix;
«3° Les délégués se réuniront chaque jour et prendront, à la majorité des voix, les décisions relatives à chacun de leur département.
«4° Chaque jour, ils rendront compte à la Commune, en comité secret, des mesures arrêtées ou exécutées par eux, et la Commune statuera.»

UN MEMBRE dit qu’il lui paraît y avoir deux contradictions; il pense que la réunion des délégués doit être en permanence pour les besoins des divers services. (Non! non!).

PARISEL demande que l’on passe au vote, ou il maintiendra son tour de parole.

La clôture est demandée.

Sur quelques observations du citoyen Delescluze et du citoyen Avrial, l’ensemble de la proposition est mis aux voix et adopté.

Le projet est adopté par 47 voix contre 4.

Vote des délégués.

JOURDE demande qu’on nomme ces services importants.

LE PRÉSIDENT en donne lecture: Guerre, Finances, Subsistances, Justice, Instruction publique, Services publics, Sûreté générale, Travail et Échange, Relations extérieures.

La séance est suspendue cinq minutes.

La séance est reprise à six heures et demie.

LE PRÉSIDENT. Je demande à lire de suite une lettre qui me paraît importante:
«Le citoyen Valentin C., rue de Poitou, 16, […]» Il demande si on veut l’autoriser à aller voir si le fait qu’il annonce est exact (Mouvement).

ANDRIEU. Je demande la parole sur le vote qui va avoir lieu.

LE PRÉSIDENT. Le citoyen Andrieu a la parole.

ANDRIEU. La proposition, que je fais, réunit déjà l’adhésion de plusieurs membres. Je propose qu’avant de voter nom par nom, on vote par scrutin de liste, afin de pouvoir connaître les noms les plus sympathiques à l’Assemblée; ce sera, ainsi, un premier degré dans le vote, qui permettra d’éclairer sur le second vote.

CLÉMENCE. Je demande qu’avant de passer au vote des divers candidats pour une même fonction, les noms soient annoncés à haute voix.

LE PRÉSIDENT. Tout cela n’indique pas le mode de vote à employer.

RIGAULT. Nous avons décidé tout à l’heure que le vote se ferait sur chaque fonction par main levée

UN MEMBRE. Je demande le vote secret.

LE PRÉSIDENT. Le citoyen Delescluze fait demander si l’on doit signer son bulletin de vote.

UN MEMBRE. Oui, il faut le signer; c’est une bonne pratique à adopter.

AMOUROUX. Il est on ne peut plus nécessaire que chacun signe son bulletin, parce qu’en signant, il est responsable de celui qu’il nomme. Je demande aussi qu’on ne discute pas brièvement les noms des candidats, parce que ce serait affaiblir, plus tard, l’autorité des élus. Je demande encore qu’on vote séparément, parce qu’aujourd’hui nous devons tous nous connaître. (Oui!).

LE PRÉSIDENT. Le vote est ouvert. (Bruit).

LE PRÉSIDENT. Comment vote-t-on? Que ceux qui sont d’avis de voter avec indication du département veuillent bien lever la main?

Le vote au scrutin de liste est adopté.

LEFRANÇAIS. Le scrutin sera-t-il secret, ou signé?

On décide que le bulletin sera signé. (Bruit).

Appel nominal.

AMOUROUX. Le dépouillement se fera par les secrétaires auxquels vous voudrez bien adjoindre un membre.

ARNOLD. Je ne pourrai pas me prononcer, car je ne connais pas les candidats.

VOIX. Eh bien! vous ne vous prononcerez pas.

ARNOLD. Voulez-vous me laisser parler? En deux mots, je demande l’appel nominal, et chaque membre pourra ainsi s’éclairer.

AMOUROUX, secrétaire. Voici le résultat du dépouillement du scrutin. Ont été nommés pour composer la Commission exécutive les citoyen :
Guerre Cluseret.
Finances Jourde.
Subsistances Viard.
Relations extérieures Paschal Grousset.
Travail et Échange Fraenckel
Justice Protot.
Services publics Andrieu.
Enseignement Vaillant.
Sûreté générale Raoul Rigault.

Il reste à nommer les délégués aux Services publics et au Travail et Échange, la majorité absolue n’ayant pas été atteinte par les candidats. Il va y être procédé par un vote à main levée.

Il est procédé au vote et sont nommés:
Le citoyen Andrieu, aux Services publics et le citoyen Fraenckel au Travail et Échange.

AVRIAL. Il faut absolument reconstituer les Commissions et qu’on mette cette reconstitution à l’ordre du jour de demain.

LE PRÉSIDENT. Demain , à l’ordre du jour, la reconstitution des nouvelles Commissions.

AVRIAL. Depuis que nous sommes ici, on a pu juger les aptitudes des divers membres et il y a des remaniements à faire.

La séance est levée à huit heures moins dix minutes.


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