mardi 26 septembre 2017

Commune de Paris Séance du 22 avril 1871 (6)



«Les hommes sont sans couvertures et sans pantalons. Il y a eu des demandes réitérées. Ils couchent par terre et reçoivent toute la pluie. Je demande que cette situation ait une fin immédiate. Il y a des fusils à tabatière qui sont rapidement détruits par le tir continuel et, depuis 10 jours, nous ne pouvons pas avoir les pièces nécessaires pour les réparer.»

MEILLET. Je désire faire connaître, à la Commune elle-même, des faits très importants. Est-elle disposée à m’entendre de suite? (Oui.)
LE PRÉSIDENT. Le citoyen Léo Meillet a parole.
MEILLET. Depuis dix jours, ce bataillon est à Neuilly; on lui dit qu’il est de réserve; tous les jours, il y en a qui disparaissent et reviennent chez eux. Dans un pareil état de choses, ces compagnies demandent à revenir, pour repartir avec les compagnies de marche. On m’a promis à la Place de les faire relever, hier, dans la soirée, où elles ne sont pas encore retenues. Le 176e est, depuis 20 jours, aux Hautes-Bruyères; on ne veut pas les relever. Le Commandant du 176e a été révoqué par le colonel Rossel; il est revenu chez lui; il est scorbutique. De plus, au Moulin-Saquet, il y a un bataillon qui y est depuis 25 jours; et on lui fait encore construire une barricade. De plus, à Villejuif, il y avait une barricade, qui commandait nos avants-postes, que les Versaillais avaient occupée; on ne l’a fait réoccuper et construire qu’après que nous l’avons signalé au général Cluseret. Ainsi, voilà aux Hautes-Bruyères deux bataillons, dont l’un est scorbutique; l’autre qui est en train de le devenir, et qui, d’après les rapports des médecins, ne peuvent, ni faire des reconnaissances, ni repousser une attaque sérieuse. Quand je vais à la Guerre faire ces réflexions, on me sourit et on s’en va. Si je veux demander qu’on relève des bataillons, on me répond: «Envoyez-moi des hommes.» Est-ce à moi, maire d’arrondissement? Alors pourquoi ne suis-je pas membre de la Guerre. Je le déclare, je commence à distribuer beaucoup de secours, c’est la faute au ministère de la Guerre. Les hommes reviennent chez eux malades; il y a de grands besoins. Eh! bien, je veux une proposition…
UN MEMBRE. Balayez Cluseret!
MEILLET. Le XIIIe arrondissement a deux forts importants, deux redoutes et une grande barricade; je crois, dans ces circonstances, après avoir causé avec le commandant des forts, qu’il y aurait utilité à avoir pas mal d’hommes là; il faut y envoyer les bataillons du XIIIe et du Ve arrondissement. J’ai pincé 80 réfractaires dans mon arrondissement et je les ai envoyés au fort de Bicêtre. Je crois qu’il y aurait utilité à faire décider, si l’on veut que la Garde nationale ne se décourage pas; il ne faut pas lui faire faire 15 kilomètres pour aller au feu; il faut lui donner les moyens de s’aguerrir, mais il ne faut pas la fatiguer inutilement. Je demande que la garde des forts du sud soit confiée à des bataillons des anciens secteurs limitrophes; mais, tant qu’on est sur l’offensive, il ne faut pas envoyer des hommes, inutilement, des autres arrondissements. Je demande que la Commune me donne l’autorisation d’aller relever les bataillons qui sont là-bas.
PLUSIEURS MEMBRES. Non, non! ce serait un conflit.
MEILLET. Je demande que la Commune m’autorise par un vote à aller trouver Cluseret, pour obtenir l’autorisation d’aller relever ces bataillons.
JOURDE. Je voudrais toujours que, quand un mal est indiqué, le remède pût se produire de suite. À mon avis, touchant la Guerre, il se produit beaucoup d’attaques. Si vous donnez à Meillet l’ordre d’aller relever ces bataillons, vous portez atteinte à votre délégué à la Guerre. La Commission de contrôle, seule, a le droit de forcer le délégué à la Guerre de prendre ses mesures. Quant à moi, je déclare que, pour laisser de côté ces conflits de pouvoir, il faut prendre une mesure générale. Je demande que la Commune charge la Commission militaire de surveiller le général Cluseret et de le briser, s’il se trompe, ou nous trahit.
MEILLET. Tout cela ne me donne pas de canons.
JOURDE. J’ai répondu, en disant que la Commission de contrôle allait faire le nécessaire.
AVRIAL. Nous prenons acte de la déclaration de Meillet et nous allons la signifier à Cluseret. Si, demain matin, les ordres ne sont pas exécutés, ce sera à la Commune d’agir.
H. FORTUNÉ arrive du fort d’Issy. «Les hommes sont sans couvertures et sans pantalons. Il y a eu des demandes réitérées. Ils couchent par terre et reçoivent toute la pluie. Je demande que cette situation ait une fin immédiate. Il y a des fusils à tabatière qui sont rapidement détruits par le tir continuel et, depuis 10 jours, nous ne pouvons pas avoir les pièces nécessaires pour les réparer.»
UN MEMBRE. Il y a trois jours que je siège ici et je m’aperçois qu’à la Guerre on ne fait absolument rien. J’ai un bataillon, et, comme membre de la Commune, pouvant tout voir et entrer partout, je n’ai pu me procurer pour lui les souliers nécessaires. Au quai d’Orsay, des hommes sont prêts à marcher au feu et ils n’ont que des [fusils à] pistons et pas de soulier. On m’a demandé des états, je les ai donnés; on les a perdus, j’en ai donné d’autres, mais sans rien obtenir. Puisque les mêmes reproches se reproduisent toujours sur le même sujet, je fais une proposition pour empêcher l’incurie qu’on constate. Je demande qu’on destitue le délégué à la Guerre et que la Commission militaire le remplace. Je demande que la Commune délègue, cette nuit, deux de ses membres, chargés d’aller au Moulin-Saquet dire aux hommes, qui sont là, qu’ils seront remplacés demain.
RIGAULT. Quand j’ai demandé la parole, c’était à propos du mot «conflit qui s’est élevé», et je crois que, d’après la proposition de Meillet, il n’y avait pas de conflit à redouter.
LE PRÉSIDENT. Voulez-vous entendre la proposition Jourde? CHARDON. Je constate que, si les chefs de bataillon ne peuvent obtenir d’habillement pour leurs hommes, c’est que, à l’habillement, il y a les mêmes hommes que lors du gouvernement du 4-Septembre.
ANDRIEU. Citoyens… Bruit. Motion d’ordre! Aux voix!
ANDRIEU. Je maintiens mon tour de parole; je l’avais, quand le citoyen Langevin l’a demandée pour une motion d’ordre. Je voulais vous avertir des conséquences de votre vote. Il faut remarquer qu’à chaque instant le citoyen Cluseret a posé une question de cabinet. Eh! bien, comme membre de la Commission exécutive, je ne veux pas qu’on vote, avant que la Commission militaire n’ait pris d’ores et déjà ses devants et n’ait pas nommé un successeur, afin que nous ne soyons pas pris au dépourvu.
LANGEVIN a la parole pour une motion d’ordre.
AVRIAL Depuis quinze jours, il y a un délégué à la Guerre; lui seul, quant à présent, possède le fil de l’organisation militaire. Si nous allions trop précipitamment et si Cluseret était un homme de mauvaise foi, il pourrait tout compromettre. Demain, ou après-demain, nous aurons eu le temps de saisir le fil de cette organisation, et alors nous pourrons agir. J’avais proposé la suppression du ministère de la Guerre et son remplacement par un délégué civil, qui aurait été Delescluze; mais j’ai retiré cette proposition, parce que j’y ai vu un inconvénient.
JOURDE modifie sa proposition et donne lecture de sa proposition modifiée. «La Commune demande que la Commission militaire se mette en permanence et qu’elle fasse une enquête sur l’administration de la Guerre. La Commission militaire devra faire son rapport qui sera mis à l’ordre du jour de demain, dimanche, deux heures.»
Elle est mise aux voix et adoptée.
AVRIAL demande, dans le cas où Cluseret répondrait à la Commission d’enquête par l’offre de sa démission, si on veut lui donner les pouvoirs de l’arrêter immédiatement.
UN MEMBRE demande que l’on précise exactement le cas où cette arrestation pourra être faite.
COURBET. J’ai été avec le citoyen Cluseret visiter les forts du sud. Tout le long de notre visite, Cluseret n’était occupé à dire que ceci: «Mais que faites vous là? J’avais demandé tant d’hommes et je ne vois presque personne. On lui répondait invariablement: «Nous ne savons qui donne les ordres, nous avons demandé des pièces de vingt-quatre; on ne nous en a pas envoyé.» Et Cluseret disait: «Comment voulez-vous que je donne des ordres, lorsqu’il y a derrière moi des personnes qui donnent des ordres contraires?» (Bruit.)
LE PRÉSIDENT va donner lecture de la proposition Avrial.
AVRIAL. Permettez! je crois, en effet, que ma proposition doit être retirée. (Bruit.)
AVRIAL. Je retire ma proposition; le vote de l’Assemblée aura le même résultat; et, main tenant, je me rends responsable de l’arrestation de Cluseret, si elle doit avoir lieu.
LE PRÉSIDENT. Voulez-vous entendre les conclusions du rapport de la Commission d’enquête? (Bruit.)
VOIX. Qu’on remette la discussion à demain.
LONGUET. Mais je demande que le président donne lecture de la lettre, qui a été remise sur le bureau du président.
Le citoyen Longuet lit la lettre du directeur du Journal Officiel.
LONGUET. La seule proposition qu’il y ait à faire immédiatement est de fournir d’abord, pour ce soir, les fonds nécessaires pour compléter la différence des deux sommes; et puis qu’une Commission soit nommée pour aviser à la situation au Journal Officiel.
JOURDE. Mais il y a une délégation aux Finances, qui, sous sa responsabilité, donne les explications nécessaires et fournit les sommes suffisantes aux réclamations de cette sorte.
LONGUET. Il est évident que, s’il ne s’agissait que de cette légère somme à fournir, je n’en aurais pas avisé l’Assemblée; mais il y a là une situation qui va se prolonger: j’ai été délégué à l’Officiel, non par la Commune, mais par le Comité. Eh! bien, je déclare que la situation de l’Officiel est intolérable; nous ne savons pas si le journal nous appartient, oui ou non.
LE PRÉSIDENT. Voulez-vous ainsi régler l’ordre du jour de demain:
– Rapport de la Commission de la Guerre;
– Proposition Longuet, relative au Journal Officiel;
– Examen du rapport Miot? (Oui! oui!)
L'ordre du jour de demain est ainsi réglé. La séance est levée à 7 h. 10.
Les secrétaires de la séance: Ant. ARNAUD, AMOUROUX.



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