samedi 16 septembre 2017

Commune de paris Séance du 15 avril 1871 nuit



Que cependant un certain nombre de mauvais citoyens ont quitté et quittent encore la capitale…

Président : GROUSSET.

Assesseurs : GAMBON et VALLÈS.

La séance est ouverte à neuf heures du soir.

Le citoyen RIGAULT, délégué à la Préfecture de police, donne communication d’un projet d’arrêté, portant qu’à partir du seize courant la circulation sera rétablie, pour entrer et sortir de Paris, aux portes de Clichy, La Chapelle, Pantin, Romainville, Vincennes, Charenton, d’Italie et d’Orléans; il ajoute en outre que cette mesure a été prise surtout en vue de favoriser le libre approvisionnement de la ville.

La Commune, après une discussion à laquelle prennent part les citoyens CHAMPY, LEDROIT, ART. ARNOULD, LEFRANÇAIS et MALON, adopte le principe de cet arrêté.

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de décret présenté par la Commission exécutive.

Le citoyen VALLÈS propose d’ajouter au projet l’amendement suivant:
«Il sera prélevé sur la vente de ces meubles et immeubles une prime affectée aux citoyens qui auront défendu la question de l’indépendance républicaine contre les Versaillais.»

Sur la demande du citoyen MEILLET, la Commune décide que la discussion aura lieu par article.

Lecture est donnée du premier paragraphe des considérants, qui est adopté sans discussion:
«Considérant qu’au moment où les factions royalistes emploient les moyens les plus atroces pour attaquer Paris, il est du devoir de tout citoyen d’apporter son concours personnel à la défense;
«Que cependant un certain nombre de mauvais citoyens ont quitté et quittent encore la capitale, soit pour aller porter leur appui au gouvernement de Versailles, soit pour se soustraire aux nécessités de la lutte engagée contre Paris par les éternels ennemis de la liberté, qui mêlent aujourd’hui leurs drapeaux pour mieux combattre sur les ruines de la capitale.»

Sur ce paragraphe, le citoyen BILLIORAY demande la suppression de la phrase «pour porter leur appui au gouvernement de Versailles», parce qu’il ne croit pas que beaucoup de Parisiens aillent prêter main-forte à ce gouvernement. Le citoyen PYAT maintient l’expression qui, dit-il, justifie le décret. Le citoyen ART. ARNOULD appuie la proposition Billioray.

Les citoyens RASTOUL et MEILLET présentent les amendements suivants:
«Qu’un certain nombre de citoyens ont quitté et quittent journellement Paris, pour se soustraire aux devoirs qui incombent à ceux qui défendent les principes de la justice;
«Que cependant un certain nombre de mauvais citoyens ont quitté ou quittent encore chaque jour Paris; que leur départ dans les circonstances actuelles constitue une désertion, une trahison.»

Après une discussion à laquelle prennent part les citoyens PYAT, OSTYN, BILLIORAY et DELESCLUZE, la Commune rejette ces amendements.

Le paragraphe de la Commission, mis aux voix, est adopté après la suppression des mots «qui mêlent aujourd’hui leurs drapeaux sur les ruines de la capitale.»

3e Paragraphe. - «Que, d’autre part, pour répondre aux attaques féroces dont il est l’objet, Paris a des dépenses énormes à faire et qu’il est juste que les ennemis de la République, les complices du gouvernement de Versailles, les émigrés et les réfractaires doivent supporter seuls les charges exceptionnelles.»
Sur la demande du citoyen RÉGÈRE, la Commission ayant consenti à la suppression de ce paragraphe, il n’y a pas lieu de le voter.

Article 1er. - «Sont mis sous le séquestre tous les biens, meubles ou immeubles, et valeurs mobilières de toute nature, appartenant, soit aux membres de l’assemblée de Versailles, soit aux complices de l’Empire, à ceux du 4 septembre et du pouvoir représenté par M. Thiers.»

Le citoyen LEFRANÇAIS demande le remplacement du mot «complices» par celui de «fonctionnaires».

Le citoyen RASTOUL trouve la mesure concernant les députés de Paris impolitique; il désirerait donc que cette question fût réservée et, en outre, qu’il fût fait deux décrets, le premier, contre le gouvernement et l’Assemblée de Versailles, les complices de l’Empire et du gouvernement du 4 septembre; le second contre les fuyards de Paris.

Après avoir entendu les citoyens J. VALLÈS, J.-B. CLÉMENT, AVRIAL, RÉGÈRE, THEISZ, DELESCLUZE, DEMAY et VAILLANT, la Commune décide l’adoption de l’article, moyennant l’adjonction d’un considérant additionnel.

Art. 2. - «Une commission sera nommée, en dehors de la Commune, pour veiller à l’encaissement des valeurs mises sous le séquestre et poursuivre la vente sur estimation des immeubles saisis.»
Cet article mis aux voix est adopté sans discussion.

Art. 3. - «Les habitants de Paris qui ont émigré pour se soustraire au devoir civique seront frappés d’une amende décuple de la quotité de leurs impositions.»
Sur la fixation de l’amende, le citoyen LEDROIT demande l’imposition journalière. Le citoyen GERESME trouve que tous les individus qui se sont éloignés de Paris, avec l’intention de trahir, ont mérité d’être condamnés à mort. Le citoyen ART. ARNOULD demande qu’ils soient traduits devant un conseil de guerre.

Le citoyen AMOUROUX dépose l’amendement suivant:
«Les biens, meubles et immeubles, de ceux qui ont quitté Paris sont et demeurent propriétés nationales, sans préjudice des peines appliquées par les conseils de guerre. Le droit des tiers est réservé.»

Le citoyen DEMAY demande que ces biens soient mis entre les mains des citoyens qui défendent le territoire. Le citoyen LEFRANÇAIS désire qu’il soit spécifié la date du jour où le décret entrera en vigueur. Le citoyen DELESCLUZE répond que l’article, par lui-même, indique la date du 18 mars.

Après une discussion, à laquelle prennent part les citoyens RASTOUL, J.-B. CLÉMENT, BILLIORAY, ARNAUD, DEMAY, LEFRANÇAIS et RÉGÈRE, la Commune adopte l’article présenté par la Commission.

Article 4. - «Les gardes nationaux réfractaires, en même temps qu’ils seront désarmés et privés de leurs droits civils et politiques, seront passibles d’une amende à déterminer par le conseil de guerre, sans préjudice des autres peines qui pourront être appliquées par cette juridiction. Le recouvrement de cette amende sera opéré par les soins de la Commission de séquestre.»

Le citoyen LÉO MEILLET demande la radiation complète de l’article quatre.
La Commission exécutive, ayant consenti a cette suppression, l’article repris par le citoyen GAMBON est accepté par la Commune, après avoir été appuyé ou combattu par les citoyens FÉLIX PYAT, AMOUROUX, J.-B. CLÉMENT, RÉGÈRE, RASTOUL et J. VALLÈS.

Art. 5 - «La Commission exécutive est chargée de prendre les mesures d’exécution que nécessite la mise en vigueur du présent décret.»
Cet article, mis aux voix, est adopté sans discussion.

Lecture est faite du considérant voté à propos de l’article 1er.
«Considérant que les monarchistes de tous les régimes combattent et conspirent contre les principes de droit et de justice défendus par la Commune de Paris.»
Ce considérant est adopté.

La Commune décrète en outre que l’insertion du procès-verbal de cette discussion ne figurera au Journal Officiel que le jour où le décret sera mis en vigueur.

L’appel nominal, avec vote motivé, ayant été demandé sur l’ensemble du projet, donne les résultats suivants:
Pour l’adoption :
ALLIX, pour le décret, avec cette restriction que les députés de Paris soient mis en demeure de donner leur démission.
ASSI, pour.
AVRIAL, pour.
BABICK, pour.
BLANCHET, pour, tout en regrettant qu’il ne soit pas plus radical pour les fuyards et qu’il n’atteigne pas assez fortement les riches.
BILLIORAY, pour, tout en regrettant les considérants qui sont absolument dangereux au point de vue de la désorganisation qu’ils peuvent jeter dans la Garde nationale.
CHAMPY, pour, avec la restriction que les députés soient mis en demeure de donner leur démission.
COURNET, pour.
DELESCLUZE, pour.
DEREURE, pour.
GAMBON, pour.
GÉRÈSME, pour, parce qu’il renferme des idées révolutionnaires, bien que peu radicales et présentées d’une façon contraire à l’ordre que j’aurais désiré voir adopter.
P. GROUSSET, pour, LANGEVIN, pour.
LEDROIT, pour, tout en regrettant qu’il ne soit pas plus radical et n’atteigne pas plus fortement les lâches.
LÉo MEILLET, pour, en regrettant que des pénalités plus sévères n’aient pas été édictées.
MORTIER, pour.
FÉLIX PYAT, pour.
RÉGÈRE, pour.
VAILLANT, pour.

Ont voté contre:
AMOUROUX, contre,  ne le trouve pas assez radical.
ARNAUD, contre, trouvant insuffisante la pénalité du décuple des impositions, formulée à l’article trois.
ART. ARNOULD, contre, parce qu’il le trouve impraticable et dangereux pour la République.
J.-B. CLÉMENT, contre, parce qu’il ne le trouve pas assez radical et parce que des membres de la Commune, ayant demandé le vote nominal justement pour ce décret, laissent espérer qu’ils ne satisferaient pas davantage les justes réclamations du peuple.
DEMAY, contre.
H. FORTUNÉ, contre, vu l’insuffisance des considérants.
LEFRANÇAIS, contre, la rédaction du décret laissant trop de latitude à l’arbitraire des juges et le décret étant inexécutable.
MALON, contre, parce que, confus dans sa rédaction, il laisse une trop grande part à l’arbitraire des juges.
MIOT, contre, vu les questions complexes qu’il aurait désiré voir régler par décisions spéciales.
OSTYN, contre, croyant ce décret inexécutable dans sa teneur et propre à faire plus de mal à la Commune que de bien.
RASTOUL, contre, parce qu’il est confus, contradictoire, anarchique, qu’il comprend des éléments des plus divers, complexes, disparates, laissant trop de latitude à l’arbitraire des juges; qu’il devrait faire au moins deux décrets; le premier, contre le gouvernement et l’Assemblée de Versailles, les complices de l’Empire et du gouvernement du 4 septembre, décret qu’il voudrait plus radical; le second, contre les fuyards de Paris, depuis le 18 mars, et qui comporterait des mesures de natures différentes, appropriées à ce genre de délit.
THEISZ, contre le décret, tout en admettant le droit de poursuivre les traîtres et les fuyards, parce qu’il trouve le décret confus, impraticable et laissant une grande place à l’arbitraire des juges.
J. VALLÈS, contre, ne le trouve pas applicable.


Abstentions:
LÉO FRANCKEL s’abstient, accepte l’idée du décret, mais ne le trouve pas assez net.
VERMOREL s’abstient, parce que, partisan des principes du décret, la discussion a prouvé que, d’après l’opinion-même de ses partisans, il est inexécutable.

Nombre des votants: 34.
Pour: 19.
Contre: 13.
Abstentions: 2.
Le décret est adopté.
      
La séance est levée à 2 heures du matin.

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