« Dans son secteur le plus
avancé, le capitalisme concentré s'oriente vers la vente de blocs
de temps «tout équipés», chacun d'eux constituant une seule
marchandise unifiée, qui a intégré un certain nombre de
marchandises diverses. C'est ainsi que peut apparaître, dans
l'économie en expansion des «services» et des loisirs, la formule
du paiement calculé «tout compris», pour l'habitat spectaculaire,
les pseudo-déplacements collectifs des vacances, l'abonnement à la
consommation culturelle, et la vente de la sociabilité elle-même en
«conversations passionnantes» et «rencontres de personnalités».
Cette sorte de marchandise spectaculaire, qui ne peut évidemment
avoir cours qu'en fonction de la pénurie accrue des réalités
correspondantes, figure aussi bien évidemment parmi les
articles-pilotes de la modernisation des ventes, en étant payable à
crédit ».
« Cette époque, qui se
montre à elle-même son temps comme étant essentiellement le retour
précipité de multiples festivités, est également une époque sans
fête. Ce qui était, dans le temps cyclique, le moment de la
participation d'une communauté à la dépense luxueuse de la vie,
est impossible pour la société sans communauté et sans luxe. Quand
ses pseudo-fêtes vulgarisées, parodies du dialogue et du don,
incitent à un surplus de dépense économique, elles ne ramènent
que la déception toujours compensée par la promesse d'une déception
nouvelle. Le temps de la survie moderne doit, dans le spectacle, se
vanter d'autant plus hautement que sa valeur d'usage s'est réduite.
La réalité du temps a été remplacée par la publicité du temps »
« Comme autre côté de la
déficience de la vie historique générale, la vie individuelle n'a
pas encore d'histoire. Les pseudo-événements qui se pressent dans
la dramatisation spectaculaire n'ont pas été vécus par ceux qui en
sont informés ; et de plus ils se perdent dans l'inflation de leur
remplacement précipité, à chaque pulsion de la machinerie
spectaculaire. D'autre part, ce qui a été réellement vécu est
sans relation avec le temps irréversible officiel de la société,
et en opposition directe au rythme pseudo-cyclique du sous-produit
consommable de ce temps. Ce vécu individuel de la vie quotidienne
séparée reste sans langage, sans concept, sans accès critique à
son propre passé qui n'est consigné nulle part. Il ne se communique
pas. Il est incompris et oublié au profit de la fausse mémoire
spectaculaire du non-mémorable ».
« Pour amener les
travailleurs au statut de producteurs et consommateurs «libres» du
temps-marchandise, la condition préalable a été l'expropriation
violente de leur temps. Le retour spectaculaire du temps n'est devenu
possible qu'à partir de cette première dépossession du
producteur ».
« Sous-produit de la
circulation des marchandises, la circulation humaine considérée
comme une consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au
loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. L'aménagement
économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par
lui-même la garantie de leur équivalence. La même modernisation
qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de
l'espace ».
« La plus grande idée
révolutionnaire à propos de l'urbanisation n'est pas elle-même
urbanistique, technologique ou esthétique. C'est la décision de
reconstruire intégralement le territoire selon les besoins du
pouvoir des Conseils de travailleurs, de la dictature anti-étatique
du prolétariat, du dialogue exécutoire. Et le pouvoir des Conseils,
qui ne peut être effectif qu'en transformant la totalité des
conditions existantes, ne pourra s'assigner une moindre tâche s'il
veut être reconnu et se reconnaître lui-même dans son monde ».
« La culture devenue
intégralement marchandise doit aussi devenir la marchandise vedette
de la société spectaculaire. Clark Kerr, un des idéologues les
plus avancés de cette tendance, a calculé que le complexe processus
de production, distribution et consommation des connaissances,
accapare déjà annuellement 29% du produit national aux Etats-Unis ;
et il prévoit que la culture doit tenir dans la seconde moitié de
ce siècle le rôle moteur dans le développement de l'économie, qui
fut celui de l'automobile dans sa première moitié, et des chemins
de fer dans la seconde moitié du siècle précédent ».
«
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