samedi 14 octobre 2017

Dimanche 28 mai 1871 la mort de Varlin



[…] Varlin, à peine échappé de l’une des dernières barricades (rue Fontaine-au-Roy, 28 mai), où il avait combattu en compagnie de Gambon, Ferré, J.-B. Clément, Géresme, de la Commune, Lacord, et un autre membre du Comité central, fut arrêté rue Lafayette, angle du faubourg Saint-Denis, et conduit au supplice à Montmartre. Un journal royaliste fait de sa mort le récit suivant, qui paraît authentique:

« Varlin, arrêté rue de Lafayette, avait été conduit à Montmartre.
La foule grossissait de plus en plus, et l’on arriva avec beaucoup de peine au bas des Buttes-Montmartre où le prisonnier fut conduit devant un général dont nous n’avons pu retenir le nom ; alors l’officier de service chargé de cette triste mission s’avança et causa quelques instants avec le général, qui lui répondit d’une voix basse et grave : “Lui, derrière ce mur”.
Nous n’avions entendu que ces quatre mots, et quoique nous doutant de leur signification, nous avons voulu voir jusqu’au bout la fin d’un des acteurs de cet affreux drame que nous avons vu se dérouler devant nos yeux depuis plus de deux mois mais la vindicte publique en avait décidé autrement. Arrivé à l’endroit désigné, une voix dont nous n’avons pu reconnaître l’auteur et qui fut immédiatement suivie de beaucoup d’autres, se mit à crier : “Il faut le promener encore, il est trop tôt ; une voix seule alors ajoute Il faut que justice soit faite rue des Rosiers, où ces misérables ont assassiné les généraux Clément Thomas et Lecomte”.
Le triste cortège alors se remit en marche, suivi par près de deux mille personnes, dont la moitié appartenant à la population de Montmartre.
Arrivé rue des Rosiers, l’état-major ayant son quartier-général dans cette rue, s’opposa à l’exécution.
Il fallut donc, toujours suivi de cette foule augmentant à chaque pas, reprendre le chemin des Buttes-Montmartre. C’était de plus en plus funèbre, car, malgré tous les crimes que cet homme avait pu commettre, il marchait avec tant de fermeté, sachant le sort qui l’attendait depuis plus d’une heure, que l’on arrivait à souffrir d’une aussi longue agonie.
Enfin, le voilà arrivé on l’adosse au mur et, pendant que l’officier faisait ranger ses hommes, se préparant à commander le feu, le fusil d’un soldat, qui était sans doute mal épaulé, partit, mais le coup rata ; immédiatement les autres soldats firent feu, et Varlin n’existait plus.
Aussitôt après, les soldats craignant sans doute qu’il ne fût pas mort, se jetèrent sur lui pour l’achever à coups de crosse ; mais l’officier leur dit : “Vous voyez bien qu’il est mort, laissez-le”.»

Ainsi mourut, avec un admirable courage, après avoir été insulté, conspué par d’autres pharisiens en gravissant un autre calvaire, un magnanime enfant du peuple.
L’Internationale française a perdu en lui son propagateur le plus intelligent et le plus constant ; les ouvriers ont perdu un ami, un conseiller de toutes les heures.
Varlin avait 31 ans ; venu jeune à Paris, il s’était instruit aux cours philotechniques du soir. L’un des fondateurs de l’Internationale, il a lutté et souffert pour elle […]

Benoît Malon, La troisième défaite du prolétariat français, 1871


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