samedi 14 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 6 mai 1871 (6)


(Suite de la séance du 6 mai 1871 [La Commune est réunie en Comité secret].)
PYAT. Ce n’est pas comme membre du Comité de salut public que je demande la parole. Je ne la demande que pour m’expliquer sur le fait d’avoir donné l’ordre de déplacer des généraux. Là-dessus, j’ai déclaré que je n’avais pas signé d’ordre de cette nature et que j’ignorais absolument qu’on en eût donné; on m’a produit alors une pièce au bas de laquelle se trouve ma signature: tous ceux qui ont fait partie d’une commission exécutive savent que l’on a tant de signatures à donner qu’il est absolument impossible de lire toutes les pièces que l’on a à signer. Je ne dis pas cela pour m’excuser, remarquez bien; pour moi, le point capital est ceci: «Même en supposant que j’eusse eu, malgré la fatigue, pleine connaissance de la pièce, cette pièce est en complète conformité avec la déclaration que j’ai faite, attendu que Wroblewski était chargé de la défense d’Issy; donc il n’y a pas eu de déplacement. Maintenant je déclare que la Commission exécutive, que nous avons eu l’honneur de remplacer, a fait arrêter Cluseret à la suite des événements d’Issy. Vous-même, Commune, tout à l’heure, vous étiez sur le point de faire déposer dix canons sur les remparts…
UN MEMBRE. Elle en a le droit.
(Oui!)

FÉLIX PYAT. Oui, vous en avez le droit, mais, quand j’ai demandé qu’on délimitât mes pouvoirs, pourquoi m’a-t-on répondu que nous avions des pouvoirs illimités? Nous n’avons pas, du reste, usé de ces pouvoirs, je le répète, puisque nous n’avons pas déplacé un général; nous avons dit simplement: «Veillez à votre poste.»

RÉGÈRE. J’entends défendre le Comité de salut public d’une manière absolue. Je ne m’occupe pas des personnalités; je ne parlerai qu’au point de vue des principes. Je dois dire que mes amitiés personnelles sont surtout du côté des hommes que je combats. Un vote a eu lieu, l’on a constitué un Comité .de salut public et l’on a nommé le personnel de ce Comité, et, avant que ce Comité se soit assis, avant qu’il ait fait un seul de ces actes de salut qu’on lui demande, on l’attaque; c’est d’une suprême injustice. L’on a parlé de délimitation de pouvoirs; or, j’ai été d’accord avec ceux qui veulent que ces pouvoirs soient illimités parce que la position est suprême! Ce Comité a donc tout pouvoir. Que lui reproche-t-on? D’avoir fait déplacer un général; rappelez-vous la situation. Quand nous avons appris les événements dont Issy avait été le théâtre, est-ce que nous n’avons pas tous dit qu’il fallait agir énergiquement? N’étions-nous pas disposés à y aller tous? L’on a dit à Wroblewski qui commandait la rive gauche de la Seine: «Allez, allez à Issy!» Et vous venez incriminer, mettre en cause, pour avoir donné cet ordre, le personnel tout entier du Comité de salut public. C’est de toute injustice. Le reproche n’émane du reste que des hommes qui ont combattu en principe la constitution du Comité et qui se sont abstenus quand il a été question d’en nommer le personnel.

(Aux voix. Aux voix!)

RÉGÈRE. Une autre objection… (Interruptions.) Je sais bien qu’on voudra me couper la parole; je sais qu’on voudra m’empêcher de parler; mais je ne m’en étonne pas, j’y suis même habitué; de même que l’on a supprimé dernièrement mon discours au sujet des finances, alors que ceux de mon adversaire y étaient tout au long, de même ce que je dis ici sera sans doute supprimé, mais cela m’importe peu.

(Interruptions.)

LE PRÉSIDENT. Mais ce sont vos amis qui dirigent l’Officiel.

RÉGÈRE. Je constate le fait sans vouloir m’en rendre compte: mon discours a disparu. Une autre objection, dis-je, a été faite, on a dit que la, nomination du Comité de salut public avait été infirmée par un vote du lendemain. Vous avez, en effet entendu hier un membre qui est présent et qui pourra me répondre, je n’en doute pas; ce membre, en effet, a déclaré devant nous que, tandis que le Comité n’avait été nommé que par 33 voix, lui, qui l’avait combattu, en avait obtenu 40. Cet argument, citoyens, n’est pas de celui qui l’a prononcé; il l’a trouvé dans un journal réactionnaire, L’Avenir de Peyrat que j’ai actuellement entre les mains; et je dois dire que, de la sorte, il a mérité les éloges de nos ennemis les plus acharnés.

(Bruit prolongé.)

JOURDE. Je demande la lecture de l’article.

RÉGÈRE. Je dis, et je le répète, les journaux réactionnaires ont attaqué le Comité de salut public, avec les arguments que j’ai entendu prononcer dans cette salle. Ces arguments sont faux. Si nous avons voté pour Jourde, c’est par un sentiment très naturel de condescendance pour lui, mais ce n’a jamais été pour briser le Comité de salut public. On a tout fait pour desservir ce Comité; on lui a cherché des querelles d’Allemand; on l’a attaqué sur ce qu’il avait fait, sur ce qu’il n’avait pas fait, sur ce qu’il aurait pu faire. Toutes ces accusations sont injustes; c’est faire acte de mauvais citoyen que de les formuler; c’est mettre en question les grandes causes que nous soutenons, la République que nous avons voulu sauver, les réformes sociales que nous poursuivons.

JOURDE. Je demande la parole contre l’ordre du jour.

VIARD. Je demande la parole pour une motion d’ordre. Voici trois jours que des débats irritants ont lieu ici sur la question du Comité de salut public; je propose de les faire cesser. Nommez une commission pour l’examen de la question, si vous voulez continuer à discuter sur le Comité de salut public; mais, je vous le demande, nommez-la de suite, pour que nous puissions nous occuper d’autre chose. J’ai assisté à trois ou quatre réunions publiques, tenues dans des églises qui regorgeaient de monde, et qu’y demandait-on? la solution de la question des monts-de-piété. Vous avez levé ce lièvre, eh bien! terminez-en par un décret, que vous rendrez ce soir si vous voulez reprendre de suite la discussion sur les monts-de-piété.

(Oui! L’ordre du jour!)

URBAIN. Je désire que le président donne lecture de la demande d’ordre du jour qui lui a été remise.

JOHANNARD. Je demande la parole contre l’ordre du jour.

LE PRÉSIDENT. Voici la demande d’ordre du jour qui a été déposée sur le bureau:
«L’ordre du jour est prononcé sur la discussion relative aux attributions du Comité de salut public. La discussion est réservée sur les interpellations à adresser aux membres du Comité de salut public. URBAIN.»
Le citoyen Jourde a la parole contre l’ordre du jour.

JOURDE. Je veux parler contre l’ordre du jour, parce que je ne suis pas assez édifié. Il y a une question considérable, c’est celle de connaître bien exactement les attributions du Comité de salut public. Donnez-lui autant de pouvoirs que vous voudrez; mais il est indispensable qu’ils soient bien définis. Je proteste donc contre la proposition de passer à l’ordre du jour sur une question aussi sérieuse, quand, tous les jours, nous perdons notre temps à des discussions beaucoup moins importantes.

PLUSIEURS VOIX. L’ordre du jour!

(Bruit.)
SERRAILLIER. Je demande si, en proposant l’ordre du jour, on prétend ne plus avoir à résoudre la question relative au Comité de salut public. (Non! Non!) Alors, je demande que le projet sur le Mont-de-piété ait la priorité et que la discussion sur les attributions du Comité de salut public vienne ensuite.

URBAIN. Je demande l’ordre du jour pur et simple. Les attributions du Comité de salut public sont, à mon avis, parfaitement définies par le décret qui l’a institué. Quoi qu’on en dise, elles sont claires à moins que de vouloir y mettre de la mauvaise foi. Si quelques membres du Comité de salut public ont manqué à leur devoir, on pourra les interpeller pour en obtenir les explications nécessaires. En attendant, je persiste à demander l’ordre du jour.

(Appuyé! Appuyé!)

LE PRÉSIDENT. Je demande un peu de silence. Le moment est solennel. Voulez-vous accepter l’ordre du jour suivant présenté par une douzaine de nos collègues:
«L’ordre du jour est demandé sur la discussion relative aux attributions du Comité de salut public. Il sera procédé immédiatement à la nomination d’un cinquième membre.
« PARISEL, DEMAY, BILLIORAY, URBAIN, TH. FERRÉ, P. VÉSINIER, FORTUNÉ HENRY, E. CLÉMENT, LEDROIT, H. CHAMPY, E. EUDES, J. DURAND.»

JOHANNARD. J’ai voté pour le Comité de salut public et je suis encore pour lui. Vous voulez me faire voter un ordre du jour qui nomme un cinquième membre, parce qu’un seul a donné sa démission? Je soutiens que tous les membres du Comité ont manqué à leur devoir. Je demande qu’on n’étouffe pas la discussion en votant cet ordre du jour.

LE PRÉSIDENT. Le citoyen Jourde propose la motion suivante:
«Renvoi à demain dimanche, sans remise, à deux heures, de la discussion sur le Comité de salut public.»

(Bruit: L’ordre du jour!)

AVRIAL. L’assemblée ne s’est-elle pas séparée sur cette impression… (Bruit. Interruptions.)Oui ou non, les membres du Comité de salut public ont-ils nié les ordres donnés dans la nuit?

(Violentes interruptions. Altercations entre plusieurs membres.)

LE PRÉSIDENT lit plusieurs ordres du jour qui sont déposés sur le bureau.

LE PRÉSIDENT. Il y a cinq ou six ordres du jour motivés. Je crois que le plus simple est de mettre aux voix l’ordre du jour pur et simple.

(Bruit.)

JOHANNARD. Il y a une chose que ne voient pas les membres qui proposent qu’on réserve la question: c’est que par cet ordre du jour on étouffe la discussion.

(Aux voix!)

JOHANNARD. Je proteste! on étouffe la discussion!

(Violentes interruptions. Plusieurs membres demandent qu’on lève la séance.)

BILLIORAY. Je regrette que mes électeurs ne nous voient pas.
(À suivre.)

 21 MAI 1871, LES VERSAILLAIS INVESTISSENT PARIS PAR LA PORTE DU POINT DU JOUR,
C'EST LE DÉBUT DE LA SEMAINE SANGLANTE
« Les Versaillais viennent de forcer l’entrée…»
Comme une nappe de silence !
Cela a duré le temps pour chacun de faire ses adieux à la vie !
Il m’a semblé, à moi, que tout mon sang descendait vers la terre,
tandis que mes yeux devenaient plus clairs et plus
grands dans ma face pâlie.
JULES VALLÈS.
L’Insurgé.

À quel chiffre ont pu s’élever les exécutions sommaires ? — C’est là, on le conçoit, une question à laquelle toute réponse précise est impossible. […] Nous n’essayerons pas une évaluation qui ne pourrait reposer sur rien de ­certain. Mais quelques faits, sur l’encombrement des cadavres, pourront servir d’éléments d’appréciation.
«Il ya des rues de Paris, dit la Liberté, où les cadavres sont accumulés; il y en a dans presque toutes les maisons.» «Sur le boulevard Saint-Michel, dit le même journal, les omnibus descendaient, s’arrêtaient à chaque barricade, et se remplissaient peu à peu comme d’une marée de cadavres… L’aspect des voitures, à travers lesquelles ­passaient des pieds et des bras, était terrible.»
On sait que pendant quelques temps, on craignit les exhalations pestilentielles de ce vaste champ de carnage. On prit des précautions contre une ­épidémie. Que devinrent tous ces cadavres ? — Le fleuve en a emporté un certain nombre. Le reporter d’un journal conservateur, qui prit la peine de compter ceux qu’il avait vus flotter durant un très court espace de chemin, appelait cela «la pêche au fédéré». Le plus grand nombre fut enseveli pêle-mêle, un peu partout.
On signale la place du Théâtre-Français, le square de la tour Saint-Jacques, la place Pigalle, et un grand nombre d’autres points, comme recélant des entassements de corps inhumés précipitamment. Mais certaines places furent  choisies plus spécialement, pour l’ensevelissement des cadavres venus un peu de tous les côtés.
«Au cimetière Montparnasse, dit le Temps, on a creusé d’immenses fosses larges de dix mètres carrés et de la même profondeur. Ensuite, on place les cadavres vingt par vingt, et on les recouvre d’une couche de chaux.» — D’après la Liberté, c’est ­surtout le Champ de Mars qui aurait été affecté à cet usage. On y aurait creusé de profondes tranchées, où les corps auraient été jetés pêle-mêle.
CAMILLE PELLETAN.
Le Comité central et la Commune, Maurice Dreyfous, éditeur, 1879.



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