mardi 10 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 2 mai 1871 (2)


 (Suite de la séance du 2 mai 1871.)
MALON. J’ai refusé de reconnaître un chef de légion, un nommé Muller, qui m’a dit: «Je ne connais que mon Conseil de légion, et s’il m’ordonne d’arrêter des membres de la Commune, je le ferai.»
LEFRANÇAIS. Je blâme le citoyen Malon de n’avoir pas fait arrêter immédiatement cet homme.
(Très bien!)
MALON. Il devait y avoir un duel entre Jaclard et ce chef de légion; Jaclard m’a demandé de ne pas le faire arrêter pour ne pas avoir l’air de fuir le duel à l’aide de cette arrestation, mais je déclare que, si je le peux, je ferai arrêter cet honme, car je n’aime pas ces militaires qui disent ne connaître que leur épée, et déclarent qu’ils feront arrêter les membres de la Commune.
LE PRÉSIDENT. La question s’élargit et j’ai entre les mains une affiche, très longue, qui dit que le Conseil de légion est manifestement en état de rébellion.
LEPRANÇAIS. Il faut faire arrêter ce Conseil de légion en entier.
(Oui! Interruption.)
FERRÉ. Ici, nous sommes tous des délégués d’arrondissement, et il a été convenu que la Sûreté générale nous autorisait à procéder à toutes arrestations des membres des Conseils de légion et à les envoyer à Mazas, où le directeur aurait les instructions nécessaires pour les écrouer sur un ordre quelconque d’un membre des municipalités. Puisque nous avons ces pouvoirs, que Malon ne laisse pas échapper, à l’avenir, l’occasion d’une arrestation qui lui paraîtrait nécessaire.
(Approbation sur plusieurs bancs.)
PLUSIEURS MEMBRES. La clôture.
MALON. Hier, deux gardes nationaux ont été arrêtés [j’ai fait arrêté], mais une puissance occulte les a fait relâcher. Ces deux individus ont été arrêtés par des gardes nationaux de Montmartre. Ils tiraient des coups de revolver et, dans mon arrondissement qui se trouve si exposé aux coups de l’ennemi, on pourrait croire que les Versaillais tentaient de forcer l’entrée. Cela jetait une forte émotion dans ce quartier. Eh bien! un commandant du 155e est venu et les a fait relâcher. Nous sommes sans cesse exposés au bombardement. Hier encore, deux enfants ont été tués à cinq cents pas de chez moi. Je demande que l’on publie un extrait de la circulaire officielle, que l’on convoque les Conseils de légion et que l’on nomme les chefs de ces légions afin d’éviter la guerre civile.
(Interruptions.)
PLUSIEURS MEMBRES. Cela ne regarde pas la Commune. Ne perdons pas notre temps.
PLUSIEURS MEMBRES. Assez, assez, la clôture!
CHALAIN. Non, ce n’est pas assez. J’ai à accuser le Comité central.
MALON. Nous avons dix bataillons dans notre arrondissement, et sur les dix nous en avons neuf qui sont complètement avec nous. Les neuf chefs de bataillon ont mis le citoyen Muller à la porte. J’ajouterai que ce matin j’ai lancé un mandat d’amener contre le citoyen Muller.
CHALAIN. Citoyens…
PLUSIEURS VOIX. La clôture!
CHALAIN. Je demande la parole contre la clôture. (Bruit.) Je serai très court, citoyens. Voici une communication.
VOIX. La clôture!
LEFRANÇAIS. Vous avez tous pouvoirs comme délégué de la Commune.
CHALAIN lit une communication aux termes de laquelle le Comité central est accusé d’avoir organisé contre la Commune une sorte de Comité de salut public.
(Interruptions.)
CHALAIN. Le Comité central fait tous ses efforts, tout ce qu’il est possible de faire pour supplanter la Commune. Je proclame que tous les membres de la Commune qui siègent ici et qui siègent au Comité central, qui soutiennent beaucoup plus les intérêts du Comité central que les intérêts de la Commune, font œuvre de trahison.
MELLIET. Citoyens, j’ai la parole pour une motion d’ordre, et je l’ai demandée surtout comme membre du Comité de salut public. Après le vote d’hier, toutes les questions de conflit qui ont été si souvent débattues ici sans résultat doivent retourner au Comité de salut public qui les jugera.
ARNOLD. Il est étrange de voir comment la question se passionne. Je déclare les renseignements de Chalain complètement faux. Il y a confusion entre le Comité de Conseil de légion et le Comité central. Les Conseils de légion agissent d’une manière très indépendante et nous n’avons pas l’intention de les soutenir, mais, quant à des complots qui ont trait à ce qu’a dit le citoyen Chalain, je trouve la chose étrange. Je déclare que le Comité central s’est réduit de lui-même à l’impuissance. La Commission militaire et le délégué à la Guerre emploient très volontiers ses employés pour son travail.
LE PRÉSIDENT. L’incident est vidé et renvoyé au Comité de salut public. Le président lit la lettre suivante du citoyen Delescluze:
«Paris, 2 mai 1871.
«Au citoyen président de la Commune,
«Citoyen,
«La semaine dernière, j’ai eu l’honneur d’écrire à la Commune pour demander un congé nécessité par le déplorable état de ma santé que tous mes collègues ont pu apprécier.
«N’ayant point vu dans le Procès-verbal que ma demande ait été soumise à l’assemblée et accueillie par elle, je viens la renouveler. Je n’ai pas besoin de dire que, sitôt que cela me sera possible, je reprendrai ma place parmi vous.
«Toutefois, si j’espère être avant peu en position de suivre vos séances, il m’est difficile de promettre de prendre en même temps part aux travaux de la Commission militaire qui exigent un concours permanent de chaque jour, avec courses et convocations sans fin. Puis donc que vous avez à renouveler en partie le personnel de la Commission, je vous prierai de procéder en même temps à mon remplacement définitif comme membre de ladite Commission.
«Dans l’espoir que ma double demande sera favorablement accueillie, je vous prie, citoyen, d’être auprès de mes collègues l’interprèt e de mes sentiment de fraternité et de dévouement à la cause du Peuple et de la Commune.
«CH. DELESCLUZE,
«171, rue des Saints-Pères.»
JOURDE (vivement). Vous avez à nommer un délégué aux Finances. D’autre part, le citoyen Rossel attend aussi.
BERGERET. Je demande à la… [manque].
JOHANNARD. Une communication a été faite à la Commission exécutive par des citoyens du VIIIe arrondissement; ils déclarent que notre collègue, le citoyen Allix, a pris, dans la mairie du VIIIe arrondissement, une telle attitude que tout y est désorganisé entièrement: rien ne marche plus et, de là les plaintes si générales disent les signataires de la protestation, que, si des élections avaient lieu dans le VIIIe arrondissement, la Commune y recueillerait une minorité écrasante. Par conséquent, ces citoyens demandent qu’il soit pris des mesures urgentes parce qu’il y aurait péril pour la République et la Commune à conserver un pareil état de choses. Vous connaissez maintenant l’objet de la protestation: voulez-vous, citoyens, en entendre la lecture ou en prononcer le renvoi au Comité de salut public? (Lisez!) Voici le texte de la protestation en question:
«Aux citoyens membres de la Commune… [manque]
LE PRÉSIDENT. Je regrette que cette lecture ait été commencée: elle est fort longue et…

PLUSIEURS MEMBRES. Il est trop tard pour le regretter.

JOHANNARD. Voici maintenant une affiche dont je ne veux pas vous donner lecture et qui ne peut que corroborer le rapport que je viens de vous lire.

VAILLANT. Je viens dire à l’assemblée comment il se fait que le citoyen Rigault et moi nous n’avons pu nous opposer aux faits que l’on vient de signaler. Au moment de notre nomination, nous étions tous les deux complètement étrangers à l’arrondissement: c’est celui que nous connaissions certainement le moins. Alors nous avons cru bien faire en déléguant des citoyens pour s’occuper de l’administration. Le citoyen Allix les a mis à la porte tout simplement en refusant de les recevoir malgré la Commission exécutive. Le citoyen Allix fait de l’administration fantaisiste. On l’a déja mis en demeure de choisir entre ses différentes fonctions. Il a toujours refusé. D’un côté, il faut dire que, dans son arrondissement, il plaît à une partie de ses administrés par son zèle et son énergie*; mais, d’autre part, on nous dit aussi que l’on serait heureux de le voir partir. II ne veut souffrir aucune observation et veut faire ce qu’il lui plaît. Il administre assurément les finances de son administration avec honnêteté, mais, je le répète, il ne veut supporter aucune surveillance de qui que ce soit. Cela me paraît inacceptable. Il s’agit de savoir si la Commune veut prendre une résolution à cet égard; il y a urgence. Des plaintes nous ont été adressées à Raoul Rigault et à moi, surtout à propos de la Garde nationale. On demande à désarmer la Garde nationale réactionnaire, pour l’empêcher, elle qui est sur le chemin des troupes de Versailles, de leur prêter son concours à un moment donné. Rigault et moi avons prouvé aux délégués notre impuissance dans cette affaire; il faut maintenant qu’un pouvoir nouveau et plus fort intervienne.

GROUSSET. Citoyens, j’ai à vous signaler un fait très grave à propos du VIIIe arrondissement: c’est que c’est celui de Paris qui est le plus riche en chassepots, attendu qu’il n’y a que des réactionnaires et qu’ils n’ont pas été désarmés.

VERMOREL. Jamais vous ne persuaderez à Allix d’abandonner sa place.

MALON. Nous sommes voisins du VIIIe arrondissement. Constamment, on nous dit que le citoyen Allix est un fou. Rappelez-vous du reste que, si on s’était conformé à la loi électorale, Allix n’aurait pas été élu**. Je demande à ce qu’il soit prié de ne plus s’occuper du VIIIearrondissement et qu’on mette un ou deux délégués à sa place. Vous savez qu’à Batignolles nous sommes très menacés, et que, s’il survenait une attaque, nous pourrions être pris par derrière. Il y a, dans le VIIIe, 5 ou 6.ooo hommes qui pourraient nous causer un grand embarras. Je demande qu’on prenne une mesure immédiate. Il y a tel ou tel arrondissement qui ne reconnaissent que deux ou trois délégués, de sorte que les autres peuvent très bien se trouver engagés par des mesures qu’ils ne connaissent pas et auxquelles ils peuvent très bien ne pas adhérer. Je crois que la Commune devra s’occuper d’ici peu de renommer une commission chargée de vous soumettre toute une série de propositions pour une réforme municipale. Il faut absolument que l’on sache comment les arrondissements devront être gérés.

TRIDON. J’ai un mot à dire à propos du VIIIe. Les visites pour le désarmement se font par des enfants. J’ai donné l’ordre d’arrêter l’adjudant du chef de légion Allix, parce que je ne pouvais le faire arrêter lui-même. Chaque fois qu’il y a un fusil à cette mairie, il faut le faire enlever, ce qu’on ne fait pas, et à la mairie du VIIIe il y a un dépôt de fusils pour la réaction.

BESLAY. Mais il y a d’autres délégués dans cet arrondissement. Si cela se passait dans le mien, je saurais bien y mettre ordre.

TRIDON. Mais tous les autres lui ont livré cet arrondissement.

BILLIORAY. Je demande le renvoi au Comité de salut public.

LE PRÉSIDENT met le renvoi aux voix.
(À suivre.)
* À l'iniative de Jules Allix paraissait le 12 avril au Journal Officiel un communiqué annonçant l’ouverture dans le VIIIearrondissement, «en attendant la solution du problème social de l’organisation du travail», de cantines scolaires et de bureaux de placement.
Le 5 avril, un communiqué annonçait la création d'un Corps des gymnastes.
Journal Officiel – Partie non officielle. Il est établi, sous la direction et le commandement du citoyen Hippolyte Triat, gymnasiarque, un corps spécial de gymnastes, destiné à former des professeurs de gymnastique civile et militaire pour les écoles et les armées citoyennes. Les élèves devront être âgés de seize à vingt ans. Ils sont admis et inscrits dès à présent au gymnase Triat, avenue Montaigne, 55, et seront immédiatement exercés à différents cours de gymnastique proportionnels à leur âge. Aux effets de l’organisation régulière et de l’administration du corps des gymnastes dont s’agit, il sera fondé un gymnase-école, pour lequel la caserne de la Pépinière est dès à présent et provisoirement attribuée. Les élèves du gymnase-école seront choisis parmi tous les élèves de 16 à 20 ans, dont les aptitudes au professorat auront été reconnues. Se faire inscrire dès à présent au gymnase Triat, avenue Montaigne, 55, Champs-Élysées, où les élèves trouveront l’indication des cours, qui vont être immédiatement commencés. Ces cours, étant faits sous le patronage de la municipalité du VIIIearrondissement, seront entièrement gratuits. Le maire du VIIIe arrondissement, JULES ALLIX.
Nous consacrerons prochainement une page à Hippolyte Triat, «le plus bel homme de Paris», inventeur de la gymnastique moderne.
** Personne n’aurait été élu, ni Allix (2.028 voix), ni Vaillant (2.145 voix), ni Rigault (2.173 voix) n’ayant obtenu le huitième (2.228) des voix inscrites.



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