vendredi 6 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 28 avril 1871 (2)



(Suite de la séance du 28 avril 1871.)

GROUSSET. Citoyens, je ne me trouvais pas hier à la séance, à l’heure où le citoyen Courbet a déposé une interpellation tendant à demander que votre délégué aux Relations extérieures adresse un manifeste aux puissances européennes pour réclamer la reconnaissance de notre qualité de « belligérants ». Si je m’étais trouvé présent, j’aurais répondu au citoyen Courbet ce que je vais dire très brièvement, c’est que votre délégation aux Relations extérieures avait déjà pensé à adresser à l’Europe et au monde, non pas une réclamation quelconque, mais une protestation contre les infâmes violations du droit de la guerre dont s’est souillé le gouvernement de Versailles : bombardement, avec ou sans avertissement préalable, de nos maisons et de nos monuments, emploi des bombes incendiaires et des balles à pointes d’acier, assassinat de nos prisonniers… Votre délégation aux Relations extérieures s’est arrêtée, citoyens, devant cette réflexion : c’est qu’il n’y a pas lieu de faire appel, en cette circonstance, à un tribunal manifestement incompétent. Citoyens, la guerre dans laquelle nous sommes engagés n’est malheureusement pas une guerre ordinaire : il ne s’agit pas ici de la rivalité de deux peuples étrangers l’un à l’autre et appartenant tous deux à ce qu’on est convenu d’appeler le concert européen ; il s’agit d’une guerre dans laquelle des Français­ combattent contre des Français. Eh ! bien, votre délégué a trouvé qu’il y aurait quelque chose de choquant à faire l’Europe juge d’un pareil débat, et à solliciter un verdict européen qui ne pourrait condamner que des Français.

(Approbation.)

GROUSSET. Il a trouvé qu’il fallait, avant tout et à tout prix, éviter une intervention étrangère dans nos querelles intestines, et qu’il serait peu décent d’aller, pour ainsi dire, invoquer une pareille intervention. On dira qu’il s’agit seulement d’un jugement moral. Sur ce point, citoyens, soyez sans inquiétude : le jugement de l’Europe et du monde est prononcé. La vérité a fini par se faire jour, en dépit des barrières que nos ennemis ont essayé de lui opposer. Les faits sont connus aujourd’hui ; la presse les a vulgarisés et l’opinion de tous les peuples civilisés a pu se former : ils savent, à cette heure, de quel côté sont les assassins, quel côté les justiciers. Quant à la qualité de « belligérants », ne serait-il pas véritablement puéril de la réclamer officiellement, quand nous l’avons en fait ? Qui oserait nous la contester ? Qui pourrait nous reprocher, à nous, Commune, et à ses défenseurs, un seul acte qui ne soit pas dans les usages de la guerre chez tous les peuples civilisés ? Nous faisons la guerre loyalement, nous ! Nous n’employons pas dans la lutte des moyens inavouables ! Nous ne déguisons pas des agents de police et des gendarmes en troupes de ligne ; nous ne bombardons pas des femmes et des enfants ; nous ne chargeons pas nos canons de bombes incendiaires et nos fusils de balles à pointes d’acier ; nous n’exécutons pas sommairement les prisonniers ! Ces faits, croyez-le bien, citoyens, parlent plus haut que tous les manifestes. L’Europe est fixée maintenant. Elle sait que, si le caractère de « belligérants » pouvait être refusé à l’un des deux partis, dans cette lutte fratricide, ce n’est certes pas celui de la Commune, c’est-à-dire de la loyauté, qui serait atteint par cette flétrissure.

(Marques générales d’approbation.)

AMOUROUX. Je demande que l’assemblée approuve par un vote les paroles du citoyen Paschal Grousset.

ANDRIEU. Je voudrais insister sur les dangers qu’il y aurait à nous poser ainsi comme belligérants. Non seulement nous ne sommes pas des insurgés, mais nous sommes plus que des belligérants, nous sommes des juges ; eh ! bien, je crois qu’il y aurait un grand danger à réclamer un titre inférieur à notre qualité véritable.

LEDROIT. La Commune a déclaré nommer une Commission d’enquête pour rechercher tous les moyens destructeurs et les employer. La qualité de belligérants même s’opposerait à elle seule à ce qu’on usât de ces moyens-là.

La Commune, après avoir adopté les conclusions du citoyen Paschal Grousset, passe à l’ordre du jour.

Le procès-verbal lu par l’un des secrétaires est mis aux voix et adopté.

CLÉMENT. C’est à propos de la question d’humanité. Je viens soumettre à la Commune un objet trouvé sur un sergent de ville fait prisonnier. C’est une balle explosive : voici les armes qu’emploient les gendarmes versaillais.

DEREURE. J’en rapporte une quantité de Neuilly.

LE PRÉSIDENT. La parole est au citoyen Johannard pour une interpellation.

JOHANNARD. Ce n’est pas une interpellation, c’est simplement une explication que je viens demander au délégué aux Services publics sur la question du chemin de fer du Nord. À la gare du Nord, il n’y a plus ni matériel, ni employés. Je demande que la Commune prenne des mesures énergiques pour que le service soit repris dans les 48 heures.

LE PRÉSIDENT. Le délégué aux Services publics pourrait-il répondre ?

ANDRIEU. Citoyens, la Commission exécutive avait déjà été saisie d’un rapport absolument semblable à l’interpellation du citoyen Johannard ; ce rapport avait été fait par le contrôleur des chemins de fer, le citoyen Paul Piat. Nous avons été avertis que ces craintes étaient exagérées. Je ne sais pas si ce que dit le citoyen Johannard a plus de fondement, mais je tiens à déclarer que des rapports très précis nous avaient avertis que la gare du Nord allait tomber en non-activité. Ces faits ont été reconnus comme inexacts.

RÉGÈRE. J’ai à faire une communication qui a son importance. Jusqu’ici, les Prussiens paraissaient vouloir rester neutres entre Paris et Versailles ; aujourd’hui, ils paraissent abandonner la neutralité. Un fournisseur, Berger, avait un bateau de marchandises arrêté à Saint-Denis et a été trouver le général prussien qui commande à Saint-Denis ; voici la réponse qui lui a été faite : « Messieurs de la Commune empêcher vagonds et colils ligne Nord, moi empêcher ravitaillement de Paris. » Il y a là un malentendu. Je crois savoir que les généraux qui commandent à Compiègne ignoraient cette mesure. Il faut le faire cesser. Il faut en référer aux Commissions compétentes.

JOHANNARD. Hier soir, un employé du chemin de fer du Nord vient me trouver et me dit : « Depuis huit jours, il est constamment venu des agents versaillais à la gare ; ils ont tout désorganisé, fait disparaître le matériel, les wagons ; les employés sont partis. Il n’y a plus aujourd’hui qu’un service fictif. Les trains sortent, mais ils ne rentrent pas. » Je demande que la Commune déclare que, si, dans les 48 heures, le service n’est pas repris, les biens de la Compagnie seront confisqués au profit de l’État, et les hauts employés jugés par la Cour Martiale. Si vous faites un arrêté dans le sens de celui que je vous demande, nous en finirons enfin avec ces mauvais vouloirs.

ANDRIEU. Avant de répondre à Johannard, je demande à expliquer les faits que nous a signalés Régère. Nous avions cru devoir prendre une mesure préservatrice : comme les Versaillais empêchaient les trains de venir à Paris, on avait cru bon d’arrêter le départ des marchandises de Paris ; dans cette mesure avait été comprise à tort la ligne occupée par les Prussiens, qui, de leur côté, ont empêché les marchandises de venir sur Paris. C’était un malentendu, il a été réparé. Pour répondre maintenant à Johannard, je demanderai qu’avant que la Commune prenne des mesures contre la Compagnie du Nord, elle permette à la Commission exécutive de s’enquérir des faits et de prouver si, oui ou non, elle n’a pas été assez énergique pour empêcher cette désorganisation.

JOHANNARD. Je n’attaque pas la Commission exécutive, mais bien la Commune entière.

ANDRIEU. La Commission va s’enquérir des faits, et, sur son rapport, la Commune pourra statuer sur ce qui doit être fait.

ARNAUD. La Compagnie de Lyon est dans la même situation que celle de l’Est.

OSTYN. Il y a dans les chemins de fer trois tendances diverses : les chefs de Compagnie, qui voudraient faire le vide autour de Paris, les employés subalternes, chauffeurs, mécaniciens qui ne le veulent pas, et enfin les Prussiens. Les Versaillais ont déclaré aux Prussiens, qui n’avaient aucun intérêt à arrêter les trains, que les membres de la Commune ne voulaient plus leur laisser parvenir des marchandises telles que sucre, sel, etc. C’est en présence de ces arguments que les Prussiens ont donné l’ordre d’arrêter les trains. Dans ces circonstances, le délégué aux affaires extérieures Grousset pourrait, par exemple, établir un mémoire dans lequel il avertirait Les Prussiens que telle n’est pas notre intention et que ce sont les intrigues des Versaillais qui sont causes du malentendu. Dans la question de l’alimentation, nous n’avons contre nous que les hauts administrateurs des chemins de fer.

VAILLANT. Sur cette question des chemins de fer, il y a une série de faits à produire, et le débat pourrait se prolonger, si nous voulions les exposer tous ici. C’est à la Commission exécutive qu’il faut faire connaître les faits relatifs aux chemins de fer, par exemple au citoyen Fränckel, qui donnera une solution aux questions dont il s’agit, mais, sur ces points, la Commune ne peut prendre de décisions. Je puis dire de suite que, pour la ligne du Nord, les Prussiens ont fait des déclarations de neutralité. Mais, encore une fois, pour ces questions, il faut s’adresser à Fränckel.

RÉGÈRE. À propos de l’attitude prussienne, je veux la définir encore par un renseignement. Les Prussiens n’ont aucune espèce de complaisance pour Versailles, et voici un fait qui le prouve et que je tiens d’une voie sûre. 300 gendarmes sont arrivés à Saint-Denis envoyés par Versailles ; les Prussiens les ont renvoyés très carrément. C’est de la neutralité la plus complète.

LE PRÉSIDENT. À ce propos, je dois dire que je regrette une insertion qui a été faite ce matin à l’Officiel et qui ferait croire que les Prussiens n’observent pas la neutralité. Je désire que nous ne mettions pas d’allumettes près de cette poudrière.

(Très bien.)

VAILLANT. Je ferai remarquer qu’il est probable que cette insertion a dû paraître à l’Officielsans l’intervention du citoyen Longuet. Ainsi, à deux reprises différentes, le mot ennemi se trouve répété : ce n’est certainement pas un simple hasard qui est cause de cette répétition, il y a là une intention évidente. Je demande que le citoyen Longuet fasse une enquête à ce sujet.

(À suivre.)




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