samedi 14 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 5 mai 1871 (5)




Suite de la séance du 5 mai 1871.)

VAILLANT. Je ne reviendrai pas sur les incidents; nous avons eu raison; je regrette même que nous l’ayons eue si complètement. Nous nous trouvons en face d’un Comité de salut public dont nous avons vu les agissements et nous devons les redouter. Je trouve la situation très grave. Le Comité de salut public nous a lancés depuis deux jours dans une telle voie politique, que je ne sais pas comment il nous en sortira. Je crois qu’il faut en arriver à la délimitation des pouvoirs. On ne fait pas un crime à un Comité d’être énergique quand il l’est pour le salut général, mais quand ce Comité vient à sortir de son terrain, et que cette usurpation de pouvoirs devient un danger, je crois qu’on peut le lui reprocher à bon droit. Il faut donc qu’à l’avenir la Commune doive engager par un vote le Comité de salut public à ne pas sortir de son rôle qui est déjà assez grand. Il doit surveiller les délégués de la Commune et les empêcher de faire quoi que ce fût qui pût nuire à la Commune.
Il faut que le Comité surveille cet agent militaire pour l’empêcher de devenir dangereux, car plus cet agent est intelligent, plus il a besoin de surveillance. Mais il y a une seconde partie dans la question, et c’est ce côté qui me paraît le plus dangereux. Il y a un Comité qui avait agi très bien en cédant la place à la Commune, mais qui aujourd’hui semble se repentir de son abdication et qui cherche aujourd’hui à remplacer cette Commune devant laquelle il s’était retiré.
Ce Comité central est une puissance et une puissance tellement réelle que je vois là un grand danger pour la Commune. Du moment que les chefs de légion font partie de droit du Comité central, ce Comité représente l’esprit militaire de la Garde nationale. La Commune, en passant à l’ordre du jour, avait, je crois, exprimé nettement ses sentiments à propos de cet ultimatum posé à la Commune. Cela me rappelle qu’un jour la Commune avait donné un mandat analogue à la Commission de sûreté générale. Rigault l’avait bien compris. Je regrette que la question du Comité central n’ait pas été vidée de la même façon. Voilà aujourd’hui le Comité central à la tête de l’administration de la Guerre. La Commune sera-t-elle maîtresse de son action? Voilà la question grave. J’ai posé la question plutôt que je ne l’aie résolue. Je me demande comment le Comité de salut public en sortira.

JOURDE. Citoyens, deux questions se trouvent en présence. D’une part, une question portant sur une personnalité du Comité de salut public, et, d’autre part, les difficultés qui semblent surgir de l’ingérence du Comité de salut public dans les affaires de la Guerre. Ce qui me frappe surtout, c’est que le Comité de salut public a donné des ordres, a jeté la perturbation chez un de vos délégués. Le Comité de salut public donnant un ordre au 230e, par exemple, et l’envoyant à tel endroit, si la Guerre avait jugé autrement, ne savait-il pas qu’il y avait danger? Les membres du Comité de salut public ne paraissent pas se soutenir, il n’y a pas de cohésion, chacun se dérobe aux débats; Melliet disait: «Je n’ai jamais eu l’intention de donner des ordres à la Guerre»; Félix Pyat répond: «Je ne sais pas ce que Melliet a pu dire; moi, je pense de telle façon.» Il me semble que, quand cinq hommes se réunissent, ils n’ont pas le droit d’ignorer telle mesure que prend un de leurs collègues. Je voudrais que tous les membres du Comité de salut public fussent solidaires, afin qu’un seul d’entre eux pût répondre. Il faudrait qu’ils se tinssent la main et que chaque membre pût répondre. Il faut cela pour arriver à l’unité d’action nécessaire à une sorte de dictature.
Tout le monde aujourd’hui laisse le soin des affaires au Comité; ainsi, vous le voyez, nous ne sommes que trente-cinq. Pour éviter toute discussion oiseuse, il faut connaître le programme politique du Comité de salut public. Je ne vois pas pourquoi la majorité se livrerait à cinq membres dont je ne connais pas le but. Je lui demande s’il est partisan de telle ou telle forme de gouvernement, forme républicaine, bien entendu, s’il est partisan de faire la paix, de telles ou telles opérations. On a pris ces cinq membres au hasard, on ne sait point de quelle manière ils pensent; il est cependant incontestable que ces membres doivent avoir une ligne politique, ils doivent penser de la même manière. Il n’y a pas de gouvernement possible, si les membres de ce gouvernement ne pensent point de la même façon; ce serait une désorganisation complète. Par conséquent, l’assemblée doit se prononcer sur cette question de dépêche niée par un de ses auteurs et doit savoir ce que c’est que ce Comité de salut public, jusqu’où doivent aller ses pouvoirs, où ils doivent s’arrêter.
Il faut que la Commune soit logique, soit consciente de ses actes, qu’elle sache vers quel but elle marche. Je ne vois pas la nécessité d’un Comité de salut public, mais, enfin, si je suppose pour le moment qu’il est nécessaire dans l’état où nous sommes, il faut que nous connaissions parfaitement quelles sont les attributions du Comité.

PYAT. Il semble que, si vous avez de la mémoire, j’ai demandé que vous déterminiez les pouvoirs du Comité. Je vous ai demandé si nous avions le droit de révoquer comme la Commission exécutive, de nommer, etc. Vous n’avez pas voulu nous répondre; par conséquent, s’il y a faute, ce n’est pas celle du Comité, car le Comité vous a demandé quelles étaient les limites de ses pouvoirs, et vous n’avez pas voulu répondre parce que cela ne vous a pas plu.

UN MEMBRE. C’est à ceux qui vous ont nommés de vous faire connaître vos attributions.

UN AUTRE MEMBRE. On a répondu qu’il fasse tout ce qu’il voudrait.

UN AUTRE MEMBRE. On a dit qu’il se réfère à l’article 3 du décret qui l’institue.

PYAT. On n’a pas répondu d’une façon positive, non lorsque la question a été posée vague, générale, mais lorsqu’elle a été appuyée sur un exemple, à savoir si nous avions le droit de choisir un délégué.

LEFRANÇAIS. En réponse à la demande de Pyat, j’ai répondu que, selon moi, il pouvait non seulement choisir, mais encore révoquer les délégués.

PYAT. Je prends le citoyen Lefrançais au mot pour lui montrer que la Commune n’a pas répondu à ma question. Il a déclaré: «selon moi». Mais ce n’est pas selon vous, citoyen Lefrançais, que la question pouvait être vidée, et, vous le voyez, la Commune n’a pas voté.

VOIX NOMBREUSES. Il y a eu un vote.

LE PRÉSIDENT. Il y a eu sur la question un ordre du jour motivé.

PYAT. L’ordre du jour était relatif à la question du Comité central, qui venait d’être soulevée.

LEFRANÇAIS. Point du tout, l’ordre du jour était général.

PYAT. Du reste, comme aujourd’hui je ne puis plus être cru de vous, je suis obligé de renoncer aux fonctions que vous m’avez confiées, je vous prie de ne plus m’adresser d’observations sur le Comité de salut public.

ARNOULD. Je crois que la lumière est faite maintenant dans les esprits et que la question est tranchée en ce qui concerne le citoyen Pyat, puisqu’il a donné sa démission. Mais il ne faudrait pas faire de lui le bouc émissaire des fautes commises par le Comité. Il y a un fait grave qui m’a frappé, ainsi que plusieurs membres de l’assemblée, sans doute. Le citoyen Félix Pyat a dit qu’il avait eu un manque de mémoire, qu’il avait eu un oubli, à propos de l’ordre qu’il avait envoyé à Wroblewski, ordre si énergiquement nié par lui, hier soir. Je crois parfaitement à ce manque de mémoire, à cet oubli. Mais étaient présents, au moment où Pyat parlait, Ranvier, Arnaud, Melliet et Gérardin (Ch.) et trois ou quatre d’entre eux avaient signé l’ordre que Pyat ne se rappelait pas. Eh bien! il n’est pas possible que quatre ou cinq membres perdent tous à la fois la mémoire. Et, alors, comment l’un d’eux ne s’est-il pas levé pour dire à Pyat: «Pardon! j’ai signé cet ordre.» Arnaud s’est tu, Ranvier n’a rien dit, Melliet s’est renfermé dans un silence absolu, personne ne s’est souvenu. Je dis alors que ce n’est pas seulement Pyat qui doit inspirer de la défiance, car, s’il a manqué de mémoire, ses trois ou quatre collègues, qui ont signé la dépêche, ont, eux, manqué de loyauté.

FERRÉ. Sans approuver exactement les conclusions que donne, à ses paroles Arthur Arnould, je crois qu’on doit interpeller demain les membres du Comité de salut public. La Commune, par l’organe de son président, ferait prévenir le Comité, qui reviendrait demain à la séance ; on ne peut discuter en leur absence ; ce ne serait digne ni de ceux qui ont voté pour le Comité, ni de ceux qui ont voté contre.

(Approbation.)

GROUSSET. Il ne faut pas qu’un membre du Comité de salut public soit compromis.

JOURDE. Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je suis d’accord avec Ferré pour que demain à deux heures une réunion de l’assemblée statue sur les considérations qui vous ont été soumises; mais le citoyen Pyat ne peut pas encore se considérer comme démissionnaire, car il a sa part de responsabilités. Je demande que le citoyen Pyat assiste avec les quatre autres membres du Comité de salut public à la réunion de demain, pour répondre aux questions.

(Mouvements divers.)

LE PRÉSIDENT. J’ai à demander à l’assemblée si cette discussion doit paraître dans l’Officiel(Oui! Oui!) Mais si on publie celle d’aujourd’hui, il faudra publier celle qui a précédé, pour que le public comprenne.

RÉGÈRE. Vous pouvez y ajouter comme post-scriptum la dissolution de la Commune qui en est la conséquence immédiate.

(Violentes interruptions.)
(À suivre.)




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