mercredi 4 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 26 avril 1871 (5)









CHARLES OSTYN. En admettant un seul instant la possibilité que nous succombions, la Commune devra vivre quand même par ses actes, et, pour cela, il faut qu’elle fasse plus grand et mieux que ses adversaires ; il faut que son œuvre soit conçue dans un sentiment plus général, plus humanitaire que celui de ses ennemis.

(Suite de la séance du 26 avril 1871.)

ANDRIEU. Il est probable que le projet de décret que je vous ai présenté a été mal rédigé, car je suis absolument de l’avis de Rigault. Je désire que les membres de la Commune ne s’occupent dans leurs arrondissements que de la question de défense, et que les questions administratives, les actes de l’état-civil, les mariages soient confiés à des délégués. La responsabilité reste toujours sur la Commune, mais le travail est divisé et par conséquent facilité. C’est en raison même du considérant de ce décret, relatif à la division du travail, que je l’ai appelé organique. La guerre étant aujourd’hui à l’ordre du jour, nous ne devons nous occuper que de la guerre. Comme il nous faut du temps, voilà pourquoi j’ai proposé l’article 3, qui déclare qu’il n’y aura que trois séances ordinaires, les séances extraordinaires pouvant être demandées par dix membres, nombre qui me paraît suffisant pour connaître les événements nouveaux qui peuvent nous intéresser. Ayant, de la sorte, du temps devant nous, nous pourrons étudier les projets de décrets qui nous seront présentés.

LE PRÉSIDENT. La parole est au citoyen Billioray.

MEILLET demande la parole pour faire de suite une communication urgente, devant s’absenter de suite pour un service public.

MEILLET. Le 18e bataillon a fait hier une reconnaissance d’environ 40 hommes ; les gendarmes les ont cernés avec les chasseurs à cheval. Ces hommes ont été obligés de se replier, mais cependant 4 hommes ont continué à faire le coup de feu. Ces 4 hommes se trouvant dans l’impossibilité de résister, l’officier des gendarmes leur a dit d’avoir à déposer leurs armes. Ils l’ont fait, et, aussitôt après, on les a fusillés. Cependant un d’eux, malgré ses blessures horribles, a pu se traîner à quatre pattes, et il est maintenant à l’hôpital de Bicêtre. Les quatre bataillons de mon arrondissement sont dans un état d’indignation qui se comprend, et je demande à la Commune à quelle décision elle s’arrêtera devant le fait que je lui signale. Je dois dire que ces bataillons sont bien décidés à ne pas faire de prisonniers.

PLUSIEURS MEMBRES. Il faut user de représailles et fusiller les prisonniers que nous avons entre les mains.

URBAIN. Ce n’est pas la première fois que ce fait se produit, et, s’il se renouvelle, c’est que la Commune n’est pas assez énergique ; elle aurait dû user depuis longtemps de représailles.

PLUSIEURS MEMBRES. On l’a déjà décidé.

URBAIN. Oui ! on l’a dit souvent, mais on ne l’a jamais fait. Je demande que l’on fusille les principaux prisonniers qui sont entre nos mains.

PLUSIEURS MEMBRES. L’archevêque de Paris ! [Georges Darboy, archévêque de Paris, incarcéré pendant la Commune, sa mise en liberté sera négociée en vain contre celle de Blanqui, il sera fusillé à la prison de la Roquette le 24 mai 1871.]

URBAIN. C’est à lui que je pensais, citoyens, en parlant de représailles.

TRIDON. Citoyens, si ceci se présente aujourd’hui, c’est parce que nous n’avons pas exécuté nos décrets. vous avez une Cour martiale. Cette Cour martiale était composée de républicains jeunes, honnêtes, dont plusieurs sont mes amis d’enfance. Vous l’avez renversée, cette Cour martiale, et vous ne pouvez plus prendre quatre hommes dans une prison pour les fusiller. Quand vous avez des moyens énergiques dans les mains, vous ne vous en servez pas. Est-ce pour vous mettre bien avec le public ? Quand il se présente ici une question virile, c’est à qui l’enterrera, c’est à qui la renverra à la Commission exécutive, qui la renverra à la Commission militaire. Mais, quand il se présente de petites questions socialistes, philosophiques, on les discute pendant des heures entières. Aujourd’hui, vous ne pouvez plus faire de représailles.

BLANCHET. Je propose que la Commune prenne plusieurs gendarmes dans les prisons. Nous avons des gendarmes, des mouchards qui sont en prison. Qu’on les fusille au petit jour !

ARNAUD. Il y a un décret que nous avons fait. Eh ! bien, que l’on prenne douze gendarmes, puisque c’est le nombre et que l’on en fasse l’exécution en public.

BERGERET. J’ai demandé la parole pour appuyer tout simplement ce qui vient d’être dit.

J.-B. CLÉMENT. Est-ce que les Versaillais n’ont pas beaucoup de prisonniers à nous ? Songez-y, citoyens. On a dit qu’ils en avaient 7.500. Eh ! bien, ces pères de familles, ils les fusilleront.

TRIDON. Je déclare que des représailles de ce genre doivent se faire d’une façon sérieuse, légale : il faut que nous mettions la justice de notre côté ; il doit y avoir une décision que vous, Commune, ne pouvez pas prendre. Et puis, pourquoi prendre douze hommes pour quatre ? Vous n’en avez pas le droit.

VÉSINIER. Citoyens, vous n’avez pas de représailles à faire pour le passé ; c’est pour l’avenir. Il faut mettre le bon droit de notre côté : nous ne pouvons ainsi décréter la mort de douze hommes. Songez donc qu’ils ont des prisonniers, eux aussi ! Ce que nous avons à faire, c’est d’empêcher que ces faits ne se reproduisent. Fusillons les premiers prisonniers que nous ferons, mais sur le champ de bataille seulement, et évitons que, dans chaque camp, on pousse sans examen, sans jugement, à l’extermination des prisonniers ; la Commune deviendrait alors à la fois un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire.

OSTYN. Je crois que, sous le coup d’une émotion légitime, nous allons nous engager dans une mauvaise voie. Avant de s’y engager, il faut bien réfléchir. Ici, on dit trop souvent à la Commune : « Vous serez perdus demain, si vous n’adoptez pas telle ou telle mesure, et ce sont ceux qui voudraient vous pousser dans une voie déplorable qui tiennent ce langage. Eh ! bien, je le déclare, c’est dans le sein de la Commune qu’on doute le plus d’elle. En admettant un seul instant la possibilité que nous succombions, la Commune devra vivre quand même par ses actes, et, pour cela, il faut qu’elle fasse plus grand et mieux que ses adversaires ; il faut que son œuvre soit conçue dans un sentiment plus général, plus humanitaire que celui de ses ennemis. Prenez garde ! On pourra me dire : « C’est là du sentiment ! Je vous répondrai : « Vous aussi, vous faites du sentiment, et du sentiment greffé sur des actes mauvais » : Oui ! la Commune ne vivra que par ses actes.

BILLIORAY. Je ne suis de l’avis d’aucun des membres qui ont pris la parole jusqu’à présent. Si vous faites des représailles, si demain vous fusillez douze individus, qu’arrivera-t-il ? Croyez-vous que Versailles tienne à ses gendarmes, à ses sergents de ville ? La vie de ces instruments lui est parfaitement indifférente ; mais, ce qui ne lui serait pas indifférent, ce serait de vous répondre immédiatement par le massacre d’une trentaine des vôtres, car malheureusement ils ont plus de prisonniers que vous. Si vous voulez faire des représailles, ce n’est pas sur les gendarmes ou sur les sergents de ville qu’il faudra frapper, ce sera sur les têtes du parti. Prenez des officiers, des amis de ces hommes de Versailles, leur père, s’il peut tomber entre vos mains ; ne fusillez pas des gendarmes, ce qui leur sera tout à fait indifférent. Au sujet de la proposition de Vésinier ; qui propose de fusiller les prisonniers que nous ferions par la suite ; je dois ajouter que j’y suis opposé, parce que les troupes que l’on nous oppose, au lieu de nous combattre mollement, de chercher même à venir avec nous, lutteront jusqu’au bout. Je m’oppose donc complètement à cette mesure.

LEFRANÇAIS renonce à la parole, parce que ses idées ont été suffisamment exprimées par les orateurs précédents.
(À suivre)


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