vendredi 6 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 28 avril 1871 (7)



(Suite de la séance du 28 avril.)

AVRIAL. On a nommé pour réparer les mitrailleuses un nommé Christophe. Il est allé demander des mitrailleuses qui sont à réparer. Eh ! bien, les hommes n’ont pas voulu céder les mitrailleuses. Ensuite des hommes, qui ne connaissent pas les mitrailleuses, changent les plaques, de telle sorte que, les mitrailleuses ne pouvant plus servir, on vient nous dire : « On nous trahit ! » Cluseret a envoyé dire aux chefs de légion de se trouver chez lui au rapport tous les matins à 9 heures. Eh ! bien, il y en a tous les jours trois ou quatre. J’ai été au parc d’artillerie que commande le commandant Larue ; je lui ai demandé un rapport sur le matériel d’artillerie. Le commandant Larue m’a dit qu’il ne pouvait rien donner. Il y avait des pièces dans certains ateliers ; il y en avait qui étaient prêtes, et le commandant Larue n’en savait absolument rien. J’ai été obligé moi-même de faire préparer des rapports, et, dans quelques jours, nous connaîtrons l’état de situation du matériel d’artillerie qui est à notre disposition. Nous sommes en état de vous donner des détails : Assi s’en occupe sérieusement. Il faut vous donner le nombre des munitions. Je crois que, lorsque vous connaîtrez l’artillerie, ce sera quelque chose. Quant aux armes, c’est plus difficile. Le jour où vous demanderez un état, vous ne saurez pas le nombre des armes qu’il y a dans Paris. C’est un défaut d’organisation. Cluseret a eu une bonne idée en nommant des officiers d’état-major. Il faut pour remplir ces places, des connaissances spéciales. Eh ! bien, j’ai vu des bataillons qui se révoltaient contre cette idée de nommer les officiers d’état-major. Je déclare que la Commune devrait mettre ces places au concours, ainsi que celles d’officiers d’artillerie et du génie. Sans cela, vous n’aurez que des porteurs de galons. Il y a trois fois plus d’officiers d’état-major qu’il n’en faut.

BLANCHET. J’appuie les paroles d’Avrial. Je demande que les officiers d’état-major, dont les trois quarts sont inutiles à Paris, soient envoyés aux avant-postes. La Commune a perdu dans l’esprit de la population. Il y a peu de temps, on criait au plan Trochu ; demain, on criera au pain Trochu. Les soldats, qui ont du pain de son ont déclaré qu’ils ne pouvaient le digérer et qu’ils resteraient chez eux. Dans les chasseurs à cheval, le 3e escadron, il y a un cousin de Clément Thomas. Dans tous les bataillons, il y a des bonapartistes, municipaux et autres, qui traitent les hommes de haut en bas et se moquent de la Commune. Voilà les gens chargés de nous donner la marche à suivre ; voilà ce que fait la Guerre ! Si ce n’est pas de la trahison, cela arrive au même but.

(Applaudissements.)

BLANCHET. Il y a de ces hommes qui sont déjà partis, avec armes et bagages. Voilà les hommes qui viendront vous dire un jour : « Voilà où il faut placer vos hommes. » Et ils les placeront convenablement pour leurs amis de Versailles. Quand on n’avance pas, on recule.

La proposition suivante est déposée sur le bureau par le citoyen J. MIOT :
« Vu la gravité des circonstances et la nécessité de prendre promptement les mesures les plus radicales, les plus énergiques ;
« La Commune décrète :
« Article premier. Un Comité de Salut public sera immédiatement organisé.
« Art. 2. Il sera composé de cinq membres nommés par la Commune au scrutin individuel.
« Art. 3. Les pouvoirs les plus étendus sur toutes les Commissions sont donnés à ce Comité, qui ne sera responsable qu’à la Commune.
« J. Miot.»

VAILLANT. Citoyens, je me demande si, aujourd’hui, vous pouvez voter sur une résolution aussi grave. Tous les membres n’étant pas réunis, je crois que, dans les conditions actuelles, et quelle que soit l’urgence de la proposition, l’assemblée ne peut pas se prononcer aujourd’hui, qu’elle n’a pas qualité, en l’absence des chefs de service. Tel est mon avis ; je crois qu’il sera partagé par beaucoup de mes collègues de l’assemblée. Expression générale de tous les intérêts, de toutes les volontés, il faut que les divers services soient représentés, que la Commission exécutive soit au moins présente. Ce n’est pas à la fin d’une séance qu’on peut se prononcer sur de pareils sujets.

RÉGÈRE. Ce qu’on vous demande n’a rien d’excessif. Ce que nous avions voté sur la proposition Delescluze n’était pas le fait d’un gouvernement ; un gouvernement doit être groupé. La proposition déposée, tout à l’heure, concorde avec cela. Je demande donc que l’urgence soit votée. Je dis que la Commune n’exercera son action de salut, de défense, que quand elle aura un gouvernement permanent, régulièrement constitué : cinq membres chargés de transmettre le pouvoir de la Commune aux divers ministres. Je demande l’urgence.

MIOT. On vous a dit qu’on ne pouvait pas voter la proposition immédiatement. J’ai l’honneur de répondre au membre qui a présenté cette objection : jamais, peut-être, la Commune ne s’est trouvée aussi nombreuse.

GROUSSET. Je demande formellement au citoyen Miot si, oui ou non, sa proposition a le caractère d’une mise en accusation, ou d’un vote de défiance contre la Commission exécutive. La Commission exécutive, que vous avez nommée, il y a cinq jours, s’est constituée avec cette opinion que vous la considériez comme un véritable Comité de Salut public. Il faut qu’on s’explique sur quels faits cette proposition est motivée. Je parle pour les membres qui auraient manqué à leurs devoirs ; quant à moi, je dis : J’ai consacré tout mon temps, toute mon intelligence, toute mon activité à servir la cause que nous soutenons, je ne comprends pas qu’on laisse supposer de pareilles choses sans les dire.

MIOT. On demande que je formule une accusation ; avant que je puisse le faire, il faudrait qu’il eût été établi un tribunal suprême.

GROUSSET. C’est vous, Commune, qui êtes le tribunal suprême : voulez-vous donc abdiquer? Je répète encore une fois que nous, membres de la Commission exécutive, nous sommes responsables, et je veux que l’on nous accuse et l’on nous juge avant de nous remplacer.

LE PRÉSIDENT. Il y a plusieurs orateurs inscrits au sujet de l’urgence, mais, comme je suppose que chacun de nous a son opinion faite à ce sujet, je demande qu’elle soit mise aux voix.

L’urgence est votée et acceptée.

RÉGÈRE. Je demande le renvoi à demain.

LE PRÉSIDENT. Comme président, je crois avoir compris que, du moment qu’on a adopté l’urgence, la discussion doit être immédiatement commencée.

RASTOUL. Il y a huit jours, j’ai pris la parole pour vous déclarer que nous marchions vers cette dictature que vous vouliez éviter. On a nommé neuf membres ; je m’y suis opposé, je demandais qu’il n’y en eût que trois, cinq au plus. Vous leur auriez donné le nom de Dictature, de Comité de Salut public, peu importe, mais ils auraient eu pleins pouvoirs J’appuie donc la proposition d’un Comité de Salut public. Ma proposition se distingue de celle du citoyen Miot, en ce sens que je voudrais que la dictature fût confiée à trois membres et non à cinq.

BILLIORAY. Je veux le Comité de Salut public. Déjà, le lendemain de la proposition Delescluze, j’avais présenté un projet semblable. Il ne nous faut pas de dictature à la guerre. Dans cette partie du service, on se moque véritablement de la Commune, en ne tenant pas compte de ses décisions. Non seulement nous marchons à la dictature d’un seul, mais encore à la dictature incapable. Si une dictature pouvait nous amener plus sûrement le triomphe, peut-être l’accepterais-je.

(Protestations.)

BILLIORAY. Mais l’administration de la Guerre est l’organisation de la désorganisation. Il nous faut un comité souverain pour faire marcher tous ces services.

BABICK. Je ne veux pas pour la Commune d’autre dictature que celle de la Commune elle-même. La Commission exécutive aurait, en effet, le droit d’être blessée de la proposition: s’il y a des hommes incapables, qu’on les remplace par d’autres; mais je m’oppose à la dictature d’une commission de trois, cinq ou neuf membres. Que la situation soit sauvée par la Commune elle-même, et non par un Comité de Salut public.

LANGEVIN. Mon avis est que nous nous attachons trop aux mots. Quant à moi, examinant la proposition Miot, je la trouve impraticable. Avec la Commune, agissant comme maintenant, un Comité de Salut public sera entravé. Depuis huit jours, que voyons-nous ? L’assemblée nommant des commissions, et ensuite apportant ici tous les détails de leur travail, et ne s’en rapportant pas à ceux qu’elle a nommés, discutant la façon dont on s’y prend pour exécuter le travail. Quand vous aurez nommé une Commission exécutive, appelée Comité de Salut public, les mêmes faits se reproduiront.

(Interruptions.)

LANGEVIN. J’ai été le premier à constater que la Commission exécutive était défectueuse. Les chefs éprouvent des empêchements à se réunir. Je crois qu’il serait parfaitement utile de nommer une commission chargée de prendre les mesures nécessaires, mais j’ai une conviction profonde, qui m’est personnelle, cette commission ne pourrait pas mieux agir que les autres.

(Bruits.)

MEILLET. Je me rallie tout à fait à la proposition du citoyen Miot. Il y a des mesures énergiques à prendre, et ces mesures ne peuvent être prises que par une commission spéciale, qui ne soit pas entravée par des détails d’administration. Je demande que ce Comité de Salut public soit nommé, afin de centraliser tous les pouvoirs. Je ne veux pas que ce soit une menace pour les membres de cette assemblée, et je trouve que la Commission exécutive a bien tort de se formaliser de cette nouvelle commission, qui ne serait pour elle, en définitive, qu’une garantie, qui assumerait sur elle toute la responsabilité et mettrait à couvert la Commission exécutive elle-même.

LEDROIT. J’appuie ce que vient de dire le citoyen Meillet. Je ne crois pas qu’on puisse mettre en accusation les membres de la Commission exécutive ; avec le travail qu’ils ont, il n’est pas admissible qu’ils puissent s’occuper des choses de la guerre. Il faut des hommes énergiques, qui ne craignent pas de mettre sous les yeux de la Commune les actes de ses membres.

CHAMPY. J’appuie simplement la proposition Miot.

FORTUNÉ. J’appuie et demande le vote.

ARNAUD. J’appuie fortement.

GROUSSET. Il y avait une Commission exécutive, composée de cinq membres : en moins de quinze jours, des conflits de toute nature se sont élevés ; la Commission exécutive donnait des ordres qui n’étaient pas exécutés ; chaque commission particulière, se croyant souveraine de son côté, donnait aussi des ordres, de telle façon que la Commission exécutive ne pouvait avoir de responsabilité réelle. Elle faisait des efforts surhumains pour s’occuper de tout, et, en somme, ne s’occupait de rien. Cette organisation, vous avez bientôt été obligés de la détruire, et vous lui avez substitué une organisation dans laquelle la Commission exécutive se trouvait formée par les chefs de tous les services que représentent les autres commissions. Vous voulez aujourd’hui faire disparaître cette dernière organisation ; je vous demande encore une fois qu’avant de prendre une pareille décision, les accusations qui semblent vouloir se porter sur deux ou trois membres de la Commission ne se portent pas sur tous. Si l’on doit faire le procès de quelqu’un, qu’on le fasse, mais qu’on ne condamne pas l’ancienne Commission sans avoir demandé compte à chacun de ce qu’il y a fait.

VAILLANT. Je n’ai qu’à affirmer davantage quelques-uns des points touchés par Grousset. Il est certain que la proposition, que l’on vient de vous faire, est un retour vers l’organisation précédente, en étendant toutefois le pouvoir des membres de la nouvelle Commission. Je crois qu’agir de la sorte serait d’un très mauvais effet aux yeux du public, on y verrait un tâtonnement regrettable. Il y a, en effet, à peine six jours que la nouvelle commission a été nommée. Je ne puis croire que, depuis cette époque, il se soit produit des faits tellement graves que nous revenions sur une situation première. Je crois même pouvoir affirmer que, bien loin de s’être aggravée, la situation s’est au contraire améliorée, et sans vouloir en faire un mérite à la Commission, c’est un fait que je me plais à constater. Si, maintenant, il y a des accusations à porter, qu’on les formule, et la Commune, qui est le juge suprême, décidera. La Commission exécutive, nommée il y a six jours, représente les aspirations de la Commune, et, jusqu’à présent, aucune accusation n’a été portée contre elle ; et, puisque la situation s’est améliorée depuis qu’elle a été nommée, sur quoi se fonder pour la renverser ?
(À suivre.)






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