vendredi 6 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 28 avril 1871 (6)




(Suite de la séance du 28 avril 1871.)

AVRIAL. Le citoyen Delescluze a envoyé une lettre s’excusant de ne pouvoir prendre part à nos travaux et réclamant un successeur pendant sa maladie.

ALLIX. Le citoyen Delescluze ne pouvant donner son temps à la Commission, empêché par maladie, je demande qu’on adjoigne le citoyen Bergeret comme suppléant.

LEFRANÇAIS. On nous fait la proposition de nommer le citoyen Bergeret. Il y a là une question de convenance. Bergeret n’est pas en jeu. Pouvez-vous mettre en contact Bergeret et Cluseret ?

BERGERET. Citoyens, ce qui fait que je demanderais à faire partie de la Commission, c’est parce que, quand je suis entré ici, j’ai prononcé des paroles qui ont plu à tout le monde. Or je crois que nul ne me refusera une certaine expérience des choses de la guerre, depuis mon entrée en fonction depuis le 18 mars. Je serais très heureux d’apporter mon concours, mon dévouement à la cause de la Commune. Pour moi, il n’y a pas de compétition, ni d’amertume.

GROUSSET. J’accepte Bergeret, et je crois que sa candidature est non seulement, bonne, mais nécessaire. Nous ne pouvons mettre en avant les questions de personnes dont on parlait tout à l’heure, et je suis persuadé qu’il n’y a aucune animosité entre les citoyens Cluseret et Bergeret ; mais, dans le cas où il y en aurait, ce serait une raison de plus pour nommer Bergeret. La Commission, placée à côté du général Cluseret, est chargée de contrôler ses actes, et je crois utile que ce contrôle soit exercé à la fois par l’œil de la vigilance et l’œil de la haine.

ALLIX. Je propose Bergeret, et j’ajoute : je connais personnellement le citoyen Cluseret, et je suis persuadé qu’il sera enchanté de cette nomination.

LONGUET. Je ne doute nullement des services que peut rendre le citoyen Bergeret à la guerre ; mais il ne s’agit pas de savoir s’il aura ou non de l’amertume dans ses fonctions. Il faut savoir si d’autres n’auront pas à côté de lui des sentiments différents. Il faut une situation nette ; aussi, je crois qu’il n’est pas discutable que nous ne puissions proposer Bergeret en raison de ce qui s’est passé entre lui et Cluseret.

(Aux voix ! aux voix !)

BERGERET. Il serait très regrettable que ce que vient de dire Longuet fût vrai.

LE PRÉSIDENT. Trois noms ont été proposés pour être adjoints au citoyen Delescluze, malade, et le suppléer dans ses fonctions de membre de la Commission de la guerre ; ce sont les noms des citoyens Dereure, Bergeret et Eudes.

EUDES. Je me désiste.

LE PRÉSIDENT. Je consulte l’assemblée.

Le citoyen BERGERET est désigné, à la majorité, pour être adjoint au citoyen Delescluze.

PYAT. En mon absence, l’assemblée m’a fait l’honneur de me nommer membre de la Commission des finances ; c’est là un peu l’histoire de Beaumarchais. Je ne suis pas calculateur. Je prie donc l’assemblée de me remplacer dans cette fonction.

RÉGÈRE. Je voudrais qu’une proposition écrite, que je déposerai demain, fût mise, dès ce soir, à l’ordre du jour. Elle sera conçue dans ce sens :
«Attendu que la Commission exécutive est composée de membres qui sont tous occupés dans leurs départements ; que la permanence est un besoin impérieux, cinq membres pris dans la Commune seront adjoints à la Commission exécutive et, parmi eux, je placerais Félix Pyat.

JOURDE. Il serait important d’arriver à résoudre la question du mont-de-piété. Je me suis rallié à l’amendement Avrial, mais j’y aurais ajouté un troisième article, dans lequel se trouveraient ménagés les intérêts du mont-de-piété et des emprunteurs. Seulement, en ce moment, le temps nous manquerait. Je demande que l’on débute demain à 2 heures par la discussion de ce projet.

LE PRÉSIDENT. Le citoyen Jourde pourrait déposer son amendement pour que l’on puisse en prendre connaissance et l’étudier avant l’ouverture de la séance de demain.

JOURDE. Voici le 3e article qui aurait pour but de décider que l’exécution du décret n’aurait lieu que trois jours après sa promulgation.

LANGEVIN. Je demande que la discussion continue sur le mont-de-piété ; c’est un projet on ne peut plus important. Voilà trois semaines qu’il est en question et nous n’avons pas encore de solution.

JOURDE. Dans cette discussion, il ne faut rien précipiter ; évitons les votes de surprise. Je crois qu’il vaut mieux renvoyer à demain 2 heures. Ce soir, le temps me manquerait complètement. J’ai à m’occuper de l’échéance de demain aux finances, et il me serait impossible de suivre la discussion.

LE PRÉSIDENT. Je vais consulter l’assemblée sur la question de savoir si elle veut continuer la discussion sur les monts-de-piété.

LEFRANÇAIS. Je demande qu’avant de voter sur cette question, nous examinions quels seront les principes qui guideront votre Commission des finances dans cette affaire. La décision résultera des principes sur lesquels vous vous serez mis d’accord. Je demande que, dans la séance de demain, le citoyen Jourde vous expose quels sont les principes en vertu desquels votre Commission des finances devra agir. Après, on pourra prendre une décision sur la question des monts-de-piété.

LANGEVIN. Et moi, je demande qu’on discute immédiatement. Quelle que soit l’importance de la question, ne sortons d’ici qu’une fois le décret rendu. Nous reculons la discussion chaque fois qu’il s’agit de choses importantes.

(Très bien !)

BILLIORAY. Je suis de l’avis de Langevin. Nous passons nos séances à des niaiseries. Nous avons aussi le tort. de les commencer à 4 heures. Il faudrait commencer à 2 heures. Je ne crois cependant pas qu’on puisse résoudre une question aussi grave que celle des monts-de-piété au pied levé, sans avoir discuté les moyens de résoudre cette question. Il s’agit de 19 à 20 millions : où les prendrez-vous ? Il faut donc discuter les moyens d’exécution. Je demande que l’ordre du jour de demain soit consacré à cette question importante et qu’on procède à cette discussion à 2 heures.

UN MEMBRE demande que, puisque le citoyen Jourde est obligé de se retirer, il donne son avis sur cette question.

JOURDE. Je viens de le faire. Je me rallie à la proposition qui dit qu’on remette au 2 mai. Il y a là quelque chose de très grave que je ne puis dire en séance publique ; pour le moment, il serait dangereux de ruiner le mont-de-piété en lui prenant 15 millions. Je verrai le directeur et j’arrangerai les choses de façon à ce que le peuple soit satisfait et que l’opinion publique ne dise pas que vous faites des générosités avec l’argent des autres.

FRÄNCKEL. Je vous proposerai de renvoyer jusqu’au 2 mai, dans l’intérêt même de la question financière. Je suis en cela d’accord avec la Commission du travail, qui pourra ainsi s’entendre avec le délégué aux Finances et lui soumettre des propositions plus radicales, qui faciliteront les questions financières.

BILLIORAY. Mais le citoyen Fränckel n’a pas compris la question ; on propose seulement de renvoyer la discussion à demain et l’exécution au 2 mai.

CLÉMENT. Depuis cinq jours, on n’est pas venu vous donner des nouvelles de la guerre. Vous savez qu’on se bat parce qu’on entend le canon, mais vous ne recevez aucun rapport.

CHALAIN. J’ai formulé ici contre la Guerre une accusation très grave : je la formulerai de nouveau demain.

HENRY. Je demande la nomination d’une Commission exécutive ; vous avez des délégués qui ne sont pas responsables puisqu’ils ne doivent rendre des comptes qu’à la Commune. Au nom de la Commission militaire, le citoyen Avrial présente à la Commune un rapport sur la situation militaire et l’armement.

MIOT. C’est un Comité de salut public que je demande.

ANDRIEU. La Commission exécutive n’est pas responsable de l’absence de rapports. Tous les jours, j’envoie demander des rapports militaires et, particulièrement, des rapports de nuit, et on n’en envoie pas.

Les citoyens AVRIAL et RÉGÈRE s’expliquent vivement.

CHARDON. Je ne sais pas d’où cela vient. Hier, j’ai été au fort de Vanves : j’ai vu des hommes qui n’avaient pas de linge, ils ne reçoivent même pas leur prêt. Je me demande s’il y a quelqu’un de chargé d’inspecter les forts, de recevoir les plaintes des gardes nationaux. En outre, on se plaignait aussi du manque de projectiles de 7.

MEILLET. Je ne comprends pas que la Commission exécutive nous dise qu’elle ne peut pas nous faire de communications ; si elle ne peut pas en obtenir de la Commission militaire, je dis qu’elle a failli à son mandat. La Commission exécutive a choisi pour lieu de ses réunions le Ministère de la guerre, et, si, après cinq jours, elle n’a pas pu nous faire de rapport, je dis qu’elle a manqué à son devoir. Elle devait se faire communiquer les rapports militaires ; si l’on n’en avait pas, l’on devait venir le dire ici. On dit aussi que les municipalités n’exécutent pas les ordres.

(Bruits.)

MEILLET. Je constate depuis quelques jours la plus grande désorganisation. J’ajoute et je demande que la Commission exécutive ne se réunisse plus au Ministère de la guerre, et, de plus, que la Commission exécutive mette en demeure le général Cluseret de donner des explications ou de le mettre en accusation.

CLÉMENT. Je n’ai aucun soupçon sur le général Cluseret ; seulement, je trouve étonnant qu’on nous laisse cinq jours sans rapport militaire. Comme vous vous êtes égarés dans la discussion, je demande que vous y reveniez, que vous preniez des mesures pour que les abus signalés ne se renouvellent plus, et enfin que Cluseret soit blâmé. Il est fâcheux, intolérable, que nous ne sachions pas ce qui se passe.

GROUSSET. La Commission exécutive répond que, si elle a transporté le lieu de ses réunions à la Guerre, c’est pour avoir tous les jours des renseignements. Seulement, malgré cette condescendance pour Cluseret, on ne lui a pas donné de rapport, on l’a toujours bernée de réponses évasives, insuffisantes. Tantôt, le colonel chargé de faire le rapport n’est pas là, il déjeune, il est sorti ; tantôt, au contraire, on nous dit qu’il n’y a pas lieu à rapport ; la lutte se trouve réduite à un combat d’artillerie sans incidents, et les rapports que l’on ferait porteraient tous invariablement : « Rien de nouveau à signaler. »

UNE VOIX. En présence d’une pareille situation, il n’est pas possible de rester calme.

GROUSSET. Nous lui avons répondu qu’un rapport militaire, même insignifiant, devait journellement être soumis à la Commune. Il en convient, il promet de nous envoyer un rapport : s’il ne nous en envoie pas, cela ne peut durer. Nous ne pouvons accepter une pareille situation.

POTTIER. Je tiens à dire à la Commune qu’à Vanves, c’est comme ici : nous avons vu, avant de venir, des délégués qui nous ont été envoyés de ce fort par la Garde nationale. Si vous les aviez vus, vous auriez pu constater qu’ils étaient dans un état déplorable. J’ajoute que je me suis livré à une enquête très sérieuse sur les points les plus attaqués, Asnières et Levallois, et je déclare que, là, la situation n’est pas désespérée ; elle n’est même pas mauvaise ; nos forces sont presque assez nombreuses, et elles sont en bon état ; elles sont fraîches, bien vêtues, bien armées : elles n’ont pas toute l’artillerie qu’elles désireraient, mais, enfin, les chefs de bataillon sont satisfaits. Quant aux forts, c’est l’affaire de la Commission.

UN MEMBRE. Dans mon XIIIe arrondissement, j’ai vu les gardes nationaux très mal vêtus et peu chaussés. Qu’on y veille.

LEFRANÇAIS. Je fais la même observation pour les artilleurs des Ternes et de la Porte-Maillot ; ils sont aussi mal vêtus que possible.

AVRIAL. J’ai aussi des observations à présenter. De même qu’à l’Hôtel-de-Ville le désordre est en petit, il se reproduit en grand dans la Garde nationale. Ainsi, dites-moi pourquoi on voit ici 15 à 20 officiers d’état-major qui ne font absolument rien et qui reçoivent dix francs par jour et les repas ? Pourquoi, à la Place de Paris, trouve-t-on des officiers d’état-major, qui n’ont été nommés par personne et qui passent leur temps à parader sur des chevaux ? C’est parce que la désorganisation est partout. Perpétuellement, il y a des compétitions dans les légions ; on aime trop le galon ; on nomme des chefs qu’on révoque le lendemain, et, journellement, on voit des officiers nouvellement élus et remplacés emporter les bottes, le sabre, le revolver que vous leur avez donnés. Il y a ensuite la question des pièces d’artillerie à l’Hôtel-de-Ville, au parc Saint-Martin.

(À la question ! Ce n’est pas la question !)
(À suivre.)






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