jeudi 12 octobre 2017

Commune de Paris 1 Séance du 4 mai 1871 (5)


(Suite de la séance 1re séance du 4 mai 1871.)
MORTIER. Il avait été établi qu’on nous ferait tous les jours un rapport militaire. Nous n’avons pas eu de nouvelles depuis trois jours. Cependant, il y a quelque chose de très grave qui s’est passé cette nuit: au Moulin-Saquet, les Versaillais sont venus nous surprendre et ont massacré 150 artilleurs.
ARNOULD. J’avais demandé la parole sur cette question, attendu que le bataillon d’artillerie qui a été surpris cette nuit au Moulin-Saquet appartient à l’arrondissement que je représente. Je voulais demander au Comité s’il avait des détails.
AVRIAL. Avant d’engager la discussion, je crois qu’il est bon d’entendre le délégué à la Guerre.
LEFRANÇAIS. Vous allez introduire le citoyen Rossel. Est-ce comme délégué à la Guerre? Vous savez ce qui s’est passé hier. Avant d’introduire le citoyen Rossel, il me semble que la Commune devrait savoir du Comité de salut public s’il y a oui ou non un délégué à la Guerre.
(Bruit.)

GÉRARDIN (vivement). Je n’admets pas qu’on mette toujours en question le Comité de salut public. Vous vous servez de tous les petits incidents pour protester.

(Bruit.)

LEFRANÇAIS. Des cris ne sont pas des raisons. Hier, le Comité de salut public avait été chargé de prendre une résolution. Je demande des explications. Le Comité central avait fait une proposition au Comité de salut public, qui avait été chargé de statuer.

PYAT. La communication que le Comité de salut public a faite à la Commune était une réponse à Lefrançais.

LE PRÉSIDENT. La Commune veut-elle entendre le citoyen Rossel?

PYAT. Le Comité central, a qui nous avons donné rendez-vous, est en séance avec mes collègues; on me fait passer un mot pour m’inviter à assister à la discussion; la question est des plus importantes. Je vous demande donc la permission de me retirer. Si ma présence, citoyens, était nécessaire, je resterais.

(Oui!)

LE PRÉSIDENT. Il me paraît indispensable qu’un membre du Comité de salut public soit ici pour entendre le citoyen Rossel.

La Commune se forme en Comité secret à 6 h. 1/2
COMITÉ SECRET.
ROSSEL. Depuis deux jours, des événements graves se sont passés. Vous savez quelle était la situation du fort d’Issy au 30 avril. Depuis cette époque, il a été continuellement criblé par une grêle de projectiles; n’ayant pas d’abris suffisants, nous avons subi de grandes pertes, environ 40 tués et 200 blessés. Ayant envoyé au fort d’Issy un homme déterminé, du plus grand courage, le général Eudes, il résultait d’un rapport qu’il m’avait envoyé que la défense était de toute part défectueuse, l’artillerie insuffisante, la bravoure des gardes nationaux paralysée par des chefs incapables. Enfin, le général Eudes me disait que les travaux de guerre que j’avais ordonné de faire n’avaient pu être encore exécutés par suite du manque d’hommes capables. J’ai déjà eu à réprimer deux révoltes, terminait-il. La garnison demande à se reposer. Veuillez me remplacer dans un commandement que je me sens incapable de remplir plus longtemps.
Après avoir reçu cette dépêche, je suis parti immédiatement pour juger moi-même de la situation, et, grâce aux volontaires de Montrouge, aux 206e et 268e bataillons, ainsi qu’au concours de toutes les personnalités mises jusqu’ici en relief, les généraux Dombrowski et Wroblewski, qui avaient reçu également l’ordre d’aller au fort d’Issy, nous avons pu améliorer la position, qui est maintenant parfaitement tenable, nous faisons des progrès dans le village; le feu est au château d’Issy et, la nuit dernière, nous avons enlevé le village de Clamart. Aux premières nouvelles des événements d’Issy, j’avais envoyé le général La Cécilia pour prendre le commandement des forces en remplacement du général Wetzel. Il existait donc trois commandements: à gauche Wroblewski, au centre La Cécilia et à droite Dombrowski.
C’est là, citoyens, que commence la gravité des faits que j’ai à vous soumettre. Le Comité de salut public est intervenu dans les opérations militaires. Les généraux Wroblewski et Dombrowski ont reçu l’ordre de se porter au fort d’Issy. Voici quelles ont été les conséquences des ordres donnés par le Comité de salut public. Cette nuit, la redoute du Moulin-Saquet a été prise par suite de la trahison probable du capitaine commandant le 55ebataillon. L’ennemi est entré dans la redoute avec le mot d’ordre; des attelages ayant été préparés à l’avance, les pièces, sauf deux restées embourbées, ont été enlevées par les Versaillais. Voici du reste le rapport que le général Wroblewski m’a adressé:

«Au Ministre de la Guerre,
«La redoute du Moulin-Saquet a été prise cette nuit par les Versaillais. En ce moment, cette position est réoccupée par nos troupes. Nous avons en mains la preuve de la trahison du capitaine commandant le 55e bataillon qui est disparu. L’affaire s’instruit.
«Toutes les troupes qui occupaient le Moulin-Saquet sont en débandade; 15 tués, 5 blessés ; 4 pièces de 12, 2 de 7 et 1 mitrailleuse ont été enlevées par l’ennemi.
«Les faits se sont passés pendant que j’étais au fort d’Issy par ordre du Comité de salut public. WROBLEWSKI.»
«Gentilly, le 4 mai.»

ROSSEL. De plus, citoyens, j’ai reçu un autre rapport du chef d’état-major du général Wroblewski, m’affirmant que, si le général n’avait pas été appelé au fort, la surprise n’aurait pas eu lieu. À l’aile droite, les conséquences ont été aussi graves; le général Dombrowski, ayant reçu à mon insu la direction générale des opérations militaires, a dû laisser à Neuilly, pour le remplacer, le commandement au colonel Favy, homme qui, tout en étant courageux et sur l’énergie duquel on peut compter, n’est pas un Dombrowski. Ainsi, ce n’est qu’après avoir envoyé des renforts que nous avons pu repousser l’ennemi. Voici le rapport qui m’a été adressé:

«Au citoyen délégué à la Guerre,
«Citoyen,
«Ma position n’est plus tenable, les bataillons menacent de nous abandonner, s’ils ne sont relevés ce soir même. L’ennemi se fortifie de plus en plus et concentre ses forces. De notre côté, je ne puis les en empêcher n’ayant presque plus d’artillerie. Je vous prie d’aviser le plus promptement possible, si vous ne voulez voir une retraite malheureuse malgré tous nos efforts.
«Le Colonel commandant les opérations de Neuilly,
«FAVY.»

ROSSEL. En présence de la gravité de ces conséquences, j’ai dû venir appeler l’attention de la Commune sur des faits aussi fâcheux et lui dire que j’en rejette la responsabilité sur qui de droit, jusqu’à ce que j’aie pu rétablir les choses dans leur état primitif. Au milieu de ces faits si douloureux, j’ai reçu ce matin une lettre qu’il m’est doux de vous lire, lettre écrite par un militaire dont le génie est universellement connu et
qui nous exprime la vive sympathie qu’il éprouve pour notre cause et nous donne des conseils sur les travaux de défense. Je suis partisan du Comité de salut public, que je considère comme une grande institution, mais il faut cependant le respect des compétences, pour que chacun puisse faire son devoir. Il ne faut pas surtout que tout le monde se croie militaire afin qu’il y ait une responsabilité et que les chefs sachent à qui obéir. Je dois également citer à l’appui de ce que je dis un fait regrettable: un parlementaire prussien a été introduit au fort de Vincennes par le délégué aux Affaires étrangères. La veille, j’étais convenu avec le citoyen P. Grousset qu’une lettre écrite par lui serait adressée au général prussien; depuis, il est arrivé un malentendu qui n’aurait pas eu lieu si la Place n’écoutait que moi.

GROUSSET. Je décline absolument toute la responsabilité des faits allégués par le citoyen Rossel. Ainsi qu’il était convenu, j’ai écrit une lettre faisant sentir l’inconvenance qu’avait commise le général prussien en s’adressant à la Commune et non à ses délégués. D’accord avec le citoyen Rossel, j’indiquai qu’un parlementaire français recevrait le parlementaire prussien à la porte de Charenton et lui ferait visiter le fort de Vincennes d’après les indications du délégué de la Guerre. Cette lettre écrite, je l’ai portée moi-même à l’État-major, en en envoyant une copie au citoyen Rossel. Voilà à quoi s’est bornée mon intervention.

ROSSEL. Je suis heureux que l’erreur ne vienne pas du citoyen Grousset. Mais il n’en est pas moins vrai qu’à cause de l’incertitude des relations, un officier prussien du génie a visité le seul fort que nous possédons sur la rive droite.

CHALAIN. Le citoyen Rossel s’est plaint qu’une foule de choses manquaient au matériel d’artillerie. Je propose que l’on prenne les ateliers Cail* pour fabriquer ce dont nous avons besoin. La Commune décide, sur la demande des citoyens Langevin et Lefrançais, que le Comité de salut public sera entendu en présence du citoyen Rossel pour répondre aux faits allégués par lui.

PYAT. Ayant été le seul membre du Comité de salut public qui ait entendu les explications du citoyen Rossel, je demande la permission de lui répondre. Avant tout, je dois dire que j’ai tout lieu de croire que la lettre dont le citoyen Rossel a fait allusion est apocryphe. Une lettre semblable, signée du citoyen Todtleben datée de Paris, avait déjà été adressée à Cluseret. Ayant envoyé à l’ambassade russe, il nous a été assuré que ce citoyen n’était pas à Paris. Pour tous les faits allégués par le citoyen Rossel, ma réponse est bien simple. Ni le Comité de salut public, ni moi-même n’avons signé aucun ordre mandant aux citoyens Wroblewski et Dombrowski de se transporter aux forts d’Issy. Le seul ordre signé est celui-ci: ayant été avisé que la situation devenait très grave au fort, j’ai envoyé copie de cette dépêche à la Guerre ordonnant de prendre toutes les mesures pour continuer la défense. Il a été répondu à cette dépêche que toutes les précautions seraient prises pour le conserver. La seule mesure révolutionnaire que nous ayons prise est la suppression de la Place de Paris**. Nous avons cru faire acte d’habileté en détruisant une espèce de Ministère de la Guerre posé à côté du véritable ministère: au lieu de limiter les pouvoirs du citoyen Rossel, nous n’avons donc fait que les augmenter.

ROSSEL. Le citoyen Pyat croit avoir pris une mesure révolutionnaire. Pour moi, la suppression de la Place n’est qu’une mesure de bouleversement. J’ajoute que le citoyen Pyat a commis une profonde erreur en considérant la Place comme en dehors des attributions de la Guerre, jamais elle n’a agi que d’après mes ordres. Le citoyen Pyat a omis de dire si, dans cette mesure, il n’était pas donné tout pouvoir au général Dombrowski pour l’exécution des mesures militaires.

PYAT. L’exécution, oui! Mais la direction absolue en restait confiée au citoyen Rossel. Pour la Place, je répète que nous croyons avoir agi sagement en la supprimant.
ANDRIEU. Nous prenons acte des paroles du citoyen Pyat que jamais le Comité de salut public n’a eu l’intention de retirer le pouvoir au délégué Rossel.

Avant d’entamer la discussion, sur la demande du citoyen LONGUET, le délégué la Guerre est autorisé à se retirer.

Après quelques autres observations des citoyens MELLIET, CHARDON et LANGEVIN, la séance est interrompue pendant une heure.



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