lundi 9 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 1 mai 1871 (1)



Président: MELLIET.
Assesseur: LONGUET.

La séance est ouverte à 3 h. 1/2.
LE PRÉSIDENT. L’un des secrétaires a la parole pour la lecture du procès-verbal.
TRIDON. Je demanderai la parole après la lecture du procès-verbal pour adresser une interpellation au citoyen Longuet à propos d’une publication faite dans le Journal Officiel.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu par l’un des secrétaires.
OSTYN. À l’ouverture de la séance d’hier, il a été lu une lettre de notre collègue le citoyen Puget; par laquelle il motive le fait de son absence de nos séances, absence contre laquelle je proteste. Depuis sa nomination, qui a eu lieu en même temps que celle de beaucoup d’entre nous, le citoyen Puget n’a assisté que deux fois à nos séances; il est chef du 157e bataillon, et il ne remplit pas d’autres fonctions; en outre, il ne paraît pas plus ici qu’à la mairie de son arrondissement. J’en appelle au citoyen Oudet, qui connaît ces faits comme moi.
OUDET. Le citoyen Puget se dit chargé d’une organisation militaire que je ne connais pas du tout.
BABICK. Notre séance d’il y a trois jours ne devait pas être publiée. Cependant voici un journal, Paris libre, qui en rend un compte très détaillé. J’ai été surpris que ce journal ait été aussi bien renseigné. Le Comité de sûreté générale, en ne surveillant pas les infractions, ne fait pas son devoir.
VÉSINIER. C’est moi qui ai fait le compte rendu de la séance dont on parle; mais je tiens à faire constater que je n’ai pas abusé d’un secret. Quand on veut qu’une partie de nos séances soit secrète, il faudrait au moins indiquer très clairement la partie de la séance que l’on veut tenir secrète. Dans le cas qui vous occupe, je ferai remarquer que ce n’est que deux jours après que l’on a décidé qu’il y aurait une partie de la séance qui devrait rester secrète. Je n’ai donc pu commettre d’indiscrétion à ce sujet.
REGÈRE. Je ne mets pas en cause Vésinier, tout en regrettant que nos séances intimes soient révélées au public. Je demande qu’il n’y ait aucune communication avec les journaux autrement que par l’entremise du Journal Officiel, quoique, pour ma part, je revendique formellement la responsabilité de mes paroles. On a parlé d’une communication faite par moi au journal Le Soir: c’est une calomnie que je dédaigne. J’ai demandé la suppression du journal Le Soir.
THEISZ. Je n’ai pas demandé la parole sur la discussion, mais à propos de l’opinion de Vésinier. Je crois qu’il y a là une question de tact et de convenance, et que les journalistes qui font partie de la Commune devraient oublier qu’ils le sont. Quand ils discutent les séances de la Commune, ils devraient discuter quand la séance a paru dans l’Officiel: c’est leur affaire comme citoyens. Mais profiter de ce qu’on est membre de la Commune pour discuter ses affaires, avant la publication des séances, c’est manquer de tact. Je blâmerai tout citoyen qui profitera de son titre de journaliste pour blâmer telle ou telle décision avant sa publication dans le Journal Officiel.
ARNAUD. Si le citoyen Vésinier n’avait quitté la séance d’avant-hier qu’à la fin, il aurait su que le secrétariat avait posé la question à l’assemblée pour savoir si la séance serait publiée. Sans qu’il y ait eu vote, il y a eu du moins assentiment de l’assemblée pour que la partie relative à la proposition du citoyen Miot ne soit pas publiée. Hier, pareille demande ayant été faite, il a été décidé que la séance ne serait pas publiée. On reprochait à l’Empire de favoriser certains journaux aux dépens des autres; pour ma part je désire que les journalistes qui sont membres de la Commune ne profitent pas de leur présence ici pour publier des comptes rendus que d’autres ne peuvent reproduire.

VÉSINIER. Je vous ferai observer que le journal dont il est question, paraissant à 3 heures, je croyais que le compte rendu de la séance avait paru à l’Officiel. L’Officiel ne m’est pas tombé sous la main, et j’ai publié de bonne foi un compte rendu qui avait dû paraître le matin à l’Officiel.

PLUSIEURS MEMBRES. La clôture!

BABICK. Il est de la dignité et de la solidarité de la Commune qu’un membre ne puisse publier quelque chose sans l’assentiment de nous tous.

Le procès-verbal est adopté.

La parole est au citoyen TRIDON.

TRIDON. Citoyens, j’attire votre attention sur un fait très grave qui vient de se commettre à l’Officiel. Jusqu’ici, ce n’étaient que des vétilles, mais le fait d’aujourd’hui est trop grave, il est exceptionnel, je le dénonce et je réclame une enquête. Hier, on a envoyé un ordre de résolution du Comité d’artillerie qui n’a pas été inséré; on n’a pas non plus inséré le rapport militaire sur l’affaire du fort d’Issy. Par contre, a paru un rapport de deux intendants cassés; ces hommes ont été cassés pour motifs sérieux, et il n’est pas possible qu’un journal insère de pareils faits sans qu’il n’y ait des billets de mille après. L’intendant May a été cassé: il avait envoyé quelques heures auparavant un rapport et je suis étonné de le voir accepté par leMoniteur, ce rapport étant faux. Voici sa rubrique: «Rapport au citoyen Tridon, membre de la Commune, délégué à la Guerre.» Ce rapport est signé de deux fonctionnaires, l’intendant général et l’intendant divisionnaire. Il n’y a plus de gouvernement possible après de tels faits. Je demande une enquête. Si de pareils faits se reproduisaient, il serait impossible de contrôler les abus à l’avenir.

LONGUET. J’appuie la demande d’enquête que vient de former le citoyen Tridon. Il s’est en effet passé des abus monstrueux en ce qui concerne le Journal Officiel, et je suis étonné que ce soit pour la première fois que l’on en signale devant la Commune; en effet, il n’y avait jamais eu assez de garanties données à l’Officiel. Pendant trois semaines, je n’ai point, pour ainsi dire, quitté ses bureaux, et, pendant ce temps, j’ai pris sur moi tantôt de mettre des pièces de côté, tantôt d’en renvoyer à la Commission exécutive, avec prière de m'adresser un ordre d’insertion ou de modifier certaines expressions que j’indiquais; mais depuis trois ou quatre jours, j’ai été retenu par mes devoirs au XVIe arrondissement; me trouvant dans l’impossibilité de passer tout mon temps à l’Officiel, je me suis borné à y aller la nuit jusqu’à 2, 3 heures du matin. Je croyais que cela serait suffisant; mais il arrive que les pièces à insérer arrivant tard, la mise en pages n’est souvent point terminée à 7 heures du matin. Sur les faits signalés par le citoyen Tridon, je puis vous donner quelques renseignements; voici ce qui s’est passé. Hier, pendant que j’étais à l’Officiel, vers minuit, deux citoyens que je ne connais que très peu, les citoyens May, sont venus…

TRIDON. Mais vous aviez publié le décret qui les révoquait.

LONGUET. … pour me demander si leur rapport allait paraître, j’ai répondu que je ne l’avais pas vu, mais le secrétaire de la rédaction, un homme dont Beslay m’a dit beaucoup de bien et en qui j’ai une grande confiance sous le rapport de l’honnêteté, mais point de l’esprit politique, l’avait reçu et l’avait déjà donné à la composition; du reste, je dois ajouter que le citoyen May m’avait affirmé qu’il n’était plus relevé de ses fonctions, par suite de l’arrestation de Cluseret. (Bruits.) Avant de quitter le journal, j’ai demandé que l’on ne publie pas de rapport que je ne l’aie lu ou qu’il ait été communiqué à la Commune. Car il n’y a pas d’organisation de l’Officiel; quand bien même mes fonctions me permettraient d’y rester continuellement, je ne pourrais pas moi-même, de mon autorité privée lui donner l’esprit politique que vous voulez lui donner. Jusqu’à présent, je n’y ai rien écrit, je n’ai jamais essayé d’y faire prévaloir mes opinions personnelles, mais cependant je n’ai pu m’empêcher de prendre sur moi de m’opposer quelquefois à des publications que je ne crains pas de qualifier de monstrueuses, je les ai conservées et j’en ai plein un tiroir; je les tiens à la disposition de ceux qui voudront les lire. Pour ce qui est du rapport que vient de nous rappeler le citoyen Tridon, je ne l’ai pas lu, mais s’il était aussi ridicule que celui qui m’a été adressé la veille et qui aurait pu avoir pour vous les conséquences les plus graves, je ne l’aurais certainement pas inséré; je ne publie pas ces choses-là; si on m’accuse de haute trahison pour une pareille manière d’agir, je suis prêt à répondre. Pour sortir de ces faits, j’appuie complètement la demande d’enquête formulée par Tridon, j’ajoute même, et cela, je l’ai souvent dit ici, qu’il serait à désirer que l’on organise sérieusement l’Officiel et je me bornerai à donner le plan de cette organisation, puis je m’en retirerai. Ainsi, par exemple, il faudrait nommer un caissier.

VARLIN. Ce n’est pas à nous, c’est à vous à le nommer.

LONGUET. Je n’ai jamais été chargé de l’administration de l’Officiel et je me déclare même incapable de remplir de pareilles fonctions. Il ne manque pas de journalistes, parmi les membres de la Commune: que l’on choisisse parmi eux. Il est évident qu’il faut une organisation prompte de ce service, qui devra être placé sous la direction du Comité de salut public ou du Comité exécutif, et aucune communication à l’Officiel­ ne pourra y être insérée sans être revêtue du timbre de ce Comité. Ce qui m’étonne, avec l’organisation actuelle, c’est qu’il ne se soit pas produit plus d’erreurs qu’il n’y en a eues.

TRIDON. À propos de l’Officiel, je dois rappeler que rien ne doit y être inséré, émanant de la Guerre, sans être signé du délégué ou de la Commission de la Guerre. L’ancienne Commission exécutive avait déjà décidé qu’aucune communication ne pouvait y être faite sans son approbation. Voici maintenant la note dont je demande l’insertion immédiate à l’Officielpour répondre au rapport qu’y a fait insérer le sieur May:
«Le sieur May [manque]

LONGUET. Je demande pour la sauvegarde de mon honorabilité à signer aussi cette note.

RIGAULT. Vous avez nommé un procureur de la Commune. Je viens maintenant vous proposer le projet de décret suivant, relatif aux substituts.

Il nomme plusieurs noms de substituts.

RIGAULT. Votre décret portait que les substituts seraient nommés par la Commune et non par le procureur de la Commune. C’est pourquoi je vous propose de nommer les citoyens dont je viens de vous lire les noms.

Sur l’invitation de plusieurs membres, le citoyen Rigault donne de nouveau lecture des noms proposés.

RIGAULT. Je demande que l’on veuille bien voter sur ma proposition.

LE PRÉSIDENT. Je ferai observer que cette proposition ne peut être mise aux voix avant d’avoir été discutée; il peut y avoir des observations à faire sur tels ou tels noms.

(Appuyé.)

LE PRÉSIDENT. Pour ma part, j’aurais quelques observations à faire sur un ou deux des citoyens dont on vient de parler.

CLÉMENT. Je veux faire une observation sur l’Officiel. Je crois que nous aurons toujours des réclamations à faire à ce sujet tant que ce journal ne sera pas rédigé et imprimé à l’Imprimerie Nationale*. Je désire donc que mon observation soit agréée et que l’on nomine une rédaction officielle et non officielle.

LE PRÉSIDENT. Dans ce cas, je prie le citoyen Clément de vouloir bien formuler sa proposition par écrit afin qu’elle puisse être discutée.

VERMOREL. J’ai été au fort d’Issy, j’y suis retourné et je vous apporte quelques renseignements sur les faits qui se sont passés hier. Le fort d’Issy a été abandonné; ce n’est pas la faute de nos commandants, puisque ce fort est resté sans commandement avec une garnison de 150 hommes. Les Versaillais étaient dans la tranchée, à environ 150 pas du fort. Nous l’avons quitté le soir avec une certaine sécurité. Je tenais à vous parler de ces détails, pour vous dire qu’il faut en finir avec le système de mensonges des commandants. Nous avons laissé hier les Versaillais aux tranchées; ils y sont encore, bien qu’une dépêche dise qu’ils les ont abandonnées. La dépêche relative à l’affaire des Moulineaux est également fausse. II. faut abandonner cet optimisme. Les casemates sont percées par des obus, mais ce sont des remparts derrière lesquels on peut encore se défendre. Il sera facile avec l’artillerie qu’on y a amenée ce matin de chasser les Versaillais. Il est important que la Commune veille à avoir de bons renseignements.

UN MEMBRE. Je demande que ces détails ne soient pas dans l’Officiel. Ils pourraient fournir aux Versaillais des renseignements utiles.

LE PRÉSIDENT. À quelle heure avez-vous quitté le fort d’Issy?

VERMOREL. Il pouvait être 11 h. 1/2.

BILLIORAY. La chose dont se plaint Vermorel vient de ce qu’on n’a jamais exécuté ce qui avait été convenu avec la Guerre. On devait nous fournir chaque jour un rapport exact qui serait lu à l’ouverture de la séance. Cela n’a jamais été fait.

COURBET. Deux bataillons, le 105e et le 115e, m’ont envoyé une délégation. Ils refusent obéissance au citoyen Rossel, attendu qu’il a condamné aux travaux forcés des officiers de leurs bataillons qui ne voulaient pas marcher, quand leurs hommes n’avaient sur eux ni plomb, ni poudre. Je suis menacé de recevoir la visite de ces bataillons ce soir à la mairie; les bataillons sont à la caserne des municipaux. Je désire que ces faits parviennent à la connaissance de l’autorité militaire, afin que cette manifestation n’ait pas lieu ce soir. Ils demandent aussi qu’on rétablisse les boucheries municipales.

Renvoyé à la Commission militaire.

CLÉMENT. Les Versaillais ont incendié. Neuilly avec des obus à pétrole. Je demande ce que fait la Commission chargée de trouver les engins les plus énergiques, que vous avez constituée.

CHARDON. J’ai quitté le fort d’Issy à 3 heures. Nous n’occupons pas les Moulineaux, et même les balles sifflaient à la barricade d’Issy. Il est arrivé 3 pièces de 12. Le moral des troupes est excellent, et je crois qu’il n’y a rien à craindre. J’ai passé par le XIVearrondissement, et j’ai constaté qu’au secteur tout était en désarroi depuis que Piazza était arrivé.

LE PRÉSIDENT lit la proposition du citoyen Tridon.

Adoptée.
(À suivre.)



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