samedi 14 octobre 2017

Commune de Paris Séance du 6 mai 1871 (4)



(Suite de la séance du 6 mai 1871 [La commune est réunie en Comité secret].)
BILLIORAY. Du temps des Prussiens, il y avait des pièces d’artillerie aux points que je viens d’indiquer et elles soulageaient les pièces des forts; c’est à ces pièces que l’on doit la résistance d’Issy et de Vanves. J’ai bien, dans mon arrondissement, des affûts, j’ai voulu les faire enlever, mais je n’ai pu le faire, parce que je n’avais pas d’ordres de la Guerre.
AVRIAL. Je crois savoir dans quelle situation se trouve l’artillerie. Nous avons des canons, des munitions en masse, mais elles sont répandues par-ci, par-là, le long des remparts. Je vais les faire relever, mais cela n’est pas si facile que vous pouvez le supposer, d’abord il nous faut des affûts; et en outre ces pièces sont excessivement lourdes; il nous faut pour les relever faire monter des chèvres, employer quinze ou vingt hommes. Si Billioray croit que les canons, les affûts se font facilement, s’improvisent, qu’il se charge de la besogne.
BILLIORAY. Je dois dire à Avrial qu’il m’a mal compris; je suis allé de mon initiative privée chercher les affûts où je savais qu’ils se trouvaient, c’est-à-dire à quelques centaines de mètres des canons. Les pièces entre autres 3 se trouvaient au bastion 79; les affûts étaient au bastion 81. Quant aux munitions, elles sont réparties dans une trentaine de poudrières de remparts; ces poudrières sont pleines de gargousses et renferment près du tiers des munitions de Paris. J’ai été pour prendre ces affûts; on m’a déclaré alors qu’il fallait un ordre de la Guerre; et, à la Guerre, j’ai dû me contenter d’une fin de non-recevoir. (Rumeurs.) Il est vrai qu’il y a trois semaines de cela. Il faut que ces pièces soient mises sur les remparts et, quand vous y aurez des batteries sérieuses, vous soulagerez suffisamment le fort d’Issy et vous empêcherez de passer entre lui et les remparts.
VIARD. Ce que dit Billioray est très important. La Commune a nommé des commissions, des délégués, et elle ne sait pas encore d’une façon exacte, précise, quel est notre stock de munitions, de canons sur les remparts, enfin la situation de notre matériel de guerre. J’avais déjà dit au Comité central et à la Commission exécutive: «Mettez Cluseret en demeure de vous fournir l’état de toutes nos ressources militaires en hommes (infanterie, cavalerie, artillerie) et en matériel»; et aucune réponse n’a été faite à cette demande. On a toujours fui, on a toujours évité de donner ces renseignements. On m’a même reproché mon insistance sur ce point et aujourd’hui on reconnaît l’utilité qu’il y aurait à être bien renseigné. Je ne connais, moi, qu’un contrôle et qu’un maître: la Commune; c’est elle qui a le droit de demander aux comités, aux commissions, tous les renseignements nécessaires pour connaître notre situation militaire; obtenir des renseignements et les étudier tous les jours serait bien plus utile que de discuter comme nous le faisons souvent.
La Commission de la Guerre, la plus importante de toutes, et ensuite celle des Subsistances, devraient tous les jours venir nous faire savoir leur situation, leurs ressources, ce qu’elles entendent faire. C’est simple et élémentaire, la nécessité de ces communications journalières, et nous supprimerions ainsi tous débats irritants. Vous ne vous occupez de ces questions militaires qu’après avoir appris l’infamie du Moulin-Saquet, ou l’investissement de l’aile gauche du fort d’Issy, c’est-à-dire quand il est déjà trop tard. Comment ne saviez-vous pas, vous, Avrial, qu’avec des pièces sur les remparts, on pouvait nuire beaucoup à l’ennemi? Vous avez de l’artillerie, et en quantité, seulement elle est disséminée; elle est au carré Saint-Martin, elle est partout. Je ne connais pas l’art militaire, mais, dans vingt-quatre ou quarante-huit heures au plus, je voudrais que les batteries fussent montées sur les fortifications. On vous a fait des observations sérieuses, il est temps d’y songer; car, maintenant, il ne nous faut plus de discours. La situation est grave.
BILLIORAY. J’ai vu sur les remparts des artilleurs chargés depuis la guerre de prendre des pièces au bastion 79 et les porter près des affûts au bastion 81, au lieu d’amener les affûts près des pièces. Je ne sais qui a donné cet ordre, mais le fait n’en existe pas moins.

(Bruit, interruptions.)

Le citoyen AVRIAL proteste énergiquement, au milieu des interpellations qui se croisent en tous sens.
PLUSIEURS MEMBRES. Mais cela n’a rien de personnel pour vous, citoyen Avrial.
BILLIORAY. Pour sauvegarder la responsabilité du citoyen Avrial, j’ai commencé par déclarer que les faits dont je parle remontaient à trois semaines. Cependant je dois ajouter que, depuis ce moment, les choses sont absolument dans le même état. Il n’y a rien de changé.
LEFRANÇAIS. On prétend qu’on ne peut pas monter les pièces parce qu’on n’a pas de chèvres. Quand Gambon et moi avons pris la succession des affaires d’Oudet, étonnés de voir des pièces et des affûts épars, nous nous sommes adressés à un capitaine d’artillerie qui nous a répondu: «Je manque de chèvres.» Ce n’était pas une explication suffisante.
RANVIER. Qu’Avrial croie bien que ce que je vais dire n’est pas contre lui. Il y a des canons qui ont été reconduits à Vincennes et dont les affûts sont encore sur les remparts. Il y avait des pièces à monter au Point-du-Jour; j’ai fait monter ces pièces par la Garde nationale, avec une chèvre appartenant à un charpentier. Ainsi ces pièces ont été montées par des gardes nationaux sous la conduite d’un seul artilleur. On n’a pas voulu se servir de la Garde nationale qui aurait prêté son concours avec beaucoup de bonne volonté.
PARISEL. Je demande la parole pour une motion d’ordre: si nous voulons continuer la discussion, on peut la continuer, mais avant tout je demande qu’on envoie immédiatement l’ordre de remonter sur leurs affûts les pièces de marine, et qu’en attendant on envoie une dizaine de pièces de 7, qui, du rempart, pourront parfaitement canonner les Versaillais s’ils sont entre les forts d’lssy et de Vanves.
PUGET. Citoyens, j’appuie…
ARTHUR ARNOULD. Je demande la parole pour une motion d’ordre. Le citoyen Parisel a émis une proposition qui vient avant toute discussion; je demande qu’on statue sur cette motion.
PUGET. Le citoyen Parisel a tellement raison que, le premier jour où je suis entré en campagne, n’ayant pas d’artillerie et voyant qu’il était difficile de déloger les Versaillais qui occupaient de très fortes positions, j’ai envoyé à la Commission l’avis de mettre en batterie des pièces de marine qui devaient exister sur les remparts, pour brûler tout Meudon. J’ignore si cela n’a pu se faire. Les membres de la Commission doivent être plus compétents que moi; mais, j’appuie fortement la proposition Parisel.
VIARD. Je demande que l’on envoie l’ordre immédiatement.
SERRAILLIER. On vient de faire une motion d’ordre. Vous allez donc vous ingérer dans les opérations militaires. Vous avez justement reproché au Comité de salut public d’avoir envoyé des ordres militaires et le colonel Rossel est venu ici dégager sa responsabilité. Donnez des avis, demandez des explications, mais n’envoyez pas d’ordre.
RANVIER. Je crois que si vous avez nommé un Comité de salut public, c’est un peu parce qu’il y avait danger et péril en la demeure. Je crois qu’il faut que ce Comité ait l’autorité nécessaire pour commander même au commandant en chef.
PARISEL. Je demande qu’on mette aux voix ma proposition.
LE PRÉSIDENT. Je donne lecture de la proposition Parisel:
«La Commune enverra immédiatement l’ordre de faire mettre dix pièces de 7 sur le bastion qui commande le fort d’Issy et d’ordonner la mise en batterie des pièces de marine qui sont au bastion.»
LONGUET. II est inutile de continuer à discourir sur de pareilles questions. (Bruit.) Je demande que dorénavant le président soit seul juge de l’orateur qui a droit d’avoir la parole. Il est impossible qu’un orateur dise qu’il a le droit de prendre la parole.
BILLIORAY. Je demande que la proposition soit envoyée à la Guerre, pour armer les remparts de Paris.
RANVIER. II vient d’être fait tout à l’heure une chose que la Commune n’a pas le droit de faire. (Bruit.) En définitive, je dirais que le Comité de salut public est responsable et qu’il a le droit de choisir ceux qu’il délègue. Le Comité de salut public doit avoir le droit de donner del ordres, ou il n’est pas le Comité de salut public. Si la Commune envoie aussi des ordres, il y aura confusion, il sera impossible de s’entendre. Ce matin, j’ai chargé quelqu’un de voir les pièces, de les reconnaître, et de s’occuper de l’armement des remparts.
J.-B. CLÉMENT. La mission du Comité de salut public est d’enjoindre à la Guerre d’avoir à pourvoir les remparts de canons. Mais il faut l’avertir; il ne faut pas de malentendu. J’ai signalé à la Commission exécutive qu’il y avait des pièces et des munitions et on n’en a pas tenu compte. Les matelots ont aussi demandé pourquoi l’on ne se servait pas d’obusiers, puisque les munitions ne manquaient pas pour les engins. Aujourd’hui, malheureusement, la position est désespérée et les mitrailleuses seules peuvent servir. À côté des bastions d’Issy, il y avait en effet des canons et l’on a donné l’ordre de préparer un endroit pour les recevoir. Si ces canons donnent, l’on répondra, et je crois qu’il n’est pas inutile de faire remarquer qu’il y a une poudrière tout à côté.
PLUSIEURS MEMBRES. Je demande la parole.
AVRIAL. Il y a des choses que vous ne savez pas. Ce matin, j’ai vu Rossel et lui ai demandé les points sur lesquels il faut placer les batteries. J’ai le matériel nécessaire, c’est-à-dire des pièces, d’un côté, et des affûts, de l’autre, qu’il faut réunir, ce qui n’est pas peu de chose, ce qui n’est pas chose facile. Billioray nous a dit qu’il y a des munitions; qu’il fasse mieux, qu’il nous fasse connaître d’une manière exacte la quantité de munitions que nous possédons. Il est aussi important qu’il nous fasse connaître si on en fabrique encore, ou quand la fabrication reprendra, dans le cas où elle serait arrêtée à l’heure qu’il est. Il faut que nous ayons ces renseignements. Ils nous seront indispensables si on ouvre le feu. C’est une question dont je me suis déjà occupé avec Assi. Il a beaucoup de canons, beaucoup de munitions, beaucoup d’artilleurs; ce qui manque, c’est une bonne organisation. Je serais bien aise qu’au lieu de passer le temps à discuter, à nous montrer le poing, la Commune se divisât en deux parties, l’une qui resterait ici et l’autre qui se rendrait sur les remparts. C’est là notre rôle, c’est notre devoir.
JOHANNARD. Que feront-ils, vos canons, si Rossel ne veut pas les faire tirer?
LE PRÉSIDENT. Je vais mettre aux voix la proposition Parisel.
PASCHAL GROUSSET. Avez-vous les dix pièces seulement?
BERGERET. Il faut envoyer cette proposition à la Guerre.
LE PRÉSIDENT. Je crois cette proposition actuellement inutile; l’interpellation a dû déjà produire ses fruits. Il serait donc inutile d’envoyer la proposition.

(L’ordre du jour!)
PARISEL. Je ne range à l’avis de l’ordre du jour, s’il est entendu que, dès ce soir, il y aura des canons sur le rempart; et ils battront les Versaillais entre Issy et Vanves.
RASTOUL. Je demande que nous ne parlions pas de choses sur lesquelles; nous ne sommes pas compétents.
UNE VOIX. Parlez pour vous!

(L’ordre du jour! L’ordre du jour!)
(À suivre.)



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