« Les chefs trouvent des
avantages de toute sorte dans ces procédés ; ils font peur aux riches et les
exploitent à leur profit personnel ; ils crient plus fort que personne contre
les privilèges de la fortune et savent se donner toutes les jouissances que
procure celle-ci ; en utilisant les mauvais instincts et la sottise de leurs
hommes, ils réalisent ce curieux paradoxe de faire applaudir par le peuple
l’inégalité des conditions au nom de l’égalité démocratique. Il serait impossible
de comprendre les succès des démagogues, depuis les temps d’Athènes jusqu’à la
New York contemporaine, si on ne tenait compte de la force extraordinaire que
possède l’idée de vengeance pour oblitérer tout raisonnement. Je ne crois pas
qu’il y ait de moyens propres à faire disparaître cette influence funeste des
démagogues, autres que ceux que peut employer le socialisme en propageant la
notion de grève générale prolétarienne : il éveille au fond de l’âme un
sentiment du sublime en rapport avec les conditions d’une lutte gigantesque ;
il fait tomber au dernier rang le besoin de satisfaire la jalousie par la
méchanceté ; il fait apparaître au premier rang l’orgueil de l’homme libre et
ainsi met l’ouvrier à l’abri du charlatanisme des chefs ambitieux et avides de
jouissances. »
« L’adoption du drapeau
rouge constitue un des épisodes les plus singuliers et les plus
caractéristiques de cette époque. Cet insigne était employé, en temps de
troubles, pour prévenir que la loi martiale allait être appliquée ; le 10 août
1792 il devint le symbole révolutionnaire, en vue de proclamer « la loi
martiale du peuple contre les rebelles du pouvoir exécutif ». Jaurès commente
ce fait en ces termes : « C’est nous, le peuple, qui sommes maintenant le
droit... Nous ne sommes pas des révoltés. Les révoltés sont aux Tuileries, et,
contre les factieux de la Cour et du modérantisme, nous retournons, au nom de
la patrie et de la liberté, le drapeau des répressions légales » [Jaurès,
Législative, p. 1288]. Ainsi les insurgés commencent par proclamer qu’ils
détiennent le pouvoir légitime ; ils combattent un Etat n’ayant qu’une apparence
de légitimité et ils prennent le drapeau rouge pour symboliser le
rétablissement de l’ordre véritable par la force ; vainqueurs, ils traiteront
les vaincus de conspirateurs et demanderont qu’on punisse leurs complots. La
véritable conclusion de toute cette belle idéologie devait être le massacre des
prisonniers en septembre. »
« L’Etat ayant joué
autrefois un rôle de premier ordre dans les révolutions qui supprimèrent
l'ancienne économie, c’est encore l’Etat qui devra supprimer le capitalisme.
Les travailleurs doivent donc tout sacrifier à un seul but : amener au pouvoir
des hommes qui lui promettent solennellement de ruiner le capitalisme au profit
du peuple ; c’est ainsi que se forme un parti socialiste parlementaire.
D’anciens militants socialistes pourvus d’emplois modestes, des bourgeois
lettrés, légers et avides de bruit, et des spéculateurs de la Bourse imaginent
qu'un âge d'or pourrait naître pour eux à la suite d'une révolution sage, bien
sage, qui ne toucherait pas gravement l’Etat traditionnel. »
« Tout l’avenir de la
démocratie pourrait bien dépendre de cette basse bourgeoisie, qui espère
utiliser, pour son plus grand avantage personnel, la force des organisations
vraiment prolétariennes [« Une partie de la nation s’agrège au prolétariat pour
demander des droits », dit Maxime Leroy dans un livre consacré à défendre les
syndicats de fonctionnaires (Les transformations de la puissance publique, p.
216).]. Les politiciens croient qu’elle aura toujours des tendances pacifiques,
qu’elle est susceptible d’être bien disciplinée et que, les chefs de si sages
syndicats comprenant comme eux l’action de l’Etat, cette classe formera une
clientèle excellente. Ils voudraient qu’elle leur servit à gouverner le
prolétariat : c’est pourquoi Ferdinand Buisson et Jaurès sont partisans des
syndicats des petits fonctionnaires, qui, en entrant dans les Bourses du
Travail, inspireraient au prolétariat l’idée d’imiter leur attitude éteinte et
pacifique. La grève générale politique concentre toute cette conception dans un
tableau d'une intelligence facile ; elle nous montre comment l’Etat ne perdrait
rien de sa force, comment la transmission se ferait de privilégiés à
privilégiés, comment le peuple des producteurs arriverait à changer de maîtres.
Ces maîtres seraient très probablement moins habiles que ceux d’aujourd’hui ;
ils feraient de plus beaux discours que les capitalistes ; mais tout porte à
croire qu’ils seraient beaucoup plus durs et plus insolents que leurs
prédécesseurs. »
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