adj. (latin manifestus)
Caractérise ce qui est clair,
évident et n'appelle pas de longue démonstration : erreur, menteur manifestes.
Subst. On désigne ainsi (il commençait, invariablement, jadis, par la formule
manifestum est : il est manifeste, d'où son nom), en politique, l'exposé public
des réclamations ou des motifs d'agir, adressé par un gouvernement à une ou
plusieurs nations étrangères. Il est parmi les gestes qui précèdent les
conflits guerriers et qui prétendent à les expliquer, souvent même à les
justifier. Sous les intentions pacifiques qu'invoquent les pouvoirs dont il
émane et les efforts tentés, prétend-on, pour prévenir le choc de la force
brutale, se dissimule le plus souvent la duplicité de campagnes insidieuses,
semées de faux et de provocations, qui ont préparé ou rendu inévitables des
conflagrations attendues ou escomptées. Il procède ainsi de cet art ancien de
circonvenir les peuples que la presse a si magnifiquement secondé, dans les
temps modernes. La manifestation écrite qui, avant la déclaration de guerre et
la rencontre des armes, s'annonce en éclaircissement, résume habilement, et
transpose au besoin, les griefs et les contestations qui sont à la base de la
mésentente ; l'adversaire se trouve être à point le responsable et le manifeste
aux ombres réticentes exalte à souhait les spécieux facteurs d'intervention. Il
convient donc d'y chercher davantage un savant enveloppement d'attitudes
souvent indéfendables et le dernier palabre hypocrite avant les recours aux «
arguments » de la force, bien plus que l'écho véridique des « droits » qui
s'affrontent et qu'une ultime tentative pour prévenir la mise en branle des
masses armées. L'usage du manifeste est des plus anciens et c'en est
vraisemblablement une forme ironique que l'envoi présomptueux, fait jadis par
les Scythes à Darius, d'un rat, d'un oiseau, d'une grenouille et d'une
flèche... Manifestes du roi et du parlement pullulèrent en Angleterre sous le
règne tourmenté de Charles Ier. On ne les vit apparaître officiellement en
France en tant qu'adresse aux nations en face d'une guerre imminente qu'au
XIVème siècle. L'histoire cite volontiers chez nous le manifeste du duc de
Brunswick, cette sommation insolente des coalisés de Coblentz qui provoqua le
sursaut du 10 août. Pleins de fougue éloquente et de volonté révolutionnaire,
les manifestes de la Convention tranchaient par leur chaleur sincère et leur
allure droite avec les écrits, pétris d'astuce et de subtile diplomatie, des
monarchies que ses principes nouveaux refoulaient... En 1859, après les guerres
d'Italie, François Joseph d'Autriche, contraint à la paix, exposait les raisons
de cette obligation dans son « Manifeste à mes peuples ». Roi de Prusse et
empereur des Français, en 1870, lancèrent des manifestes où chacun expliquait
le bien-fondé de son recours aux armes. En de multiples déclarations officielles,
adressées à leurs nations respectives, les chefs d'États belligérants de la
dernière « guerre du Droit » accumulèrent aussi les manifestes justificatifs où
instigateurs pogromistes, agresseurs, complices, supputeurs masqués prenaient
figure d'innocentes victimes et se défendaient « d'avoir voulu cela ! »... À
l'intérieur, les prétendants au trône, les fauteurs de coups d'État, les
aspirants au règne politique usèrent, à travers les siècles, de ces appels à la
nation pour préparer le terrain à leurs tentatives, rendre l'opinion publique
favorable à leurs desseins, galvaniser des cohortes de partisans. Les
manifestes marquent la route du pouvoir de méthodiques apprêts, entretiennent,
ravivent au besoin le prestige et la popularité. On connait les proclamations
du premier Bonaparte, les exhortations et les harangues lapidaires qui
jalonnent sa fortune de conquérant monomane. Des adresses de Napoléon le Petit,
parant son front médiocre de l'auréole du nom, aux invocations épileptiques de
la Ligue des Patriotes, aux plaidoyers cyniques des modernes « sauveurs » à la
Mussolini, aux déclarations de principes de tous les politiciens en mal de
chars et de fouets enrubannés, s'échelonnent rodomontades et suppliques, gestes
et propos circonvenants. Habiles à impressionner le peuple de « raisons de
salut public », à ramener, autour de formules renouvelées de gouvernement,
invariablement « rédemptrices », une foi à la longue fléchissante, à rendre
sympathiques des promesses de réformes enflées en boniments, florissent les
manifestes du bien général dont il ne reste, la baudruche crevée, que les
chétives grimaces de l'ambition... Pour tenir à l'étiage le « moral » précieux
de la nation, au cours de la longue « dernière », on ne manqua pas de faire une
publicité à ce monument de lourde suffisance et d'avilissant renoncement qu'est
le Manifeste des Intellectuels allemands, se rangeant aux côtés des guerroyeurs
mégalomanes de l'Empire. Chez nous, d'ailleurs, n'attendant que l'occasion
(qu'ils eussent au besoin provoquée) répondirent ‒ pendant grotesque ‒ d'aussi
plates déclarations de loyalisme patriotique de la part de nos vedettes
littéraires ou artistiques, des sommités de notre monde scientifique. Un
concert monocorde de périphrases en fausset, une orgie de phantasmes
amphigouriques exaltaient, de chaque côté des frontières, l'unilatéralisrne
d'une « civilisation » menacée. Et l'on voyait un Anatole France, l'historien
de la Pucelle, supplier (derrière un Hervé et un Jouhaux) qu'on lui donnât une
arquebuse pour bouter l'Allemand hors de France. Les manifestes des partis ‒
succédanés et renforts de ceux des États ‒ foisonnèrent pendant ces quatre
années d'abdications et de reniements. Grands chefs, clercs et menus bergers,
dans le dessein d'amadouer le « jugement de l'histoire », y délayèrent (phrases
pompeuses sur les virilités défaillantes) leurs évidentes trahisons. Les
socialistes dirigeants, délivrés d'un Jaurès, venaient solennellement, par le
canal des Guesde et des Thomas, prostituer au service des capitalismes en
lutte, la doctrine de l'internationale des prolétaires, s'agenouillaient sur
les fauteuils des ministères de guerre. Et ils n'avaient pas de peine à
trouver, dans leur arsenal de démagogues et de rhéteurs, les doucereux propos
magnifiant le sacrifice de l'agneau. Il n'est pas jusqu'à quelques-uns des
nôtres ‒ mieux avertis, nous dit-on (lumière soudaine pour plusieurs) des
contingences et de l' évolution ‒ qui ne lancèrent aux camarades de ce pays une
explication de leur attitude, appel de fait à une participation active,
destinée, selon eux, à sauvegarder l'étape de notre « civilisation supérieure »
(voir Seize: Manifeste des Seize). Seul, sur tous ces manifestes
d'acquiescement, normaux ou inattendus, retentissait dans le monde (trait
d'union des hommes de paix demeurés dignes, réconfort des consciences éparses
résolues à ne pas abdiquer) au-dessus de la mêlée, le manifeste de sauvegarde
morale d'un Romain Rolland criant la survivance de l'idée humaine quand les
doctrines s'inclinaient... Dans les arts, la littérature, on appelle aussi
manifeste la publication de nouvelles manières de voir, de modes d'expression
encore inusités, qu'accueille avec méfiance ou mépris le public traditionaliste
et les cercles prévenus. Tel le manifeste littéraire de l'école romantique. ‒
LANARQUE.
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